(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Lebrun Né en 1785 » pp. 498-505
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Lebrun Né en 1785 » pp. 498-505

Lebrun
Né en 1785

[Notice]

Né sous Louis XVI, fêté par les pères de nos pères, académicien et sénateur, M. Lebrun n’est pas un de ces violents qui ravissent le royaume des cieux, ou entrent triomphalement dans le temple de Mémoire ; mais sa muse n’a donné que de bons exemples. Il commença par chanter les fastes de l’empire dans des hymnes où tressaille l’accent de son émotion patriotique, et de sa reconnaissance personnelle. Toutefois, à ces bulletins de la grande armée, je préfère les rêveries mélancoliques, et les peintures gracieuses que lui inspirèrent les ombrages de Tancarville, lorsqu’une sinécure administrative le déroba aux menaces de la conscription, et lui permit de studieux loisirs. Après 1815, il fit pressentir les Messéniennes de Casimir Delavigne en des odes où l’opinion reconnut sa voix. Si le public applaudit surtout sa tragédie de Marie Stuart, c’est que la popularité va de préférence aux œuvres de théâtre ; car ses autres pages ne sont pas moins dignes d’attention. Il rappelle de loin Racine par la discrétion des images, la noblesse de l’expression, la pureté soutenue, l’aisance et la mélodie d’un style où nul mot ne détonne ; il eut aussi soif des sources inconnues. Poëte de transition, il clôt une époque, et en prépare une autre. Il y a du crépuscule dans sa sereine lumière : ses lueurs tempérées firent pressentir les astres brillants qui allaient se lever à l’horizon1.

Le bonheur de l’étude

Oh ! qui m’emportera sous un ombrage épais ?
Qui me rendra des eaux le cours limpide et frais ?
Qui peindra des grands bois le studieux silence,
La liberté des champs et leur indépendance,
Et les prés pleins de fleurs, et le petit chemin
Qu’on suit, entre les blés, son Horace à la main ?
Plaisirs des dieux ! surtout si, dans la solitude,
L’amitié quelquefois vient se joindre à l’étude ;
Si de leur double ivresse on goûte les douceurs,
Et si le même mot fait tressaillir deux cœurs.
Il est doux de jouir dans un autre soi-même,
Et des lieux qu’on préfère, et des livres qu’on aime.
Chaque abeille2 à la ruche apporte son trésor,
L’étude à l’amitié3 semble ajouter encor.
Heureux, qui dès le temps de son adolescence,
A connu cette ivresse, en abreuva son cœur !
Le vase, qui d’abord d’une pure liqueur
A rempli son argile encor vierge et nouvelle,
A son premier parfum il restera fidèle4 ;
Car l’homme dont l’étude eut d’abord les amours,
De son premier penchant se ressouvient toujours.
Soyez bénis cent fois, lieux où notre jeune âge,
Tendre et docile encore, en fit l’apprentissage !
Combien mes souvenirs vous sont restés amis,
Royaumes de l’étude ! ô regrettés pays,
Dont le peuple, aux yeux vifs, aux fronts purs et limpides
Toujours jeune et joyeux, ne connaît pas les rides !
Tout ce qui m’y ramène est aimable à mes yeux,
Tout, jusqu’au souvenir du maître sérieux
Dont les sourcils, vers nous levés, toujours sévères,
S’abaissaient adoucis en présence des mères.
Je me rappelle encor, non sans ravissement,
La classe, son travail, son silence charmant.
Je tressaille en songeant aux paisibles soirées,
Sous les regards du maître, au devoir consacrées,
Quand, devant le pupitre en silence inclinés,
Nous n’entendions parfois, de nous-même étonnés,
Que, d’instant en instant, quelques pages froissées ;
Ou l’insensible bruit des plumes empressées,
Qui, toutes à l’envi courant sur le papier,
De leur léger murmure enchantaient l’écolier.
O jeunesse ! ô plaisirs ! jours passés comme un songe1 !

Le retour a tancarville

A mon émotion, je sens que j’en approche.
Tancarville2 et ses tours, Pierre-Gante et sa roche
Sont là. J’ai reconnu cet air si vif des bois,
Qu’avec tant de plaisir j’aspirais autrefois ;
Le long frémissement qui court sous les ombrages,
Semblable au bruit sans fin qui montait des rivages,
Et cette odeur de mousse et de feuilles dans l’air,
Et les pommiers penchés par le vent de la mer.
Ne me conduisez pas : j’en sais toutes les routes ;
Parmi ces bois grandis, je les retrouve toutes ;
J’irais, fermant les yeux, et, si rien n’est changé,
Au bout du chemin creux de hêtres ombragé,
Le château va paraître. Oh ! de quelle âme émue
J’ai revu, j’ai monté cette antique avenue
Qui s’élève, en tournant, sous ses larges noyers,
Jusqu’aux tours du portail, où nichaient les ramiers !
Arrêtons. Respirons. Presque tremblant, je sonne ;
La cloche au son connu jusqu’en mon sein résonne.
La vaste porte, ouvrant ses battants vermoulus,
Me demande mon nom, et ne me connaît plus1.
Hélas ! je ne suis pas un de vos anciens maîtres
Qui vient redemander le toit de ses ancêtres2 ;
Je ne suis pas un fils trente ans déshérité
Qui rentre dans le lieu par sa race habité ;
Je ne réclame pas le château de mes pères.
Non, mais de ma jeunesse et de mes jours prospères
Je viens chercher la trace et les chers souvenirs.
Ouvrez-vous, lieux témoins de mes plus doux loisirs,
Reconnaissez la voix d’un compagnon fidèle ;
C’est moi ! c’est votre ami, qui frappe et vous appelle.
Lorsque de la vallée, ou du bourg ou des bois,
Le soir, dans le château, je rentrais autrefois,
De quel empressement l’agreste châtelaine
Accourait à l’appel de la cloche lointaine !
Et de quels bonds joyeux, accourant à son tour,
Le chien qui la suivait accueillait mon retour3 !
D’un air indifférent une femme est venue,
Du château, maintenant, habitante inconnue ;
Et, comme un étranger qui, passant, curieux,
Pour la première fois visiterait ces lieux,
M’introduit dans l’enceinte, hélas ! qui fut la mienne,
Me nomme chaque tour dont elle est gardienne,
Me montre ces débris, pour moi si familiers,
La salle et l’écusson des anciens chevaliers,
La pierre qui, du haut des pentes ruinées,
Paraît prête à tomber depuis quarante années ;
Le manteau du foyer qui, de lierres tendu,
Dans l’air, comme un balcon, demeure suspendu,
Et, près du mur croulant où pendent quelques treilles,
Le jardin où jadis bourdonnaient mes abeilles.
Parmi tous ces débris, où j’ai souvent erré,
Où j’ai joué, souffert, aimé, rêvé, pleuré,
Mon heureuse jeunesse, en vingt lieux dispersée
Soudain de toutes parts remonte à ma pensée1.
J’éprouve, pour courir vers tout ce que je vois,
Une force inconnue à mes jours d’autrefois.
Il me semble en mon sein sentir battre des ailes ;
Un air intérieur me soulève avec elles,
Me porte, et je m’envole à chaque lieu connu,
Léger comme un oiseau vers son nid revenu.
Ah ! se peut-il qu’un lieu, quelque cher qu’il puisse être,
De l’âme tout entière ainsi devienne maître !
C’est qu’un temps regretté vous est en lui rendu ;
C’est qu’on retrouve alors tout ce qu’on a perdu :
Le passé, la jeunesse, hélas ! et tant de songes
Qu’on fit en d’autres jours. Illusions, mensonges.
Qu’importe ! On fut heureux. Le cœur se reconnaît,
Et l’homme tout entier quelques instants renaît,
Soudain jeune, en voyant quelque pierre oubliée
Où d’un ancien bonheur la mémoire est liée,
Quelque nom, que sa main sur le hêtre a gravé,
Et que mieux que son cœur l’écorce a conservé.
Mais cette tour de l’aigle, autrefois tant aimée,
Où la muse avec moi si souvent enfermée,
Loin de tous les regards et loin de tous les bruits,
Me livra tant de jours et de fécondes nuits2 ;
Oh ! comment exprimer l’émotion profonde
Que je sentis en moi se gonfler comme une onde,
En montant ses degrés, en rentrant dans ce lieu
Dont Corneille était roi, dont Homère était dieu !
Et quel étonnement alors en moi fit naître
Celle qui m’y guidait, lorsque, sans me connaître,
De moi-même, en l’ouvrant, soudain elle parla,
Et que, me le montrant, elle me dit : Voilà
La chambre que Lebrun a jadis habitée ;
C’est là qu’était son lit dont la trace est restée1 ;
Voyez, on trouve encore au-dessous des arceaux
Les clous du bâton d’or où pendaient ses rideaux.
Devant ce banc de pierre, et de papiers couverte,
Dans l’embrasure était sa table à serge verte ;
A cette place assis il passait tous ses jours ;
On entrait, on sortait, il écrivait toujours.
Ou, lorsque la fraîcheur venait renouvelée,
On le voyait, en bas, le long de la vallée,
De la source, en lisant, suivre seul le chemin,
Comme un prêtre qui va, son bréviaire à la main.
Et moi, sans mouvement, muet à ce langage,
Je me crois un moment un homme d’un autre âge.
Il me semble à sa voix du passé revenir,
Triste et fier à la fois de ce long souvenir ;
Et, suivant son récit dans ma propre mémoire,
Je me laisse, en rêvant, raconter mon histoire,
Comme si de quelque autre on racontait les jours.
Ah ! c’est bien en effet d’un autre ; et, dans son cours,
Sur ma tête blanchie imprimant son passage,
Le temps n’a pas changé seulement mon visage.
(Édition Didier, librairie académique.)

La république de saint-marin

a béranger

Rimini, juillet 1818.
Chansonnier du bon petit roi2,
Ami bien cher, esprit bien sage, Du milieu de mon beau voyage
Mon souvenir vole vers toi.
J’ai, sur la rive Adriatique,
Trouvé ce matin, en rôdant,
Une petite république
Qui de ton roi fait le pendant1.
Voisine de cette rivière
Où César fit son premier pas,
Où debout reste encor la pierre
Qui lui disait : Ne passe pas2.
Cette république ignorée,
Que cherche à peine l’étranger,
Mériterait d’être illustrée
Par les refrains de Béranger.
Plus qu’Yvetot digne d’hommage,
Elle, pauvre et libre à la fois,
A, douze siècles, d’âge en âge,
Conservé ses mœurs et ses lois.
D’Yvetot j’aime le royaume ;
J’en fus un jour le contrôleur ;
J’ai hanté ses palais de chaume,
J’ai chanté ses pommiers en fleur.
Mais son ciel est triste et s’ennuie ;
Mais point de vin, même point d’eau,
Si ce n’est celle de la pluie
Qui verdit au fond d’un tonneau.
Ici, le soleil sur ma tête
Rit sans cesse dans un ciel pur,
Où la lumière sur l’azur
Verse un air d’éternelle fête.
Combien à la plaine de Caux,
Bien que de verts chemins coupée,
Je préfère avec ses échos
Cette république escarpée !
Un chemin charmant y conduit,
Bordé d’une haie embaumée,
Qui, de grenadiers parsemée,
A ses fleurs voit s’unir leur fruit.
La république tout entière
Est assise sur un rocher,
Et l’on n’en saurait approcher
Sans escalader la frontière.
En la plaçant sur ces sommets,
Aux générations futures
Ses fondateurs ont à jamais
Sauvé le luxe des voitures.
Sans cour, sans garde, sans palais,
Son gouvernement est modeste ;
Trente écus en font tous les frais,
Et les ministres vont en veste.
Une cloche, pour avertir
Et convoquer les assemblées,
S’en va, dans les quatre vallées,
Chez tout le peuple retentir.
Un tel pays rendrait bien vaine
L’ambition d’un conquérant.
Des rochers au bord d’un torrent !
Un héros y perdrait sa peine.
La république a des voisins
Qui n’ont à leur tour rien à prendre,
Et, pressée entre deux ravins,
Où chercherait-elle à s’étendre ?
Heureuse la nécessité
Qui nous condamne à la sagesse,
Et qui de notre petitesse
Nous fait une sécurité1 !
Des révolutions sans nombre,
Des triomphes et des revers,
Ont bouleversé l’univers,
Depuis qu’elle repose à l’ombre.
Je viens de voir le nom d’un roi1
Sur le livre où, selon l’usage,
Chacun ici laisse après soi
Une trace de son passage.
Le roi Louis est un vrai sage,
Et du trône qu’il a quitté
J’aime qu’il vienne faire hommage
A l’humble et pauvre liberté.
Que n’as-tu suivi ton envie !
Que ne t’ai-je pour compagnon !
J’aurais aimé que l’Italie
Près du sien vît aussi ton nom !
Du moins j’ai voulu te décrire
Ce petit peuple qu’en venant
On aborde avec un sourire,
Mais que l’on quitte en s’inclinant.
Béranger, dans son humble histoire,
S’il est quelques sages leçons,
Il mérite sa part de gloire :
Qu’il la trouve dans tes chansons.