Mme de Maintenon.
(1635-1719.)
[Notice]
La Bruyère a dit, avec vérité, qu’il ne manquait parfois aux femmes que la correction du style pour écrire mieux que les hommes. Ce mérite rare de la correction et de la pureté du style, Mme de Maintenon l’a joint, non moins que Mme de Sévigné, à l’agrément et à la délicatesse du langage : on peut ajouter, à un goût et à un bon sens exquis1. Par ces qualités, qui s’alliaient naturellement chez elle à une conduite pleine de sagesse et de distinction2, Mme de Maintenon s’éleva, de la position la plus humble, au rang le plus envié. Son nom de famille était d’Aubigné : mais si la maison où elle naquit en 1635 était d’une excellente noblesse, la pauvreté de ses parents était extrême. Orpheline dès son enfance, elle fut mariée jeune au poëte Scarron, très-célèbre dans le genre burlesque et doué d’une humeur joviale qui résista jusqu’au bout aux maux physiques dont il était assiégé. Bientôt il laissa sa femme veuve ; et celle-ci, quoique demeurée sans fortune, continua à voir la meilleure compagnie, qui la recherchait pour son esprit et pour ses vertus, au nombre desquelles fut toujours la plus exacte piété. Elle avait une modeste pension de la cour ; elle y obtint ensuite un emploi, et cette circonstance, qui la rapprochait de la personne de Louis XIV, donna à ce prince l’occasion d’apprécier la supériorité de son intelligence et de sa raison. Il lui accorda de plus en plus sa confiance et finit par l’épouser après la mort de Marie-Thérèse d’Autriche. Mme de Maintenon (elle devait ce nom à une terre qu’elle avait acquise) profita de sa brillante situation pour réaliser plusieurs belles œuvres de charité : la principale fut la création de Saint-Cyr3. Malgré la faiblesse de sa santé dont elle se plaignait souvent, elle ne termina sa longue carrière qu’en 1719, après avoir passé ses dernières années dans l’établissement qu’elle avait fondé4.
Au comte d’Aubigné, son frère.
Notre bonheur dépend de nous-mêmes.
On n’est malheureux que par sa faute. Ce sera toujours mon texte, et ma réponse à vos lamentations. Songez, mon cher frère1, au voyage d’Amérique, aux malheurs de notre enfance, à ceux de notre jeunesse2, et vous bénirez la Providence, au lieu de murmurer contre la fortune. Il y a dix ans que nous étions bien éloignés l’un et l’autre du point où nous sommes aujourd’hui. Nos espérances étaient si peu de chose, que nous bornions nos vues à trois mille livres de rente. Nous en avons à présent quatre fois plus, et nos souhaits ne seraient pas encore remplis ! Nous jouissons de cette heureuse médiocrité que vous vantiez si fort. Soyons contents. Si les biens nous viennent, recevons-les de la main de Dieu ; mais n’ayons pas des vues trop vastes3. Nous avons le nécessaire et le commode ; tout le reste n’est que cupidité. Tous ces désirs de grandeur partent du vide d’un cœur inquiet. Toutes vos dettes sont payées ; vous pouvez vivre délicieusement, sans en faire de nouvelles. Que désirez-vous de plus ? Faut-il que des projets de richesse et d’ambition vous coûtent la perte de votre repos et de votre santé ? Lisez la vie de saint Louis, vous verrez combien les grandeurs de ce monde sont au-dessous des désirs du cœur de l’homme. Il n’y a que Dieu qui puisse le rassasier. Je vous le répète, vous n’êtes malheureux que par votre faute. Vos inquiétudes détruisent votre santé, que vous devriez conserver, quand ce ne serait que parce que je vous aime. Travaillez sur votre humeur : si vous pouvez la rendre moins bilieuse et moins sombre, ce sera un grand point de gagné. Ce n’est point l’ouvrage des réflexions seules : il y faut de l’exercice, de la dissipation, une vie unie et réglée. Vous ne penserez pas bien tant que vous vous porterez mal ; dès que le corps est dans l’abattement, l’âme est sans vigueur1. Adieu, écrivez-moi plus souvent, et sur un ton moins lugubre.
Au même.
Elle lui donne de sages conseils.
Où prenez▶-vous que je vous aie écrit une lettre mélancolique3 ? Je n’ai aucun sujet de l’être, et naturellement personne ne l’est moins que moi. Je vous ai parlé de la mort, parce que j’y pense souvent. Je m’y prépare avec gaieté. Je voudrais vous porter à vous y préparer. Ma tendresse fait des vœux continuels pour votre salut. C’est peu d’être philosophe, il faut être chrétien.
Le roi ira à Chambord le 15 de septembre, de là à Fontainebleau jusqu’au 15 de novembre. ◀Prenez▶ ce temps-là pour venir à Paris. N’écoutez point les sots discours de nos envieux. Vous avez du bien et du repos : tout le reste n’est qu’un jouet d’enfant. Après ceux qui ont les premières places, je ne connais rien de plus malheureux que ceux qui les envient : si vous saviez ce que c’est ! Si je vis assez pour marier ma nièce, elle le sera bien1, et cette idée me console de la perte de ma liberté. Vous ne me parlez point de son baptême : est-elle nommée ? Qui l’a tenue ? Est-elle jolie ? Comment s’appelle-t-elle ? Je lui voudrais un joli nom2…
Au même, alors gouverneur de Cognac, en Poitou.
Elle lui recommande la tolérance envers les protestants.
On m’a porté sur votre compte, mon cher frère, des plaintes qui ne vous font pas honneur. Vous maltraitez les huguenots, vous en cherchez les moyens, vous en faites naître les occasions : cela n’est pas d’un homme de qualité. Ayez pitié de gens plus malheureux que coupables : ils sont dans des erreurs où nous avons été nous-mêmes, et d’où la violence ne nous eût jamais tirés. Henri IV a professé la même religion, et plusieurs grands princes ; ne les inquiétez donc point : il faut attirer les hommes par la douceur et la charité ; Jésus-Christ nous en a donné l’exemple, et telle est l’intention du roi. C’est à vous à contenir tout le monde dans l’obéissance ; c’est aux évêques et aux curés à faire des conversions par la doctrine et par l’exemple. Ni Dieu ni le roi ne vous ont donné charge d’âmes : sanctifiez la vôtre, et soyez sévère pour vous seul.
A l’abbé Gobelin2.
Elle le prie de diriger sa conduite, sans tenir compte de sa nouvelle élévation.
Je vous conjure de vous défaire du style que vous avez avec moi, qui ne m’est point agréable et qui peut m’être nuisible. Je ne suis point plus grande dame que j’étais dans la rue des Tournelles, où vous me disiez fort bien mes vérités. Si la faveur où je suis met tout le monde à mes pieds, elle ne doit pas faire cet effet-là sur un homme chargé de ma conscience, et à qui je demande très-instamment de me conduire, sans aucun égard, dans le chemin qu’il croit le plus sûr pour mon salut. Où trouverai-je la vérité, si je ne la trouve en vous ? et à qui puis-je être soumise qu’à vous, ne voyant dans tout ce qui m’approche que respects, adulations, complaisances ? Parlez-moi et écrivez-moi sans tour, sans cérémonie, sans insinuation, et surtout, je vous en prie, sans respect. Ne craignez jamais de m’importuner. Je veux faire mon salut : je vous en charge ; et je reconnais que personne n’a tant de besoin d’aide que j’en ai. Ne me parlez jamais des obligations que vous m’avez : regardez-moi comme dépouillée de tout ce qui m’environne ; attachée au monde, mais voulant me donner à Dieu. Voilà mes véritables sentiments.
A madame de La Maisonfort.
Il n’y a de véritable paix que pour l’âme remplie de Dieu.
Il ne vous est pas mauvais de vous trouver dans des troubles d’esprit : vous en serez plus humble, et vous sentirez par votre expérience que nous ne trouvons nulle ressource en nous, quelque esprit que nous ayons. Vous ne serez jamais contente, ma chère fille1, que lorsque vous aimerez Dieu de tout votre cœur : ce que je ne dis pas par rapport à la profession où vous vous êtes engagée. Salomon vous a dit, il y a longtemps, qu’après avoir cherché, trouvé et goûté de tous les plaisirs2, il confessait que tout n’est que vanité et affliction d’esprit, hors aimer Dieu et le servir3. Que ne puis-je vous donner toute mon expérience ! Que ne puis-je vous faire voir l’ennui qui dévore les grands, et la peine qu’ils ont à remplir leurs journées ! Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu’on aurait eu peine à imaginer4, et qu’il n’y a que le secours de Dieu qui m’empêche d’y succomber ? J’ai été jeune et j’ai goûté des plaisirs ; dans un âge un peu avancé, j’ai passé des années dans le commerce de l’esprit, je suis venue à la faveur ; et je vous proteste, ma chère fille, que tous les états laissent un vide affreux, une inquiétude, une lassitude, une envie de connaître autre chose, parce qu’en tout cela rien ne satisfait entièrement. On n’est en repos que lorsqu’on s’est donné à Dieu, mais avec cette volonté déterminée dont je vous parle quelquefois : alors on sent qu’il n’y a plus rien à chercher, qu’on est arrivé à ce qui seul est bon sur la terre ; on a des chagrins, mais on a aussi une solide consolation, et la paix au fond du cœur au milieu des plus grandes peines.