Mignet
Né en 1796
[Notice]
Né à Aix, en Provence, le 8 mai 1796, lié d’une étroite amitié avec M. Thiers, M. Mignet venait de débuter dans la carrière du barreau, lorsque sa vocation d’historien s’annonça par un mémoire sur les Institutions de saint Louis. Cette dissertation, couronnée par l’Académie des inscriptions en 1822, révélait déjà la fermeté d’un esprit philosophique, des vues élevées, une éloquence nerveuse et substantielle, un style net et vigoureux. Appelé à Paris par ce succès qui fixa l’attention des compagnies savantes, le jeune lauréat fit à l’Athénée un cours sur la réforme et la révolution d’Angleterre. Ces leçons, suivies par un public d’élite, ne furent que le prélude de travaux considérables qui devaient être des événements littéraires. Dans l’Histoire de la Révolution française (1824), comme dans celle de Marie-Stuart (1851), et de Charles Quint (1854), nous admirons l’austérité d’un récit simple et pourtant dramatique, une belle ordonnance, la hauteur des aperçus, des portraits hardis, et la sûreté d’un juge qui domine son sujet.
M. Mignet est le plus établi des historiens. On sait que, nommé à l’Académie française en 1836, il devint secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales en 1839 ; c’est à ce titre qu’il a prononcé de nombreux éloges, qui sont autant de pages accomplies.
L’histoire est chez lui une science et un art. Il donne un sens aux faits, il en cherche les lois, il les explique par leurs causes ; il en surprend le secret dans les intentions des acteurs, dans les passions, les intérêts et les caractères. Nul n’a su mieux lire les papiers d’État et les archives de la diplomatie. Alors même qu’il ne réussit pas à produire l’évidence, il nous dégoûte des récits superficiels.
Mais le souci de l’art fait valoir sa profonde érudition. A des recherches vastes, continues et profondes, il sait allier le talent de composer et d’écrire, l’ordre, la gravité soutenue, le relief de l’expression et l’éclat de la forme. Sa phrase a une régularité savante et une ingénieuse symétrie ; son style a de l’autorité : c’est un modèle de précision et de justesse.
Un paysage
Voulant se fixer en Toscane, Sismondi parcourut à pied les charmantes vallées que forment de ce côté les plis de l’Apennin. Le riche territoire de Pescia, dans le val de Nievole, entre Lucques, Pistoïa et Florence, arrêta ses regards par la beauté et la variété de ses cultures. La verdoyante plaine, arrosée avec un art merveilleux, coupée en champs presque égaux, couverts de blés, de prairies, de jardinages, de vergers, et tout bordés de peupliers, que la vigne enlace de ses rameaux ; les collines étagées, où la terre, retenue par des murailles d’arbres et de gazon, offrait, selon l’exposition de ses pentes, de riantes allées de vignes, de pâles massifs d’oliviers, des bouquets d’orangers et de citronniers ; enfin, les sommets mêmes de ces montagnes couronnées de forêts de châtaigniers et ornés de villages ; tout cet ensemble le remplit d’admiration. Il n’hésita pas à fixer sa famille errante dans ce beau, dans cet industrieux séjour1.
L’histoire est un enseignement
L’histoire est faite pour prouver et pour enseigner, et vous avez raison▶, monsieur, de la croire une science. Les anciens ne l’appelaient la dépositaire des temps que pour la rendre l’institutrice de la vie, et Polybe disait avec profondeur que si elle ne cherchait pas le comment et le pourquoi des événements, elle n’était bonne qu’à amuser l’esprit. C’est par là, en effet, qu’elle montre les fautes suivies de leurs inévitables châtiments, les desseins longuement préparés et sagement accomplis, couronnés de succès infaillibles ; c’est par là qu’elle élève l’âme au récit des choses mémorables, qu’elle fait servir les grands hommes à en former d’autres, qu’elle communique aux générations vivantes l’expérience acquise aux dépens des générations éteintes, qu’elle expose dans ce qui arrive la part de la fortune et celle de l’homme, c’est-à-dire l’action des lois générales et les limites des volontés particulières ; en un mot, monsieur, c’est par là que, devenue, comme vous le désirez, une science avec une méthode exacte et un but moral, elle peut avoir la haute ambition d’expliquer la conduite des peuples et d’éclairer la marche du genre humain 1. (Réponse au discours de réception de M. Flourens.)
Les lettres
Vous êtes un exemple, monsieur, de l’utilité des lettres dans la carrière des affaires. Leur forte culture est devenue plus nécessaire aujourd’hui qu’autrefois, aux hommes publics obligés de faire prévaloir leurs pensées par la parole, et de donner les ◀raisons de leurs actes. N’est-ce pas d’ailleurs grâce à cette culture non interrompue que la France a occupé un si haut rang parmi les États2, a entraîné les autres nations à la suite de ses idées ou de ses entreprises, a produit sans relâche comme sans fatigue tant de brillants génies qui, après lui avoir donné la gloire élevée des lettres et les beaux plaisirs des arts, lui ont encore procuré le solide avantage des lois ?
Sachons continuer, messieurs, l’œuvre de nos devanciers, et ne laissons pas dépérir dans nos mains cet admirable dépôt des lettres fidèlement transmis de génération en génération, et toujours accru depuis trois siècles. N’oublions pas que le jour où les peuples s’enferment avec imprévoyance dans le cercle étroit de leurs intérêts, et où ils aiment mieux soigner leur prospérité matérielle que leur intelligence, ils commencent à déchoir. Un tel sort n’est sans doute pas à craindre pour le pays qui conserve l’amour des nobles études ; qui, après s’être mis à la tête de la civilisation intellectuelle, de l’Europe, sait toujours s’y maintenir ; qui a vu depuis cinquante années les grands talents au service des grandes affaires, et qui promet à l’esprit la gloire comme autrefois, et plus qu’autrefois le gouvernement de l’État. Mais peut-être appartient-il à l’Académie française, le jour où elle reçoit un homme d’État aussi éclairé dans ses rangs, de rappeler à la France que c’est l’esprit des nations qui fait leur grandeur, et sert de mesure à leur durée. (Réponse au discours de réception de M. le baron Pasquier, 8 décembre 1842).
La grandeur de la France
Péroraison du discours de réception a l’académie prononcé par m. mignet, le 25 mai 1837.
La France, marchant la première vers l’avenir immense qui attend le monde, a donné au siècle son mouvement. Ce siècle dont le début a été si éclatant, qui a déjà vu tant de grandeurs mortelles passer devant lui, qui a produit la plus vaste des révolutions et le plus merveilleux des hommes, ouvre à l’intelligence humaine une carrière sans bornes. Les anciennes sciences s’étendent et s’appliquent ; des sciences nouvelles s’élèvent ; on pénètre dans les plus profondes obscurités de la terre, et l’on va y découvrir les premières ébauches de la création et les plus anciennes œuvres de Dieu. On s’élance vers les espaces jusqu’ici inaccessibles du ciel, et, après avoir complété le système de Newton dans l’empire borné de notre soleil, on est sur la voie des mouvements auxquels obéissent ces étoiles que leur incommensurable distance nous fait paraître fixes dans les régions mieux explorées de l’infini. Revenant sur la surface de tous côtés visitées et déjà presque trop étroite du globe, les hommes de notre siècle la resserrent, et, pour ainsi dire, la transforment par les prodiges de leurs inventions. Les mers sont traversées par des vaisseaux sans voiles que n’arrêtent plus les tempêtes, et les terres sont parcourues par des chars dont la force et la vélocité ne semblent plus dépendre que de la volonté humaine. Ainsi les pays se rapprochent, les esprits s’unissent, les pensées s’échangent, et, vainqueur de la nature, l’homme, reportant ses regards de sa demeure sur lui-même, aspire à découvrir, par l’observation et par l’histoire, les lois mêmes de l’humanité. Lorsque ce siècle aura réglé sa curiosité et tempéré sa fougue, personne ne peut prévoir sa grandeur, comme rien ne peut arrêter son génie.
Rendons hommage aux hommes qui par leur travaux nous ont ouvert ces voies glorieuses. Soyons reconnaissants envers ceux dont les pensées ont créé nos droits, dont les découvertes forment notre héritage.
(Portraits et notices. Édition Didier ; t. 1er, p. 23.)