Avis.
On a réuni par des traits, dans la traduction juxtalinéaire, les mots français qui traduisent un seul mot latin.
On a imprimé en italique les mots qu’il était nécessaire d’ajouter pour rendre intelligible la phrase française, et qui n’avaient pas leur équivalent dans le latin.
Enfin, les mots placés entre parenthèses, dans le français, doivent être considérés comme une seconde explication, plus intelligible que la version littérale.
Argument analytique.
Vers 1. Tout sujet doit être simple. — 24. Souvent les poëtes tombent dans les défauts opposés à ceux qu’ils veulent éviter. — 38. L’auteur doit choisir un sujet proportionné à ses forces. — 45. Hardiesses que les poëtes peuvent se permettre dans l’emploi des mots : destinée des mots. — 73. Quels sont les vers appropriés à chaque genre. — 89. Du ton qui convient à la Tragédie et à la Comédie. — 99. Il faut tenir compte du sujet, du temps, des personnes. — 119. Ce que doit faire l’auteur, s’il reproduit sur la scène un personnage connu, ou s’il en invente un nouveau. — 136. Quelques préceptes sur la poésie épique. — 153. Des sujets qu’il faut mettre sur la scène. Horace recommande d’approprier les mœurs à chacun des âges de la vie. — 179. De l’action et du récit. — 193. Du Chœur. — 202. De la licence qui s’est introduite dans la musique. — 220. Du drame Satyrique. — 251. De l’iambe, et de l’iambique de six pieds. — 263. Négligence des écrivains Romains. — 275. Origine de la Tragédie et de la Comédie. — 295. De l’art et du génie. — 309. Connaissances nécessaires au poëte. — 323. Funestes effets de ce travail déréglé qui n’a en vue que l’argent. — 333. Objet que la poésie se propose. De la vraisemblance. — 347. La sévérité n’exclut pas une indulgence raisonnable. — 366. La médiocrité est interdite aux poëtes. — 391. Origine et éloge de la poésie. — 408. Pour former le poëte, il faut le concours de l’art et de la nature. — 419. L’écrivain doit se défier des flatteurs, et ne consulter qu’un juge sincère. — 453. Épilogue.
Q. Horatii Flacci
Ars poetica 1 .
Ad Pisones 2 .
Horace
Art poétique.
Aux Pisons.
Si un peintre s’avisait de placer une tête humaine sur un cou de cheval ; et que, bigarrant de plumes diverses un assemblage confus de membres disparates, il terminât un gracieux buste de femme par la croupe hideuse d’un monstre marin : devant un pareil tableau, pourriez-vous, ô mes amis, vous empêcher de rire ? Voilà pourtant, jeunes Pisons, voilà l’image exacte et fidèle d’un livre où les idées confuses ressembleraient aux songes d’un malade, et dont les différentes parties manqueraient d’harmonie et d’ensemble. — Les poëtes, dira-t-on, n’ont-ils pas toujours eu, comme les peintres, le privilège de tout oser ? — Sans doute : et cette liberté même, nous la réclamons pour nous, et l’accordons volontiers, nous aussi : mais enfin, admet-elle l’alliance de la férocité et de la douceur ; permet-elle d’accoupler ni les oiseaux avec les serpents, ni les tigres avec les agneaux ?
Souvent, à un début imposant et qui promet de grandes choses, on rattache, pour nous éblouir à distance, un ou deux lambeaux de pourpre ; on décrit un bois sacré et l’autel de Diane, ou bien le ruisseau qui serpente en fuyant à travers de riantes prairies, ou le Rhin majestueux, ou les brillantes couleurs de l’arc-en-ciel : descriptions charmantes, oui, mais qui ne sont pas à leur place. Vous savez peindre un cyprès : eh ! qu’importe un cyprès au malheureux qui vous paie, pour le représenter lui-même échappant au naufrage sur les débris de son vaisseau ? On commençait une amphore magnifique : la roue a tourné ; pourquoi ne vient-il qu’une tasse ? — Enfin, que la simplicité, que l’unité règne avant tout dans un ouvrage.
Ce qui nous trompe souvent, nous autres poëtes, c’est — vous le savez, illustre Pison, et vous, ses dignes fils, — c’est l’apparence du bien. Je vise à la concision, je deviens obscur ; on court après la grâce : adieu le nerf et la chaleur ; tel vise au sublime, et se perd dans l’enflure ; par excès de prudence, et pour échapper à la tempête, celui-là se traîne terre à terre ; celui-ci croit trouver la variété dans le merveilleux, et son pinceau bizarre nous représente un dauphin dans les bois, un sanglier dans les flots. Ainsi, faute de talent et de goût, on n’évite un défaut, que pour tomber dans un vice. Près du cirque Émilien, vous verrez tel artiste qui excelle à finir un ongle, qui sait donner à l’airain la souplesse des cheveux : talent incomplet, au demeurant, car il échouera dans l’ensemble. Or, si je me mêlais d’écrire, je ne voudrais pas plus ressembler à un tel homme, que je n’aimerais un nez difforme avec des cheveux d’ébène et de beaux yeux noirs.
Vous qui écrivez, choisissez une matière proportionnée à vos forces ; essayez-vous longtemps, consultez bien vos épaules. Le sujet est-il proportionné aux moyens de l’auteur : aussitôt il trouve sous sa plume l’expression juste, la clarté, et l’ordre, cet ordre lumineux, dont le mérite et la grâce consistent, je ne crois pas me tromper, à dire d’abord ce qui doit d’abord être dit, et à différer les détails pour les placer au moment favorable.
Délicat et châtié dans son style, l’auteur d’un poëme que le public attend, doit montrer un goût sévère à l’égard des mots qu’il emploie. Le secret pour être admiré, c’est de savoir, par une alliance ingénieuse, rajeunir une expression surannée. Vous faut-il des termes nouveaux, pour exprimer des idées nouvelles : eh bien ! vous créerez des mots inconnus à l’oreille de nos vieux Céthégus. Oui, vous aurez ce privilége, mais n’en abusez pas ; surtout, et alors, ces mots neufs, ces mots de création nouvelle sont assurés de faire fortune, si, dérivés du grec, ils se latinisent sans effort. Mais quoi ? les Romains accorderaient-ils à Cécilius et à Plaute un droit qu’ils refuseraient à Virgile, à Varius ? Et quelle raison de me reprocher, à moi, certaines innovations utiles, peut-être, quand la plume de Caton et d’Ennius sut enrichir la langue nationale d’une foule de mots qui n’existaient pas ? — Non : s’il est un droit qu’on a toujours eu, qu’on aura toujours, c’est celui de mettre en circulation un mot frappé au coin de l’usage. Quand, au déclin des années, les forêts perdent leurs feuilles, ce sont les premières venues qui tombent les premières ainsi passent les mots vieillis, tandis que les nouveaux s’épanouissent, tout brillants de force et de jeunesse. Nous sommes voués à la mort, nous et tout ce qui vient de nous. Et ce bassin magnifique, chef-d’œuvre d’une main royale, ce port où Neptune voit flotter nos vaisseaux à l’abri des aquilons ; et ce marais longtemps stérile, longtemps battu par la rame, aujourd’hui terre nourricière que sillonne la pesante charrue ; et ces digues puissantes par qui un fleuve, jadis funeste aux moissons, apprit à suivre un cours meilleur : hélas, tous les ouvrages des mortels périront : et la langue seule garderait une fraîcheur, une grâce inaltérable ! Que de mots sont déjà tombés, qui renaîtront un jour sans doute ! combien d’autres, qui sont de mode aujourd’hui, tomberont à leur tour, si l’usage le veut jamais, l’usage, cet arbitre absolu, ce maître, ce régulateur du langage.
Homère a montré sur quel ton peuvent se chanter les hauts faits des rois et des héros, et les horreurs de la guerre.
Les distique inégaux exprimèrent d’abord la douleur plaintive, et ensuite aussi la joie du bonheur. Mais quel est celui dont la muse soupira la première élégie ? — Les érudits ne sont pas d’accord, et le procès est toujours pendant.
La vengeance arma le fougueux Archiloque de son iambe redoutable ; puis le brodequin, et le cothurne majestueux adoptèrent l’iambique, si bien fait pour le dialogue : car il domine les bruits de l’amphithéâtre ; il est né pour l’action.
L’ode inspirée chante sur la lyre les Dieux, et les héros fils des Dieux, et l’athlète couronné, et le coursier vainqueur dans la carrière, et les tourments de l’amour, et la libre gaîté des festins.
Mais, si je n’ai pas le talent d’assortir à chaque genre le rhythme et le ton qui lui conviennent, pourquoi me saluerait-on poëte ? pourquoi mon amour-propre insensé préfère-t-il l’ignorance à l’étude ?
Un sujet comique ne veut pas du style de la tragédie ; et de même je me révolterai, si l’on vient, en vers familiers, dignes tout au plus du brodequin, me conter l’horrible festin de Thyeste. Chaque genre doit garder la place que lui a si bien marquée la nature. Quelquefois pourtant la comédie même élève le ton : voyez comme la colère inspire à Chrémès des accents pathétiques. Souvent aussi la tragédie exprime avec simplicité ses douleurs : ainsi, Télèphe et Pélée, pauvres et bannis tous les deux, rejettent bien loin l’emphase et la pompe des grands mots, s’ils tiennent à éveiller la sympathie des spectateurs.
Ce n’est pas assez pour la poésie de charmer l’oreille : il faut qu’elle touche le cœur, qu’elle remue, qu’elle entraîne. Le rire et les larmes provoquent chez l’homme ou la joie, ou la tristesse. Voulez-vous me faire pleurer : montrez d’abord vous-même une douleur véritable ; alors Télephe, alors aussi, Pélée, je serai sensible à vos malheurs ; mais si vous dites mal votre rôle, vous me ferez bâiller, ou, rire. Il faut que les paroles soient, comme la physionomie, tristes dans l’affliction, menaçantes dans la colère, folâtres dans l’enjouement, graves dans la sévérité. La nature, en effet, commence par nous donner le sentiment qui convient à chaque situation : elle nous porte à la joie, ou nous excite à la colère, ou bien elle nous courbe sous le poids du chagrin, et nous déchire le cœur ; ensuite, elle se sert de la parole, pour traduire les mouvements de notre âme. Si le ton du personnage n’est pas en harmonie avec sa position, nobles et plébéiens éclateront de rire à l’envi. Gardez-vous de faire parler un esclave comme un héros ; un vieillard expérimenté comme un jeune homme dans la fougue de l’âge ; une dame de qualité comme une humble nourrice : marquez la même différence entre le marchand qui court le monde, et le colon sédentaire d’un petit champ fertile ; entre le sauvage de la Colchide et l’Assyrien ; entre le citoyen de Thèbes et celui d’Argos.
Suivez la tradition, poëte ; ou bien, que dans vos fictions il règne un ensemble judicieux. Est-ce la vengeance d’Achille que vous remettez sur la scène : montrez-le-nous ardent, colère, inexorable, impétueux : qu’il se mette résolûment au-dessus des lois, et n’en appelle qu’a son épée. Montrez-nous Médée altière, inflexible ; Ino gémissante ; Ixion perfide ; Io toujours errante ; Oreste sombre et farouche.
Est-ce un sujet encore vierge que vous risquez au théâtre, un personnage nouveau que vous inventez : qu’il se soutienne jusqu’à la fin, tel qu’il s’est annoncé d’abord, sans jamais se démentir. Mais ces caractères généraux et abstraits, combien n’est-il pas difficile de les personnifier ! vous ferez donc plus sagement de mettre en action quelque épisode de l’Iliade, que d’introduire, le premier, sur la scène une fable étrange et des personnages inconnus. Un sujet déjà populaire deviendra la propriété de l’auteur, à condition qu’il ne se traîne pas sans gloire dans l’ornière banale, et ne calque pas servilement son modèle : mais qu’il n’aille pas non plus, imitateur sans idées, se jeter dans un cercle trop étroit, où le tiendrait captif l’amour propre, ou le plan du poëme. Enfin, qu’il ne débute pas, comme autrefois le poëte cyclique, en nous criant. « Je chanterai la fortune de Priam, et cette guerre fameuse…. » Quelles merveilles attendre après un début si emphatique ? Hélas !…
La montagne en travail enfante une souris….
Ah ! que j’aime mieux ce poëte plein d’adresse qui, sans se battre les flancs, nous dit : « Muse, chantez ce héros qui, après la chute de Troie, parcourut tant de contrées, et observa les mœurs de tant de peuples divers. » Chez lui, ce n’est pas la fumée qui succède à la lumière : mais de la fumée il fait jaillir une flamme éclatante ; puis sa muse vamous prodiguer les récits merveilleux : Antiphate et Seylla, et Charybde et Polyphème. Ce n’est pas lui qui remonte à la mort de Méléagre, pour raconter le retour de Diomède ; ni aux deux œufs de Léda, pour chanter la guerre de Troie. Lui, il court au dénouement, toujours ; il vous jette au milieu des faits, comme si vous saviez tout déjà ; et les épisodes qu’il désespère d’embellir par ses vers, il les sacrifie. Enfin, dans ses heureuses fictions, il mêle avec tant d’art la fable et la vérité, que toutes les parties de son poëme ont une harmonieuse proportion.
Sachez donc ce qu’il faut pour me plaire, et pour plaire au public. Charmer le spectateur, le captiver jusqu’à la fin, le forcer de répondre par ses applaudissements à l’acteur qui vient lui dire : applaudissez…. c’est là votre ambition ? — Eh bien ! distinguez avec soin les mœurs des différents âges. Le caractère change avec les années : faites habilement la part de ces années qui nous changent.
A peine il sait bégayer quelques mots, et se tenir sur ses jambes, l’enfant brûle de jouer avec les enfants ; un rien le fâche, un rien l’apaise ; son humeur varie à chaque instant.
L’adolescent imberbe, qui est libre, enfin, et hors de tutelle, adore les chevaux, les chiens, le Champ-de-Mars : cire docile aux impressions du vice, il est rebelle à la censure ; il vit au jour le jour, il est dépensier, présomptueux, plein de désirs, capricieux et volage.
L’âge viril a des goûts-différents : d’homme fait est ambitieux ; il songe à la fortune, aux amitiés utiles, aux honneurs ; il calcule bien, pour n’avoir point à revenir un jour sur ses pas.
Bien des travers assiégent le vieillard : il amasse toujours, et, pauvre dans sa richesse, il ne jouit pas de son or, il craint d’y toucher. Timide et glacé en toutes choses, remettant sans cesse, espérant peu, sans énergie, tremblant pour l’avenir, quinteux, maussade, il n’a d’éloges que pour le bon vieux temps !… le temps de son enfance ; et son humeur chagrine s’en prend à tout ce qui est jeune.
Les années, jusqu’à un certain point, nous apportent avec elles bien des avantages ; puis, en déclinant, elles nous les ravissent. Tenez-vous à ne faire parler ni un jeune homme en vieillard, ni un enfant en homme mûr : attachez-vous scrupuleusement à peindre les traits et la physionomie de chaque âge.
Un fait s’accomplit sur la scène, ou bien un récit nous l’expose. Mais le récit ne s’adresse qu’à l’oreille, et il agit moins vivement sur l’esprit, que ces tableaux animés dont l’œil fidèle transmet directement à l’âme la sympathique émotion. Cependant, ne mettez pas sur la scène ce qui ne doit pas avoir le public pour témoin, et dérobez à ses regards certaines catastrophes que lui redira bientôt un récit dramatique. Que Médée ne vienne pas égorger ses enfants sous les yeux du peuple ; ni l’horrible Atrée faire bouillir, en plein théâtre, des entrailles humaines. Je ne veux pas voir Procné se métamorphosant en oiseau, ni Cadmus en serpent : un pareil spectacle me révolterait, sans me faire illusion. Donnez à votre pièce cinq actes, ni moins, ni plus, si vous voulez qu’on la redemande et qu’on la joue souvent. Ne faites pas intervenir un Dieu, si l’intrigue n’est à la hauteur d’un tel dénouement, et n’embarrassez pas le dialogue d’un quatrième personnage.
Le Chœur remplira le rôle et l’office d’un acteur ; tout ce qu’il chante dans les entr’actes, doit concourir à l’action, et se rattacher essentiellement au sujet. Le Chœur est le défenseur naturel, le conseiller, l’ami de la vertu ; c’est lui qui apaise les ressentiments et glorifie l’innocence ; c’est lui qui chante la frugalité, la tempérance, les bienfaits de la justice, les lois tutélaires, et la paix et les tranquilles loisirs des cités : confident discret et sûr, c’est lui, enfin, qui prie, qui conjure les : Dieux de relever l’honnête homme abattu, et d’humilier l’orgueil triomphant.
La flûte n’avait pas jadis cette monture de laiton qui en fait, de nos jours, la rivale de la trompette : simple et modeste, percée de quelques trous seulement, elle servait à donner le ton, et à soutenir les chœurs. Alors elle suffisait à remplir de ses sons un théâtre que n’encombrait pas encore une foule immense, et où se réunissait un peuple facile à compter ; car il était peu nombreux : peuple frugal, vertueux et austère. Mais quand, peu à peu, la victoire eut agrandises domaines, et reculé la ceinture de ses murailles ; quand, du matin au soir, le vin put couler impunément, les jours de fête, en l’honneur du dieu des plaisirs : alors on vit s’introduire dans les vers et dans la musique une liberté plus grande. Quel espoir, en effet, d’intéresser autrement le paysan grossier, qui, son labeur terminé, accourait au théâtre, et là, spectateur ignorant et rustique, coudoyait le citadin poli et délicat ? C’est ainsi qu’à son art primitif le joueur de flûte ajouta la danse, le luxe des costumes, et cette robe traînante qu’il promena sur la scène ; c’est ainsi que la lyre sévère s’enrichit de cordes nouvelles : alors la poésie lyrique, plus hardie, prit un essor inconnu ; et, dans ses conseils pleins de sagesse, comme dans ses révélations prophétiques, le Chœur emprunta le mystérieux langage de la Pythonisse.
Celui dont la muse tragique disputa sur la scène un vil bouc, prix du vainqueur, y montra aussi bientôt les Satyres dans leur sauvage nudité, et il voulut que leur causticité moqueuse égayât, sans la compromettre, la sévère tragédie : car il fallait bien l’amorco d’une nouveauté piquante, pour amuser un public qui revenait des sacrifices, et dont le vin offusquait la raison. Mais prenez-y garde : ces Satyres mordants et railleurs, posez-les décemment ; qu’ils soient comiques, et non pas burlesques. Il ne faut pas que vos Dieux et vos héros, quand on vient de les voir, tout brillants d’or et se pavanant sous la pourpre des rois, descendent à l’ignoble langage des tavernes enfumées ; ou que, par crainte de la terre, ils aillent se perdre dans les nues. La tragédie ne doit jamais tomber dans le bouffon : comme la grande dame obligée de danser en public, un jour de fête, elle ne se montrera qu’avec une pudique rougeur au milieu des Satyres effrontés.
Pour moi, jeunes Pisons, je n’affecterais, dans un drame Satyrique, ni un style sans élégance, ni un dialogue trivial. Je ne viserais pas non plus au ton de la tragédie ; mais je n’aurais garde de confondre les facéties d’un Dave, ou de cette friponne de Pythias, escroquant les écus du bonhomme Simon qu’elle enjôle, avec le langage de Silène, gardien fidèle, serviteur et nourricier de Bacchus. Je prendrais le sujet de ma pièce dans le domaine commun. Chacun aurait l’ambition d’en faire autant, d’abord ; et puis, après avoir sué sang et eau, on quitterait la partie : tant l’ordre et l’harmonie ont de valeur dans un poëme ! tant l’art peut donner de relief aux fictions les plus vulgaires !
Mais qu’au sortir de leurs forêts, les Faunes ne s’avisent pas, je le leur conseille, de singer ni le grossier langage des rues, ni l’urbanité du Forum ; qu’ils évitent et la galanterie langoureuse de nos petits-maîtres, et la graveleuse obscénité des carrefours : il y aurait à de quoi révolter patriciens, chevaliers, citoyens aisés ; et les applaudissements de la canaille qui vit de noix et de pois chiches, ne leur vaudraient, à coup sûr, ni le suffrage des honnêtes gens, ni la couronne.
Une longue, précédée d’une brève, s’appelle iambe : pied si rapide, qu’il a fait donner le nom de trimètre à l’iambique, composé pourtant de six pieds. Autrefois, il n’entrait dans ce vers que des iambes : c’est depuis de temps, que, pour arriver à l’oreille moins vif et moins sautillant, il admit le grave spondée au partage de ses droits paternels ; mais sa complaisance n’alla point jusqu’à céder au nouveau-venu la seconde ni la quatrième place. Il est vrai que, dans leurs trimètres si vantés, Accius et Ennius observent rarement cette règle : quoi qu’il en soit, les vers jetés sur la scène avec un lourd bagage de spondées, accusent chez le poëte ou une précipitation et une négligence extrêmes, ou une coupable ignorance des lois de la poésie.
Tout le monde ne sent pas le défaut d’harmonie dans les vers : aussi, que de poëtes ont trouvé à Rome une indulgence qu’ils ne méritaient pas ! Est-ce une raison pour moi d’écrire à l’aventure, et sans nul souci des règles ? ou bien, tout en me disant que chacun verra mes fautes, m’endormirai-je tranquille sur l’espoir du pardon ? J’échappe à la censure, il est vrai : mais aurai-je mérité des louanges ? — Non. Quant à vous, étudiez avec amour les chefs-d’œuvre de la Grèce ; nuit et jour, étudiez-les. — Mais nos pères n’admiraient-ils pas et le rhythme et les saillies de Plaute ? — Eh bien ! nos pères étaient trop bons, pour ne pas de dire autre chose : du moins, si nous sommes en état, vous et moi, de distinguer le plaisant du burlesque, et d’apprécier au doigt et à l’oreille la justesse d’un son.
La tragédie était inconnue, quand Thespis, le premier, dit-on, promena sur un tombereau des acteurs qui chantaient et jouaient ses pièces, le visage barbouillé de lie. Eschyle, après lui, imagina la robe flottante et le masque ; puis, exhaussant la scène sur de modestes tréteaux, il apprit à ses personnages à chausser le cothurne et à parler avec majesté. Ensuite parut la vieille Comédie, et elle compta de brillants succès ; mais la liberté dégénéra en licence : il fallut arrêter le scandale, et une loi intervint, qui, condamnant le Chœur à l’impuissance de nuire, le réduisit à un silence honteux. Il n’est pas un seul genre que n’aient abordé nos poëtes ; et ce n’est pas sans gloire que, renonçant à l’imitation des Grecs, ils osèrent traiter sur la scène, dans la tragédie comme dans le genre comique, des sujets tout nationaux. Aussi, la valeur guerrière et l’éclat des armes n’ajouteraient pas, plus que la littérature, à la puissante illustration du Latium, si nos auteurs, trop pressés, ne reculaient tous devant le travail de la lime. Mais vous, noble sang de Pompilius, soyez impitoyables pour ces poëmes faits à la hâte et sans corrections, essais imprudents qu’un goût sévère n’a pas dix fois retouchés.
Démocrite a rêvé que le génie vaut mieux que l’art et ses misères…. Démocrite bannit de l’Hélicon les poëtes de bon sens !… — De là, chez nos grands génies, la mode de laisser croître soigneusement ses ongles et sa barbe : pauvres gens, ils recherchent la solitude et fuient les bains. Car enfin le vrai moyen de se poser en grand poëte, c’est de ne confier jamais au rasoir de Licinus une tête que ne guérirait pas l’ellébore de trois Anticyres. Maladroit que je suis, de me purger tous les printemps ! Personne, sans cela, personne ne ferait de meilleurs vers. Eh bien, tant pis. Soyons donc la pierre utile qui aiguise le fer, impuissante elle-même à couper : oui, sans écrire moi-même, je montrerai comment on écrit ; je dirai les sources où doit puiser le poëte, ce qui forme et nourrit son talent, ce que l’usage permet, ce que le goût réprouve ; je dirai où mène le génie, où précipite l’ignorance.
Le bon sens, la raison : voilà le principe et la source des bons vers Socrate et les livres de ses disciples vous fourniront les idées premières ; soyez bien pénétré de votre sujet, et les mots arriveront sans effort. Quand on sait ce que l’on doit à sa patrie et à ses amis, à la piété filiale, à l’amour fraternel, à l’hospitalité ; quand on connaît les devoirs du sénateur et du juge, les obligations du général envoyé contre l’ennemi : alors, n’en doutez pas, on sait donner à ses personnages le caractère qui leur convient. Étudiez l’âme humaine sur les types vivants de l’humanité : peintre de la nature, faites poser la nature devant vous. Il y a telle pièce, où les caractères sont naturels, et les mœurs bien senties ; mais le style en est sans grâce, le vers y est prosaïque et dur ; malgré tout, elle aura plus de succès, elle intéressera plus longtemps que des vers sans idées et des bagatelles sonores.
Les Grecs avaient reçu des Muses le don du génie et les charmes de l’élocution ; aussi les Grecs ne soupiraient que pour la gloire. Mais nos jeunes Romains, que font-ils ? des calculs à n’en plus finir, pour diviser un as en cent parties. Dites-moi, fils d’Albinus : « Voilà cinq onces : si j’en ôte une, que reste-t-il ? voyons ! — Le tiers d’un as. — Bravo ! vous vous entendrez en affaires. Mais j’ajoute une once : combien cela fait-il ? — Un demi-as. » — Franchement, quand cette ardeur du gain aura, comme une rouille funeste, infecté les esprits, espérerons-nous encore de ces nobles vers que l’on trempe dans l’huile de cèdre, et que l’on conserve dans des tablettes de cyprès ?
Instruire ou plaire : tel est l’objet de la poésie, si même elle n’aspire à plaire et à instruire tout à la fois. Dans vos préceptes, soyez concis : la concision trouve l’intelligence docile et la mémoire fidèle. Tout ce qu’on dit de trop, l’esprit rassasié le rejette. Que vos fictions, dont le but est d’amuser, aient le charme de la vraisemblance ; n’épuisez pas ma crédulité par l’abus du merveilleux : arrière donc la sorcière qui tire tout vivant de ses entrailles un enfant qu’elle a dévoré. Nos graves Sénateurs ne veulent pas d’un drame frivole : un drame sérieux fait peur à nos fiers Chevaliers. Pour enlever tous les suffrages, il faut mêler l’utile et l’agréable, il faut plaire et instruire en même temps. C’est alors qu’un livre fait la fortune des Sosies, et qu’il franchit les mers, et qu’il assure à l’auteur une glorieuse immortalité.
Cependant, il y a de ces fautes qu’on pardonne volontiers. Souvent, en effet, le luth harmonieux trahit le doigt et la pensée de l’artiste ; souvent, au lieu d’un son grave, la corde infidèle rend un son aigu : et la flèche n’atteint pas toujours le but qu’elle menaçait. Pourquoi donc, dans un poëme où les beautés dominent, critiquerais-je amèrement quelques taches, effets inévitables de la négligence, ou qui auront échappé à la faiblesse humaine ? Mais enfin ! si un copiste, averti sans cesse, et sans cesse retombant dans la même faute, est indigne de pardon ; s’il est naturel de siffler l’artiste maladroit qui touche éternellement à faux la même corde : ainsi, dans l’écrivain presque toujours en défaut, je ne vois plus qu’un Chérile, un méchant poëte, chez qui deux ou trois vers passables me font sourire en m’étonnant : tandis que j’en veux au sublime Homère, s’il sommeille quelquefois ; et pourtant, n’est-ce pas bien pardonnable dans un long poëme ?
Il en est de la poésie comme de la peinture : tel tableau, vu de près, vous charmera davantage ; tel autre vous plaira mieux, vu de loin. Celui-ci aime le demi-jour, celui-là veut une vive lumière, car il défie le regard perçant de la critique ; l’un n’a réussi qu’une seule fois, l’autre, dix fois exposé, charmera toujours.
O vous, l’aîné des Pisons, vous dont les leçons d’un père développent le goût précoce et les talents naturels, écoutez et retenez bien cette parole : en certaines choses, la médiocrité se comprend et s’excuse. Il y a loin du jurisconsulte ordinaire et de l’avocat peu marquant, à l’éloquence d’un Messala, au savoir d’un Cascellius : et cependant ils ont leur prix. Mais la médiocrité en poésie ! voilà ce que ne tolèrent ni les Dieux, ni les hommes, ni les colonnes du temple d’Apollon. Dites-moi si, à une table bien servie, on aime une symphonie discordante, ou des parfums grossiers, ou des pavots au miel de Sardaigne : non, car le souper n’avait que faire de ces hors-d’œuvre. — Il en est de même de la poésie : née pour plaire, destinée à charmer les cœurs, si elle ne s’élève au premier rang, elle tombe au dernier. Jouteur inhabile, vous n’allez pas vous escrimer dans le Champ-de-Mars : novice à la paume, au palet, au cerceau, vous laissez ces jeux à d’autres, pour ne pas faire rire toute la galerie à vos dépens ; et, sans rien connaître à la poésie, vous osez faire des vers ! — Pourquoi pas ? n’est-on pas libre et de bonne famille ? n’a-t-on pas, surtout, la fortune des Chevaliers ? n’est-on pas un galant homme, enfin ? — Vous, du moins, vous ne direz, vous ne ferez rien, en dépit de Minerve : votre bon sens et votre esprit m’en répondent. Pourtant, si vous écriviez quelque jour, consultez l’oreille exercée de Métius, et celle de votre père, et la mienne ; puis, gardez votre manuscrit pendant neuf ans. Tant qu’il n’a pas vu le jour, on peut, à son aise, revenir sur des pages inédites : une fois parti, le mot ne revient plus.
Les hommes vivaient dispersés dans les bois, quand un poëte sa cré, interprète des Dieux, Orphée, leur inspira l’horreur du sang et d’une affreuse nourriture. De là ces traditions populaires, qu’à la voix d’Orphée, les tigres et les lions dépouillaient leur fureur ; qu’aux accents d’Amphion, ce divin fondateur de Thèbes, les rochers se mouvaient en cadence, et que les doux accords de sa lyre attiraient les pierres obéissantes. On sait les premiers bienfaits de la sagesse antique : distinguer le bien public de l’intérêt privé, les choses sacrées des profanes, réprimer la licence effrénée des mœurs, tracer les devoirs de l’hymen, bâtir des villes, graver des lois sur le chêne : telle fut la cause de cette immortalité glorieuse, réservée aux poëtes et à leurs divins travaux. Ensuite brilla le génie d’Homère, et Tyrtée, dont les vers enthousiastes animèrent les mâles courages aux combats meurtriers. Depuis, les oracles ne répondirent plus qu’en vers ; la morale parla le même langage ; pour gagner la faveur des rois, on emprunta la douce voix des neuf sœurs ; enfin, c’est la poésie qui nous donna le théâtre, délassement si doux après les pénibles travaux. Ne rougissez donc pas de toucher la lyre des Muses, et de chanter avec Apollon.
Est-ce la nature, ou bien l’art, qui fait les grands poëtes ? — Sur cette question, souvent débattue, voici quel est mon sentiment : sans l’inspiration féconde, l’étude est impuissante, et le génie ne peut rien sans l’étude ; mais ils ont besoin l’un de l’autre, et tous deux, étroitement unis, ils conspirent au même but. L’athlète qui brûle de triompher à la course, a soumis son enfance aux épreuves les plus rudes : il a souffert et de la chaleur et du froid ; il n’a connu ni l’amour ni l’ivresse. Avant de se faire entendre aux fêtes d’Apollon Pythien, le joueur de flûte a longtemps appris, longtemps tremblé sous un maître. Mais en poésie ! il suffit de dire : « Des vers ! oh ! j’en fais d’admirables ! Malheur au dernier ! moi, je rougirais de l’être, fi donc ! et d’avouer naïvement que j’ignore ce que je n’ai pas appris. »
Voyez, comme à l’appel du crieur public, accourt la foule empressée des acheteurs : ainsi, attirés par l’espoir du gain, les flatteurs se donnent rendez-vous autour du poëte rentier, riche en biens-fonds, riche en capitaux bien placés. Mettez qu’avec cela il ait une table bien servie ; qu’il soit homme à répondre pour un pauvre diable sans argent, à le tirer des mains rapaces de la chicane : et Dieu me pardonne, s’il a le bonheur de distinguer jamais le faux ami de l’ami véritable. Mais vous, sortant de faire un présent, ou des offres de services ; gardez-vous, pour lire vos vers, de profiter d’une ivresse intéressée ; car j’entends d’ici votre auditeur s’écrier : « Ah les beaux vers ! mais c’est parfait ! c’est divin !… » Il s’extasie à chaque mot ; que dis-je ? ses yeux trouveront des larmes complaisantes ; vous le verrez bondir de joie et trépigner de bonheur ! Comme ces malheureux, dont les larmes mercenaires enchérissent, à nos funérailles, sur la vraie douleur d’une famille éplorée : le flatteur qui se rit de vous, en dit et en fait plus qu’un approbateur sincère. Les rois, dit-on, accablent de rasades le courtisan dont ils veulent sonder le cœur ; et la torture du vin leur révèle l’ami vraiment digne de confiance. Vous, si jamais vous faites des vers, ne soyez pas dupe de ces faux amis, cachés sous la peau du renard. Quand on lisait quelque chose à Quintilius : « Tenez, disait-il, corrigez-moi ceci, et cela encore. — Mais, impossible à moi de faire mieux ; je l’ai tenté deux ou trois fois en vain. — Effacez alors, et remettez sur l’enclume ces vers mal forgés. » — S’avisait-on de défendre une faute, au lieu de corriger : il ne disait plus mot, et, sans se donner une peine inutile, il vous laissait, seul et sans rival, vous adorer vous-même, à genoux devant votre génie.
Ainsi fait un sage ami : critique judicieux, il n’a ni pitié ni excuse pour les vers lâches ou durs ; les vers négligés, il les efface d’un revers de plume ; il supprime l’emphase ambitieuse ; la phrase est un peu obscure : il vous force à l’éclaircir ; il fait le procès aux mots équivoques ; il marque tous les changements à faire : il devient un Aristarque enfin. Ce n’est pas lui qui dira : à quoi bon chicaner un ami pour des bagatelles ? — Mais ces bagatelles, malheureux, elles auront des suites funestes, en livrant à la risée publique votre ami perdu sans retour.
Voyez cet infortuné que tourmente la lèpre, ou la jaunisse ; ce maniaque, dont un transport fanatique et la colère de Diane ont troublé le cerveau : tel est le malheureux possédé de la rage des vers. Tout homme sage l’évite et le fuit, épouvanté ; les enfants crient après lui, et le poursuivent étourdiment dans les rues. Or, tandis qu’il s’en va, le front haut, hurlant ses vers grotesques, si, courant le nez en l’air, comme l’oiseleur qui guette des merles, il tombe au fond d’un puits ou dans une fosse ; il aura beau crier à tue-tête : « A moi ! citoyens, au secours ! » gardez-vous bien de l’en tirer, au moins. Si, d’aventure, un passant venait à lui tendre une corde charitable : « Hé ! que savez-vous, dirais-je, s’il ne l’a point fait exprès, et s’il désire vraiment qu’on le sauve ?… » Puis, je ranconterai la mort du poëte Sicilien. Voulant à tout prix passer pour un dieu immortel, Empédocle s’élance de sang-froid dans le cratère embrasé de l’Etna. Laissons donc aux poëtes le privilége, la liberté du suicide : en sauver un malgré lui ! mais c’est le tuer, sur ma parole. D’ailleurs, ce n’est pas son coup d’essai, allez ! qu’on le tire de là, et vous verrez si, rendu à lui-même, il abdiquera cette manie tragique d’immortalité. Au reste, on ne sait pas trop d’où lui vient cette rage poétique. A-t-il souillé la cendre de son père ? a-t-il, d’un pied sacrilége, profané sa place funeste consacrée par la foudre ? Le fait est qu’un démon le possède. Mais tenez, le voilà ; l’ours déchaîné a rompu les barreaux de sa loge. Ignorants et savants, tous fuient ce déclamateur furibond. Malheur à qui tombe sous sa main ! plus d’espoir : il faut périr sous son vers homicide ; la sangsue ne lâchera prise, que gorgée du sang de sa victime.
[Traduction juxtalinéaire]
Q. Horatii Flacci
Ars poetica.
Ad Pisones.
1Si pictor velit
2jungere cervicem equinam
3capiti humano,
4et inducere plumas varias
5membris
6collatis undique
7ut mulier
8formosa superne
9desinat in piscem
10turpiter atrum :
11amici, admissi spectatum,
12teneatis risum ?
13Credite, Pisones,
14fore persimilem
15isti tabulæ
16librum
17cujus species.
18fingentur
19velut somnia ægri,
20ut nec pes nec caput
21reddatur formæ uni.
22— Potestas æqua
23audendi quidlibet
24fuit semper
25pictoribus atque poetis.
26Scimus,
27petimusque hanc veniam,
28damusque vicissim :
29sed non ut immitia
30coeant placidis ;
31nomut serpentes
32geminentur avibus,
33agni tigribus.
34Plerumque,
35unus et alter pannus.
36purpureus,
37qui splendeat late,
38assuitur
39inceptis gravibus
40et professis magna
41quum lucus
42et ara Dianæ,
43et ambitus
44aquæ properantis
45per agros amœnos,
46aut flumen Rhenum,
47aut arcus pluvius
48describitur :
49sed locus non erat nunc
50his.
51Et fortasse scis
52simulare cupressum :
53Quid hoc,
54si qui pingitur,
55ære dato,
56enatat exspes,
57navibus fractis ?
58Amphora cœpit
59institui :
60cur, rota currente,
61urceus exit ?
62Denique, quodvis
63sit duntaxat
64simplex et unum.
65Pater, et Juvenes Père,
66digni patre,
67maxima pars vatum
68decipimur
69specie recti :
70laboro esse brevis,
71fio obscurus ;
72nervi animique
73deficiunt
74sectantem lenia ;
75professus grandia
76turget ;
77nimum tutus
78timidusque procellæ,
79serpit humi.
80Qui cupit
81variare prodigialiter
82rem unam,
83appingit delphinum sylvis,
84aprum fluctibus.
85Fuga culpæ
86ducit in vitium,
87si caret arte.
88Circa ludum Æmilium,
89faber unus
90et exprimet ungues,
91et imitabitur ære
92capillos molles :
93infelix summa operis,
94quia nesciet ponere totum.
95Ego, si curem
96componere quid,
97non velim magis
98me esse hunc,
99quam vivere naso pravo,
100spectandum
101oculis nigris
102capilloque nigro.
103Qui scribitis,
104sumite materiam
105æquam vestris viribus,
106et versate diu
107quid humeri recusent ferre,
108quid valeant.
109Nec facundia,
110nec ordo lucidus
111deseret hunc
112cui res erit lecta
113potenter.
114Virtus et venus ordinis
115erit hæc, aut ego fallor,
116ut dicat jam nunc
117debentia
118dici jam nunc,
119differat pleraque,
120et omittat
121in tempus præsens.
122Etiam, auctor
123carminis promissi,
124tenuis cautusque
125in verbis serendis,
126amet hoc,
127spernat hoc.
128Dixeris
129egregie,
130si junctura callida
131reddiderit novum
132verbum notum.
133Si forte
134est necesse monstrare
135indiciis recentibus
136abdita
137rerum,
138continget
139fingere non exaudita
140Cethegis cinctutis ;
141licentiaque
142sumpta pudenter
143dabitur ;
144et verba nova
145fictaque nuper
146habebunt fidem,
147si cadant
148fonte græco,
149detorta parce.
150Quid autem Romanus
151dabit Cæcilio Plautoque,
152ademptum
153Virgilio Varioque ?
154Cur ego,
155si possum acquirere
156pauca,
157invideor :
158quum lingua
159Catonis et Enni
160ditaverit sermonem
161patrium,
162et protulerit
163nomina nova rerum ?
164Licuit,
165licebitque semper
166producere de produire
167nomen signatum
168nota præsente.
169Ut sylvæ
170mutantur foliis
171in pronos annos,
172prima les
173cadunt :
174ita interit
175ætas vetus verborum ;
176et nata modo
177florent vigentque
178ritu juvenum.
179Nos nostraque
180debemur morti.
181Sive Neptunus
182receptus terrâ
183arcet classes
184Aquilonibus :
185opus regis ;
186palusve, diu sterilis
187aptaque remis,
188alit urbes vicinas,
189et sentit aratrum grave ;
190seu amnis,
191doctus iter melius,
192mutavit cursum
193iniquum frugibus :
194facta mortalia peribunt,
195nedum honos
196et gratia sermonum
197stet vivax.
198Multa vocabula,
199quæ cecidere jam,
200renascentur ;
201quæ que sunt
202in honore nune,
203cadent,
204si usus, penes quem
205arbitrium, et jus,
206et norma loquendi,
207volet.
208Homerus monstravit
209quo numero
210res gestæ
211regumque ducumque,
212et bella tristia,
213possent scribi.
214Querimonia primum,
215post etiam
216sententia compos voti
217est inclusa versibus
218junctis impariter.
219Grammatici tamen
220certant
221quis auctor
222emiserit exiguos elegos,
223et lis est adhuc sub judice.
224Rabies La rage
225armavit Archilochum
226iambo proprio :
227socci
228cothurnique grandes
229capere hunc pedem,
230aptum sermonibus alternis,
231et vincentem
232strepitus populares,
233et natum rebus agendis.
234Musa dedit fidibus
235referre Divos,
236puerosque Deorum,
237et pugilem victorem,
238et equum primum
239certamine,
240et curas juvenum,
241et vina libera.
242Cur ego
243salutor poeta,
244si nequeo ignoroque
245servare vices descriptas
246coloresque
247operum ?
248Cur,
249pudens prave,
250malo nescire
251quam discere ?
252Res comica
253non vult exponi
254versibus tragicis ;
255item, cœna Thyestæ
256indignatur narrari
257carminibus privatis
258ac prope dignis socco.
259Quæque singula
260teneant locum,
261sortita decenter.
262Interdum tamen
263et comœdia tollit vocem,
264Chremesque iratus
265delitigat
266ore tumido ;
267et plerumque
268tragicus
269dolet sermone pedestri :
270Telephus aut Peleus,
271quum uterque
272pauper et exsul,
273projicit ampullas
274et verba sesquipedalia,
275si curat tetigisse
276querela
277cor spectantis.
278Non est satis
279poemata esse pulchra ;
280sunto dulcia,
281et agunto
282animum auditoris
283quocumque volent.
284Ut vultus humani
285arrident ridentibus,
286ita adflent flentibus.
287Si vis me flere ;
288est dolendum une douleur-
289tibi ipsi, primum :
290tunc, Telephe, vel Peleu,
291tua infortunia lædent me ;
292si loqueris male
293mandata,
294aut dormitabo,
295aut ridebo.
296Verba tristia
297decent vultum mœstum ;
298plena minarum,
299iratum ;
300lasciva, ridentem ;
301seria dictu,
302severum.
303Natura enim
304format nos intus prius
305ad omnem habitum
306fortunarum :
307juvat,
308aut impellit ad iram,
309aut deducit ad humum
310mœrore gravi,
311et angit ;
312post, effert
313motus animi
314lingua interprete.
315Si dicta
316erunt absona
317fortunis
318dicentis,
319equites Romani
320peditesque
321tollent cachinnum.
322Intererit multum
323Davusne loquatur,
324an heros ;
325senexne maturus,
326an fervidus
327juventa adhuc florente ;
328an matrona potens,
329an nutrix sedula ;
330mercatorne vagus,
331cultorne
332agelli virentis ;
333Colchus,
334an Assyrius ;
335nutritus Thebis,
336an Argis.
337Scriptor,
338aut sequere famam,
339aut finge
340convenientia sibi.
341Si forte reponis
342Achillem honoratum ;
343impiger, iracundus,
344inexorabilis, acer,
345neget jura
346nata sibi,
347arroget non-nihil armis ;
348Medea sit ferox
349invictaque,
350Ino flebilis,
351Ixion perfidus,
352Io vaga,
353Orestes tristis.
354Si committis scenæ
355quid inexpertum,
356et audes formare
357personam novam :
358servetur
359ad imum
360qualis processerit
361ab incepto,
362et constet sibi.
363Est difficile dicere
364proprie
365communia ;
366tuque, deducis in actus
367carmen Iliacum
368rectius,
369quam si, primus,
370proferres
371ignota
372indictaque.
373Materies publica
374erit juris privati,
375si non moraberis
376circa orbem vilem
377patulumque ;
378nec curabis,
379interpres fidus,
380reddere verbum verbo ;
381nec desilies,
382imitator,
383in arctum
384unde pudor,
385aut lex operis
386vetet proferre pedem.
387Nec incipies sic,
388ut olim scriptor cyclicus :
389« Cantabo
390fortunam Priami
391et bellum nobile… »
392quid hic promissor feret
393dignum
394biatu tanto ? —
395Montes
396parturiunt :
397mus ridiculus nascetur.
398Quanto rectius
399hic qui molitur nil
400inepte :
401« Musa, dic mihi virum,
402qui, post tempora
403Trojæ captæ,
404vidit mores et urbes
405hominum multorum. »
406Non cogitat
407dare fumum ex fulgore,
408sed lucem ex fumo,
409ut promat dehine
410miracula speciosa :
411Antiphaten Seyllamque,
412et Charybdim cum Cyclope.
413Nec orditur
414reditum Diomedis
415ab interitu Meleagri,
416nec bellum Trojanum
417ab ovo gemino.
418Festinat semper
419ad eventum,
420et a apit auditorem
421in res medias,
422non secus ac notas ;
423et relinquit
424quæ desperat
425posse nitescere,
426tractata.
427Atque mentitur ita,
428miscet falsa veris
429sic,
430ne medium discrepet
431primo,
432ne imum medio.
433Tu, audi
434quid ego
435et populus desideret mecum.
436Si eges plausoris
437manentis aulæa,
438et sessuri usque
439donec cantor dicat :
440 Vos plaudite !
441mores cujusque ætatis
442sunt notandi tibi,
443decorque dandus
444naturis et annis
445mobilibus.
446Puer, qui scit jam
447reddere voces,
448et signat humum
449pede certo,
450gestit
451colludere paribus,
452et colligit iram
453ac ponit temere,
454et mutatur
455in horas.
456Juvenis imberbus,
457custode remoto
458tandem,
459gaudet equis
460canibusque, et gramine
461Campi aprici ;
462cereus
463flecti in vitium,
464asper monitoribus,
465provisor tardus
466utilium,
467prodigus æris,
468sublimis cupidusque,
469et pernix relinquere
470amata.
471Studiis conversis,
472ætas virilis animusque
473quærit opes
474et amicitias,
475inservit honori,
476cavet commisisse
477quod mox
478laboret mutare.
479Incommoda multa
480circumveniunt senem :
481vel quod quærit,
482et miser
483abstinet inventis,
484ac timet uti ;
485vel quod ministrat
486omnes res
487timide gelideque,
488dilator,
489lentus spe,
490iners,
491pavidusque futuri,
492difficilis, querulus,
493laudator temporis acti
494se puero,
495censor castigatorque
496minorum.
497Anni venientes
498ferunt secum
499commoda multa ;
500recedentes,
501adimunt multa.
502Ne partes seniles
503mandentur
504forte juveni,
505virilesque puero,
506morabimur semper
507in adjunctis
508aptisque ævo.
509Aut res agitur in scenis,
510aut, acta,
511refertur.
512Demissa per aurem
513irritant animos segnius,
514quam quæ sunt subjecta
515oculis fidelibus,
516et quæ spectator
517ipse tradit sibi :
518tamen
519non promes in scenam
520digna geri intus ;
521tollesque ex oculis
522multa, quæ facundia
523præsens
524narret mox.
525Ne Medea trucidet pueros
526coram populo ;
527aut nefarius Atreus
528coquat palam
529exta humana ;
530aut Procne
531vertatur in avem,
532Cadmus in anguem :
533odi, incredulus,
534quodcumque ostendis mihi
535sic.
536Fabula,
537quæ vult posci,
538et, spectata,
539reponi,
540ne sit minorve
541neu productior
542actu quinto.
543Nec Deus intersit,
544nisi nodus
545dignus vindice
546inciderit ;
547nec quarta persona
548laboret loqui.
549Chorus defendat
550partes officiumque virile
551actoris ;
552neu intercinat
553medios actus
554quid, quod non conducat
555et hæreat apte
556proposito.
557Ille
558faveatque bonis,
559et consilietur amice,
560et regat iratos,
561et amet
562timentes peccare ;
563ille laudet dapes
564mensæ brevis ;
565ille justitiam salubrem,
566legesque, et otia
567portis apertis ;
568ille tegat commissa,
569preceturque et oret Deos
570ut fortuna
571redeat miseris,
572abeat superbis.
573Tibia, non vincta
574orichalco,
575æmulaque tubæ,
576ut nunc,
577sed tenuis simplexque
578foramine pauco,
579erat utilis
580adspirare choris
581et adesse,
582atque complere flatu
583sedilia
584nondum nimis spissa,
585quo coibat populus
586numerabilis sane,
587utpote parvus,
588et frugi,
589castusque,
590verecundusque.
591Postquam, victor,
592cœpit extendere
593agros ;
594et murus latior
595amplecti Urbem ;
596Geniusque
597placari impune,
598diebus festis,
599vino diurno :
600licentia major accessit
601numerisque
602modisque.
603Quid enim saperet
604rusticus indoctus
605liberque lahorum,
606confusus urbano,
607turpis honesto ?
608Sic tibicen
609addidit arti priscæ
610motumque,
611et luxuriem ;
612vagusque
613traxit vestem
614per pulpita
615Sic etiam
616voces crevere
617fidibus severis,
618et facundia præceps
619tulit eloquium insolitum ;
620sententiaque,
621sagax
622rerum utilium
623et divina futuri,
624non discrepuit
625Delphis sortilegis.
626Qui certavit
627carmine tragico
628ob hircum vilem,
629mox etiam nudavit
630Satyros agrestes,
631et, asper,
632tentavit jocum,
633gravitate incolumi :
634eo quod spectator
635functusque sacris,
636et potus,
637et exlex,
638erat morandus
639illecebris
640et novitate grata.
641Verum conveniet
642commendare
643Satyros risores,
644dicaces,
645ita, ita…. ;
646vertere
647seria ludo
648ita, ne
649quicumque deus,
650quicumque heros
651adhibebitur,
652conspectus nuper
653in auro regali
654et ostro,
655migret sermone humili
656in tabernas obscuras ;
657aut captet
658nubes et inania,
659dum vitat humum.
660Tragœdia,
661indigna effutire
662versus leves,
663intererit
664Satyris protervis
665paulum pudibunda,
666ut matrona
667jussa moveri
668diebus festis.
669Ego, Pisones,
670scriptor Satyrorum,
671non amabo solum
672nomina verbaque
673inornata et dominantia ;
674nec enitar
675differre colori tragico,
676sic ut nihil intersit
677Davusne loquatur,
678et audax Pythias et l’effrontée Pythias
679lucrata talentum qui a attrapé un talent
680Simone emuncto,
681an Silenus,
682custos famulusque
683Dei alumni.
684Sequar
685carmen fictum
686ex noto,
687ut quivis
688speret idem sibi,
689sudet multum
690laboretque frustra,
691ausus idem :
692tantum series juncturaque
693pollet !
694tantum honoris accedit
695sumptis de medio !
696Fauni, deducti sylvis,
697caveant,
698me judice,
699ne unquam,
700velut innati triviis
701ac pene forenses,
702aut juvenentur
703versibus nimium teneris,
704aut crepent
705dicta
706immunda ignominiosaque.
707Enim
708quibus equus est,
709et pater,
710et res,
711offenduntur ;
712nec, (pour : et non,) et, si,
713emptor ciceris fricti et nucis
714probat quid :
715
716 non accipiunt
717animis æquis,
718donantve coronâ.
719Syllaba longa,
720subjecta brevi,
721vocatur iambus,
722pes citus :
723unde etiam
724jussit nomen trimetris
725accrescere iambeis,
726quum quoique,
727redderet
728senos ictus,
729similis sibi
730
731primus ad extremum.
732Non ita pridem,
733ut pour que
734veniret ad aures
735paulo tardior graviorque,
736recepit in jura paterna
737spondeos stabiles,
738commodus et patiens ;
739non ut cederet
740socialiter
741de secunda sede, aut quarta.
742Hic
743apparet rarus
744in trimetris nobilibus
745et Acci, et Enni.
746Versus missus in scenam
747mum pondere magno,
748premit accable
749crimine turpi
750aut operæ nimium celeris
751carentisque cura,
752aut artis ignoratæ.
753Quivis judex
754non videt
755poemata immodulata ;
756et venia indigna
757est data poetis Romanis.
758Idcircone
759vager,
760scribamque
761licenter ?
762an putem omnes
763visuros mea peccata,
764tutus et cautus
765intra spem veniæ ?
766Denique
767vitavi culpam,
768non merui laudem.
769Vos, versate
770manu nocturna,
771exemplaria Græca,
772versate feuilletez
773diurna.
774At nostri proavi
775laudavere et numeros
776et sales Plautinos,
777mirati utrumque admirant
778nimium patienter,
779ne dicam stulte :
780si modo vos et ego
781scimus seponere
782inurbanum dicto lepido,
783callemusque et
784digitis et aure
785nonum legitimum.
786Thespis dicitur invenisse
787genus ignotum
788Camœuæ tragicæ,
789et vexisse plaustris
790qui,
791peruncti fæcibus ora,
792canerent poemata
793agerentique.
794Post hunc, Æschylus,
795repertor personæ
796pallæque honestæ,
797et instravit pulpita
798tignis modicis,
799et docuit
800loquique magnum,
801nitique cothurno.
802His
803successit Comœdia Vetus,
804non sine multa laude ;
805sed libertas excidit
806in vitium,
807et vim
808dignam regi lege :
809lex accepta est,
810Chorus queobticuitturpiter,
811jure nocendi sublato.
812Nostri poetæ liquere nil
813intentatum :
814nec meruere-
815minimum decus,
816aussi deserere
817vestigia Græca
818et celebrare
819facta domestica,
820vel qui docuere
821prætextas,
822vel qui
823togatas.
824Nec Latium foret
825potentius virtute
826armisve claris
827quam lingua,
828si labor limæ
829et mora
830non offenderet
831unumquemque poetarum.
832O vos,
833sanguis Pompilius,
834reprehendite carmen,
835quod multa dies
836et multa litura
837non coercuit,
838atque non castigavit
839ad unguem,
840præsectum decies.
841Quia Democritus
842credit ingenium
843fortunatius
844arte misera,
845et excludit Helicone
846poetas sanos,
847bona pars curat
848non ponere ungues,
849non barbam ;
850petit loca secreta ;
851vitat balnea.
852Nanciscetur enim
853pretium nomenque poetæ,
854si nunquam commiserit
855tonsori Licino
856caput insanabile
857tribus Anticyris.
858O ego lævus,
859qui purgor bilem
860sub horam temporis verni !
861Non alius faceret
862poemata meliora.
863Verum
864est nil tanti.
865Ergo fungar
866vice cotis,
867quæ valet
868reddere ferrum acutum,
869exsors ipsa
870secandi :
871ipse, nil scribens,
872docebo munus
873et officium :
874unde
875opes parentur ;
876quid alat
877formetque poetam ;
878quid deceat, quid non ;
879quo virtus ferat, quo error.
880Sapere,
881est et principium
882et fons scribendi recte.
883Chartæ Socraticæ
884poterunt ostendere tibi
885rem ;
886verbaque sequentur
887non invita
888rem provisam.
889Qui didicit
890quid debeat patriæ,
891et quid amicis ;
892quo amore
893parens sit amandus,
894quo frater
895et hospes ;
896quod sit officium
897conscripti,
898quod judicis ;
899quœ partes
900ducis missi in bellum :
901ille, profecto,
902scit reddere
903cuique personæ
904convenientia.
905Jubebo
906imitatorem doctum
907respicere
908exemplar vitæ morumque,
909et ducere hine
910voces vivas.
911Interdum, fabula,
912speciosa locis
913recteque morata,
914nullius veneris,
915sine pondere
916et arte,
917oblectat valdius populum
918moraturque melius,
919quam versus que
920inopes rerum,
921nugæque canoræ.
922Musa dedit Graiis
923ingenium ;
924dedit loqui
925ore rotundo
926Graiis, avaris nullius
927præter laudem.
928Pueri Romani
929discunt rationibus longis
930diducere assem
931in centum partes.
932Filius Albini dicat :
933« Si uncia remota
934de quincunce,
935quid superat ?
936poteras
937dixisse ? —
938Triens. —
939Eu ! poteris
940servare tuam rem.
941Uncia redit :
942quid fit ? —
943Semis. » —
944At, quum semel
945hæc ærugo
946et cura peculi
947imbuerit animos,
948speramus carmina,
949linenda
950cedro
951et servanda
952cupresso lævi,
953posse fingi ?
954Poetæ volunt
955aut prodesse, aut delectare ;
956aut dicere simul
957et jucunda
958et idonea vitæ.
959Quidquid præcipies,
960esto brevis,
961ut animi dociles
962percipiant cito dicta,
963teneantque fideles :
964omne supervacuum
965manat de pectore pleno.
966Ficta causa voluptatis,
967sint proxima
968veris ;
969nec fabula poscat
970sibi
971quodeumque volet
972credi ;
973neu extrahat
974puerum vivum
975alvo Lamiæ pransæ.
976Centuriæ seniorum
977agitant
978expertia
979frugis :
980Rhamnes
981celsi
982prætereunt
983poemata austera.
984Tulit
985omne punctum,
986qui miscuit utile dulci,
987delectando lectorem
988monendoque pariter.
989Hic liber
990meret æra
991Sosiis,
992hic et transit mare,
993et prorogat
994ævum longum
995scriptori noto.
996Sunt tamen delicta
997quibus velimus
998ignovisse :
999nam neque chorda
1000reddit sonum
1001quem manus
1002vult,
1003remittitque persæpe
1004acutum
1005poscenti gravem ;
1006nec arcus
1007feriet semper
1008quodeumque minabitur.
1009Verum, ubi
1010plura
1011nitent in carmine,
1012ego non offendar
1013maculis paucis,
1014quas aut incuria fudit,
1015aut natura humana
1016parum cavit.
1017Quid est ergo ?
1018Ut scriptor librarius,
1019si peccat usque idem,
1020quamvis est monitus,
1021caret venia ;
1022ut citharœdus,
1023qui oberrat semper
1024eadem chorda,
1025ridetur :
1026sic,
1027qui cessat multum,
1028fit mihi ille Chœrilus,
1029quem miror cum risu
1030bonum bis terve ;
1031et idem
1032indignor
1033quandoque
1034bonus Homerus dormitat :
1035verum est fas
1036somnum obrepere
1037in opere longo.
1038Poesis ut pictura :
1039erit
1040quæ capiat te magis,
1041si stes propius ;
1042et quædam,
1043si abstes longius ;
1044hæc amat obscurum,
1045hæc, quæ non formidat
1046acumen argutum
1047judicis,
1048volet videri
1049sub luce ;
1050hæc placuit semel,
1051hæc, repetita decies,
1052placebit.
1053O major Juvenum,
1054quamvis et
1055fingeris ad rectum
1056voce paterna,
1057et sapis
1058per te,
1059tolle memor
1060hoc dictum tibin :
1061medium et tolerabile
1062certis rebus,
1063concedirecte.
1064Juris-consultus mediocris,
1065et actor causarum,
1066abest virtute
1067diserti : Messalæ,
1068nec scit quantum
1069Cascellius Aulus ;
1070sed tamen est in pretio.
1071Non homines, non Di
1072non columnæ,
1073
1074concessere poetis
1075esse mediocribus.
1076Ut,
1077inter mensas gratas,
1078symphonia discors,
1079et unguentum crassum,
1080et papaver
1081cum melle Sardo
1082offendunt,
1083quia cœna poterat duci
1084sine istis :
1085sic, poema,
1086natum inventumque
1087animis juvandis,
1088si paulum discessit
1089a summo,
1090vergit ad imum.
1091Qui nescit ludere,
1092abstinet
1093armis Campestribus ;
1094indoctusque pilæ,
1095discive, trochive,
1096quiescit,
1097ne coronæ
1098spissæ
1099tollant risum
1100impune ;
1101qui nescit,
1102audet tamen
1103fingere versus ! —
1104« Quidni ?
1105liber
1106et ingenuus,
1107præsertim census
1108summam nummorum
1109equestrem,
1110remotusque
1111ab omni vitio. » —
1112Tu, dices faciesve nihil
1113invita Minerva ;
1114id judicium, ea mens
1115est tibi.
1116Si tamen scripseris
1117quid olim,
1118descendat
1119in aures judicis Metii,
1120et patris,
1121et nostras,
1122prematurque
1123in nonum annum.
1124Membranis positis
1125intus,
1126licebit delere
1127quod non edideris :
1128vox missa
1129nescit reverti.
1130Orpheus, sacer Orphée,
1131interpresque Deorum,
1132deterruit cædibus
1133et victu fœdo
1134homines sylvestres :
1135dictus ob hoc
1136lenire tigres
1137leonesque rabidos ;
1138et Amphion,
1139conditor arcis Thebanæ,
1140dictus movere saxa
1141sono testudinis,
1142et ducere quo vellet
1143prece blanda.
1144Sapientia quondam
1145fuit hæc :
1146secernere publica
1147privatis,
1148sacra profanis ;
1149prohibere
1150concubitu vago ;
1151dare jura
1152maritis ;
1153moliri oppida ;
1154incidere leges ligno.
1155Sic honor et nomen
1156venit vatibus divinis
1157atque carminibus.
1158Post hos,
1159Homerus insignis,
1160Tyrtæusque exacuit
1161mares animos
1162in bella Martia.
1163Sortes dictæ per carmina,
1164et via vitæ
1165est monstrata ;
1166et gratia regum tentata
1167modis Pieriis ;
1168ludusque
1169et finis et,
1170longorum operum
1171repertus :
1172ne Musa ainsi,
1173solers lyræ,
1174et cantor Apollo
1175sit forte pudori tibi.
1176Est quæsitum
1177carmen laudabile
1178fieret natura, an arte.
1179Ego, video
1180nec quid studium possit
1181sine vena divite,
1182nec ni
1183ingenium rude :
1184sic altera res
1185poscit opem alterius,
1186et conjurat
1187amice.
1188Qui studet contingere
1189metam optatam
1190cursu,
1191tulit fecitque multa,
1192puer ;
1193sudavit et alsit ;
1194abstinuit venere et vino.
1195Tibicen,
1196qui cantat Pythia,
1197didicit prius,
1198extimuitque magistrum.
1199Nune est satis
1200dixisse :
1201« Ego pangopoematamira :
1202scabies occupet
1203extremum !
1204est turpe mihi
1205relinqui,
1206et fateri sane
1207nescire
1208quod non didici. »
1209Ut præco,
1210qui cogit turbam
1211ad merces emendas :
1212poeta dives agris,
1213dives nummis
1214positis in fœnore,
1215jubet assentatores
1216ire ad lucrum.
1217Si vero est qui possit
1218ponere recte
1219unctum,
1220et spondere
1221pro paupere levi,
1222et eripere
1223implicitum
1224litibus arctis :
1225mirabor,
1226si, beatus, sciet
1227internoscere
1228amicum mendacem,
1229verumque.
1230Tu, seu donaris,
1231seu velis donare
1232quid cui,
1233nolito ducere
1234plenum lætitiæ
1235ad versus factos tibi :
1236clamabit enim :
1237« pulchre ! bene ! recte ! »
1238pallescet super his ;
1239etiam stillabit rorem
1240ex oculis amicis ;
1241saliet, tundet terram pede.
1242Ut
1243qui plorantin funere,
1244conducti,
1245dicunt et faciunt plura,
1246prope,,
1247dolentibus
1248ex animo :
1249sic derisor
1250movetur plus
1251laudatore vero.
1252Reges
1253dicuntur urgere
1254multis culullis,
1255et torquere mero
1256quem laborant
1257perspexisse
1258an sit dignus amicitia.
1259Si condes carmina,
1260animi que
1261latentes sub vulpe
1262nunquam fallant te.
1263Si recitares
1264quid Quintilio,
1265aiebat :
1266« Corrige hoc et hoc,
1267« sodes. »
1268Negares te posse melius,
1269expertum frustra
1270bis terque :
1271jubebat delere,
1272et reddere incudi
1273versus male formatos.
1274Si malles
1275defendere delictum
1276quam vertere,
1277insumebat
1278nullum verbum ultra,
1279aut operam inanem,
1280quin amares
1281teque et tua,>
1282solus sine rivali.
1283Vir bonus et prudens
1284reprehendet versus inertes ;
1285culpabit duros ;
1286allinet signum atrum
1287calamo transverso
1288incomptis ;
1289recidet
1290ornamenta ambitiosa ;
1291coget dare lucem
1292parum claris ;
1293arguet dictum
1294ambigue ;
1295notabit
1296mutanda :
1297fiet Aristarchus.
1298Non dicet :
1299« Cur ego offendam
1300« amicum in nugis ? »
1301Hæ nugæ
1302ducent in mala seria
1303derisum semel
1304exceptumque sinistre.
1305Qui sapiunt,
1306timent tetigisse
1307poetam vesanum,
1308fugiuntque,
1309ut
1310quem scabies mala,
1311aut morbus regius,
1312aut error fanaticus
1313et Diana iracunda
1314urget ;
1315pueri
1316agitant
1317sequunturque
1318incauti.
1319Dum hic,
1320sublimis,
1321ructatur versus et errat
1322si decidit in puteum
1323foveamve,
1324veluti auceps
1325intentus merulis,
1326licet clamet longum :
1327« Io, cives ! succurrite ! »
1328non sit
1329qui curet tollere.
1330Si quis curet
1331ferre opem
1332et demittere funem,
1333dicam :
1334« Qui scis
1335« an se projecerit huc
1336« prudens,
1337« atque nolit servari ?
1338narraboque
1339interitum poetæ Siculi.
1340Dum Empedocles cupit
1341haberi deus immortalis,
1342insiluit
1343frigidus
1344Ætnam ardentem.
1345Jus sit poetis
1346liceatque perire :
1347qui servat invitum,
1348facit idem
1349occidenti.
1350Nec fecit hoc semel ;
1351et, si
1352erit retractus,
1353non fiet jam
1354homo,
1355et ponet
1356amorem mortis famosæ. l’amour qu’il a d’un trépas fameux.
1357Nec apparet satis
1358cur factitet versus :
1359utrum minxerit
1360in cineres patrios,
1361an, incestus,
1362moverit
1363triste bidental
1364certe, furit,
1365ac velut ursus,
1366si valuit
1367frangere clathros objectos
1368caveæ,
1369recitator acerbus,
1370fugat
1371indoctum doctumque.
1372Quem vero arripuit,
1373tenet,
1374occiditque legendo :
1375hirudo
1376non missura cutem,
1377nisi plena cruoris.
Horace
Art poétique.
Aux Pisons.
1Si un peintre voulait
2joindre un cou de-cheval
3à une tête humaine,
4et mettre des plumes diverses
5sur des membres
6collatis undique, rassemblés de-toute-part,
7en sorte qu’une femme
8belle par-le-haut
9se terminât en un poisson
10hideusement noir (repoussant) :
11 mes amis, admis à voir cela,
12retiendriez-vous votrè rire ?
13Croyez, Pisons,
14qu’il sera tout-à-fait-semblable
15isti tabulæ, à ce tableau,
16le livre
17vanæ dont les idées vaines (confuses) :
18seront (seraient) représentées
19comme les rêves d’un malade,
20en sorte que ni pied ni tête
21ne se rapporte à une forme unique.
22— Un privilége égal
23d’oser toute-chose
24a été de-tout-temps
25pictoribus atque poetis. — aux peintres et aux poëtes. —
26et Nous savons cela ; aussi,
27et demandons-nous cette permission,
28et la donnons-nous, à-notre-tour :
29mais non pour que les animaux féroces
30soient unis aux animaux paisibles ;
31non pour que les serpents
32soient accouplés aux oiseaux,
33 ni les agneaux aux tigres.
34La plupart-du-temps,
35un ou deux lambeaux
36de-pourpre,
37qui puissent-briller au loin,
38sont cousus (sont rattachés)
39à dès commencements nobles
40et professis magna : et qui promettent de grandes-choses :
41 par exemple, lorsqu’un bois-sacré
42et l’autel de Diane,
43et le cours-sinueux
44d’un ruisseau qui se hâte
45à travers des champs agréables,
46ou le fleuve du Rhin,
47ou l’arc pluvieux (l’arc-en-ciel)
48est décrit :
49mais le lieu n’était pas maintenant
50à ces descriptions.
51Et peut-être tu sais
52représenter un cyprès :
53que fait cela (à quoi bon) ?
54si celui qui est peint (qui se fait peindre),
55 son argent étant donné (pour son argent),
56s’échappe-à-la-nage et sans-espoir,
57 ses vaisseaux étant brisés ?
58Une amphore a commencé
59à être façonnée :
60pourquoi, la roue tournant,
61une tasse sort-elle (résulte-t-elle) ?
62Enfin, que tout sujet
63soit avant-tout
64simple et un.
65et vous, Jeunes-gens
66dignes de votre père,
67la plus grande partie des poëtes
68nous sommes trompés
69par l’apparence du bien :
70je tâche d’être concis,
71je deviens obscur ;
72les nerfs et les esprits (la chaleur)
73abandonnent
74celui qui recherche les choses trop douces ;
75celui qui promet des choses grandioses,
76est enflé ;
77 celui qui est trop sur-ses-garde
78et qui-craint trop la tempête,
79rampe terre-à-terre.
80Celui qui désire
81varier par-le-merveilleux
82un sujet simple,
83peint un dauphin dans les forêts,
84 et un sanglier dans les flots.
85La fuite d’un défaut
86mène dans un vice (un défaut plus grand),
87si elle manque d’art.
88Près du cirque Emilien,
89un ouvrier unique-en-ce genre
90et reproduira les ongles,
91et imitera avec l’airain
92les cheveux souples :
93malheureux dans l’ensemble de son œuvre,
94parce qu’il ne saura point former un tout.
95Moi, si je me mêlais
96de composer quelque chose,
97je ne voudrais pas plus
98moi être cet homme-là,
99que vivre avec un nez difforme,
100 étant remarquable d’ailleurs
101par des yeux noirs.
102et par des cheveux noirs.
103 Vous, qui écrivez (auteurs),
104choisissez un sujet
105proportionné à vos forces,
106et pesez (examinez) longtemps
107ce que vos épaules refusent de porter,
108 et ce qu’elles peuvent porter.
109Ni l’abondance,
110ni un ordre lumineux
111n’abandonnera celui
112par qui un sujet aura été choisi
113selon-ses-forces.
114Le mérite et le charme de l’ordre
115sera celui-ci, ou je me trompe,
116que l’on dise maintenant même
117les choses-qui-doivent
118être dites maintenant même,
119que l’on diffère le reste des choses,
120et qu’on les réserve
121pour le moment favorable.
122De plus, que l’auteur
123d’un poëme attendu-du-public,
124délicat et réservé
125dans les mots à unir (dans son style),
126aime telle expression,
127 et dédaigne telle autre expression.
128Tu te seras-exprimé
129d’une-manière-distinguée,
130si une alliance ingénieuse
131aura (a) rendu neuve
132une expression déjà connue.
133Si par hasard
134il est nécessaire de désigner
135par des termes nouveaux
136les parties cachées (inconnues
137des choses (de la nature),
138il t’arrivera
139de créer des mots non entendus
140des Céthégus couverts-du-cinctus ;
141et une telle liberté,
142prise avec-discrétion
143 te sera permise ;
144et les expressions nouvelles
145et créées récemment
146obtiendront confiance (faveur),
147si elles tombent (si elles découlent)
148d’une source grecque,
149détournées peu (dérivées sans-effort).
150Mais quel droit le peuple Romain
151accordera-t-il à Cécilius et à Plaute,
152 droit enlevé (refusé)
153à Virgile et à Varius ?
154 Et pourquoi moi,
155si je puis acquérir (créer)
156des mots peu-nombreux (quelques mots),
157suis-je envié (blâmé) :
158lorsque la langue
159de Caton et d’Ennius
160a enrichi le langage
161de-notre-pays (de-nos-pères),
162et a mis-en-avant
163des noms nouveaux de choses ?
164Il a été permis,
165et il sera permis toujours
166(de mettre-en-circulation)
167un mot marqué
168d’un cachet présent (actuel).
169Quand les forêts
170sont changées (changent) de feuilles,
171vers le déclin de l’année,
172 feuilles venues-les-premières
173tombent les premières :
174ainsi périt (disparaît)
175la génération antique des mots ;
176et les mots nés récemment
177fleurissent et ont-de-la-vigueur,
178à-la-manière des jeunes-gens.
179Nous et ce-qui-vient-de-nous,
180nous sommes dus à la mort.
181Soit que Neptune (la mer)
182reçu dans l’intérieur de la terre
183défende nos flottes
184des Aquilons :
185ouvrage d’un roi ;
186soit qu’un marais, longtemps stérile
187et propre aux rames (navigable),
188nourrisse les villes voisines,
189et sente la charrue pesante ;
190soit qu’un fleuve (le Tibre),
191instruit à suivre une voie meilleure,
192ait changé son cours
193 jadis funeste aux moissons :
194les ouvrages des-mortels périront,
195bien-loin-que l’éclat
196et le charme des mots
197se maintienne vivacé.
198Beaucoup de mots,
199qui sont tombés déjà,
200renaîtront ;
201et des mots qui sont
202en honneur maintenant,
203tomberont un jour,
204est si l’usage, au-pouvoir duquel est
205la toute-puissance, et l’autorité,
206et la règle du parler,
207 le veut ainsi.
208Homère a montré
209en quel rhythme (en quels vers)
210les actions (les exploits)
211et des rois et des chefs,
212et les guerres funestes,
213pouvaient (peuvent) être écrites.
214La plainte d’abord,
215 et plus-tard aussi
216la pensée au-comble de son vœu
217fut enfermée en des vers
218joints inégalement.
219Les grammairiens cependant
220se disputent (ne-sont-pas-d’accord
221 pour dire quel auteur
222a mis-au-jour les petites élégies,
223et le procès est encore sous le juge (à juger).
224La rage (la soif de la vengeance)
225arma Archiloque
226de l’iambe qui lui est propre :
227les brodequins (la comédie)
228et les cothurnes majestueux (la tragédie)
229prirent (adoptèrent) ce pied,
230propre aux discours dialogués,
231et dominant
232les tumultes populaires,
233et ne pour les choses à faire (pour l’action).
234La Muse a donné aux lyres
235de rappeler (de chanter) les Dieux,
236et les enfants des Dieux,
237et l’athlète-en-pugilat vainqueur,
238et le cheval premier (victorieux)
239dans le combat de la course,
240et les soucis des jeunes-gens,
241et les vins libres (qui rendent libre).
242 Mais, pourquoi moi
243suis-je (serais-je) salué poëte,
244si je-ne-puis et ne-sais-pas
245observer les caractères marqués
246et les tons distincts
247des ouvrages (des genres différents) ?
248Pourquoi,
249ayant-une-honte mauvaise,
250aimé-je mieux ne-pas-savoir
251que d’apprendre ?
252Un sujet comique
253ne veut pas être exposé
254en vers tragiques ;
255de même, le repas de Thyeste
256s’indigne d’être raconté
257en vers familiers
258et presque dignes du brodequin.
259Que tous les sujets, individuellement,
260gardent leur place,
261l’ayant obtenue convenablement.
262Quelquefois, cependant,
263même la comédie élève la voix,
264Chremesque iratus : et Chrémès irrité
265gourmande son fils
266d’une bouche gonflée-par-la-colère ;
267et bien-souvent aussi
268l’acteur-tragique (la tragédie)
269se plaint en un langage pédestre (simple) :
270Télèphe ou Pélée,
271lorsque l’un-et-l’autre
272 est pauvre et exilé,
273rejette les paroles-ampoulées
274et les mots d’un-pied-et-lemi (l’emphase),
275s’il tient à émouvoir
276par sa plainte
277le cœur du spectateur.
278Ce n’est pas assez
279que les poëmes soient beaux ;
280 il faut qu’ils soient touchants,
281et qu’ils entraînent
282l’âme de l’auditeur
283partout-où ils voudront.
284De même que les visages humains
285rient à ceux qui rient,
286de même ils pleurent à ceux qui pleurent.
287Si tu veux que je pleure,
288est dolendum une douleur-vraie-doit-être-exprimée
289par toi-même, d’abord :
290alors, Télèphe, ou Pélée,
291tes infortunes affligeront moi ;
292 mais si tu dis mal
293les choses qui se sont confiées (ton rôle),
294au je m’endormirai,
295ou je rirai de toi.
296Des paroles tristes
297conviennent à un visage chagrin ;
298 des paroles pleines de menaces,
299à un visage irrité ;
300des paroles enjouées, à un visage riant ;
301des choses sérieuses à dire,
302à un visage sévère.
303La nature, en effet,
304forme nous intérieurement d’abord
305à toute manière-d’être-extérieure
306des différentes fortunes :
307elle nous réjouit,
308ou elle nous pousse à la colère,
309ou elle nous abaisse vers la terre
310par le chagrin pesant,
311et elle nous tourmente ;
312ensuite, elle exprime
313les mouvements de notre âme
314 avec la langue interprète.
315Si les choses dites
316sont en-désaccord
317avec la fortune (la position)
318de celui qui les dit,
319les chevaliers Romains
320et les piétons (les plébéiens)
321pousseront un éclat-de-rire.
322 Cela différera beaucoup
323si c’est Dave qui parle,
324ou un héros ;
325si c’est un vieillard mûri par l’âge,
326ou un homme bouillant
327d’une jeunesse encore dans-sa-fleur ;
328si c’est une dame puissante,
329ou une nourrice attentive (humble)
330si c’est un marchand courant-le-monde,
331ou le cultivateur
332d’un petit-champ verdoyant ;
333si c’est un habitant-de-la-Colchide,
334ou un Assyrien ;
335un homme nourri (élevé) à Thèbes,
336ou un homme nourri dans Argos.
337Écrivain,
338ou suis la renommée (la tradition),
339ou invente des choses
340qui-soient-d’accord-avec elles-mêmes.
341Si par hasard tu remets en scène
342Achille vengé ;
343 qu’il soit ardent, colère,
344inexorable, impétueux ;
345qu’il nie que les lois
346soient nées (soient faites) pour lui ;
347qu’il s’arroge tout par les armes ;
348Que Médée soit fière
349et invaincue (inflexible),
350 qu’ Ino soit gémissante,
351 qu’ Ixion soit perfide,
352 qu’Io soit vagabonde,
353 qu’Oreste soit sombre.
354Si tu confies à la scène
355quelque-sujet non-encore-traité,
356et si tu oses créer
357un personnage nouveau :
358qu’il soit maintenu
359jusqu’en bas (jusqu’à la fin)
360tel qu’il se sera avancé (montré)
361dès le commencement,
362et qu’il soit-fidèle à lui-même.
363Il est difficile de traiter (de créer)
364d’une manière-propre-et-déterminée
365les caractères généraux-et-abstraits ;
366et toi, tu mets en actes (en tragédie)
367un poëme tiré-de-l’Iliade
368avec-plus-de-raison,
369que si, le premier,
370tu mettais-en-avant
371des choses inconnues
372et non-encore-traitées.
373Un sujet public
374sera de ton droit privé (sera tien),
375si tu ne restes pas
376dans l’ornière banale
377et ouverte à tout le monde ;
378et si tu ne t’attaches pas,
379intorprète trop fidèle,
380à rendre mot pour mot ;
381et si tu ne te jettes pas,
382imitateur servile,
383dans un cercle étroit (une difficulté),
384d’où la honte,
385ou la loi de l’ouvrage (le plan du poëme)
386 t’empêche de retirer le pied.
387Et tu ne commenceras pas ainsi,
388comme autrefois un poëte cyclique.
389« Je chanterai (je vais chanter)
390la fortune (les malheurs) de Priam
391et celle guerre mémorable… »
392quelle chose ce prometteur produira-t-il
393 qui soit digne
394d’une ouverture-de-bouche aussi-grande ?
395Les montagnes
396sont-en-travail-d’enfant :
397un rat ridicule naîtra d’elles.
398Combien mieux il agit.
399ce poete qui n’entreprend rien
400d’une manière ridicule :
401« Muse, dis (chante) à moi le héros,
402qui, après les temps (l’époque)
403de Troie prise,
404vit (observa) les mœurs et les villes
405d’hommes (de peuples) nombreux. »
406Il ne songe pas, lui,
407à donner la fumée après la lumière,
408mais la lumière après la fumée,
409afin d’étaler ensuite
410des merveilles éclatantes :
411 savoir, Antiphate et Scylla,
412et Charybde avec le Cyclope.
413Et il ne commence pas
414le retour de Diomède
415à la mort de Méléagre,
416ni la guerre de-Troie
417aux deux œufs de Léda.
418Il se hâte toujours
419vers l’événement,
420et il entraîne son auditeur
421au milieu des faits,
422non autrement que s’ils lui étaient connus ;
423et il abandonne (il sacrifie)
424les choses lesquelles il n’espère-pas
425pouvoir jeter-de-l’éclat,
426 si elles étaient traitées.
427Et il ment (il invente) de telle-manière,
428il mêle les fictions aux choses vraies
429de-telle-manière,
430que le milieu n’est-pas-en-désaccord
431avec le commencement,
432ni la fin avec le milieu.
433Toi, apprends (sache)
434ce-que j’exige, moi,
435et ce que le peuple exige avec moi.
436Si tu désires un approbateur
437qui attende les rideaux (la fin),
438et qui-doive-rester-assis toujours
439jusqu’à-ce-que le chanteur dise :
440« Vous, applaudissez ! »
441les mœurs de chaque âge
442doivent être observées par toi,
443et la couleur-propre doit être donnée
444aux caractères et aux années
445qui-changent.
446L’enfant, qui sait déjà
447prononcer les mots,
448et qui marque la terre
449d’un pied assuré,
450désire-ardemment
451jouer-avec ses égaux-d’âge,
452et il prend la colère
453et il la quitte sans-réflexion,
454et il est changé (il change)
455d’heure-en-heure (à chaque instant).
456Le jeune-homme imberbe,
457quand son gouverneur a été éloigné
458enfin,
459est charmé par les chevaux,
460et par les chiens, et par le gazon
461du Champ-de-Mars exposé-au-soleil ;
462 il est de-cire (flexible comme la cire)
463à être plié (façonné) au vice,
464récalcitrant à ceux qui l’avertissent ;
465pourvoyeur tardif
466des choses utiles,
467prodigue d’argent,
468présomptueux et plein-de-désirs,
469et prompt à quitter
470les choses qu’il a aimées.
471 Ces goûts étant changés,
472l’âge viril et le caractère viril
473recherche le crédit
474et les amitiés utiles,
475il est-esclave des honneurs,
476 et prend-garde de commettre.
477unechose que bientôt
478il aurait-la-peine de changer.
479Des inconvénients nombreux
480entourent le vieillard :
481soit parce qu’il amasse,
482et que, malheureux,
483il s’abstienne des choses amassées,
484et craint d’en user (d’en jouir) ;
485soit parce qu’il administre
486toutes les affaires
487timidement et d’une-manière-glacée,
488temporiseur,
489lent dans l’espérance (espérant peu),
490sans-énergie (irrésolu),
491et ayant-peur de l’avenir,
492difficile, se-plaignant-toujours,
493louangeur du temps passé
494 quand lui-même était enfant,
495censeur et grondeur
496des personnes plus jeunes.
497Les années en venant
498 nous apportent avec elles
499des avantages nombreux ;
500 et en s’en retournant (en déclinant),
501elles nous en ôtent beaucoup aussi.
502Pour qu’un rôle de-vieillard
503ne soit pas confié
504par hasard à un jeune-homme,
505ni un rôle d’homme-fait à un enfant,
506nous nous tiendrons toujours
507dans les caractères assortis
508et propres à chaque âge.
509Ou une action se passe sur la scène,
510ou bien, ayant été faite,
511elle y est racontée.
512 Les choses qu’on-fait-entrer par l’oreille
513impressionnent l’esprit moins-vivement,
514que celles-qui sont soumises
515aux yeux fidèles,
516et que le spectateur
517lui-même transmet à soi-même :
518cependant
519tu ne mettras pas sur la scène
520les choses qui doivent être faites au-dedans ;
521et tu éloigneras des yeux
522bien des choses, qu’un récit
523rendant-les-objets-présents
524racontera bientôt.
525Que Médée n’égorge pas ses enfants
526en-présence du peuple ;
527ou que le criminel Atrée
528 ne fasse-pas-bouillir en-public
529des entrailles humaines ;
530ou bien que Procné
531 ne soit pas changée en oiseau,
532 ni Cadmus en serpent :
533Je hais (je repousse), incrédule,
534tout ce que tu montres à moi
535de-cette-manière.
536Qu’une pièce-de-théâtre,
537qui veut être redemandée,
538et, ayant été vue déjà,
539être remise à la scène,
540ne soit ni plus courte
541ni plus longue
542que l’acte cinquième (cinq actes).
543Et qu’un Dieu n’y intervienne pas,
544à moins qu’un nœud
545digne d’un tel libérateur
546ne se soit présenté ;
547et qu’un quatrième personnage
548ne s’efforce pas de parler.
549Que le Chœur défende (remplisse)
550le rôle et l’office individuel
551d’un seul acteur ;
552et qu’il ne chante-pas-entre
553le milieu des actes
554quelque chose qui ne soit-pas-utile
555et ne se rattache pas étroitement
556au sujet de la pièce.
557Que lui (le Chœur),
558et favorise les bons,
559et les conseille amicalement,
560et qu’il modère les esprits irrités,
561et qu’il aime
562ceux qui craignent de faire-le-mal ;
563qu’il vante les mets
564d’une table courte (frugale) ;
565 qu’ il vante la justice salutaire,
566et les lois, et les loisirs de la paix
567aux portes ouvertes ;
568qu’il cache les choses confiées à lui,
569et qu’il prie et supplie les Dieux
570 de faire que la fortune
571revienne aux malheureux,
572 et qu’elle s’éloigne des orgueilleux.
573La flûte, non attachée
574avec du laiton,
575et rivale de la trompette,
576comme maintenant,
577mais faible et simple
578par ses trous peu-nombreux,
579était utile
580pour donner-le-ton aux chœurs
581et pour les accompagner,
582et pour remplir de son souffle
583les siéges (les gradins)
584non-encore trop serrés,
585où se réunissait un peuple
586qu’on-pouvait-compter certainement
587attendu qu’il était petit,
588et sobre (et frugal),
589et chaste (et vertueux),
590et plein-de-retenue.
591Après que ce même peuple, vainqueur,
592eut commencé à étendre
593 ses champs (son territoire) ;
594et qu’ un mur plus vaste
595 eut commencé à entourer la ville (Rome) ;
596et que le Génie (le dieu de la joie)
597 eut commencé à être apaisé impunément,
598les jours de-fête,
599avec du vin bu-toute-la-journée ?
600une licence plus grande s’ajouta
601et aux nombres (aux vers),
602et aux mesures (au chant).
603Quelle chose, en effet, pouvait-goûter
604le paysan ignorant
605et libre de ses travaux,
606mêlé au citadin,
607l’homme grossier mélé à l’homme poli ?
608Ainsi le joueur-de-flûte
609ajouta à son art ancien
610et le mouvement (la danse),
611et le luxe du costume ;
612et se-promenant
613il traîna une longue robe
614per pulpita. sur les théâtres.
615Ainsi, encore,
616les voix (les tons) s’accrurent
617aux lyres jadis sévères,
618et l’éloquence rapide
619prit un langage inaccoutumé ;
620et la pensée du Chœur,
621pleine-de-sagacité
622dans les choses (les conseils) utilos,
623et prophétisant l’avenir,
624ne différa point (ne différa plus)
625 du ton de Delphes qui-rend-des-oracles.
626Celui qui combattit
627en vers tragiques
628pour un bouc vil,
629bientôt aussi montra-nus
630les Satyres champêtres ;
631et, railleur-caustique,
632il essaya un genre-plaisant,
633la gravité de la tragédie étant sauve :
634par ce motif qu’un spectateur
635et s’étant acquitté des sacrifices,
636et ayant bien bu,
637et étant au-dessus-des lois (sans retenue),
638devait être intéressé (amusé)
639par des charmes nouveaux
640et par une nouveauté attrayante.
641Mais il conviendra
642de confier à la scène
643les Satyres moqueurs,
644 et diseurs-de-bons-mots,
645de telle façon, de telle façon… ;
646 il conviendra de tourner
647les choses sérieuses à la plaisanterie
648de telle façon, que,
649n’importe-quel dieu,
650n’importe-quel héros
651sera mis-en-scène,
652ayant été vu tout-à-l’heure
653dans l’or des-rois
654et dans la pourpre,
655 il ne passe point par un langage trivial
656dans les cabarets enfumés ;
657ou qu’il ne-cherche-pas-à saisir
658les nues et les espaces vides,
659tandis qu’il évite la terre.
660La tragédie,
661qui-ne-doit-pas débiter-à-la-légère
662des vers burlesques,
663se trouvera-parmi
664les Satyres impudents
665un-peu rougissante-de-honte,
666comme une dame romaine
667obligée de danser
668aux jours de fête.
669 Pour moi, Pisons,
670auteur de drames-satyres,
671je n’aimerai pas exclusivement
672des mots et des termes
673dépourvus-d’ornement et vulgaires ;
674et je ne m’efforcerai pas non plus
675de m’éloigner du ton de-la-tragédie,
676de telle façon que rien ne diffère,
677si c’est Dave qui parle,
678et audax Pythias et l’effrontée Pythias
679lucrata talentum qui a attrapé un talent
680au vieux Simon dupé,
681ou bien si c’est Silène,
682gardien et serviteur
683du Dieu (Bacchus) son nourrisson.
684Je suivrai (je développerai)
685 mon poëme inventé (ma fable),
686d’après un sujet connu,
687de manière que le-premier-venu
688puisse-espérer le même succès pour lui,
689 mais qu’il sue beaucoup
690et qu’il travaille en-vain,
691ayant osé tenter la même chose :
692tant l’enchaînement et l’ensemble
693ont-de-force (de valeur) !
694tant d’honneur (de beauté) s’ajoute
695aux choses prises du milieu (du commun) !
696Que les Faunes, tirés de leurs forêts,
697prennent-bien-garde,
698moi étant juge (selon mon conseil),
699que jamais,
700comme s’ils étaient nés dans les carrefours
701et presque sur-le-Forum,
702ou ils ne fassent-les-galants
703par des vers trop tendres,
704ou qu’ils ne lâchent-bruyamment
705des paroles (des plaisanteries)
706obscènes et indécentes.
707En effet,
708ceux qui ont un cheval (les chevaliers),
709et ceux qui ont un père sénateur,
710et ceux qui ont de la fortune,
711sont offensés de cela ;
712et, si
713l’acheteur de pois frits et de noix
714approuve une chose,
715les chevaliers, les fils de sénateurs, etc.
716ne l’accueillent pas pour cela
717avec des esprits favorables,
718et nela récompensent pas d’une couronne.
719Une syllabe longue,
720mise-après une brève,
721est appelée iambe,
722pied rapide :
723d’où même et à cause de sa rapidité même)
724l’iambe a fait que le nom de trimètres
725s’ajoutât aux vers iambiques,
726 dans ces vers trimètres,
727l’iambe rendìt (fìt entendre)
728six coups (fût répété six fois),
729 étant semblable à lui-même
730(toujours composé d’iambes)
731 depuis le premier pied jusqu’au dernier.
732 Il n’y a pas très-longtemps,
733 le vers iambique
734arrivât aux oreilles
735un peu plus lent et plus grave,
736il a reçu dans ses droits paternels
737les spondées lourds,
738complaisant et patient ;
739 mais pas au point de se retirer,
740en-ami-trop-commode,
741de la seconde place, ni de la quatrième.
742Ce vers iambique
743se montre rare (rarement)
744dans les trimètres si vantés
745et d’Accius, et d’Ennius.
746Un vers jeté sur la scène
747avec une pesanteur trop grande,
748 l’auteur
749de l’accusation honteuse
750soit d’un travail trop rapide
751et qui manque de soin,
752soit d’ignorance de l’art.
753N’importe-quel juge (le premier-venu)
754ne voit pas (ne sent pas)
755les poëmes mal-cadencés ;
756et une indulgence non-méritée
757a été accordée à des poëtes Romains.
758Est-ce que, pour-cette-raison,
759je m’écarterai des règles,
760et est-ce que j’écrirai
761avec trop-de-liberté ?
762ou penserai-je que tout-le-monde
763verra mes fautes,
764tranquille cependant et rassuré
765dans l’espoir que j’ai du pardon ?
766 De cette manière, en-définitive,
767j’ai (j’aurai) évité les fautes,
768 mais je n’aurai pas mérité de louange.
769Vous, feuilletez (étudiez)
770avec une main travaillant-la-nuit,
771les modèles grecs,
772versate feuilletez-les (étudiez-les)
773 avec une main travaillant-le-jour.
774Mais nos ancêtres
775ont loué et les vers
776et les bons-mots de-Plaute,
777l’une et l’autre chose
778trop complaisamment,
779pour ne pas dire sottement :
780pour-peu que vous et moi
781nous sachions distinguer
782un mot grossier d’un mot plaisant,
783 que nous sachions juger
784par les doigts et par l’oreille
785un son légitime (juste).
786Thespis est dit avoir inventé
787le genre auparavant inconnu
788de la Muse tragique (de la tragédie),
789et avoir porté sur des chariots
790des acteurs qui,
791barbouillés de lie quant à leurs visages,
792chantaient ses poëmes
793et les représentaient.
794Après lui, Eschyle,
795l’inventeur du masque
796et de la robe magnifique,
797non-seulement disposa la scène
798sur des tréteaux modestes,
799mais-encore enseigna
800et à parler noblement,
801et à marcher chaussé du cothurne.
802A ces deux poëtes
803succéda la Comédie Antique,
804non sans une grande gloire ;
805mais la liberté tomba
806dans le vice (dans l’abus),
807et dans une violence
808qui-mérita d’être modérée par une loi :
809la loi fut reçue,
810et le Chœur se tut honteusement,
811le droit de nuire lui étant enlevé.
812Nos poëtes n’ont laissé aucun-sujet
813sans-le-tenter (sans s’y essayer) ;
814et ils n’ont pas mérité
815 leur moindre gloire (ou : peu de gloire),
816en-osant abandonner
817les vestiges des-Grecs,
818et en-osant célébrer
819des sujets nationaux,
820soit ceux qui donnèrent-les-premiers
821des-pièces-jouées-avec-la-prétexte,
822soit ceux qui donnèrent-les-premiers
823des-pièces-jouées-avec-la-toge.
824Et le Latium ne serait pas
825plus puissant par sa valeur
826ni par ses armes glorieuses
827que par sa littérature,
828si le travail de la lime
829et le temps qu’il faut mettre à corriger
830ne rebutaient pas
831un-chacun de nos poëtes.
832O vous,
833 qui étes le sang de Numa-Pompilius,
834censurez des vers
835que beaucoup de jours
836et beaucoup de ratures
837n’ont pas corrigés
838et n’ont pas châtiés
839à l’ongle (parfaitement),
840après qu’ils ont été rognés dix fois.
841Parce que Démocrite
842croit (prétend) que le génie
843 est plus heureux (plus fécond)
844que l’art misérable,
845et parce qu’ il exclut de l’Hélicon
846les poëtes sains-d’esprit,
847une bonne partie de nos poëtes a-bien-soin
848de ne pas quitter (couper) ses ongles,
849de ne pas quitter (couper) sa barbe ;
850ils recherchent les endroits écartés ;
851ils évitent les bains.
852 Tel en effet trouvera
853la gloire et le nom de poëte,
854s’il ne confie jamais
855au barbier Licinus
856 sa tête qui-ne-pourrait-être-guérie
857par l’ellébore de trois Anticyres.
858O que je suis maladroit,
859 moi qui me purge de ma bile
860vers l’époque du temps printanier !
861Pas un autre ne ferait
862des poëmes (des vers) meilleurs.
863Mais le nom de poete
864n’est pas d’un si-grand-prix pour moi.
865Je m’acquitterai donc
866du rôle d’un queux (pierre à aiguiser),
867qui a le-pouvoir
868de rendre le fer coupant,
869 quoique privé lui-même
870 du pouvoir de couper :
871moi-aussi, quoique n’écrivant rien,
872j’enseignerai l’art d’écrire
873et le devoir d’un écrivain :
874 j’enseignerai à quelles-sources
875les richesses poétiques se puisent ;
876ce qui nourrit
877et forme le poëte ;
878ce qui convient, et ce qui ne convient pas ;
879où l’art conduit, et où l’erreur conduit.
880Avoir-de-la-raison,
881est et le principe
882et la source du bien écrire.
883Les papiers (les livres) Socratiques
884pourront montrer à toi
885la chose (les idées) ;
886et les mots suivront (exprimeront)
887non malgré-eux (sans effort)
888la chose (l’idée) acquise-d’avance.
889Celui qui a appris (qui sait)
890ce qu’il doit à sa patrie,
891et ce qu’il doit à ses amis ;
892 celui qui sait de quel amour
893un père doit être aimé,
894de quel amour un frère
895et un hôte doivent être aimés ;
896 celui qui sait quel est le devoir
897d’un père-conscrit (d’un sénateur),
898quel est le devoir d’un juge ;
899quelles sont les fonctions
900d’un général envoyé à la guerre :
901celui-là, sans-aucun-doute,
902sait rendre (saura prêter)
903à chacun de ses personnages
904les choses (les idées) convenables.
905J’ordonnerai (je conseillerai)
906au peintre-de-caractères habile
907d’observer-avec-soin
908le tableau de la vie et des mœurs,
909et de tirer de-là
910des expressions (des images) vives.
911Quelquefois, une pièce,
912remarquable par les idées
913et bien rendue-quant-aux-mœurs,
914 mais n’ayant aucune grâce,
915 et écrite sans poids (sans dignité)
916et sans art,
917charme plus le peuple
918et l’attache mieux,
919 ne feraient des vers
920pauvres de choses (sans idées),
921et des riens sonores.
922La Muse a donné aux Grecs
923le génie ;
924elle a donné le talent de parler
925d’une bouche arrondie (harmonieuse),
926aux Grecs avides d’aucune chose
927excepté de gloire.
928 Mais les enfants Romains
929apprennent par de longs calculs
930à diviser une livre
931en cent parties.
932Que le fils d’Albinus me dise :
933est « Si une once a été retirée
934de cinq-onces,
935que reste-t-il ?
936pouvais-tu (pourrais-tu)
937avoir dit (dire) cela ? —
938Le tiers d’une livre (quatre onces). —
939Bien ! tu pourras
940conserver ta fortune.
941 Et si une once est-ajoutée :
942qu’est-ce que cela devient ? —
943Une-demi-livre. » —
944Eh bien, quand une-fois
945une-telle rouille (avarice)
946et un tel souci de l’argent
947auront pénétré les esprits,
948espérons-nous que des vers,
949dignes-d’être-frottés
950avec-de-l’huile-de-cèdre
951et dignes-d’être-conservés
952dans le cyprès poli,
953pourront-être composés ?
954Les poëtes veulent
955ou être-utiles, ou charmer ;
956ou ils veulent dire tout-à-la-fois
957 des choses et agréables
958et utiles à la vie.
959Quelque-chose-que tu recommandes,
960sois court (concis),
961afin que les esprit dociles
962perçoivent tout-de-suite tes paroles,
963et qu’ils les gardent fidèles (fidèlement) :
964toute chose superflue
965coule (déborde) du cœur trop rempli.
966Que les choses inventées pour le plaisir
967soient très-ressemblantes
968aux choses vraies ;
969et qu’une pièce ne prétende pas
970pour-elle-même
971que tout ce qu’elle voudra
972soit cru du spectateur ;
973et qu’elle ne tire pas,
974un enfant tout vivant
975du ventre d’une Lamie repue.
976Les centuries des Romains plus âgés
977poursuivent de leur improbation
978les poemes qui sont dépourvus
979d’utilité (de leçons sérieuses) ;
980les Rhamniens (les Chevaliers)
981altiers (dédaigneux)
982laissent-de-côté (méprisent)
983les poëmes austères (trop sérieux).
984 Celui-là a remporté (mérité)
985tous les points (tous les suffrages),
986qui a mêlé l’utile à l’agréable,
987en charmant le lecteur
988et en l’instruisant tout-à-la-fois.
989Un tel livre
990vaut (rapporte) beaucoup d’argent
991aux Sosies (au libraire),
992un-tel livre aussi passe la mer,
993et proroge (assure)
994une vie longue (l’immortalité)
995à son auteur célèbre.
996Il y a cependant des fautes
997auxquelles nous voudrions
998avoir pardonné (pardonner) :
999car ni la corde de la lyre
1000ne rend toujours le son
1001et mens que la main et l’intention
1002veulent produire,
1003et elle renvoie bien-souvent
1004un son aigu
1005à celui-qui-désire un son grave ;
1006ni l’arc (ni la flèche) non plus
1007ne frappera pas toujours
1008tous les buts qu’il menacera (visera).
1009Mais, du-moment-que
1010le plus-grand-nombre des choses
1011brillent dans un poëme,
1012je ne serai pas choqué
1013de taches peu-nombreuses,
1014que ou la négligence a répandues
1015ou dont la nature (la faiblesse) humaine
1016s’est peu garantie.
1017Qu’y a-t-il donc (mais quoi) ?
1018De-même-qu’un écrivain copiste-de-livres,
1019s’il pèche toujours de la même manière,
1020quoiqu’il ait été averti,
1021n’obtient-pas de pardon ;
1022de-même qu’un joueur-de-luth,
1023qui se trompe toujours
1024sur la même corde,
1025excite-les-risées :
1026de même,
1027 le poëte qui bronche beaucoup (souvent),
1028devient pour moi ce Chérile,
1029que je m’étonne en souriant
1030 de trouver bon deux-fois ou trois-fois ;
1031et idem et moi, le même (et pourtant),
1032je m’indigne (je suis vexé)
1033chaque-fois-que
1034le divin Homère sommeille ;
1035cependant il est permis
1036que le sommeil se glisse
1037dans un poëme de-longue-haleine.
1038La poésie est comme la peinture :
1039il y aura tel morceau
1040qui charmera toi davantage,
1041si tu te tiens plus près de lui ;
1042et tel autre te charmera plus ;
1043si tu t’en éloignes davantage ;
1044celui-ci aime l’obscurité,
1045cet autre, qui ne redoute pas
1046la perspicacité sévère
1047du juge (de la critique),
1048voudra être vu
1049sous la lumière (au grand jour) ;
1050celui-ci a plus une-fois,
1051celui-là, redemandé (revu) dix-fois,
1052plaira toujours.
1053O toi, l’ainé des deux jeunes Pisons,
1054quoique non-seulement
1055tu sois formé au bien
1056par la voix de-ton-père,
1057mais encore que tu aies-du-goût
1058par toi-même (naturellement),
1059mets-dans-ta-mémoire
1060cette parole dite à toi, savoir :
1061que le médiocre et le passable
1062en certaines choses,
1063sont permis (tolérés) avec-justice.
1064Un jurisconsulte médiocre,
1065et un avocat médiocre,
1066est-loin du mérite
1067de l’éloquent Messala,
1068et il ne sait pas autant de droit
1069que Cascellius Aulus ;
1070sed tamen est in pretio. et pourtant il est en quelque estime.
1071 Mais ni les hommes, ni les Dieux,
1072ni les colonnes des portiques
1073 où s’exposaient les livres en vente,
1074n’ont permis aux poëtes
1075d’être médiocres.
1076De même-que,
1077au milieu d’un festin agréable,
1078une symphonie discordante,
1079et un parfum rance,
1080et le pavot
1081 servi avec du miel de-Sardaigne,
1082blessent les convives,
1083parce que le repas pouvait être terminé
1084sans ces hors-d’œuvre :
1085ainsi, la poésie,
1086née et inventée
1087pour charmer les esprits,
1088si peu qu’elle ait dévié
1089du premier rang,
1090elle tombe au dernier.
1091Celui qui-ne-sait-pas jouer (s’escrimer),
1092s’abstient de manier
1093les armes du-Champ-de-Mars,
1094et celui-qui-n’entend-rien à la paume,
1095ou au disque, ou au cerceau,
1096se-tient-en-repos,
1097de peur que les cercles de spectateurs
1098épais
1099ne poussent un éclat-de-rire
1100impunément (à ses dépens) ;
1101 et celui qui ne sait pas faire des vers,
1102ose cependant
1103faire (composer) des vers ! —
1104« Pourquoi donc pas ?
1105 je suis libre (dira-t-il),
1106et né-de-parents-libres,
1107surtout je suis porté-au-livre-du-cens,
1108pour la somme de sesterces
1109exigée-des-chevaliers,
1110et je suis éloigné (exempt)
1111de tout vice (de toute infamie). » —
1112 Mais toi, tu ne diras ou ne feras rien
1113en-dépit-de Minerve ;
1114un jugement tel, un esprit tel,
1115sont à toi.
1116Si cependant tu écrivais
1117quid olim, quelque-chose un-jour,
1118que ton ouvrage descende (pénètre)
1119dans les oreilles du juge Métius,
1120et dans celles de ton père,
1121et dans les nôtres (dans les miennes),
1122et qu’il soit mis-de-côté
1123jusqu’à la neuvième année.
1124Les parchemins étant placés
1125dans ton portefeuille,
1126il te sera permis d’effacer
1127ce que tu n’auras-pas-fait-paraître :
1128 mais le mot publié
1129ne sait (ne peut) plus revenir.
1130 poëte sacré
1131et interprète des Dieux,
1132détourna des meurtres
1133et d’une nourriture affreuse
1134les hommes qui-vivaient-dans-les-bois :
1135 il est dit, à cause de cela,
1136 avoir amolli les tigres
1137et les lions cruels ;
1138et Amphion,
1139le fondateur de la citadelle de-Thèbes,
1140 est dit avoir fait-mouvoir les rochers,
1141par le son de sa lyre,
1142et les avoir conduits où il voulait
1143par ses prières mélodieuses.
1144La sagesse autrefois
1145fut telle (consista en ceci) :
1146distinguer les intérêts généraux
1147des intérêts particuliers,
1148les choses sacrées des choses profanes ;
1149détourner les hommes
1150de leurs unions vagabondes ;
1151tracer des droits-et-des-devoirs
1152aux gens-mariés ;
1153construire des villes ;
1154graver des lois sur le bois.
1155 C’est ainsi que l’honneur et la gloire
1156vinrent aux poëtes inspirés-des-dieux
1157et à leurs vers.
1158Après ces premiers poëtes,
1159Homère s’est signalé,
1160et Tyrtée anima par ses vers
1161les mâles courages
1162aux combats de-Mars.
1163Les oracles furent rendus en vers,
1164et via vitæ et la route de la vie (la morale)
1165fut enseignée en vers ;
1166et la faveur des rois fut briguée
1167par les accords des-Piérides (des Muses) ;
1168et les jeux scéniques
1169 par eux, sa fin (le délassement)
1170des longs travaux
1171 furent inventés :
1172que la Muse
1173habile-à-toucher la lyre,
1174et que le chantre Apollon
1175ne soient donc pas à honte à toi.
1176On a discuté
1177 si un poëme louable (un bon poëme)
1178était fait par la nature, ou par l’art.
1179 Pour moi, je ne vois
1180ni ce que l’étude (l’art) peut produire
1181sans la veine riche (sans l’inspiration) ;
1182 ce que peut produire
1183le génie grossier (sans l’art) :
1184tellement l’une de ces deux choses
1185exige le secours de l’autre,
1186et conspire (concourt) avec elle
1187d’une-manière-amie.
1188Celui qui désire atteindre
1189la borne désirée
1190au-combat-de-la-course,
1191a supporté et a fait beaucoup de choses
1192 quand il était jeune ;
1193il a sué et il a-eu-froid ;
1194il s’est abstenu de l’amour et du vin.
1195Le joueur-de-flûte,
1196qui chante dans-les-jeux-Pythiens,
1197a pris-des-leçons auparavant,
1198et a redouté un maître.
1199Et il ne suffit pas, pour être poëte,
1200d’avoir dit (de dire) :
1201« Moi, je compose des vers admirables :
1202que la gale s’empare
1203du dernier (malheur au dernier) !
1204c’est chose honteuse pour moi
1205d’être laissé-en-arrière,
1206et d’avouer raisonnablement
1207que-je-ne-sais-pas
1208ce-que je n’ai pas appris. »
1209Semblable au crieur-public,
1210qui rassemble la foule
1211ad merces emendas : devant des marchandises à acheter :
1212un poëte riche en terres,
1213 et riche en écus
1214placés à bel-intérêt,
1215ordonne presque aux flatteurs
1216d’aller (de courir) au gain.
1217Mais si ce poëte est homme à pouvoir
1218servir comme-il-faut
1219un festin somptueux,
1220et à donner-caution
1221pour le pauvre sans-crédit,
1222et à tirer-d’affaire
1223celui qui est engagé
1224dans des procès étroits (gênants) :
1225je serai-bien-surpris,
1226s’il est assez heureux pour savoir
1227trouver-la-différence-entre
1228un ami menteur,
1229et un ami véritable.
1230Toi, soit que tu aies donné,
1231soit que tu veuilles donner
1232quelque-chose à quelqu’un,
1233garde-toi de le conduire
1234plein de joie
1235devant des vers faits par toi :
1236il s’écriera, en-effet :
1237« superbe ! bien ! parfait ! »
1238il pâlira sur ces vers ;
1239même il distillera une rosée de larmes
1240de ses yeux complaisants ;
1241il bondira, il frappera la terre du pied.
1242De-même-que,
1243ceux qui pleurent à un convoi-funèbre,
1244étant payés pour cela,
1245 en disent et en font plus,
1246prope, pour-ainsi-dire,
1247que-ceux-qui-sont-affligés
1248du fond de leur cœur :
1249de même, l’homme qui-se-moque
1250est plus démonstratif
1251qu’un approbateur sincère.
1252Les rois (les grands, les riches)
1253sont dits presser (éprouver)
1254par beaucoup de coupes-pleines,
1255et torturer par le vin
1256l’homme-qu’ils sont-en-peine
1257d’avoir examiné (de savoir)
1258an sit dignus amicitia. s’il est digne de leur amitié.
1259Si tu fais (quand tu feras) des vers,
1260les esprits (les flatteurs)
1261qui-se-cachent sous la peau du renard
1262ne trompent jamais toi.
1263Lorsque vous lisiez
1264quelque-chose à Quintilius,
1265il disait :
1266« Corrigez-moi ceci et cela,
1267« s’il-vous_plaît. »
1268 Si vous disiez ne-pouvoir-pas faire mieux,
1269 l’ayant essayé inutilement
1270deux-fois et trois-fois :
1271il ordonnait d’effacer,
1272et de rendre à l’enclume
1273les vers mal forgés.
1274Si vous aimiez-mieux
1275défendre une faute
1276que de la corriger,
1277il ne dépensait pas
1278une-seule parole en-plus,
1279et il ne prenait pas une peine inutile,
1280pour que vous n’aimassiez pas
1281teque et tua, et vous-même et vos vers,
1282seul et sans rival.
1283L’homme bon et instruit
1284reprendra les vers plats ;
1285il blâmera les vers durs ;
1286il tracera une marque noire
1287de son style (de sa plume) renversé
1288sur les vers sans-élégance ;
1289il retranchera
1290les ornements prétentieux ;
1291il forcera de donner de la clarté
1292aux vers peu clairs ;
1293il critiquera ce qui sera dit
1294d’une-manière-équivoque ;
1295il indiquera-par-une-marque
1296les passages à-changer :
1297il se fera Aristarque.
1298 Et il ne dira point :
1299« Pourquoi, moi, offenserais-je
1300« un ami dans des bagatelles ? »
1301 C’est que ces bagatelles
1302entraîneront dans des maux sérieux
1303 l’homme raillé une-fois
1304et reçu d’une-manière-défavorable.
1305Qui sapiunt, Ceux qui ont-du-bon-sens,
1306craignent d’avoir touché (de toucher)
1307un poëte insensé (maniaque),
1308et ils le fuient
1309comme ils fuiraient
1310celui que la gale mauvaise,
1311ou la maladie royale (la jaunisse),
1312ou un délire frénétique,
1313et (ou) Diane en-courroux
1314poursuit (possède) ;
1315les enfants
1316harcèlent ce poete insensé,
1317et le poursuivent
1318étourdis (étourdiment).
1319Tandis que ce fou,
1320la-tête-haute,
1321hurle ses vers et marche-au-hasard,
1322s’il tombe dans un puits
1323ou dans un fossé,
1324comme un oiseleur
1325guettant des merles,
1326il aurait-beau crier longtemps :
1327« Holà ! citoyens ! au secours ! »
1328qu’il n’y ait personne
1329qui songe à le retirer.
1330Si quelqu’un songeait
1331à lui porter secours
1332et à lui descendre une corde,
1333je dirais à cet homme :
1334« Comment sais-tu
1335« s’il ne s’est pas jeté là-dedans
1336« avec-intention,
1337« et s’il ne-veut-pas ne pas être sauvé ? »
1338et puis je raconterai
1339la mort du poëte Sicilien.
1340Tandis qu’Empédocle désire
1341passer-pour un dieu immortel,
1342il s’élança (il s’élance)
1343froid (de sang-froid)
1344 dans l’Etna embrasé.
1345Que le droit soit aux poëtes
1346et qu’il leur soit permis de mourir :
1347celui qui en sauve un malgré-lui,
1348fait la même chose
1349que celui qui le tue (qui le tuerait).
1350Et il n’a pas fait cela qu’une-fois ;
1351et, si, par hasard,
1352erit retractus, il est tiré de ce danger,
1353il ne deviendra pas pour-cela
1354un homme raisonnable,
1355et il n’abdiquera point
1356amorem mortis famosæ. l’amour qu’il a d’un trépas fameux.
1357Et l’on ne voit pas assez (clairement)
1358pourquoi il fait-toujours des vers
1359 est-ce parce qu’ il a uriné
1360sur les cendres de-ses-pères,
1361ou parce que, sacrilége,
1362il a remué (profané)
1363un lieu-funeste frappé-par-la-foudre :
1364quoi-qu’il-en-soit, il-est-fou
1365et semblable à un ours,
1366quand il est-venu-à-bout
1367de briser les barreaux opposés
1368de sa cage,
1369lecteur impitoyable,
1370il met-en-fuite
1371ignorants et savants.
1372Mais celui qu’il a attrapé,
1373il le tient-ferme,
1374et il l’assassine en lui lisant ses vers :
1375 véritable sangsue
1376qui ne lâchera point la peau,
1377si-ce-n’est gorgée de sang.
Notes.
Page 2. — 1. Ars poetica. Ce sont les premiers éditeurs qui ont imaginé cette dénomination assez pompeuse d’Art poétique, et l’usage a prévalu. Horace n’avait donné à son œuvre que ce titre bien plus modeste et plus vrai : Epistola ad Pisones. En effet, le poëte s’exprime souvent avec une familiarité et un abandon que la gravité du poëme didactique lui aurait interdits.
L’Épitre aux Pisons fut composée vers l’an 745 de Rome : Horace avait alors cinquante-six ans ; mais il est à peu près certain qu’elle ne fut publiée qu’après la mort du poëte, survenue en 746.
— 2. Lucius Pison, vainqueur des Thraces, pacificateur de la Macédoine, puis préfet de Rome, diligentissimus atque idem lenissimus securitatis urbanœ custos, au dire de Velléius Paterculus, était l’ami intime d’Horace. Il avait deux fils qui partageaient son goût prononcé pour les belles-lettres, et qui, comme lui, faisaient des vers. On croit même que l’aîné avait composé une tragédie. — C’est à ces trois personnages qu’est adressée cette épître.
Il faut dire, au reste, que cette vigilance, si vantée par Velléius, s’accorde mal avec certain témoignage assez bizarre que Sénèque a rendu de ce même Lucius Pison, en disant « qu’il ne s’enivra qu’une fois dans sa vie, parce que sa vie ne fut qu’une longue ivresse, Ebrius, ex quo semel factus est, fuit. »
— 3. Mulier formosa superne. Superne ne veut pas dire exactement le buste, mais seulement la tête. En adoptant la première de ces deux expressions, nous avons voulu éviter l’interminable périphrase qu’il eût fallu employer pour nous rendre intelligible.
— 4. Species, — imagines, en grec εἴδη, idées.
Page 4. — 1. Qui pingitur. C’était un usage chez les anciens. Les malheureux qui avaient fait naufrage, sollicitaient la pitié des passants en portant, suspendu sur la poitrine, un tableau qui représentait leur infortune. On se rappelle ce vers de Perse :
Quum fracta te in trabe pictumEx humero portes….(Sat. I, v. 86 et 87.)
Page 6. — 1. Potenter, κατὰ δύναμιν.
— 2. Et prœsens in tempus omillat. Nous expliquons, dans la note suivante, les raisons qui nous ont fait adopter ce changement. Mais, pour ceux qui tiendraient absolument à la leçon vulgaire, nous rétablissons dans la même note le texte de l’édition de Quicherat. On lira comme lui, si l’on n’est pas convaincu que la leçon de Bentley est préférable.
— 3. Au lieu de la leçon ordinaire, qui dit :
Hoc amet, hoc spernat promissi carminis auctor.In verbis etiam tenuis cautusque serendis,Dixeris egregie, notuni si callida verbumReddiderti junctura novum….,
adoptant la transposition à la fois si ingénieuse et si naturelle de Bentley, nous disons avec lui :
In verbis etiam temus cautusque serendis,Hoc amet, hoc spernat promissi carminis auctor….,
et le reste comme ci-dessus.
Il nous semble en effet que, de cette manière, l’obscurité disparaît entièrement. « Délicat et châtié dans l’emploi de ses mots (in verbis serendis), l’auteur d’un poëme attendu du public devra aimer telle expression, et dédaigner telle autre. » Quant au sens de promissi carminis, que l’on a traduit quelquefois : un poëme d’une certaine étendue, un poeme de longue haleine, il semble évident que promissi signifie bien un poeme attendu du public. Car enfin,
S’il est un heureux choix de mots harmonieux,
comme dit Boileau : ce choix est de rigueur partout, et quelle que soit l’étandue du poëme. N’importe le genre où l’on s’exerce, le goût, ce goût sévère, qui sait en prendre et en laisser (hoc amet, hoc sernat), le goût est la première loi de l’écrivain :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
On peut encore remarquer, avec Bentley, que, dans ces deux vers, tels que la leçon ordinaire les voudrait, le rapprochement de verbiset de verbum, à si peu de distance l’un de l’autre, ne serait rien moins qu’élégant. Verbis et verbum, dit-il; tam propinqua repetitione meram scabiem et sordes prœ se ferunt.
Mais le vrai motif de notre préférence est celui que nous avons exposé en premier lieu.
Page 8. — 1. Catonis. C’est de Caton l’Ancien qu’il est question ici, celui-là même qui conduisit de Tarente à Rome le vieux poëte Ennius. On a remarqué déjà, et c’est en effet une observation assez curieuse, que les trois plus anciens poëtes latins, Livius Andronicus, Quintus Ennius, et Pacuvius, son neveu, sont tous les trois originaires de la grande Grèce : le premier était né à Tarente, le second à Rudies, près de Tarente, et le troisième à Brindes.
Page 10. — 1. Debemur morti, nos nostraque. Considérés en eux-mêmes, ces vers me paraissent fort beaux, mais il ne me semble pas retrouver ici cette délicatesse de flatterie, si habituelle chez Horace ; et je ne sais pas jusqu’à quel point Auguste aurait dû être charmé de voir condamnés d’avance à une mort certaine ces travaux gigantesques, si noblement célébrés par Virgile. Ce passage fournirait, s’il en était besoin, une nouvelle preuve du caractère intime et presque confidentiel de l’Épitre aux Pisons.
— 2. Sterilisve diu palus, aptaque remis, etc. Il y a ici une faute de quantité véritable : la dernière syllabe de palus étant invariablement longue, comme dans virtus, tellus, etc. On corrige quelquefois de cette manière :
Sterilisve palus dudum, etc.
Mais cette correction ne se trouve dans aucun manuscrit. Bentley fait une longue dissertation pour justifier la leçon qu’il propose :
Sterilisve palus prius, etc.
Malheureusement le vers d’Horace, tel qu’il est dans toutes les éditions jusqu’à Bentley, et dans tous les manuscrits, avait été cité par Servius, Béda et Priscien. Toute l’argumentation de Bentley doit tomber devant un tel témoignage. Et pourquoi se scandaliser, d’ailleurs, qu’il ait échappé à Horace une de ces fautes si bien excusées dans ces vers dont nous invoquerons pour lui le bénéfice ?
Non ego paucisOffendar maculis, quas aut incuria fudit,Aut humana parum cavit natura….
Page 12. — 1. Chremes, dans la pièce de Térence, intitulée l’Héautontimoruménos.
— 2. Au lieu de la leçon ordinaire :
Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri :Telephus et Peleus, etc.
on lit quelquefois :
Et tragicus plerumque dolet sermone pedestriTelephus aut Peleus, etc.
en supprimant les deux points après le mot pedestri, et en remplaçant la copulative et par la disjonctive aut. — Cette leçon nous avait souri d’abord ; mais un examen plus sérieux nous fait revenir à la première, en maintenant néanmoins le changement de et en aut. Le passage ainsi modifié nous paraît avoir le triple avantage de la symétrie, d’une clarté plus grande, et d’une relation toute naturelle avec les vers qui viennent plus bas :
Tua me infortunia lædent,Telephe, vel Peleu, etc.
Page 14. — 1. Si vis me flere, dolendum est, primum ipsi tibi. On connaît la traduction de Boileau :
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
Outre qu’elle n’est pas élégante, nous ne la croyons pas exacte non plus. Dolere ne signifie pleurer que par métonymie, et en prenant la cause pour l’effet ; réellement il signifie : avoir de la douleur. Ayez une douleur véritable, dit Horace. Pleurez ne serait pas juste ; car enfin il y a de fausses larmes, et celles-là doivent nous trouver insensibles ; il y a les larmes comiques, et celles-là nous font rire.
Page 16. — 1. Honoratum si forte reponis Achillem…. Par honoratum les uns entendent célèbre, fameux ou illustre ; mais nous ne croyons pas que l’on trouve dans toute la latinité du siècle d’Auguste un seul exemple du mot honoratum pris dans ce sens-là. Or, il ne signifie pas ici comblé d’honneurs, comme dans le vers 107 de l’épître Ire du livre Ier :
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum ;
car cette idée serait parfaitement ridicule, puisque là il s’agit des dignités, des honneurs accordés par le peuple. Nous croyons donc que, par ce mot honoratum, qui rappelle exactement le τετιμημένον d’Homère, le poëte latin fait à l’Iliade une allusion d’autant plus heureuse, peut être, qu’elle rappelle, à l’aide d’un seul mot formant hellénisme, le sujet réel et connu de ce poëme fameux.
— 2. Difficile est proprie communia dicere…. Pour bien comprendre le sens longtemps controversé de ces paroles, il faut les rapprocher de ce qui précède et de ce qui suit. Voici la paraphrase pleine de justesse que Du Marsais a faite de ce passage : « Si vous osez mettre sur la scène un sujet nouveau, un caractère qui n’ait pas encore été traité, si quid inexpertum, etc., et que, pour peindre ce caractère, vous inventiez un personnage jusqu’alors inconnu au théâtre, personam novam : que ce personnage conserve toujours son caractère ; qu’il ne se démente point, et que, jusqu’à la fin de la pièce, il soit tel qu’il aura paru au commencement. Mais prenez-y garde, mesurez vos forces : il est bien difficile d’imaginer et de soutenir ce personnage, de le créer, pour ainsi dire, tel qu’il doit être, proprie. Pour peindre quelqu’un de ces caractères dont on n’a encore qu’une idée générale, communia, et qui n’existent qu’à l’état d’abstraction, on n’a aucun modèle devant soi, point d’auteur qui ait traité le même sujet : on n’a pour guide que la nature. »
Exemple :
Molière, en prenant l’avare pour sujet d’une de ses comédies, nous a peint un caractère général, communia ; et, par la conduite de sa pièce, par tout ce qu’il fait dire et faire à son Harpagon, personnage nouveau, il a traité ce sujet proprie : il a appliqué à ce personnage nouveau le caractère général d’avare : Harpagon est l’avare personnifié. Concluons avec Du Marsais que, dicere communia proprie, c’est adapter si bien un caractère général à un personnage particulier, que toutes les actions, toutes les paroles qu’on prête à ce personnage, répondent exactement à l’idée abstraite et générale qu’on a du caractère.
Page 18. — 1. C’est le début de l’Odyssée dans Homère. — Horace dit seulement vidit : nous avons reproduit toute la pensée d’Homère, en ajoutant l’idée du verbe ἔγνω :
Πολλῷν δ’ἀνθρώπων ἴὸευ ἄστεα καὶ νόον ἔγνω.
Page 20. — 1. Aulœa. On appelait ainsi la toile qui servait à masquer la scène, avant la représentation et dans les entr’actes. Il ne faut pas oublier que chez les anciens la toile, au lieu descendre du plafond, comme chez nous, à la fin d’une pièce, s’élevait au contraire de bas en haut. La machine qui la faisait descendre au commencement et remonter à la fin des pièces, s’appelait exostra.
— 2. Reddere qui voces jam scit puer, etc. Ce passage a été imité par notre vieux poëte Régnier, voyez la satire V ; par Boileau, voyez l’Art poétique, liv. iii, vers 373 et suiv. ; et par Delille, poëme de l’Imagination, chant vi, vers 24 et suiv. Tout le monde connaît, dans le Panégyrique de saint Bernard, par Bossuet, ce magnifique portrait de la jeunesse : « Vous dirai-je ce que c’est qu’un jeune homme de vingt-deux ans ?… »
Horace lui-même a imité Aristote dans cette peinture si rapide, et pourtant si philosophique, des quatre âges de la vie.
Page 22. — 1. Dilator, spe lentus, iners, pavidusque futuri. Nous n’hésitons pas à lire ainsi, au lien de longus et avidusque futuri. Spe lentus est le δύσελπις d’Aristote. En effet, le vieillard est bien plus enclin au désespoir qu’aux longues espérances ; et puis, entre ces deux mots iners et avidus, il semble qu’il y aurait opposition ; enfin, le passage d’Aristote, que le poëte avait certainement en vue, repousse complétement l’idée de avidus : δειοὶ καὶ πάντα προφοϐητικοί, dit Aristote, meticulosi et de omnibus futuris paventes.
Page 24. — 1. Intus digna geri. La scène représentait toujours une place publique, ou un endroit frequenté ; par conséquent, ce qui se faisait intus, c’est-à-dire dans l’intérieur d’une maison, ne pouvait se voir sur le théâtre. En pareil cas, nous disons qu’un fait se passe dans la coulisse.
— 2. Facundia prœsens. L’expression serait assez vague, si les détails qui précèdent ne la rendaient parfaitement claire. Facundia prœsens signifie le récit épisodique ou final, dans lequel une péripétie quelconque, ou la catastrophe de la tragédie était, ou devait être racontée par un personnage qui en avait été le témoin, prœsens. La tragédie antique finit presque toujours ainsi ; voyez OEdipe, Hécube, etc.
— 3. Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi. Ce vers ne s’applique pas à Médée immolant ses enfants, mais seulement à la métamorphose de Procné et de Cadmus. « Un prodige opéré par le ciel même ne révoltera point, dit Voltaire ; mais un prodige opéré par un sorcier, malgré le ciel, ne plaira jamais qu’à la populace. »
Page 26. — 1. Sortilegis non discrepuit sententia Delphis. Ce passage, assez obscur pour qui voudrait ne l’expliquer que mot à mot, indique très-clairement, ce nous semble, cette tendance du Chœur à parler un langage mystérieux et quelquefois mystique. On peut même supposer qu’il y a une idée satirique dans ce vers : Horace ne se piquait pas d’être bien fervent en fait de croyances religieuses.
Page 34. — 1. Hic et in Acci nobilibus trimetris. Hic désigne le vers iambique, tel qu’il doit être. Horace veut dire, et il dit en effet, que rarement Accius et Ennius observent les règles qu’il vient de rappeler brièvement. Accius, ou Attius, est un poëte tragique postérieur à Ennius : il est mort trente et un ans après lui, l’an 139 avant J. C.
— 2. At nostri proavi. Quelques éditions portent At vestri proavi, sous prétexte que le fils d’un affranchi n’eût jamais osé dire nos ancétres. Nous sommes convaincu que personne, à Rome, n’aurait fait une pareille observation à l’ami de Mécène, au poëte qui était en si grande faveur auprès d’Auguste. Nostri proavi signifie donc, tout simplement, les gens d’autrefois, les anciens Romains, nos devanciers.
— 3. Ne dicam stulte… La postérité a cassé le jugement trop sévère porté par Horace sur un poëte comique, auquel nous devons l’idée de plusieurs comédies excellentes de Molière. Plaute a certainement un bon nombre de plaisanteries grossières et inconvenantes ; mais on remarquera qu’il les prête toujours à des esclaves. Comment les beaux esprits du temps d’Horace, et Horace lui-même, pouvaient-ils donc se montrer si sévères pour les saillies de Plaute, quand on les voit prendre tant de plaisir aux sottises grossières et fort peu spirituelles, ne dicam stulte (ce serait bien le cas de le dire), que s’adressent l’un à l’autre Sarmentus et Cicirrus ? Pourtant, cet assaut d’injures de mauvais goût entre un bouffon et un parasite, eut le singulier privilége de réjouir et de charmer, pendant tout un repas, Héliodore le rhéteur, Mécène, Plotius, Varius, Virgile et Horace enfin, qui, après nous avoir raconté cette querelle grotesque, ajoute, et il faut l’en croire :
Prorsus jucunde scenam produximus….
Voyez la satire V du liv. i er, où se trouve la description du voyage à Brindes.
Page 36. — 1. Successit Vetus his Comœdia. Les grammairiens d’Alexandrie ont reconnu, comme on le sait, trois sortes de comédies : l’ancienne, la moyenne et la nouvelle. La première avait des chœurs chantants, comme la tragédie, c’est la comédie d’Aristophane :
Eupolis, atque Cratinus, Aristophanesque poetæ.
Les deux autres n’en avaient pas ; mais ce qui les distingue surtout de la première, c’est la modération satirique à laquelle la loi les contraignit. Voyez Horace, Art poétique, vers 283 et 284, et épître I, livre II, vers 152 et suivants :
Quin etiam lexPænaque lata, malo quæ nollet carmine quemquamDescribi. Vertere modum, formidine fustisAd bene dicendum delectandumque redacti.
— 2. Vel qui Prœtextas, vel qui docuere Togatas. Prœtextas, la tragédie, parce que les acteurs portaient la robe prétexte, qui n’appartenait qu’aux nobles ; Togatas, la comédie, parce que les acteurs portaient la toge, vêtement ordinaire des gens du peuple.
— 3. Pompilius sanguis. Horace appelle les jeunes Pisons sang de Pompilius : Acron et Porphyrion disent que Numa Pompilius eut un fils nommé Calphus, ou Calpur, de qui les Calphurnii ou Calpurnii Pisones prétendaient tirer leur origine.
Page 38. — 1. Tribus Anticyris. Il y avait, en effet, trois endroits de ce nom : la ville d’Anticyre, en Phthiotide, était située au nord de l’embouchure du Sperchius, dans le golfe Maliaque, où se trouvait une île, également nommée Anticyre ; une troisième Anticyre se trouvait en Phocide, dans le pays des Locriens Ozoles, au sud-ouest de Delphes, près de la côte du golfe de Corinthe : et, par une coïncidence singulière, mais suffisamment constatée, le territoire de toutes les trois produisait l’ellébore, dont on se servait particulièrement pour la guérison de la folie. Strabon mentionne ces trois Anticyres. (Voir Essai de Géographie historique ancienne, par F. Ansart ; Grèce septentrionale, § 737, page 238, 3e édition.)
Malgré ce renseignement positif, j’ai préféré dans la traduction l’idée d’une seule Anticyre : elle a l’avantage de présenter un trait comique, dont l’exagération maligne va bien mieux aux habitudes satiriques du poëte.
— 2. Tonsori Licino. Licinus, barbier enrichi, que César avait fait sénateur, et qui fut, à ce que l’on pense, exclu du sénat par Auguste.
Page 42. — 1. Poteras dixisse ? — Triens… C’est le tiers d’une livre ou d’un as. La livre avait douze parties égales, appelées onces ; ses subdivisions étaient : 1° uncia, l’once ; 2° sextans, deux onces, ou le sixième de la livre ; 3° quadrans, trois onces, ou le quart de la livre ; 4° triens, quatre onces, ou le tiers de la livre ; 5° quincunx, cinq onces ; 6° semis (pour semissis), une demi-livre, ou six onces ; 7° septunx, sept onces ; 8° bes, huit onces, ou les deux tiers de la livre ; 9° dodrans, neuf onces, ou les trois quarts ; 10° dextans, dix onces ; 11° deunx, les onze douzièmes de la livre ; 12°, enfin, as, la livre, ou l’as, réunion des douze onces.
— 2. Pransœ Lamiœ. Les Lamies, espèce de Gargantuas ou de Croquemitaines femelles, étaient des monstres fabuleux, ayant une tête et une poitrine de femme, terminée par le corps d’un serpent.
Page 44. — 1. Celsi Rhamnes. Les Chevaliers dédaigneux, hautains. Rhamnes était le nom d’un des trois corps de chevaliers institués par Romulus.
Page 46. — 1. Qui mullum cessat, fit Chœrilus ille…. Chérile-mauvais poëte qu’Alexandre récompensa largement pour des vers médiocres, composés à sa louange. Voyez l’épître Ire du livre II, vers 232 et suiv. :
Gratus Alexandro regi Magno fuit illeChœrilus, incultis qui versibus et male natisRettulit acceptos, regale nomisma, Philippos.
J.-B. Rousseau a fait allusion à ce passage, dans les vers suivants :
C’est ainsi qu’au milieu des palmes les plus belles,Le vainqueur généreux du Granique et d’ArbellesCultivait les talents, honorait le savoir,Et, de Chérile même excusant la manie,Au défaut du génie,Récompensait en lui le désir d’en avoir.(Livre XVIII, ode ii, au prince Eugène.)
Page 48. — 1. Sardo cum melle papaver. On mêlait avec du miel la graine de pavot blanc rôtie : mais le miel de Sardaigne était extrêmement amer. La même plante qui lui donnait cette amertume désagréable, produisait sur les lèvres une contraction nerveuse qui se manifestait par un sourire convulsif. C’est de là qu’est venue l’expression proverbiale de rire sardonique.
— 2. Census equestrem summam nummorum. Pour être admissible dans l’ordre des Chevaliers, au temps d’Horace, il fallait posséder quatre cent mille sesterces (79,500 fr.). Voyer l’épître i er du liv. i er, vers 57 :
Si quadringentis sex, septem millia desunt.Plebs eris….
Page 50. — 1. In Metii descendat judicis aures…. Métius Tarpa, ami d’Horace, excellent juge en poésie, est le même dont il est question au vers 38 de la satire X du livre 1er :
Hæc ego ludo,Quæ nec in æde sonent certantia, judice Tarpa,Nec redeant iterum atque iterum spectanda theatris.
— 2. Nonumque prematur in annum… Ce conseil, dirons-nous avec M. Walckenaër, de garder pendant neuf ans toute composition littéraire, quelle qu’elle soit, n’a pas été compris par les commentateurs. — On l’a considéré comme un précepte général, tandis qu’au contraire ce n’est qu’un conseil donné au jeune Pison, alors âgé de dix-sept ou dix-huit ans, tout au plus. Nous croyons donc qu’Horace a voulu dire simplement qu’on ne devait pas se produire en public, comme auteur, avant vingt-quatre ou vingt-cinq ans, et qu’on devait garder ce qu’on avait composé avant cet âge, comme des fruits précoces dont on attend la maturité. Horace avait d’ailleurs suivi lui-même ce précepte, en ne laissant rien paraître, avant cet âge, des vers grecs qu’il dit avoir composés dans sa première jeunesse, concurremment, sans doute, avec quelques odes latines.
Page 52. — 1. Nunc satis est dixisse. Au lieu de nunc, quelques éditions disent nec. Des deux manières, l’intention satirique est parfaitement sensible. Nunc est dans les meilleurs manuscrits.
Page 54. — 1. Ut, qui conducti plorant in funere. Allusion à cet usage antique, bien connu, d’avoir aux funérailles des pleureurs à gages (conducti). Cet usage a disparu en France, mais il s’y était maintenu jusque dans les dernières années.
Page 56 — 1. Quintilio si quid recitares. Quintilius Varus, poëte distingué, en l’honneur de qui a été composée l’ode XX du livre 1er :
Quis desiderio sit pudor aut modusTam cari capitis ?
ode adressée à Virgile.
— 2. Et male formatos incudi reddere versus. Sidoine Apollinaire, au v e siècle, a lu formatos, et non pas tornatos : « Horatiana incude « formatos asclepiadeos, » dit-il, épit. IX, 13. Ainsi ont lu évidemment, Acron et Porphyrion, les plus anciens commentateurs d’Horace : « Ferramentum male ductum redditur incudi, et bene ibi formatur. » (Acron.) — « Ferramentum male formatum redditur « incudi, ut ibi formetur. » (Porphyrion.)
On le voit donc, le mot formare est l’expression technique et usuelle pour dire forger le fer sur l’enclume. Bien que la leçon formatos ne soit pas donnée par les manuscrits, nous l’avons préférée à tornatos, qui en diffère bien peu matériellement, et qui nous semble un peu barbare. Nous ajouterons que dix-sept éditeurs ou critiques ont adopté cette leçon nouvelle, entre autres, Guyet, Cuningham, Sanadon, Poinsinet de Sivry, Ménage et Daru.
— 3. Vir bonus et prudens, etc. On fera bien de comparer ce portrait d’un ami prudent et éclairé à celui du critique impartial tracé par le poëte dans l’Epître à Florus (la seconde du livre II), vers 109 à 125. Nous rapprocherons surtout les traits suivants :
Audebit, quæcumque parum splendoris habebunt,Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,Verba movere loco, quamvis invita recedant…Luxuriantia compescet ; nimis aspera sanoLævabit cultu ; virtute carentia tollet….
On sait que Boileau a réuni en un seul tableau ces deux portraits si habilement indiqués par Horace. C’est peut-être le cas d’exposer ici l’opinion, encore peu débattue, et partant assez neuve, que les deux premières Epîtres du second livre forment, avec l’Épître aux Pisons, un Art poétique assez complet dans l’ensemble, quoique composé de trois éléments bien distincts. L’analyse succincte de ces deux épîtres adressées, la première, à Auguste, et la seconde, à Jules Florus, prouvera ce que nous avançons. Dans l’Epître à Auguste, laquelle peut, relativement à la question qui nous occupe, se diviser en trois parties, le poëte établit d’abord une comparaison entre les auteurs anciens et les modernes ; — ensuite, il montre que la nouveauté est mère des beaux-arts, des belles-lettres, et surtout de la poésie ; — enfin, dans la troisième partie, il traite de la poésie dramatique et de la difficulté de réussir au théâtre. Il y a une quatrième partie, mais qui s’adresse particulièrement à Auguste : — il est de l’intérêt d’un prince d’exciter l’émulation des poëtes, car la poésie contribue, aussi sûrement que le bronze lui-même, à éterniser la gloire des grands hommes :
Nec magis expressi vultus per ahenea signa,Quam per vatis opus, mores animique virorumClarorum apparent.(Vers 248 et suivants.)
Dans l’Épître à Florus, beaucoup plus familière, et entremêlée d’historiettes racontées comme raconte Horace, le poëte nous déclare, en vers charmants, qu’il ne veut plus faire de vers, et qu’il est fatigué du métier de poëte, à cause de la vanité, des intrigues mesquines et de l’incapacité de ses confrères. A cette boutade satirique et mordante, qui rappelle assez les derniers vers de l’Art poétique, Horace ajoute, en passant, et sans avoir l’air d’y toucher, comme nous dirions, quelques préceptes d’une haute raison. Cette question qu’il a traitée plus d’une fois, la difficulte de bien écrire, lui a inspiré les vers que nous citons plus haut, et qui ont, avec le passage de l’Art poétique, objet de cette note, une analogie frappante, incontestable.
On sait, d’ailleurs, que l’Épître aux Pisons est postérieure aux deux précédentes. Ainsi, il est naturel, il est permis, au moins, de penser que le poëte, en composant cette fameuse épître, la plus longue de celles qu’il a laissées, songeait à réunir et à compléter ce qu’il avait déjà dit antérieurement sur l’Art d’écrire. On remarquera facilement que, dans aucune de ces trois pièces, Horace n’a voulu astreindre à un plan systématique sa muse vagabonde, son style familier, son allure pleine de liberté et de caprice. Mais, dans toutes les trois aussi, nous retrouvons, avec M. Walckenaër, la même idée élevée du vrai poëte, la même sentiment de la haute utilité et de la noble mission de la poésie : tout cela, exposé sans prétention par un homme de goût qui cause avec entraînement, avec verve, mais qui n’a garde de se donner l’attitude imposante d’un professeur qui enseigne, ou d’un législateur qui régente.
Concluons. — Si l’Épître aux Pisons, considérée des son apparition comme une œuvre à part, et citée deux fois déjà par Quintilien sous le nom d’Art poétique, est un morceau plus sérieux, plus spécial, plus didactique, en un mot, que l’Epître à Auguste, et, surtout, que l’Epître à Florus ; si, contre la manière habituelle d’Horace, elle renferme plus de principes de l’art considéré en lui-même que de maximes de moralité ; si, enfin, parmi tant d’allusions malignes dirigées contre les anciens, et tant de traits satiriques à l’adresse des poëtes ridicules de son temps, il n’a pas dit un seul mot sur sa personne, sur ses antécédents, sur sa jeunesse, comme il le fait avec tant de grâce dans l’Epître à Florus : il n’en demeure pas moins établi que ces trois épîtres sont intimement liées entre elles, d’abord par l’identité du sujet, par la ressemblance souvent frappante des détails ; et, ensuite, qu’elles concourent au même but, qu’elles se commentent, s’éclairent et se complètent l’une par l’autre.
Cette préméditation de la part d’Horace, si fortement préoccupé (dit M. Walckenaër) des mêmes pensées, qu’il éprouvait le vif besoin de les exprimer, cette préméditation nous semble donc suffisamment démontrée. Nous aurions pu exposer cette opinion dans les notes des deux épîtres à Auguste et à Florus ; mais nous avons préféré la traiter ici complétement, à propos de l’Épître aux Pisons, dont les deux précédentes ne sont en réalité que des parties accessoires, bien qu’elles soient, l’une et l’autre, d’une date antérieure.
L’Epître à Florus est de 743, l’Epître à Auguste de 744, enfin, l’Épître aux Pisons, de 745. Ainsi que nous l’avons dit, Horace avait cinquante-quatre ans, quand il écrivait la première ; cinquante-cinq ans, lors de la seconde, et cinquante-six ans à l’époque de la troisième. Peut-être même celle-ci ne fut-elle pas achevée par le poëte : du moins, on croit généralement qu’elle ne fut publiée qu’après sa mort.
Page 58. — 1. Morbus regius. Ce n’est pas l’épilepsie, mais la jaunisse. On l’appelait morbus regius, d’après Celse, parce qu’on ordonnait au malade de ne s’occuper que de choses agréables, de se livrer à toute sorte de distractions, de voyager ou de voir beaucoup de monde.
— 2. Hic dum, sublimis, versus ructatur. J’aime mieux lire sublimis se rapportant au poëte, que sublimes se rapportant à versus ; l’image est bien plus vive, et rappelle plus naturellement l’idée qui suit : si veluti merulis intentus decidit auceps.
— 3. Qui scis an prudens huc se projecerit ? Il est évident qu’il y a ici une négation sous-entendue : c’est la négation incluse dans le verbe nolit du vers suivant (atque servari nolit), qui réagit sur la première partie de la proposition.
Page 60. — 1. An triste bidental moverit incestus. Bindental est la place même où la foudre était tombée : on y élevait un petit autel expiatoire, sur lequel on immolait des brebis (bidentes), d’où le mot bidental.