Cette manière de transporter le lecteur sur le lieu même de la scène, de le placer au milieu des personnages intéressés à l’action, est un des secrets du style antique, et je n’en connais guère de plus beau modèle, que le début sublime des complaintes de Jérémie : « Postquam in captivitatem redactus est Israel, et Jerusalem deserta est, sedit Jeremias Propheta flens, et planxit lamentatione hâc in Jérusalem, et amaro animo suspirans et ejulans, dixit. […] Déjà vous imitez ces peuples de l’Orient, chez qui la mollesse dégrade l’homme dès sa naissance ; et vos âmes se trouvent presque énervées avant de se connaître. […] Il remarqua comme un des jours les plus heureux de sa vie celui de son enfance où il entendit, pour la première fois, parler de Caton ; il regarda avec reconnaissance les noms de ceux qui lui avaient fait connaître Brutus et Thraséas ; il remercia les dieux d’avoir pu lire les Maximes d’Épictète : son âme s’unissait à ces âmes extraordinaires qui avaient existé avant lui. […] « Épouvanté de mes devoirs, je voulus connaître les moyens que j’avais pour les remplir, et mon effroi redoubla. […] Tu emprunteras des secours ; mais ces secours ne seront qu’un remède imparfait à ta faiblesse : l’action confiée à des bras étrangers, ou se ralentit, ou se précipite, ou change d’objet ; rien ne s’exécute comme le prince l’a conçu ; rien ne lui est dit comme il l’aurait vu lui-même, on exagère le bien ; on diminue le mal : on justifie le crime ; et le prince, toujours faible ou trompé, exposé à l’infidélité ou à l’erreur de tous ceux qu’il a chargés de voir et d’entendre, se trouve continuellement placé entre l’impuissance de connaître et la nécessité d’agir.