(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Malherbe. (1555-1628.) » pp. 160-164
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(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Chefs-d’œuvre de poésie. — Malherbe. (1555-1628.) » pp. 160-164

Malherbe.
(1555-1628.)

[Notice]

Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisait toutes les lois1 :
La rime, au bout des mots assemblés sans mesure,
Tenait lieu d’ornements, de nombre et de césure.
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers, etc.

Bien que l’on ait accusé Boileau d’avoir moins connu l’antiquité française que l’antiquité grecque et latine, ce jugement qu’il a porté sur les débuts de notre poésie paraîtra encore aujourd’hui assez fondé. Dans notre époque, on a pénétré plus avant, non sans intérêt et sans fruit, dans l’étude des premiers monuments du génie français ; mais nul ne contestera sans doute que de Malherbe seulement date notre littérature classique.

Comme Balzac a le premier marqué dans la prose le point de maturité de notre idiome, Malherbe a eu parmi nous l’honneur d’ouvrir pour les vers une ère nouvelle et définitive. Jusque-là des traits heureux de naïveté, de brillants essais, de téméraires hardiesses, avaient fait la gloire de Marot, de du Bellay, de Ronsard : Malherbe inaugura, non plus la poésie de telle province, de telle école, de tel homme, mais la véritable poésie française. Par lui notre domaine littéraire, si agité et si changeant, fut pacifié ; et il y régna en maître absolu. Chose nécessaire aux réformateurs, il joignait à la vigueur du talent celle du caractère. La fierté du gentilhomme, la vivacité impatiente de l’homme d’épée et jusqu’à l’humeur incisive et quelque peu querelleuse du Normand (il était né à Caen vers 1555), tout concourait en lui merveilleusement au succès du rôle dont il se chargea. On l’appelait de son temps le tyran des mots et des syllabes. En réalité il fut le champion du bon sens ; il soumit à la règle, par son exemple non moins que par ses préceptes, des imaginations indociles ; il atteignit dans quelques parties de ses ouvrages une hauteur d’inspiration et une perfection de style qui n’ont pas depuis été surpassées. Mais son principal service fut d’achever l’éducation de notre langue et de la façonner pour l’usage des génies qui illustrèrent notre grand siècle. Par là il prépara l’avénement de Corneille, comme Henri IV celui de Louis XIV1.

A l’ombre d’un ami perdu2.

L’Orne3, comme autrefois, nous reverrait encore,
Ravis de ces pensers que le vulgaire ignore,
Egarer à l’écart nos pas et nos discours,
Et couchés sur les fleurs, comme étoiles semées,
Rendre en si doux ébat les heures consumées,
        Que les soleils nous seraient courts4.
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C’est un point arrêté, que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers1,
La parque également sous la tombe nous serre :
Et les mieux établis au repos de la terre
        N’y sont qu’hôtes et passagers.
Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D’habillements de pourpre et de suite de pages,
Quand le terme est échu, n’allonge point nos jours :
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et, de toutes douleurs, la douleur la plus grande,
        C’est qu’il faut laisser nos amours2.
Depuis que tu n’es plus, la campagne déserte
A dessous3 deux hivers perdu sa robe verte,
Et deux fois le printemps l’a repeinte de fleurs,
Sans que d’aucun discours ma douleur se console,
Et que ni la raison, ni le temps qui s’envole.
        Puisse faire tarir mes pleurs.

A Henri IV victorieux et clément4.

Tel qu’à vagues épandues
Marche un fleuve impérieux5
De qui les neiges fondues
Rendent le cours furieux :
Rien n’est sûr en son rivage,
Ce qu’il treuve6, il le ravage ;
Et traînant comme buissons
Les chênes et leurs racines,
Ote aux campagnes voisines
L’espérance des moissons1.
Tel, et plus épouvantable,
S’en allait ce conquérant,
A son pouvoir indomptable
Sa colère mesurant.
Son front avait une audace
Telle que Mars en la Thrace ;
Et les éclairs de ses yeux
Etaient comme d’un tonnerre
Qui gronde contre la terre
Quand elle a fâché les cieux.
Quelle vaine résistance
A son puissant appareil
N’eût porté la pénitence
Qui suit un mauvais conseil ;
Et vu sa faute bornée
D’une chute infortunée,
Comme la rébellion
Dont la fameuse folie
Fit voir à la Thessalie
Olympe sur Pélion2 !
Voyez comme en son courage,
Quand on se range au devoir,
La pitié calme l’orage
Que l’ire3 a fait émouvoir.
A peine fut réclamée
Sa douceur accoutumée,
Que d’un sentiment humain
Frappé non moins que de charmes4,
Il fit la paix ; et les armes
Lui tombèrent de la main.
Arrière, vaines chimères
De haines et de rancœurs1 ;
Soupçons de choses amères,
Eloignez-vous de nos cœurs.
Loin, bien loin, tristes pensées,
Où nos misères passées
Nous avaient ensevelis.
Sous Henri, c’est ne voir goutte2
Que de révoquer en doute
Le salut des fleurs de lis.
O roi, qui du rang des hommes
T’exceptes par ta bonté,
Roi qui de l’âge où nous sommes
Tout le mal as surmonté ;
Si tes labeurs, d’où la France
A tiré sa délivrance,
Sont écrits avec que foi3,
Qui sera si ridicule
Qu’il ne confesse qu’Hercule
Fut moins Hercule que toi4 ?
De combien de tragédies,
Sans ton assuré secours,
Etaient les trames ourdies
Pour ensanglanter nos jours !
Et qu’aurait fait l’innocence,
Si l’outrageuse licence,
De qui le souverain bien
Est d’opprimer et de nuire,
N’eût trouvé pour la détruire
Un bras fort comme le tien ?
Mon roi, connais ta puissance :
Elle est capable de tout.
Tes desseins n’ont pas naissance
Qu’on en voit déjà le bout ;
Et la fortune, amoureuse
De ta vertu généreuse,
Treuve de si doux appas
A te servir et te plaire,
Que c’est la mettre en colère
Que de ne l’employer pas.
Use de sa bienveillance
Et lui donne ce plaisir,
Qu’elle suive ta vaillance
A quelque nouveau désir.
Où que1 tes bannières aillent,
Quoi que tes armes assaillent,
Il n’est orgueil endurci
Que, brisé comme du verre2,
A tes pieds elle n’atterre,
S’il n’implore ta merci.