(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Racan. (1589-1670.) » pp. 165-168
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(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Racan. (1589-1670.) » pp. 165-168

Racan.
(1589-1670.)

[Notice]

Quoiqu’il fût le disciple, et même le disciple chéri de Malherbe Racan fut très-loin de lui ressembler. Il n’est pas rare que des humeurs fort diverses se rapprochent et que leurs dissemblances soient comme des liens qui les unissent1. Par la facilité et le charme naïf, Racan, né en 1589 à la Roche-Racan, en Touraine, page dès sa plus tendre jeunesse et qui porta les armes beaucoup d’années2, se rattachait à Marot. Mais la discipline de Malherbe lui fut fort utile : en le contraignant à s’observer un peu, elle nous valut quelques belles pièces qui ont fait vivre son nom. Il a surtout réussi en chantant, comme le dit l’Art poétique, « Philis, les bergers et les bois ». Devancier de la Fontaine, il a trouvé d’heureux accents pour exprimer le charme de la solitude3. Son style, élégant et nombreux, malgré ses négligences et ses incorrections trop fréquentes, a cette mollesse gracieuse et cette mélancolie douce qui conviennent au genre de la pastorale, dont Racan est demeuré l’un des modèles. Il a rencontré aussi parfois des inspirations élevées et généreuses : ses odes et même ses psaumes, rarement soutenus dans leur ensemble, offrent du moins des strophes très-remarquables4.

Psaume sur la puissance de Dieu1.

Bien que du Dieu des armées
Tout l’univers soit rempli,
Ce n’est qu’aux champs Idumées2
Qu’il a son trône établi :
De cette demeure sainte
Il marche, et porte la crainte
Au front des plus grands guerriers ;
Et ses puissances suprêmes
Arrachent des diadèmes
Les palmes et les lauriers.
Au seul bruit de son tonnerre
Tremblent la terre et les cieux,
Ces grands appareils de guerre
Disparaissent de nos yeux ;
Le fier tyran d’Assyrie3
Change en terreur sa furie :
Il nous demande la paix,
Voyant sans tirer l’épée
Sa phalange dissipée
Et ses escadrons défaits.
Tels que du haut des montagnes
Roulent à larges bouillons
Les flots qui dans les campagnes
Aplanissent les sillons :
Tel de dessus l’hémisphère
Dieu descendant en colère
Aux méchants ôte le cœur,
Et de piques émoussées,
Sur les écus entassées,
Dresse un trophée au vainqueur.
Il rend leur nombre inutile,
Et sans courage et sans bras,
Fait de leur main immobile
Tomber les armes à bas ;
De ces légions impies
Les fureurs sont assoupies
Dans un morne étonnement ;
Et leurs bataillons superbes
Sont étendus sur les herbes
Sans force et sans mouvement…

Les Bergeries1.

(Fragment.)

Acte I, Scène III.

Un vieillard reproche à sa fille le goût frivole qu’elle éprouve pour un jeune désœuvré, au lieu de consentir à prendre un époux sensé et laborieux.

Silène (père d’Arténice), Arténice.

Silène.

Tous ces jeunes bergers, si beaux et si chéris,
Sont meilleurs pour amants qu’ils ne sont pour maris.
Ils n’ont aucun arrêt : ce sont esprits volages,
Qui souvent sont tout gris avant que d’être sages ;
Et doit-on souhaiter, pour leur utilité,
De voir finir leur vie avecque leur beauté :
Semblables à ces fleurs dont Vénus se couronne,
De qui jamais les fruits n’enrichissent l’automne
Oubliez, oubliez l’amour de ce berger,
Et prenez en son lieu quelque bon ménager,
De qui la façon mâle, à vos yeux moins gentille,
Témoigne un esprit mûr à régir sa famille,
Et dont la main robuste au métier de Cérès
Fasse ployer le soc en fendant les guérets.
Vous êtes grande assez, vous devriez1 être sage,
Et plutôt projeter quelque bon mariage,
Que de vous amuser à ces folles amours.

Arténice.

Mon père, à quelle fin tendent tous ces discours ?
Si je vois Alcidas, en dois-je être blâmée ?
Ce n’est ni pour l’aimer, ni pour en être aimée ;
Je n’ai point fait dessein d’en faire mon époux.
Je ne veux point avoir d’autre mari que vous :
Tandis2 que vous aurez mon service agréable,
Ce me sera, mon père, un bien inestimable
De mûrir avec vous la fleur de mon printemps
Avant que d’en partir3.

Silène.

C’est comme je l’entends ;
Et, certes, le seul bien auquel je veux prétendre,
Est qu’avant mon trépas vous me donniez un gendre,
Dont le bon naturel, me venant à propos4,
Me donne le moyen de mourir en repos.
Je n’aurai plus regret de lui céder la place,
Quand je verrai mon sang revivre en votre race.
Je crois que Lycidas serait bien votre fait :
La fortune lui rit, tout lui vient à souhait ;
De vingt paires de bœufs il sillonne la plaine,
Tous les ans ses acquêts augmentent son domaine ;
Dans les champs d’alentour on ne voit aujourd’hui
Que chèvres et brebis qui sortent de chez lui ;
Sa maison se fait voir par-dessus le village,
Comme fait un grand chêne au-dessus d’un bocage ;
Et sais5 que de tout temps son inclination
Vous a donné ses vœux et son affection.