(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre XI. Poésies fugitives. »
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(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre XI. Poésies fugitives. »

Chapitre XI.
Poésies fugitives.

On comprend, sous le nom de poésies fugitives, tous ces petits poèmes courts et légers destinés à plaire un moment. Ce sont des pièces de circonstance, des amusements de société, des jeux d’esprit : fleurs légères, qui ont parfois assez de grâce et de parfum pour être conservées. Les Grecs nous en ont laissé un certain nombre que l’on a recueillies sous le titre d’Anthologie.

On peut ranger sous le titre de poésies fugitives les pièces suivantes : le sonnet, la ballade, le rondeau, le triolet, l’épigramme, le madrigal, l’épithalame, l’épitaphe, l’énigme, le logogriphe, la charade, l’acrostiche, les bouts rimés.

§ I. Sonnet.

Le sonnet se compose de quatorze vers, divisés en deux quatrains et deux tercets ; les deux quatrains ont les mêmes rimes, masculines et féminines ; les deux tercets n’ont qu’une rime masculine et deux féminines, ou réciproquement. Le sens est suspendu à la fin de chaque stance ; le même mot ne doit pas reparaître deux fois. Voici, pour exemple, un sonnet d’Auguste Barbier :

Raphaël.

Ce qui donne du prix à l’humaine existence,
Ah ! c’est de la beauté le spectacle éternel.
Rien n’égale en splendeur le destin d’un mortel
Qui peut la contempler dans sa plus pure essence.

Et ce fut là ton sort, bienheureux Raphaël,
Artiste plein d’amour, de grâce et de puissance !
Ton œil noir, de bonne heure attaché sur le ciel,
Y chercha du vrai beau la divine substance.

En vain autour de toi, jeune encore et sans nom,
Le monstre impur du laid, hurlant comme un dragon,
Déroula ses anneaux et ses replis de fange ;

Tu dédaignas ses cris, ses bonds tumultueux,
Et, d’un brodequin d’or foulant son front hideux,
Tu t’élanças vers Dieu comme le grand archange.

§ II. Ballade.

La ballade, asservie à ses vieilles maximes,
Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes. !
Boileau.

La ballade a aussi ses règles sévères : elle renferme trois couplets de huit, de dix ou douze vers, et un envoi avec un refrain, qui doit être le même pour l’envoi que pour les couplets.

Ces trois couplets sont symétriquement égaux, soit par le nombre des vers, soit par la disposition des rimes, qui se répètent toujours les mêmes. Le sens doit être coupé après le quatrième, le cinquième ou le sixième vers de chaque couplet. L’envoi n’est qu’une moitié du couplet : il s’adresse au personnage pour lequel la ballade est écrite ; le refrain doit avoir quelque chose de piquant.

Voici un fragment de ballade adressée par La Fontaine à Fouquet :

Trois fois dix vers, et puis cinq d’ajoutés
Sans point d’abus, c’est ma tâche complète :
Mais le mal est qu’ils ne sont pas comptés ;
Par quelque bout il faut que je m’y mette.
Puis, que jamais ballade je promette !
Dussé-je entrer au fin fond d’une tour,
Nenni, ma foi ! car je suis déjà court ;
Si que je crains que n’ayez rien du nôtre.
Quand il s’agit de mettre une œuvre au jour,

                                 Refrain :
Promettre est un, et tenir est un autre.

Suivent deux couplets exactement semblables au premier, avec le même refrain ; puis l’envoi suivant :

Envoi.

Ô vous, l’honneur de ce mortel séjour,
Ce n’est pas d’hui que ce proverbe court ;
On ne l’a fait de mon temps ni du vôtre :
Trop bien savez qu’en langage de cour
Promettre est un, et tenir est un autre.

Les règles dont nous venons de parler sont celles de l’ancienne ballade française, tombée en désuétude depuis madame Deshoulières et La Fontaine. La ballade allemande à une autre forme et un autre caractère : c’est un petit poème d’un genre capricieux et fantastique, qui, sous une forme presque lyrique, contient ordinairement un récit merveilleux, une légende tragique, un rêve, une tradition populaire. Une des plus connues est la ballade de Léonore, par Bürger. V. Hugo s’est aussi essayé avec succès dans ce genre de ballade.

§ III. Rondeau.

Le rondeau est composé de treize vers roulant sur deux rimes, l’une masculine et l’autre féminine ; il se divise en trois couplets, le premier de cinq, le second de trois, et le dernier de cinq vers. Les premiers mots du rondeau sont répétés comme refrain à la fin du second et du troisième couplet. Voici un rondeau composé par Chapelle pour critiquer Benserade, qui avait eu la malheureuse idée de traduire en rondeaux les Métamorphoses d’Ovide :

À la fontaine où l’on puise cette eau
Qui fait rimer et Racine et Boileau,
Je ne bois point, ou bien je ne bois guère ;
Dans un besoin si j’en avais affaire,
J’en boirais moins que ne fait un moineau.

Je tirerai pourtant de mon cerveau
Plus aisément, s’il le faut, un rondeau,
Que je n’avale un verre plein d’eau claire
           À la fontaine.

De ces rondeaux un livre tout nouveau
À bien des gens n’a pas eu l’art de plaire ;
Mais, quant à moi, j’en trouve tout fort beau,
Papier, dorure, images, caractère :
Hormis les vers qu’il fallait laisser faire
           À La Fontaine.

§ IV. Triolet.

Le triolet est formé de huit vers sur deux rimes : le premier vers doit être répété après le troisième, et les deux premiers après le sixième. En voici un exemple de Scarron :

Il faut désormais filer doux,
Il faut crier miséricorde.
Frondeurs, vous n’êtes que des fous :
Il faut désormais filer doux.
C’est mauvais présage pour vous,
Qu’une fronde n’est qu’une corde :
Il faut désormais filer doux,
Il faut crier miséricorde.

§ V. Épigramme.

L’épigramme, plus libre en son tour plus borné,
N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.
Boileau.

L’épigramme, chez les Grecs, n’était qu’une inscription pour les monuments, les statues et les tombeaux. Telle est l’inscription suivante, sur une statue de l’Amour, que Voltaire a traduite du grec :

Qui que tu sois, voici ton maître :
Il l’est, le fut, ou le doit être.

Depuis, l’épigramme est devenue une pensée fine, ingénieuse, souvent satirique et mordante. L’épigramme en vers a une exposition destinée à amener la pointe ou bon mot qui la termine ; cette pointe doit être un trait d’esprit piquant, quelquefois un jeu de mots. Voici une épigramme de Lebrun qui a le mérite d’être courte et acérée :

Églé, belle et poète, a deux petits travers :
Elle fait son visage, et ne fait pas ses vers.

Le sel de l’épigramme ne doit pas dégénérer en poison. La méchanceté, la calomnie en font quelquefois une arme dangereuse : on ne peut trop blâmer cet abus de l’esprit.

Martial, chez les Latins, s’est distingué dans l’épigramme : en France, on en trouve d’excellentes dans Marot, Boileau, Piron, Voltaire, J.-B. Rousseau, Lebrun.

§ VI. Madrigal.

Le madrigal ressemble assez à l’épigramme, sauf qu’au lieu d’être malin et mordant, il a quelque chose de simple, de délicat, de gracieux dans sa pointe. Tel est le madrigal de Desmarets de Saint-Sorlin sur la violette, inséré dans la Guirlande de Julie, album célèbre, dont le duc de Montausier fit hommage à mademoiselle de Rambouillet :

Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d’ambition, je me cache sous l’herbe ;
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

§ VII. Épithalame.

L’épithalame est une pièce de vers composée à l’occasion d’un mariage ; elle est destinée à louer les nouveaux époux, et à exprimer des vœux pour leur bonheur.

§ VIII. Épitaphe.

L’épitaphe, ou inscription tumulaire, est un trait de louange, quelquefois de morale ou de satire placé sur un tombeau. Celle de La Fontaine, composée par lui-même, est fort connue. Voici celle de notre vieux satirique Regnier, qui la fit aussi lui-même :

J’ai vécu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
À la bonne loi naturelle,
Et si m’étonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi,
Qui ne songeai jamais à elle.

Les petits genres de poésie dont nous venons de parler sont pour la plupart passés de mode ; ils ont été trop souvent le langage du bel esprit prétentieux, de la galanterie raffinée ; c’était la poésie des ruelles ; l’hôtel de Rambouillet se pâmait à la lecture d’une ballade, d’un rondeau, d’un madrigal : la cour et la ville se partageaient en deux camps, à propos des fades sonnets de Job et d’Uranie, par Benserade et par Voiture.

De nos jours, on ne met plus ainsi le sentiment à l’alambic ; mais on se plaît à torturer l’esprit par l’énigme, le logogriphe et la charade, qui font l’amusement des oisifs de salon : on n’y gagne pas grand’chose, sinon peut-être de se croire de l’esprit en cherchant à deviner celui des autres. N’oublions pas que ces bagatelles et ces caprices ne sont plus de la poésie, mais de simples artifices de versification. Si nous en parlons ici, c’est pour être complet, et suivre toutes les variétés de la forme poétique, depuis les plus sublimes conceptions jusqu’aux plus frivoles.

§ IX. Énigme.

L’énigme est la définition ou la description d’une chose en termes vagues et détournés, qui laissent à l’esprit le plaisir de la deviner. Il doit y avoir, dans les différents termes de la définition, une certaine ambiguïté de rapport qui donne le change à l’esprit : cela rend l’énigme à la fois plus embarrassante et plus piquante ; cependant ces rapports doivent paraître justes aussitôt qu’on connaît la chose dont il s’agit. En voici deux exemples :

Quand je suis sous les pieds, je marche sur la tête.

           On m’a souvent pour une obole,
           J’exige des soins assidus :
           Si l’on me perd, on se désole ;
           Si l’on me gagne, on ne m’a plus.

Le mot de la première énigme est clou ; celui de la seconde, procès.

§ X. Logogriphe.

Le logogriphe est une énigme qui donne à deviner * non pas une chose, mais un mot, par la décomposition de ce mot même en letttes ou en syllabes différemment arrangées. Exemple :

Sur quatre pieds, j’entends, et, par trois, je réponds.
                                                                   Ouie, oui.

   Autour de moi quelque soin qu’on se donne,
Pour être plus poli, je n’en suis pas moins dur.
Mais retranchez mon chef, vous aurez, j’en suis sûr,
De mes fleurs au printemps, de mes fruits en automne.
                                                          Marbre, arbre.

§ XI. Charade.

La charade est une énigme où l’on donne à deviner un mot dont on divise les syllabes, quand chacune de ces syllabes forme un mot :

Quoique je porte un nom vulgaire,
Chacun m’estime et me chérit.
Voici pourquoi : mon entier désaltère,
Mon premier chauffe, et mon second nourrit.
                                                         Bois-son.

§ XII. Acrostiche.

L’acrostiche est une petite pièce où chaque vers commence par une des lettres d’un mot ou d’une phrase prises de suite. Ainsi, dans le quatrain suivant, chaque vers commence par une lettre du mot ange :

A…nge qui me protèges,
N…e m’abandonne pas ;
G…arde-moi de tous pièges,
Et suis partout mes pas.

§ XIII. Bouts-rimés.

Les bouts-rimés sont des vers faits sur des rimes imposées d’avance. Voici un sonnet en bouts-rimés composé par Molière sur des rimes données par le prince de Condé :

Que vous m’embarrassez avec votre……. grenouille,
Qui traine à ses talons le doux mot d’…… hypocras !
Je hais des bouts-rimés le puéril…………. fatras,
Et tiens qu’il vaudrait mieux filer une…… quenouille.

La gloire du bel air n’a rien qui me……… chatouille.
Vous m’assommez l’esprit avec un gros…. plâtras ;
Et je tiens heureux ceux qui sont morts à… Coutras,
Voyant tout le papier qu’en sonnets on…… barbouille.

M’accable de rechef la haine du…………… cagot
Plus méchant mille fois que n’est un vieux… magot,
Plutôt qu’un bout-rimé me fasse entrer en…. danse !

Je vous le chante clair comme un ………….. chardonneret ;
Au bout de l’univers je fuis dans une ……… manse.
Adieu ! grand prince, adieu ! Tenez-vous…... guilleret.