Préface
Multa magis quam multorum lectione formanda mens et ducendus est color… Paucos, qui sunt eminentissimi, excerpere in animo fuit ; facile autem erit studiosis, qui sint his simillimi, judicare1.Quintilien, Inst. orat., X, 1.
Les plans d’études les plus récents de l’enseignement secondaire ont établi qu’il serait fait usage, dans toutes les classes des lycées et des colléges, pour que la connaissance de notre langue et de notre littérature y fût plus répandue et plus approfondie, de recueils de morceaux choisis, empruntés à nos meilleurs écrivains, prosateurs et poëtes, à ceux que nous pouvons appeler nos classiques.
Cette prescription était conforme aux plus saines traditions de l’enseignement public et
privé : les maîtres les plus accrédités de la jeunesse l’avaient hautement recommandée.
« Jamais il ne faut permettre, a dit Nicole, que les enfants apprennent rien par
cœur qui ne soit excellent ; car les choses qu’ils ont apprises sont comme des moules ou
des formes que prennent leurs pensées lorsqu’ils les veulent exprimer. »
Rollin
demandait, d’après ce motif, des recueils français « qui, composés exprès,
épargnassent aux maîtres la peine nécessaire pour feuilleter beaucoup de volumes, et aux
élèves des frais considérables pour se les procurer »
. Rien n’était plus
efficace, selon le judicieux auteur du Traité des études, pour donner
aux jeunes gens
de bons principes et l’habitude d’un bon langage,
que « des extraits faits avec soin et qui pourraient avoir quelquefois une longueur
raisonnable »
.
En applaudissant à une pratique d’enseignement confirmée par de tels suffrages et très-sagement rétablie, il nous sera permis de nous féliciter d’avoir reçu du ministre une haute marque de confiance, lorsqu’il a bien voulu nous inviter à composer un recueil de morceaux choisis, pour les classes de grammaire particulièrement, et en recommander l’usage à MM. les proviseurs et principaux.
Cette œuvre modeste, qui n’a pas paru inutile, se complète par deux recueils du même genre, où domine, avec de légères modifications de méthode, une pensée commune : d’un côté, par un recueil plus simple, rédigé pour les classes élémentaires ; de l’autre, par le présent recueil plus élevé, spécialement destiné aux classes supérieures1.
Dans ces trois publications distinctes, mais formant un ensemble qui embrasse le cercle classique tout entier, nous avons eu pour but de réunir, en les graduant suivant l’âge et l’intelligence de ceux qui les doivent étudier, les modèles les plus incontestés et les plus purs, les morceaux les plus propres à former le cœur autant que l’esprit de la jeunesse. Nous avons voulu qu’au sortir de leurs cours, les élèves des lycées et des colléges connussent, avec les plus grands noms de notre littérature, ce qu’elle a produit de plus parfait ; et ce sera là, nous l’espérons, le fruit d’une étude attentive de ces recueils, conçus dans un dessein unique, malgré quelques différences de compositions qu’il a semblé à propos d’y introduire.
Pour les enfants des classes élémentaires, convaincu qu’il fallait avant tout les former à l’usage de la langue de nos jours, nous avons, sans acception de temps, choisi chez ceux qui l’ont le mieux écrite, même chez les auteurs contemporains, ce qui nous a paru en rapport avec leur jeune intelligence. Dans la disposition des morceaux, nous n’avons apporté d’autre ordre que celui qui semblait indiqué par la nature des idées, selon que leur simplicité et leur clarté plus parfaites les rendaient plus faciles à saisir.
Pour les classes de grammaire, où commence à s’éveiller le goût, où les élèves, par l’exercice de la version, s’essayent à écrire, nous avons jugé nécessaire, en vue de leur donner les premières leçons de style, d’être très-rigoureux dans nos choix ; nous les avons donc restreints à l’époque où, d’un accord unanime, le plus haut degré de perfection a été atteint parmi nous, au dix-septième siècle.
Pour les classes supérieures, le cercle des auteurs où nous avons puisé a dû être un peu élargi ; mais nous n’y avons fait entrer toutefois, avec le dix-septième siècle, que l’élite du dix-huitième. Cette circonspection sévère n’a pas besoin d’être excusée. Puisque de légitimes désirs de réformes ont préoccupé de nos jours la conscience publique sur tout ce qui regarde l’éducation et l’instruction, il fallait mettre au premier rang de ces réformes un soin plus vigilant à ne présenter aux jeunes intelligences que des modèles accomplis sous le rapport moral ainsi que sous le rapport littéraire.
Dans les recueils destinés aux classes de grammaire et aux classes supérieures des lettres, nous avons pensé qu’il convenait d’adopter, pour le classement des auteurs, l’ordre chronologique, comme favorable à l’exercice de la mémoire et susceptible d’ajouter à l’utilité de la lecture, en plaçant sous les regards, avec la marche insensible de notre idiome parvenu à sa maturité, le magnifique développement de notre littérature arrivée à son plus grand éclat.
On ne perdra pas de vue qu’aux termes de l’instruction générale du 15 novembre 1854 on doit expliquer le français dans les classes1 : ce qu’on s’était trop généralement borné à faire jusqu’ici pour le latin et pour le grec. Parmi nos textes, il en est qui pourront être uniquement la matière d’explications et d’analyses, tandis que d’autres, et les plus parfaits, serviront en outre à la culture et à l’ornement de la mémoire. Ce choix appartient au bon goût du professeur.
C’est là le plan que nous avons cru devoir suivre, en ne négligeant rien peur obtenir le succès le plus flatteur à nos yeux, celui de répondre aux intentions du ministre. Nous nous estimerons heureux si nous paraissons à nos collègues n’être pas demeuré trop loin du but que nous avions à cœur d’atteindre, et si ces recueils en particulier, rédigés pour les classes supérieures, sont considérés comme un manuel de composition et de style, où les jeunes gens puissent apprendre, non par d’arides théories, mais par la pratique des chefs-d’œuvre de notre langue, à penser et à écrire.