(1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Saint François de Sales, 1567-1622 » pp. -
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(1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Saint François de Sales, 1567-1622 » pp. -

Saint François de Sales
1567-1622

[Notice]

Issu d’une ancienne famille de Savoie, né au château de Sales, voué à Dieu par sa pieuse mère, Françoise de Sionas, il fit ses études au collége d’Annecy, sa rhétorique à celui de Clermont, sa philosophie en Sorbonne. Élevé comme un gentilhomme, docteur en droit et en théologie, puis conseiller au sénat de Chambéry, il n’eut qu’une ambition, celle de se consacrer à l’apostolat religieux. Des missions, que suivirent des conversions nombreuses opérées parmi les calvinistes du Chablais, lui valurent en 1596 l’honneur d’être nommé, malgré lui, coadjuteur de l’évêque de Genève, auquel il devait succéder.

La situation de cette pauvre église semblait désespérée, lorsque, se jetant au milieu des infidèles, il réussit à relever la croix dans les baillages recouvrés par le duc de Savoie sur les bords du lac. Ce fut le mérite de son éloquence et de sa vertu.

Vers 1602, il vint prêcher le Carême à Paris dans la chapelle du Louvre, et « ses sermons » eurent tant de retentissement qu’Henri IV voulut, par ses offres séduisantes, fixer en France un prélat dont l’esprit modéré pouvait servir utilement ses projets de pacification. Mais ce fut en vain ; François de Sales aima mieux rester catéchiste populaire dans l’humble diocèse auquel il rendit son unité perdue. Il y mourut à cinquante-cinq ans, consumé par un zèle que sanctifia l’Église.

Son œuvre principale fut l’Introduction à la vie dévole, qui parut en 1608, et ne tarda pas à être traduite dans toute les langues. En un temps où la piété n’avait pas encore en son prédicateur mondain, il en réconcilia les pratiques avec les grâces de la politesse. Son art fut de rendre la religion familière, domestique et accessible à tous les courages. Il fit pour elle ce que Montaigne avait tenté si heureusement pour la morale et la philosophie jusqu’alors renfermées dans les écoles, parmi les docteurs rébarbatifs. Il « emmiella » le vase pour apprivoiser les farouches. Il sema de fleurs la route du salut, qui paraissait être toute hérissée d’épines. Aussi ne cherchez plus dans les œuvres de l’aimable prélat les aspérités de la controverse. C’est par ruse, adresse et patience qu’il s’insinue dans les cœurs ; c’est par la grâce, par la sienne, qu’il captive les esprits. Que de touchantes paraboles, quelle délicatesse d’analyse, quelle science des âmes, que de solidité sous ses légères broderies ! Un air de joie et de divine allégresse anime sa parole. Il y eut en lui de l’Amyot et du Joinville, mais transfigurés par une lumière qui éclaire et réchauffe, parce qu’elle part d’un ardent foyer.

Toutefois, ne dissimulons pas ses défauts. On voit bien qu’il fut contemporain de l’Astrée. Il y a trop de gentillesse dans ce style tout fleuri de métaphores et d’images, du reste simples, cueillies chemin faisant, et naissant pour ainsi dire sous ses pas, sur les bords de son lac transparent, dans sa riante vallée d’Annecy.

Les lettres à Mme de Chantal sont un des plus précieux monuments de l’esprit chrétien au xvii e siècle. Voilà bien l’intime entretien de deux âmes sœurs. Les juger en littérateur serait ne pas comprendre cette suavité toute mystique, cette alliance rare d’imagination et d’onction, cette abondance de cœur, cette charité d’une tendresse qui séraphise, parfois avec une sorte de verve lyrique. L’excès en serait périlleux ; mais sous ces transports on retrouve l’équilibre du bon sens, et l’on aime les ravissements de cette âme où la sainteté fut visible.

La vraie et la fausse gloire

Nous appelons vaine la gloire qu’on se donne ou pour ce qui n’est pas en nous, ou pour ce qui est en nous, mais non pas à nous, ou pour ce qui est en nous et à nous, mais qui ne mérite pas qu’on s’en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grands, l’honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos prédécesseurs, ou en l’estime d’autrui. Il y en a qui se rendent fiers et morgants1, pour être sur un bon cheval, pour avoir un panache2 en leur chapeau, pour être habillé somptueusement : mais qui ne voit cette folie ? car s’il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l’oiseau, pour le tailleur. Et quelle lâcheté de courage3 est-ce d’emprunter son estime d’un cheval, d’une plume, d’un godron4 ? les autres se prisent et regardent pour des moustaches relevées, pour une barbe bien peignée, pour des cheveux crêpés, pour des mains douillettes5, pour savoir danser, jouer, chanter ; mais ne sont-ils pas lâches de courage, de vouloir enchérir6 leur valeur et donner du surcroît à leur réputation pour des choses si frivoles et folâtres ? Les autres pour un peu de science veulent être honorés et respectés du monde, comme si chacun devait aller à l’école chez eux et les tenir pour maîtres : c’est pourquoi on les appelle pédants. Les autres se pavanent sur la considération de leur beauté, et croient que tout le monde les muguette1 : tout cela est extrêmement vain, sot et impertinent : et la gloire qu’on prend de si faibles sujets s’appelle vaine, sotte et frivole.

On connaît le vrai bien comme le vrai baume : on fait l’essai du baume en le distillant dedans l’eau ; car s’il va au fond et qu’il prenne le dessous, il est jugé pour être du plus fin et précieux : ainsi, pour connaître si un homme est vraiment sage, savant, généreux, noble, il faut voir si ses biens tendent à l’humilité, modestie et soumission ; car alors ce seront de vrais biens ; mais s’ils surnagent, et qu’ils veuillent paraître, ce seront des biens d’autant moins véritables qu’ils seront plus apparents2.

Les esprits bien nés ne s’amusent pas à ces menus fatras3 de rang, d’honneur, de salutations, ils ont d’autres choses à faire ; c’est le propre des esprits fainéants. Qui peut avoir des perles, ne se charge pas de coquilles, et ceux qui prétendent à la vertu ne s’empressent point pour les honneurs. Certes, chacun peut entrer en son rang, s’y tenir sans violer l’humilité, pourvu que cela se fasse négligemment et sans contention4. Car comme ceux qui viennent du Pérou, outre l’or et l’argent qu’ils en tirent, apportent encore des singes et des perroquets, parce qu’ils ne leur coûtent guère, et ne chargent pas aussi beaucoup leur navire : ainsi ceux qui prétendent à la vertu ne laissent pas de prendre leurs rangs et les honneurs qui leur sont dus, pourvu toutefois que cela ne leur coûte pas beaucoup de soin et d’attention, et que ce soit sans être chargés de trouble, d’inquiétude, de disputes et contentions.

(Introduction à la vie dévote.)