(1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Deuxième partie. Rhétorique. — Chapitre V. — De l’Action »
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(1859) Principes de composition française et de rhétorique. Vol. I « Deuxième partie. Rhétorique. — Chapitre V. — De l’Action »

Chapitre V. — De l’Action

Cicéron dit que l’Action est l’éloquence du corps. Nous dirons, pour ne pas répéter Cicéron que l’action est l’art de débiter un discours d’une manière agréable et persuasive.

L’action a trois parties : la Prononciation, le Geste et la Mémoire.

§ I. Prononciation

Une belle prononciation est la première qualité que doit avoir celui qui se destine à parler en public.

C’est la nature qui nous donne la voix, cet organe précieux qui sait pénétrer jusqu’au fond du cœur de nos semblables et y porter la joie, la douleur, en un mot toutes les émotions possibles. Elle est susceptible d’être développée, perfectionnée par le travail, et l’histoire de Démosthène peut nous enseigner comment, à force de persévérance, la voix peut surmonter bien des obstacles.

La Prononciation doit être :

Claire et distincte ;

Réglée ;

Variée.

La Prononciation sera claire et distincte si l’on fait entendre distinctement toutes les syllabes de chaque mot ; si on les prononce suivant leur véritable quantité sans cependant y mettre aucune affectation ; si l’on a soin que les finales des mots ne soient pas perdues pour les auditeurs, sans toutefois appuyer sur les voyelles ou les consonnes qui doivent rester muettes. Il faut éviter surtout les accents provinciaux qui sont autant d’obstacles à la belle prononciation française, à la diction de la bonne compagnie de la capitale.

La seconde qualité de la Prononciation, c’est d’être réglée, c’est-à-dire ni trop haute, ni trop basse, ni trop rapide, ni trop lente. Lorsqu’elle est trop haute, elle fatigue les oreilles ; trop basse, les paroles sont confuses et les auditeurs font des efforts pour saisir le sens du discours ; trop rapide, elle ne laisse point le temps de comprendre ; trop lente, elle fait bâiller et endort.

La troisième qualité de la Prononciation est la variété. Cette qualité consiste dans les diverses inflexions de la voix, c’est-à-dire qu’il faut que la prononciation soit d’accord avec le sentiment que l’on exprime.

Cicéron, dans son livre de l’Orateur, nous recommande ainsi cette dernière qualité :

« Chaque passion, chaque affection a son expression naturelle, sa physionomie, son accent. Les sons de la voix répondent, comme les cordes d’un instrument, à la passion qui les touche et les met en mouvement. Il y a un ton, un accent pour la colère, et cet accent doit être vif, prompt et coupé ; il y en a un autre pour la douleur et la plainte : il est touchant, égal, mêlé de quelques interruptions, accompagné de gémissements ; un autre encore pour la crainte, humble, hésitant, bas et faible le ton de la violence est pressant, véhément, menaçant, impétueux ; l’accent du plaisir est doux, tendre, plein d’abandon ; le chagrin qui ne cherche point à inspirer la pitié, prend un ton grave, sombre, uniforme. »

Telles sont les recommandations générales de Cicéron qui nous semblent fort utiles aux lecteurs ou aux orateurs qui ne veulent point affecter désagréablement leur auditoire par une prononciation froide ou monotone.

§ II. Le Geste

Le Geste est l’expression des pensées par les mouvements du corps.

Lorsqu’on réfléchit, on est étonné de voir combien les mouvements du corps ont de rapports avec ceux de l’âme. Comment ne pas admirer les muets qui, à défaut de la parole, savent si bien exprimer leurs sentiments par des gestes ?

Le geste qui interprète si admirablement nos sentiments comprend le jeu de la physionomie, les attitudes du corps, les mouvements de la tête, des bras et des mains.

La Physionomie

Si la physionomie n’était pas expressive, dirions-nous si fréquemment que nous lisons sur la figure, que la physionomie trahit notre langage ? C’est donc elle qui exprime la gaieté ou la tristesse, l’abattement ou l’espoir, l’orgueil, la menace ou la prière, l’enthousiasme ou l’indignation.

Les Yeux

La partie dominante dans la physionomie, ce sont les Yeux. C’est par eux que notre âme se manifeste ; la joie les fait briller, la tristesse les obscurcit comme d’un nuage. « Ajoutez, dit Quintilien, que la nature leur a donné des larmes, qui s’ouvrent impétueusement un passage dans la douleur et coulent doucement dans la joie : ils ont un grand pouvoir quand ils sont immobiles, ils en ont bien davantage quand ils sont en mouvement. Alors ils sont ardents et lancent des flammes dans la colère ; ils sont terribles, foudroyants dans la menace, égarés dans la frayeur, élevés dans l’admiration et baissés dans la bonté. »

La Tête

Selon Quintilien les divers mouvements de la tête expriment aussi avec justesse les différentes pensées. Élevée, elle admire et contemple ; tournée vers la gauche ou vers la droite, elle craint, elle s’indigne, elle refuse, elle rejette, elle méprise ; médiocrement inclinée, elle compatit, elle prie, elle conjure, elle sollicite ; ferme et immobile, elle affirme, elle exhorte, elle confond.

Mais ce qui domine principalement dans cette partie, c’est le Visage. Tout vient s’y peindre. Il menace, il caresse, il supplie, il est triste, il est gai, il est fier, il est humble ; il témoigne aux uns de l’amitié, aux autres de l’aversion. Il en dit souvent plus que le discours le plus éloquent.

Les mouvements du corps et des mains doivent seconder les sentiments de l’âme. L’action doit eu être tantôt vive, animée, et tantôt tranquille ; tantôt même cesser absolument, lorsque le discours est calme, ou dans l’extrémité contraire, lorsque la passion est portée au plus haut point.

C’est cette inégalité de gestes, cette variété d’inflexions de la voix, cette mobilité du visage et de la physionomie qui sont, pour l’orateur qui sait en faire usage, autant d’auxiliaires puissants pour son éloquence. Nous n’avons point parlé des défauts à, éviter : ils sont si nombreux ! Toutefois, si l’on veut avoir de bons conseils sur ce sujet, nous renvoyons à la lecture d’un poème sur le Geste, que nous devons au P. Sanlecque : il fut publié au milieu du xviie  siècle.

§ III. La Mémoire

La Mémoire est un précieux don de la nature : c’est une des qualités les plus indispensables à l’orateur pour bien prononcer son discours. Sans elle, l’action n’a plus aucun intérêt : l’orateur qui lit son œuvre ne possède plus ni expression ni mouvement dans sa personne : il est complètement paralysé par les feuilles de papier qu’il tient à la main. « Lire un discours, dit le célèbre d’Aguesseau, c’est lui ôter vie. » L’orateur qui aspire aux grands effets de la parole, qui se flatte d’entraîner, de convaincre son auditoire, ne peut espérer de réussir s’il est aux prises avec un manuscrit ; le bras qui est occupé à, tenir les malencontreuses feuilles reste toujours immobile ; les yeux sont certainement fixés sur le même point, et la voix elle-même se ressent de cette gêne, qui empêche que les mouvements de l’orateur ne prennent leur essor.

On demandait un jour à un grand prédicateur, le P. Massillon, quel était son meilleur sermon : « C’est celui que je sais le mieux, répondit-il. » Et effectivement, la mémoire s’embarrasse-t-elle au milieu du plus beau discours, au milieu d’un passage éloquent, l’orateur devient un tourment pour son auditoire ; tandis qu’une mémoire sûre d’elle-même débite des choses ordinaires, mais avec assurance, avec aisance, et tous les auditeurs admirent des paroles qui paraissent couler de source.

Exercez donc votre mémoire ; vous l’augmenterez et vous l’améliorerez : c’est un fonds de terre très fertile ; plus il est cultivé, plus il donne de fruits à son heureux propriétaire.