Lamennais
1782-1854
[Notice]
Tribun de l’Église et de la démocratie, prêtre catholique, et philosophe révolté contre ce qu’il avait adoré, M. de Lamennais nous offre dans sa vie comme dans ses œuvres les douloureuses contradictions d’une âme altière, ardente, incapable d’équilibre, se précipitant brusquement d’un pôle à l’autre, et obstinée à se tourmenter elle-même par ses propres orages. De tous ses écrits, le plus digne de mémoire est son essai sur l’Indifférence en matière de religion (1817-1823). Dans ce livre, dont l’idée répondit aux besoins d’une société inquiète, apparaissait déjà sous le docteur orthodoxe un logicien impérieux, paradoxal et inflexible, dont le zèle alarma ceux même qui applaudirent en lui un nouveau Bossuet. Sans raconter les événements qui suivirent, il convient de rappeler qu’après une apparente soumission aux arrêts de Rome, le journaliste ombrageux et indépendant qui avait fondé l’Avenir avec MM. de Montalembert et Lacordaire, attrista ses amis par l’éclat d’un naufrage où sombrèrent leurs plus chères espérances. Les Paroles d’un croyant furent l’évangile aventureux de cette rébellion. Une poésie sombre colore ce pamphlet inspiré par un cœur courroucé, qui voit dans tout abus un crime, dans tout adversaire un ennemi (1832).
Esprit étrange et puissant, M. de Lamennais fut l’ébauche d’un génie qui nous laisse indécis entre l’admiration et la pitié. Ambitieux d’être un apôtre et un prophète, il eut l’imagination apocalyptique, le don de l’invective amère, de la colère sinistre, du sarcasme indigné, de l’ironie corrosive. Nul n’a été plus éloquent pour ou contre l’Église, la révolution et le peuple. La tempête est son élément : il se plaît aux éclats de la foudre. Dans ses intervalles d’apaisement et de lucidité, il rappelle Pascal, Rousseau, de Maistre et de Bonald. Il rencontra des accents qui évoquent l’idée de Tertullien et du Dante ; mais trop de lave déborde du volcan. L’impression dominante qu’il nous laisse est pénible et triste : c’est une âme fébrile dans un corps malade. Il appelle et repousse le repos ; il a comme des visions dans le délire.
L’Église militante
Armé d’une croix de bois, on vit le Christianisme tout à coup s’avancer au milieu des joies enivrantes et des religions dissolues d’un monde vieilli dans la corruption. Aux fêtes brillantes du paganisme, aux gracieuses images d’une mythologie enchanteresse, à la commode licence de la morale philosophique, à toutes les séductions des arts et des plaisirs, il oppose les pompes de la douleur, de graves et lugubres cérémonies, les pleurs de la pénitence, des menaces terribles, de redoutables mystères, le faste effrayant de la pauvreté, le sac, la cendre et tous les symboles d’un dépouillement absolu et d’une consternation profonde ; car c’est là tout ce que l’univers païen aperçut d’abord dans le Christianisme.
Aussitôt les passions s’élancent avec fureur contre l’ennemi qui se présente pour leur disputer l’empire. Les peuples, à grands flots, se précipitent sous leurs bannières ; l’avarice y conduit les prêtres des idoles ; l’orgueil y amène les sages, et la politique, les empereurs. Alors commence une guerre effroyable : ni l’âge ni le sexe ne sont épargnés ; les places publiques, les routes, les champs même, et jusqu’aux lieux les plus déserts, se couvrent d’instruments de torture, de chevalets, de bûchers, d’échafauds. Les jeux se mêlent au carnage ; de toutes parts, on s’empresse pour jouir de l’agonie et de la mort des innocents qu’on égorge ; et ce cri barbare : Les chrétiens aux lions ! fait tressaillir de joie une multitude ivre de sang.
Enfin, les bourreaux fatigués s’arrêtent1, la hache échappe de leurs mains : je ne sais quelle vertu céleste, émanée de la croix, commence à les toucher eux-mêmes ; à l’exemple des nations entières, subjuguées avant eux, ils tombent aux pieds du Christianisme, qui, en échange du repentir, leur promet l’immortalité, et déjà leur prodigue l’espérance. Signe sacré de paix et de salut, son radieux étendard flotte au loin sur les débris du paganisme écroulé. Les Césars jaloux avaient conjuré sa ruine, et le voilà assis sur le trône des Césars1.
Comment a-t-il vaincu tant de puissances ? En présentant son sein au glaive, et aux chaînes ses mains désarmées. Comment a-t-il triomphé de tant de rage ? En se livrant sans résistance à ses persécuteurs2.
Le devoir pratiqué pour lui-même
Quiconque veut répandre la bonne parole doit, s’oubliant lui-même, ne regarder qu’une seule
chose, l’accomplissement du devoir qu’il se croit appelé à remplir ; car, s’il se recherche à
quelque degré, si, pour persévérer dans son œuvre, il a besoin d’en voir le fruit, il ne
tardera pas à se lasser, il succombera bien vite au découragement. Lorsqu’on vient annoncer
la vérité aux hommes, les presser d’obéir à la loi de l’amour, qui ordonne de renoncer à soi
pour se fondre en autrui, et y retrouver une vie plus puissante et plus abondante, on
rencontre d’abord toutes les
passions humaines, qui se soulèvent
contre cette loi et la repoussent violemment. Vous demandez au faible des efforts, au riche
le détachement de la richesse, à l’ambitieux de s’effacer, à l’orgueilleux de se faire petit,
au sensuel de vaincre ses convoitises, à tous un long et rude labeur ; comment seriez-vous
écouté ? Ce qui étonne, ce n’est pas que la semence du vrai, du bien, soit étouffée dans le
monde, ou s’y dessèche presque aussitôt, c’est qu’une partie de cette divine semence y trouve
çà et là un peu de bonne terre où elle fructifie. Mais, dans ce peu de bonne terre, elle
pousse des racines si profondes, que rien n’en saurait arrêter la croissance ; elle élève sa
tige, étend ses rameaux, préparant aux oiseaux du ciel, aux plus frêles créatures, un doux
ombrage et un lieu de repos. Et ceci, ce n’est pas l’homme qui le fait ; il ignore même
comment s’est opérée cette œuvre merveilleuse. Il a semé, voilà tout ; et de jour, de nuit,
par un secret travail, inconnu de lui dans ses voies, la semence a germé, s’est développée,
est devenue ce qu’elle devait devenir. Semez donc, mais en esprit de foi ; semez, mais en
sachant que vous semez pour un temps que vous ne verrez point. La plante céleste croîtra,
mais son ombre ne recouvrira que vos cendres. Qui demande plus sème pour soi et non pour son
Dieu, et non pour ses frères. La parole de Jésus, fructifiant de siècle en siècle, a changé
le monde, et, dans l’universel abandon, sur la croix, son dernier mot fut : « Mon
Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous délaissé1 ? »
Les hommes doivent s’aider
Lorsqu’un arbre est seul, il est battu des vents et dépouillé de ses feuilles ; et ses branches, au lieu de s’élever, s’abaissent comme si elles cherchaient la terre.
Lorsqu’une plante est seule, ne trouvant point d’abri contre l’ardeur du soleil, elle languit et se dessèche, et meurt.
Lorsque l’homme est seul, le vent de la puissance le courbe vers la terre, et l’ardeur de la convoitise absorbe la séve qui le nourrit.
Tant que vous serez désunis, et que chacun ne songera qu’à soi, vous n’aurez rien à espérer, que souffrance, et malheur, et oppression1.
Qu’y a-t-il de plus faible que le passereau, et de plus désarmé que l’hirondelle ? Cependant quand paraît l’oiseau de proie, les hirondelles et les passereaux parviennent à le chasser, en se rassemblant autour de lui, et le poursuivant tous ensemble.
Prenez exemple sur le passereau et sur l’hirondelle.
Celui qui se sépare de ses frères, la crainte le suit quand il marche, s’assied près de lui quand il repose, et ne le quitte pas même durant son sommeil.
Donc, si l’on vous demande : « Combien êtes-vous ? » « Nous sommes un, car nos frères, c’est nous, et nous, c’est nos frères. »
Dieu n’a fait ni petits ni grands, ni maîtres ni esclaves : il a fait tous les hommes égaux1.
Mais, entre les hommes, quelques-uns ont plus de force ou de corps, ou d’esprit, ou de volonté, et ce sont ceux-là qui cherchent à assujettir les autres, lorsque l’orgueil ou la convoitise étouffe en eux l’amour de leurs frères.
Et Dieu savait qu’il en serait ainsi, et c’est pourquoi il a commandé aux hommes de s’aimer, afin qu’ils fussent unis, et que les faibles ne tombassent point sous l’oppression des forts.
Car celui qui est plus fort qu’un seul sera moins fort que deux, et celui qui est plus fort que deux sera moins fort que quatre ; et ainsi les faibles ne craindront rien lorsque, s’aimant les uns les autres, ils seront unis véritablement.
Un homme voyageait dans la montagne, et il arriva en un lieu où un gros rocher, ayant roulé sur le chemin, le remplissait tout entier, et hors du chemin il n’y avait point d’autre issue, ni à gauche, ni à droite.
Or, cet homme voyant qu’il ne pouvait continuer son voyage à cause du rocher, essaya de le mouvoir pour se faire un passage, et il se fatigua beaucoup à ce travail, et tous ses efforts furent vains.
Ce que voyant, il s’assit plein de tristesse et dit : « Que sera-ce de moi lorsque la nuit viendra et me surprendra dans cette solitude, sans nourriture, sans abri, sans défense ? »
Et comme il était absorbé dans cette pensée, un autre voyageur survint, et celui-ci, ayant fait ce qu’avait fait le premier et s’étant trouvé aussi impuissant à remuer le rocher, s’assit en silence et baissa la tête.
Et après celui-ci, il en vint plusieurs autres, et aucun ne put mouvoir le rocher, et leur crainte à tous était grande.
Enfin l’un d’eux dit aux autres : « Mes frères, prions notre Père qui est dans les cieux ; peut-être qu’il aura pitié de nous dans cette détresse. »
Et cette parole fut écoutée, et ils prièrent de cœur le Père qui est dans les cieux1.
Et quand ils eurent prié, celui qui avait dit : « Prions », dit encore : « Mes frères, ce qu’aucun de nous n’a pu faire seul, qui sait si nous ne le ferons pas tous ensemble. »
Et ils se levèrent, et tous ensemble ils poussèrent le rocher, et le rocher céda, et ils poursuivirent la route en paix.
Le voyageur c’est l’homme, le voyage c’est la vie, le rocher, ce sont les misères qu’il rencontre à chaque pas sur sa route.
Aucun homme ne saurait soulever seul ce rocher ; mais Dieu en a mesuré le poids de manière qu’il n’arrête jamais ceux qui voyagent ensemble2.
Le passé et l’avenir
À madame la comtesse de Senfft
Vous dites bien vrai, tout s’en va ; mais ce qui s’en va est-il donc tant à regretter ?
N’en doutez pas, c’est la fête,
la grande fête qui se prépare, et
qui commencera lorsque le monde aura été purifié.
Non relinquam vos
orphanos ; veniam ad vos
1. Ne craignons rien ; nous reverrons le
Christ, le Christ sauveur, le Christ libérateur, le Christ qui prend pitié des pauvres, des
faibles et des misérables. Et puis, sous un autre point de vue, qu’est-ce que l’histoire des
hommes, sinon l’histoire du développement continuel de l’humanité, et des mille et mille
changements nécessaires qu’il amène d’âge en âge ? Que me fait, à moi, un empire qui tombe ?
Un passereau qui meurt me touche davantage2 ; pauvre petite créature de
Dieu, qui, après avoir aspiré, comme un globule de rosée sur la fleur, sa gouttelette de vie,
s’en va et ne revient plus. S’il fallait porter le deuil des royaumes qui passent, et des
pouvoirs qui expirent, les peuples, depuis Nemrod, n’auraient pas eu d’autres vêtements, et
nous entendrions encore, au fond de l’Orient, tinter les glas de ces grandes funérailles ; le
bruit lugubre de ces premières morts nous arriverait de tombeau de roi en tombeau de roi,
comme d’écho en écho ; « et pourtant, dit le Seigneur Dieu, c’est moi qui ai abattu
ces chasseurs d’hommes, parce que j’ai eu pitié de la terre »
.
N’allez pas croire, cependant, que je ne sente pas tout ce qu’il y a de douleur dans la
rupture de ces liens qui vous attachaient au passé ? Hélas ! oui, nous sommes ainsi faits, et
la famille qui flottait dans l’Arche sur les ruines d’un monde entier, d’un monde pervers
dont elle détestait les crimes, n’en éprouvait pas moins, quoiqu’elle connût ses hautes
destinées, des souffrances inexprimables. Toutefois, je voudrais que mon cher comte ne prît
aux événements que cette sorte de part que, dans sa position, le devoir commande, ou que peut
avouer, une raison aussi droite et aussi ferme que la sienne. S’il y a des astronomes à la
fin des temps, je ne crois pas qu’il fût sage à eux de se tuer de chagrin parce que les
planètes iront de travers, c’est-à-dire autrement qu’elles n’étaient allées jusque-là ; ceci
dérangera, j’en conviens, la régularité de la science, mais ne dérangera point l’univers, que
ne cessera pas de conduire une Intelligence pourvue d’autres règles de gouvernement que
celles que nous nous faisons avec tant de travail et un travail si vain. Pour moi, voici
toute ma politique : —
Je crois en Dieu, en sa Providence, et j’espère dans l’avenir qu’elle destine au genre humain.
Le mien, personnellement, n’a rien de beau : malade, pauvre, persécuté, je ne sais pas, le soir, où le lendemain je reposerai ma tête. Non, ma vie n’est pas douce ; mais elle est telle que Dieu me l’a faite, et je dois dès lors en être content. Ce n’est pas ici le lieu du repos : redisons-nous cela sans cesse. Cette pensée calme ; elle fait qu’on tourne avec espérance ses regards vers l’occident, là où naît l’aurore du jour qui n’est pas de la terre, du jour que ne trouble aucun orage, et que la nuit n’obscurcit jamais1.
L’amour de Dieu et des hommes
À madame la comtesse de Senfft 1
Je vous écris au milieu d’un effroyable coup de vent qui emporte les toits et déracine les
arbres, espèce d’ouragan mêlé de tonnerre, qui nous arrive après des jours de véritable
printemps. Ne voyez-vous pas là une image de notre pauvre vie, que les vents aussi agitent et
brisent, et dont ils dispersent çà et là les débris2 ? À mesure que je
sens la mienne s’en aller, je me reporte avec plus de charme vers un passé qui ne fut pas non
plus sans orages, mais sur lequel, en même temps, la bonne Providence versa de grandes
douceurs. Ces longues soirées de la rue du Bac me reviennent en mémoire ; je revois tout ce qui était là, et je vous plains, et mon âme s’unit encore avec la
vôtre. Ah ! croyez-moi, la vraie, la solide, la tendre affection est la seule chose réelle,
la seule qui ne passe point ; lorsque tout le reste change, caritas manet.
Qu’importent les pensées, les opinions ? Elles ne dépendent point de nous, ou n’en dépendent
guère. Nés à Constantinople, à Téhéran, à Bénarès, que seraient pour nous toutes les
questions qui remuent si vivement notre Europe passionnée ? Dans cet immense conflit d’idées
contradictoires, je crois, de part et d’autre, à plus de bonne foi qu’on ne s’en suppose
mutuellement,
et je ne blâme en moi-même aucun de ceux qui, se
trompassent-ils, guidés uniquement par leur conscience, ne regardent, ne désirent que le Vrai
et le Bien, complétement détachés de tout intérêt personnel. Je ne saurais exprimer l’horreur
que m’inspire tout ce qui tend à rompre le lien d’amour parmi les hommes, tout principe qui
autorise à se haïr et à se nuire réciproquement, à cause des manières diverses de penser.
N’est-ce pas une grande pitié que cela, lorsqu’on vient à considérer, après quelques siècles,
l’espèce de rage qui armait les frères contre les frères pour des questions aujourd’hui
pacifiées ? Ces pleurs, ce sang, pourquoi ont-ils coulé ? Les savants disent pourquoi, et les
autres ne peuvent les comprendre. C’était bien la peine d’ouvrir mon âme à tant de fureurs,
et d’attrister la terre par tant de crimes ! Dans sa charité immense, infinie, Jésus-Christ
s’écriait : « Oh ! si vous connaissiez le don de Dieu ! »
Et qu’est-ce que le
don de Dieu, si ce n’est la charité même ? Deus caritas. « Il
enverrait, disait-il, son esprit aux siens. »
Et qu’est-ce encore que l’Esprit
divin, si ce n’est l’Amour même, essentiel, éternel, l’Amour qui est la vie du Souverain Être
et de tous les êtres ? Il viendra, n’en doutons point, plus ardent, plus abondant, et
« enseignera toutes choses à ceux dont les cœurs se
dilateront pour le recevoir »
, et « renouvellera la face
de la terre
1. »
Parlez-moi de votre santé, et de celle de notre cher comte ; la mienne n’est ni bonne, ni absolument mauvaise ; voilà tout. Je vis tranquille et calme dans ma solitude profonde, faisant des vœux pour l’Humanité, au sein de laquelle fermente quelque chose qui se dérobe en partie à ma faible vue, mais certainement quelque chose de grand. Après Dieu, je ne tiens fortement qu’à elle seule en ce monde. Aimer Dieu, aimer le prochain, n’est-ce pas toute la Loi ? N’était le souvenir d’un petit nombre d’êtres dont la Providence m’a séparé, et qui me seront éternellement chers, rien ne troublerait la douceur des jours paisibles que je coule ici sans désirs terrestres, sans désirs au moins qui se rapportent à moi. Il y a une immense joie dans un immense désabusement. Si vous saviez comme je demande à Dieu, pour vous, un peu de repos et de paix vers la fin de votre carrière si laborieuse et si agitée ! Je dis un peu, car le vrai repos, la paix parfaite est ailleurs, et n’est point ici. Adieu ! Que la Providence vous console dans vos afflictions, et vous bénisse, maintenant et toujours, de ses plus douces bénédictions1.
Consolation
À M. le comte de Senfft
Dieu vous l’avait donnée, Dieu vous l’a ôtée2 : que son saint nom soit béni ! Hélas ! que je
sens bien votre peine, et que je la partage vivement ! Ainsi donc se dénouent les
plus doux liens de la terre, et nous nous en allons mouillant de nos larmes
le chemin qui conduit à cette autre vie, la seule réelle, la seule désirable, qui nous est
proposée comme but, et promise comme récompense ; et voilà pourquoi il est écrit :
Pleurez peu sur le mort, parce qu’il repose
; et encore :
Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur !
Dans ces temps de
désordre et de calamités, ne plaignons pas ceux à qui le Père céleste dit : Entrez dans la paix ! Pleurons sur nous-mêmes, qui avons tant encore à combattre et à
souffrir ! Je suis inquiet de la santé de Madame de Senfft et de la vôtre. Au nom de Dieu,
prenez sur vous ; nous nous reverrons tous, nous nous retrouverons tous là où pour jamais il
n’y aura plus ni vicissitudes, ni larmes. Adieu, mon ami ; je vous serre sur mon cœur1.
La fuite du temps et l’éternité
À madame la comtesse de Senfft
Dans trois heures, le temps va engloutir dans ses vastes gouffres les larmes et les douleurs d’une année2 ; celle qui la suivra sera-t-elle remplie de moins de pleurs et de moins de deuils ? Non sans doute, elles se ressemblent toutes. Mon cœur, cependant, vous envoie ses vœux ; il demande pour vous, sinon le bonheur qui n’est point d’ici-bas, du moins ces secrètes consolations que la Providence fait couler d’en haut dans les âmes malades, ces joies intimes qui n’ont point de nom, parce qu’elles passent sur la terre1 comme quelque chose d’un autre monde, comme le souffle lointain de la patrie. C’est là qu’il faut se joindre ; je désire, mais j’espère peu désormais vous revoir ailleurs. Nos routes se dirigent en des sens contraires ; heureusement qu’il existe un centre où elles aboutissent toutes2. Mille tendresses à mon cher comte ; mes sentiments pour lui et pour vous ne s’affaibliront jamais.