Michel de L’Hospital
1505-1573
[Notice]
Né vers 1505, en Auvergne, près d’Aigueperse, Michel de l’Hopital étudia
le droit à Toulouse. « Dès quatre heures du matin, nous dit-il,
on se levait pour la prière ; puis on allait aux écoles jusqu’à onze
heures ; on ne revenait pour discuter les textes ou vérifier les
passages ; et la récréation était de lire Aristophane, les tragiques
grecs, Plaute ou Cicéron. »
Attaché au connétable de
Bourbon, son père avait été un des vassaux fidèles qui le suivirent dans
sa fuite ; aussi fut-il condamné à l’exil et à la perte de ses biens.
Son fils dut le rejoindre en Italie, à Padoue, ville renommée pour son
savoir. Pendant six ans, il y approfondit la jurisprudence. Nommé
auditeur de rote à Rome, ramené à Paris par le patronage du cardinal de
Grammont, il dut à un mariage heureux la charge de conseiller au
Parlement, et le chancelier Olivier le députa comme ambassadeur au
concile de Trente. A son retour, la faveur de Marguerite de Valois, sœur
d’Henri II, lui valut les postes de maître des requêtes et de
surintendant des finances en la chambre des comptes. Son intégrité lui
fit alors plus d’un ennemi ; mais il triompha de ces cabales, et, en
1560, la reine Catherine de Médicis lui confiait la garde des sceaux.
Les chefs de l’État voulaient se couvrir de sa renommée, et se servir de
sa docilité, parmi les querelles religieuses qui éclataient de toutes
parts. Mais son patriotisme et son austérité évitèrent tout périlleux
écueil. Politique habile et ferme, l’Hopital « brida » tout ensemble
l’intolérance et la révolte. Ce fut lui qui, pour éviter l’établissement
d’un tribunal inquisiteur, déféra aux évêques le crime d’hérésie. Il
provoqua l’édit de Saint-Germain, qui contient déjà l’édit de Nantes. Il
fit décider la réunion des États-généraux. Ses conseils de modération
chrétienne eussent sauvé la France s’ils avaient pu être entendus. Mais
les passions furent plus fortes que la sagesse. Le colloque de Poissy
(1561), et le massacre de Vassy (1562) donnèrent le signal de la guerre
civile qu’il voulait prévenir. Il lutta du moins contre les violents,
jusqu’au jour où, se sentant aussi impuissant à faire le bien qu’à
entraver le mal, il rendit avec dignité ces sceaux tenus huit années
avec courage, entre les ambitieuses convoitises de partis également
fanatiques. Il fut suivi dans sa retraite de Vignay par les regrets de
tous les bons citoyens. « Quand cette neige sera fondue, avait-il
dit en montrant sa barbe blanche, il n’y aura plus que de la
boue. »
— La boue fut détrempée de sang. Tandis que sonnait
le tocsin de la Saint-Barthélemy, une troupe armée vint le menacer dans
son asile ; ses serviteurs voulant la repousser, il s’y opposa :
« Si la petite porte ne suffit pas, s’écria-t-il, qu’on
ouvre la grande. »
Il ne
devait pas survivre au crime qu’il avait prévu. Il en mourut de
douleur.
Nul ne justifia mieux cette définition de l’orateur : Vir
bonus dicendi peritus
1. Il fut, selon l’expression de
Montaigne, « une de ces belles âmes frappées à l’antique
marque »
. — « Sage de nature et de praticque, dit un
contemporain2,
point sévère sinon bien à propos, équitable quand il falloit,
non-point chagrineux et rebarbatif, ni séparé des douces
conversations, entendant les raisons, ni bizarre ni fantastique
comme estoit ce Caton »
, il est de ces personnages dont la
gloire grandit avec la raison publique. Ses Harangues et Mercuriales
honorent le talent comme le caractère du magistrat. — S’il ne réussit
pas à faire tout le bien qu’il voulut, ce sévère gardien de la justice
fut du moins le modèle de toutes les vertus qui sauvent un pays dans les
troubles civils. Il représente l’alliance trop rare de la politique et
de la morale. — Aussi sa renommée juge-t-elle souverainement ceux qui ne
la respecteraient pas.
Les avocats
Vous ne sçauriez veoir rien au monde si impudent, ny si hardy à mettre en avant ung faulx faict et une menterie en plein barreau ; ilz ont des fronts d’acier3, et, n’ayant point d’apprehension de perdre leur honneur, tout leur est indifferent, pourveu que rien ne tourne à leur dommaige. Vous oyrez4 crier, braire et tempester à l’appetit d’une partie hargneuse5 ; vous verrez les langues impures, venales et mercenaires mettre l’honneur des plus vertueux, illustres et grands personnaiges en compromis6, et ce dont je ne me sçaurois assez estonner, ces asnes d’Arcadie à qui les judges debvroient, à toutes les fois qu’ilz s’oublient et s’esmancipent contre la decence de leur robbe, mettre ung mords de bride, et leur fermer la bouche avec une bonne et grave reprimande, ilz les laissent divaguer de maniere qu’il semble à ces effrontez qu’ilz ont faict quelque beau chef-d’œuvre quand ilz ont, dient-ilz, bien lavé la teste7 à ung homme d’honneur, et mettent ceste haulte et sotte vanterie parmy leurs trophées… Et neantmoins ce sont ceulx ordinairement qui ont le plus de praticque1, parce qu’ilz se mettent à tous les jours, à toutes les causes ; et les bons playdeurs2, qui intenteroient ung procez sur la pointe d’une eguille3, les recherchent plus volontairement que les aultres, dont les mœurs sont composees à la prudence et modestie4 : vray ornement d’ung sçavant homme de bien, d’advocat5, lequel, faisant trop6 plus de cas de l’honneur que de gaing, ne soubtient jamais de cause contre sa conscience ; aussy la deffend il avec tant de vigueur, de force et de solides raisons, que l’on recognoist à vue d’œil7 qu’il ne se fonde pour obtenir la victoire que sur la verité et la justice de sa cause. Cestuy cy ne faict rien qu’en faveur et consideration de la vertu et de la justice, et s’employe hardyment pour la deffense et tuition8 de l’innocence opprimée ou que l’on veult opprimer : l’or et l’argent ne luy commandent poinct ; toutes les grandeurs et puissances ne le sçauroient destourner du vray honneur qui ne s’acquiert qu’en bien faisant… Au contraire le brouillon9, avec son ignorance, qui lui faict escorte perpetuelle, estime pure vanité tout l’honneur qui est sans profict et contribution pecuniaire ; n’ayme que playe et bosse, seme des noises10, querelles et procez partout où il se trouve, afin d’avoir de la pratique aux despends de qui que ce soit.
D’ung procez il vous en fera provigner11 et vous en fera naistre une douzaine : aussy il vous fera accroire au commencement que votre affaire n’est rien, que votre cause est sommaire et sans aulcune difficulté, et qu’il vous en fera sortir en une matinée. Mais, s’il vous peult embarquer une fois et tenir en ses pieges, vous n’en sortirez qu’il ne vous ait arraché le plus beau et le meilleur de vostre creditance, ou sa science de chicanner luy fauldra12 au besoing.