(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Guizot Né en 1787 » pp. 247-250
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Première partie. Prose — Guizot Né en 1787 » pp. 247-250

Guizot
Né en 1787

[Notice]

Voici comment M. Augustin Thierry juge l’œuvre historique de M. Guizot : « C’est le plus vaste monument qui ait été exécuté sur les origines, le fonds et la suite de l’histoire de France. L’ensemble en est imposant. Ses travaux sont devenus le fondement le plus solide, le plus fidèle miroir de la science moderne. Avant lui, Montesquieu seul excepté, il n’y avait eu que des systèmes. C’est de lui que date l’ère de la science proprement dite. » — La profondeur et la gravité des maximes, l’éloquence des vues supérieures, l’art magistral de classer les idées, de les faire manœuvrer avec puissance et précision, l’autorité qui domine un sujet, et juge de haut toutes les questions : tels sont les mérites éminents de ce grand esprit qui aborda l’histoire en homme d’État, prédestiné aux luttes et aux triomphes de la parole. Son style a les qualités ardentes et fortes que l’orateur confère et communique à l’écrivain. C’est un de ces penseurs qui laissent une trace ineffaçable.

L’enfance et la vieillesse

Après l’enfance, ce que je connais de plus intéressant au monde, c’est la vieillesse : il y a dans la faiblesse de ces deux âges, dans les espérances que donne l’un, dans les souvenirs que laisse l’autre, quelque chose de profondément touchant qui pénètre l’âme d’un sentiment de bienveillance que la sécheresse et la légèreté peuvent seules méconnaître. La vie semble prendre dès le berceau, et au bord de la tombe, un caractère attendrissant et respectable pour ceux même qu’aucune relation personnelle ne lie à l’enfant qui y entre, ou au vieillard qui en sort. Que sera-ce lorsque les nœuds du sang, de la reconnaissance, de l’habitude, s’uniront pour changer en affection et en devoirs cet intérêt naturel que les premiers et les derniers jours de l’homme sont en possession de nous inspirer1 ?

(Méditations et études morales.)

L’amour-propre chez l’enfant

L’amour-propre mécontent est très-difficile à manier. Dans les caractères actifs et susceptibles, il est toujours tenté de croire à l’injustice, ou de se tourner en dépit et en envie ; dans les caractères mous et faibles, il amène l’insouciance et le découragement : l’humilier, c’est l’aigrir ou l’abattre1 ; on se tromperait fort si l’on croyait exercer par là une honte salutaire ; l’humiliation est toujours funeste à l’honneur : ou bien elle le blesse si vivement qu’il se révolte, ou bien elle le frappe si rudement qu’elle l’atterre2, et ôte la force de nous aider à nous relever. Quel sentiment veut-on inspirer à l’enfant qui a mal fait ? Le besoin de faire mieux à l’avenir, si je ne me trompe ; il ne s’agit ni de le rendre malheureux d’un tort irréparable, ni de l’accabler sous le poids des regrets : il faut associer pour lui à l’idée de sa faute un vif désir de la réparer, et la certitude qu’il y parviendra, s’il le veut. Il faut que l’état de honte soit pour lui un état peu fréquent, peu prolongé, insupportable, et qu’il voie aussitôt par où il pourra en sortir : c’est ce que ne produit point l’humiliation ; elle s’accoutume à elle-même ; l’amour-propre, pour échapper à des émotions trop pénibles, se réfugie dans l’apathie ou dans l’insolence ; et les reproches, les sermons, les châtiments, au lieu de faire naître un repentir efficace, n’amènent qu’une lâche tristesse, ou une indifférence funeste3.

(Des moyens d’éducation, Ed. Didier.)

Conseils à la jeunesse 1

Jeunes élèves,

Au milieu des agitations publiques, vous avez vécu tranquilles et studieux, renfermant dans l’enceinte de nos écoles vos pensées comme vos travaux, uniquement occupés de vous former à l’intelligence et au goût du beau et du vrai.

Je vous en félicite, et je vous en loue. Le monde vous appartiendra un jour ; mais gardez-vous de vous associer, avant le temps, à ses intérêts et à ses passions. Votre âme s’énerverait, votre esprit s’abaisserait dans ce contact prématuré. Vous vivez, au sein de nos écoles, dans une région élevée et sereine, où l’élite seule de l’humanité vous entoure et vous parle. Le temps présent est toujours chargé des misères de notre nature ; le passé nous transmet surtout ce qu’elle a de noble et de fort, car c’est ce qui résiste à l’épreuve des siècles. Les idées hautes, les actions mémorables, les chefs-d’œuvre, les grands hommes, c’est là votre société familière. Vivez, vivez longtemps au milieu d’elle ; consacrez-lui avec affection cette ardeur que n’altèrent point encore les intérêts agités de la vie. Ainsi, vous vous préparez au devoir social qui vous attend.

Ce devoir difficile veut des esprits fiers et modestes, sentant leur dignité, et n’ignorant pas leur faiblesse. Nous avons vécu dans des temps pleins à la fois de passion et d’incertitude, qui ont exalté et confondu sans mesure l’ambition humaine, où l’âme de l’homme a été troublée aussi profondément que la société. Nous en sommes sortis travaillés de maladies contraires, enivrés d’orgueil et vaincus par le doute, offrant tour à tour le spectacle de l’emportement des désirs, et de la mollesse de la volonté. Ce sera votre tâche de lutter contre ce double mal, de retrouver pour vous-mêmes, et de répandre autour de vous des convictions fermes avec des désirs modérés, de la tempérance et de l’énergie. Il faudra que la société apprenne de vous à régler ses prétentions sans abandonner ses généreuses espérances. Vous aurez à contenir et à relever en même temps l’esprit humain, encore superbe et pourtant abattu.

J’espère, messieurs, qu’il vous sera donné de faire à notre chère patrie ce bien immense. Mais, pour vous en rendre dignes et capables, écartez de votre pensée les préoccupations étrangères ; concentrez vos forces sur l’étude profonde et désintéressée. L’étude poursuivie avec sincérité élève et purifie le cœur, en même temps qu’elle enrichit et arme l’esprit pour toutes les carrières de la vie. L’étude donne à l’enfance même ces habitudes sérieuses qui feront, dans l’âge viril, la dignité et la puissance.

La sérénité

Je serais surpris, monsieur, si le cours des années, et les enseignements de la vie ne produisaient pas sur vous le même effet que j’ai éprouvé. Plus j’ai pénétré dans l’intelligence et dans l’expérience des choses, des hommes et de moi-même, plus j’ai senti en même temps mes convictions générales s’affermir, et mes impressions personnelles se calmer et s’adoucir. L’équité, je ne veux pas dire la tolérance, envers la foi religieuse ou politique des autres, est venue prendre place et grandir à côté de ma tranquillité dans ma propre foi. C’est la jeunesse, ce sont ses ignorances naturelles et ses préoccupations passionnées qui nous rendent exclusifs et âpres dans nos jugements sur autrui. A mesure que je me détache de moi-même, et que le temps m’emporte loin de nos combats, j’entre sans effort dans une appréciation sereine et douce des idées et des sentiments qui ne sont pas les miens. Vous le savez, monsieur, il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, a dit Notre-Seigneur Jésus-Christ ; il y a aussi plusieurs routes ici-bas pour les gens de bien, à travers les difficultés et les obscurités de la vie, et ils peuvent se réunir au terme sans s’être vus au départ, ni rencontrés en chemin1.