(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Précis des quatre âges de la Littérature. »
/ 271
(1807) Principes généraux des belles-lettres. Tome II (3e éd.) « Seconde partie. Des Productions Littéraires. — Précis des quatre âges de la Littérature. »

Précis des quatre âges de la Littérature.

On ne saurait douter que les productions littéraires ne contribuent autant à former le cœur, qu’à orner l’esprit. Il est certain que les bons ouvrages des orateurs et des poètes, en offrant à nos yeux des tableaux agréables, enchanteurs, et sagement variés, nous apprennent, en même temps, une foule de vérités utiles et remplissent notre âme de sentiments nobles et vertueux, qui peuvent nous rendre meilleurs. Les Grecs sont les premiers peuples du monde, qui se soient immortalisés par ces sortes de productions. C’est à eux qu’appartient la gloire d’avoir créé les divers genres de littérature, et d’avoir enfanté des chefs-d’œuvre qui ont fixé jusqu’ici, et qui fixeront à jamais l’admiration de tous tes siècles éclairés et polis.

Siècle de Philippe et d’Alexandre.

Homère s’élevant par l’effort de son seul génie, aux plus sublimes hauteurs de la poésie, en déploya dans l’épopée tout le feu, tout le coloris, toutes les richesses. Hésiode décrivit en vers les travaux de la campagne, et donna des préceptes sur le premier et le plus utile des arts. Ésope prêta dans l’apologue un langage aux animaux, pour instruire les hommes. L’élégant Anacréon embellit ses badinages de toutes les grâces d’une poésie douce et légère. Le fougueux Pindare chanta, sur le ton le plus énergique et le plus élevé, la puissance des Dieux et les exploits des héros. Eschyle, Sophocle et Euripide firent voir, sous l’appareil majestueux de la tragédie, les terribles effets des passions humaines. Aristophane et Ménandre livrèrent sur la scène comique, au fléau du ridicule, les travers et les vices de leurs concitoyens. Hérodote, Thucydide et Xénophon prirent les crayons de l’histoire, pour transmettre aux siècles futurs les événements des siècles passés. Démosthène défendit par les foudres de son éloquence, la liberté de sa patrie, contre la politique et les armes de Philippe. Platon, Aristote, et mille autres sages enseignèrent les principes et les lois de la morale. Théophraste marqua les divers caractères des hommes, avec autant de précision que de vérité. Enfin Théocrite, Moschus et Bion tracèrent dans leurs poésies une image charmante de la vie rustique, et des mœurs simples des bergers. La plupart de ces grands hommes fleurirent dans le siècle de Philippe et d’Alexandre ; âge heureux, qui est la première époque intéressante dans l’histoire de l’esprit humain.

Siècle de César et d’Auguste.

Rome était encore presque sauvage, et n’ambitionnait que la gloire des conquêtes. Des ambassadeurs Athéniens s’y étant rendus pour une affaire particulière, tous les jeunes Romains qui les entendirent, furent ravis de leur éloquence. Le goût de cet art merveilleux s’empara de tous les esprits ; et les plus illustres citoyens de la république s’y distinguèrent. Bientôt la Grèce perdit sa liberté. Les arts exilés de ces belles contrées, vinrent établir leur empire dans Rome, et y brillèrent du plus vif éclat sous César et sous Auguste.

Plaute et Térence avaient déjà fait connaître la comédie. Cicéron, quoique moins nerveux que Démosthène, devint le modèle des grands orateurs. Lucrèce, né avec un génie des plus poétiques, l’employa, malheureusement, à préconiser un système non moins absurde qu’impie. Virgile entreprit avec succès d’égaler Homère dans l’épopée, Théocrite, dans le genre pastoral, et surpassa Hésiode dans le géorgique. Horace perfectionna le lyrique, en réunissant l’enthousiasme de Pindare à la douceur d’Anacréon, et fit oublier Lucile, qui avait été, chez les Romains, le père de la satire. Tibulle et Properce répandirent dans leurs vers élégiaques tout le pathétique du sentiment. Salluste, Tite-Live, César lui-même, et après eux, Quinte-Curce et Tacite écrivirent l’histoire, et portèrent à un degré supérieur l’art de peindre et de raconter. Phèdre fournit avec gloire la carrière que lui avait tracée Ésope. Ovide fit étinceler dans ses diverses poésies l’imagination la plus féconde et la plus heureuse. Perse, et bientôt après, Juvénal marchant sur les pas d’Horace, lancèrent avec vigueur les traits de la satire contre les vices de leur siècle. Sénèque, moraliste et poète, cultiva l’art des Sophocle et des Euripide, Lucain peignit, en vers dignes de l’épopée, les fureurs des discordes civiles dans les champs de Pharsale. Pline le jeune consacra le talent de l’éloquence, à louer un des plus parfaits modèles des bons souverains. Mais le règne de la belle nature avait alors fait place au règne du bel esprit. Vainement sous les successeurs d’Auguste, Tacite et Quintilien avaient lutté contre le mauvais goût qui défigurait l’éloquence et la poésie. L’enflure, le gigantesque, les jeux d’esprit, les faux brillants du tragique romain et du chantre de César, ne firent qu’en accélérer les progrès ; et le panégyriste de Trajan ne put en éviter la contagion.

Les peuples du nord inondèrent l’Italie. Le siège de l’empire Romain fut transféré à Constantinople. Les arts s’y réfugièrent, et y jetèrent par intervalles quelques faibles lueurs. Le reste de l’Europe fut plongé dans l’ignorance et dans la barbarie. Heureusement les moines s’occupaient, dans leur solitude, à copier des livres, et nous conservèrent ainsi les trésors de l’antiquité. Au milieu de ces ténèbres, les Troubadours, ou poètes Provençaux, firent entendre dans nos Provinces méridionales leurs naïves chansons. Mais le Dante et Pétrarque furent les premiers poètes, qui, en illustrant l’Italie, annoncèrent la renaissance des arts.

Siècle des Médicis.

Quelque temps après, Constantinople tomba sous les efforts de la puissance Ottomane. Des savants de cette ville furent appelés dans les états des Médicis qui régnaient à Florence, et qui occupaient le trône de l’Église. Comblés des bienfaits de ces souverains, ils enseignèrent publiquement les langues anciennes ; et un des Lascaris, de la famille des empereurs de Nicée, ne dédaigna pas d’ouvrir une école de grammaire latine et grecque. Les chefs-d’œuvre de Rome et d’Athènes furent alors reproduits avec des commentaires, qui en découvraient les beautés. Une foule de poètes, d’orateurs, et d’historiens, firent revivre dans leurs belles productions la langue des anciens Romains. Érasme, le fléau du mauvais goût de son temps ; Vida, critique habile, et poète immortel ; Sadolet, Budé, Perpinien, Mariana, ce digne émule de Tacite, et mille autres savants illustres ouvrirent les sources de la bonne littérature.

L’Italie fut l’heureuse contrée, où les lettres et les arts fleurirent avec le plus d’éclat. Machiavel se distingua par la profondeur de son génie, et par l’élégance de sa diction. Guichardin excella dans le genre de l’histoire. L’Arioste enrichit sa patrie d’un poème admirable. Le Trissin fit luire dans l’épopée l’aurore du bon goût ; et le Tasse suivit d’un pas ferme et rapide les traces d’Homère et de Virgile.

En Portugal, le Camoëns cultiva la poésie épique avec de grands succès. En Angleterre, Shakespeare offrit dans ses poèmes tragiques, un mélange de beautés sublimes et de défauts monstrueux. En France, Marot charmait les esprits par ses poésies pleines d’enjouement et de naïveté ; de Thou crayonnait dans la langue des Césars les malheurs de son siècle, lorsque parurent Pibrac, Montaigne 1 et Charron. Mais ces hommes de génie ne connurent point tous les agréments, dont notre langue était susceptible. Bientôt Malherbe les déploya dans une poésie noble, harmonieuse, énergique ; et après lui, Balzac donna du nombre, de la cadence et de la grâce au discours.

Siècle de Louis XIV.

Le feu des guerres civiles embrasait la France. Richelieu, après avoir pacifié le royaume, établissait la balance de l’Europe, lorsque le grand Corneille, père de notre Théâtre, créa une tragédie nouvelle, et partagea le laurier de Sophocle. Patru, le Maistre, et Gautier commençaient alors à introduire la vraie éloquence dans le barreau. Louis XIV monta sur le trône ; et bientôt il se fit une révolution étonnante dans le gouvernement, l’esprit, et les mœurs de tous les peuples de l’Europe.

Tandis que Milton publiait en Angleterre son poète épique, on vit éclore parmi nous des prodiges, des chefs-d’œuvre en tous les genres. Ce siècle des lumières et du vrai goût n’eut presque rien à envier aux beaux siècles d’Alexandre, d’Auguste et des Médicis. La Rochefoucauld fit un portrait achevé du cœur de l’homme. Molière enleva le sceptre de la comédie aux Grecs et aux Latins, et le laissa entre les mains de Regnard. La Fontaine, supérieur à Ésope et à Phèdre, montra l’apologue avec toute la perfection, imaginable. Pascal fit éclater dans ses divers écrits le génie le plus pénétrant, le plus sublime et le plus vigoureux. Bourdaloue, Bossuet, Massillon, Fléchier, donnèrent à l’éloquence sacrée autant de force, d’agréments et de majesté, que Démosthène et Cicéron en avaient donné à l’éloquence profane. Boileau suivit de près Horace, et laissa derrière lui Perse et Juvénal. Madame Deshoulières offrit dans ses Idylles de vrais modèles de poésies bucoliques. Racine se montra le digne rival d’Euripide. Quinault 2 créa et perfectionna le spectacle lyrique. La Bruyère égala Théophraste. Fénelon 3 étala dans une poésie non rimée tout le merveilleux de l’épopée. L’éloquent Bossuet, d’Orléans, et après eux Vertot, manièrent avec le plus grand succès lest pinceaux de l’histoire.

Au commencement du siècle dernier, d’Aguesseau, Cochin, et Normant furent par leur éloquence, les lumières du barreau D’Avrigny, Rollin et Bougeant se distinguèrent dans le genre historique. Rousseau tira de la lyre des sons qu’Horace et Pindare n’eussent point désavoués. Destouches et Piron produisirent des chefs-d’œuvre dignes de Molière ; Crébillon eut la gloire de balancer Eschyle ; et Voltaire, incomparable dans les poésies légères, à qui notre scène doit une partie de ses richesses, fit d’heureux efforts pour atteindre à la couronne épique.

Tels sont les grands hommes, qui ont illustré, dans les divers genres de littérature les quatre fameux siècles, qu’on appelle, par excellence, les siècles des arts. Revenons aux productions littéraires.