Lamartine
1790-1869
[Notice]
Tour à tour historien, publiciste, diplomate, orateur et personnage politique mêlé à des crises orageuses, où il joua un rôle pacificateur, M. de Lamartine n’a jamais cessé d’être un poëte. Génie optimiste et épris de l’idéal, il est un de ceux dont les chants impérissables traversent les siècles. Sa muse est la figure vaporeuse et à demi angélique d’Elvire. Méditations et Harmonies : ces deux mots résument les immortelles beautés d’une inspiration qui manquait à la France, et dont il nous a offert de parfaits modèles1. Il a été, sous une forme enchanteresse, le plus éloquent interprète de cette mélancolie philosophique et religieuse qui flottait dans l’air, au lendemain des révolutions et des catastrophes publiques : il exprima le malaise des âmes, l’inquiétude de l’infini. En l’écoutant, chacun crut entendre les plaintes ou les soupirs de son propre cœur, et monta vers les régions sereines, porté par l’essor de sa strophe éthérée. Aussi notre reconnaissance n’égalera-t-elle jamais la pureté des émotions nouvelles que nous devons à ces beaux vers, où l’azur du ciel et les hautes cimes se réfléchissent comme dans les eaux d’un lac paisible et transparent. Ajoutons que Jocelyn gardera sa place à côté de Paul et Virginie : cette épopée domestique et intime est peut-être la seule que comporte notre pays, surtout dans le siècle où nous vivons. M. Nisard a dit de cette poésie délicieuse : « Elle s’épanche en des vers d’une harmonie que Racine même n’a pas connue : ce charme ne cessera qu’avec la langue française2. »
Priére de l’indigent
La cascade
La cascade qui pleut dans le gouffre qui tonneFrappe l’air assourdi de son bruit monotone ;L’œil fasciné la cherche à travers les rameaux ;L’oreille attend en vain que son urne tarisse ;De précipice en précipice,Débordant, débordant à flots toujours nouveaux,Elle tombe, et se brise, et bondit, et tournoie,Et du fond de l’abîme ou l’écume se noie,Elle-même remonte en liquides réseaux,Comme un cygne argenté qui s’élève et déploieSes blanches ailes sur les eaux2.(Harmonies poétiques, liv. I, x.)
L’enthousiasme.
Le lendemain de la bataille
Accourez maintenant, amis, épouses, mères !Venez compter vos fils, vos amants et vos frères ;Venez sur ces débris disputer aux vautoursL’espoir de vos vieux ans, le fruit de vos amours…Que de larmes sans fin sur eux vont se répandre !Dans vos cités en deuil que de cris vont s’entendre,Avant qu’avec douleur la terre ait reproduit,Misérables mortels, ce qu’un jour a détruit !Mais au sort des humains la nature insensibleSur leurs débris épars suivra son cours paisible :Demain, la douce aurore, en se levant sur eux,Dans leur acier sanglant réfléchira ses feux ;Le fleuve lavera sa rive ensanglantée ;Les vents balayeront leur poussière infectée,Et le sol, engraissé de leurs restes fumants,Cachera sous des fleurs leurs pâles ossements1.(Les Préludes, éd. MM. Hachette, Furne et Pagnerre.)