En effet, les émotions qui viennent du corps sont bornées et monotones : on connaît bien vite toutes les contorsions tragiques des passions exagérées ; on s’aperçoit promptement que ces cris de souffrance et d’agonie qui, la première fois, ont frappé l’oreille d’un coup inattendu et terrible, rendent toujours le même son ; et, au bout de quelque temps, l’auteur et le spectateur viennent échouer contre l’impossibilité de faire sentir autre chose que ce qu’ils ont fait et senti hier. […] tandis que ma parole se déroulait péniblement, déjà l’idée rapide et vive était rentrée dans la profondeur de l’intelligence ; et pourtant c’était à l’aide des traces lumineuses qu’elle avait laissées sur son passage, que je pouvais retrouver quelques signes et exprimer quelques pensées. » Ainsi donc, tous, qui que nous soyons, faibles ou forts, tous nous sentons, à chaque instant, une contrariété qui fait du même coup notre grandeur et notre misère, qui nous abat et qui nous élève, soit que, dans nos actions, nous poursuivions l’idée d’un bonheur et d’une vertu que nous ne pouvons pas atteindre, soit que, seulement dans nos paroles, nous cherchions à représenter une vérité que nous ne pouvons pas non plus exprimer tout entière.