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26. (1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section première. La Tribune politique. — Chapitre V. De l’Éloquence politique chez les Français. »

On la vit s’élever tout à coup à une hauteur de pensées, et à une magnificence de diction proportionnées aux objets qu’elle traitait ; la langue française acquit, dans la bouche des Mirabeau, des Maury, des Lally-Tolendal, etc., une force d’expression, un caractère d’énergie oratoire, dont elle n’offrait pas encore de modèle, et dont nous multiplierions volontiers les exemples, si ces matières, complètement étrangères, d’ailleurs, aux études des jeunes gens, n’avaient de plus l’inconvénient de rappeler des souvenirs auxquels il est difficile de toucher, sans réveiller des passions. […] Mais quelle idée se fera la postérité, de ce prodigieux Mirabeau, de ce géant politique qui pesa un moment sur la France entière, et qui l’eût peut-être écrasée du poids de son ascendant populaire, si la providence n’eût brisé tout à coup l’instrument qu’elle avait daigné employer pour donner de grandes et terribles leçons aux princes et aux peuples de la terre ? […] Telle fut, pour notre patrie, l’époque du régime révolutionnaire ; le coup le plus mortel qu’il ait porté à la langue et à l’éloquence françaises, n’est pas seulement d’avoir introduit une foule de mots barbares déjà oubliés, et qui ne pouvaient survivre aux choses qui les avaient introduits dans le discours, mais d’avoir accoutumé les esprits à déraisonner sans cesse, par l’affectation même de vouloir toujours raisonner, et de rester sans cesse à côté de la vérité en disant autre chose que ce qu’on voulait dire, ou en le disant autrement qu’on ne le devait.

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