(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre premier. »
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(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre premier. »

Chapitre premier.

D’après la définition que nous avons donnée de l’éloquence, qui n’est autre chose que l’art de raisonner d’une manière persuasive et convaincante, il semblerait que nous rentrons ici dans son véritable domaine ; et qu’en la suivant dans les académies, nous allons avoir sous les yeux ce que l’éloquence a jamais fait entendre de plus beau, et ce que la philosophie a jamais pensé de plus raisonnable.

Mais cet accord si précieux n’a jamais été bien durable ; et Cicéron lui-même, Cicéron, qui avait tant fait pour la gloire de l’éloquence et les progrès de la philosophie, ne tarda pas à voir l’une dénaturée par les déclamateurs, et l’autre corrompue par les sophistes. Il en vint enfin (et c’était l’expression vraie de la douleur de ce grand homme) à douter si, d’après cela, l’éloquence avait fait plus de bien que de mal à la société : boni ne, an mali plus attulerit hominibus, et civitatibus copia dicendi, et summum eloquentiæ studium (de Invent. Rhet. Lib. i). Qu’on ne soit donc pas étonné que, dans des temps bien postérieurs, le tableau désolant des malheurs qu’avait entraînés l’abus de ce qu’il y a de mieux au monde, ait fait prendre à un philosophe célèbre le parti rigoureux de se déclarer contre les sciences en général, et contre celles en particulier qui avaient le plus contribué à pervertir les lumières naturelles. Le vrai philosophe sait que la philosophie ne peut rien sans l’éloquence ; sapientiam sine eloquentiâ parùm prodesse civitatibus (Cic.) : parce que les matières qu’elle traite et les vérités qu’elle annonce ont besoin du charme de l’élocution, pour trouver un accès facile et se graver utilement dans les cœurs. Mais l’éloquence seule, c’est-à-dire, le luxe des mots prodigués sur un fonds vide de choses, serait non seulement inutile, mais pourrait même devenir dangereuse : eloquentiam verò sine sapientiâ nimiùm obesse plerumque, prodesse nunqùam (id.)

Ce peu de mots, qui renferment le caractère de toute espèce d’éloquence, prescrivent surtout le ton et indiquent les limites de l’éloquence académique. C’est donc d’après la règle tracée par Cicéron lui-même, que nous allons examiner ici les productions académiques, considérées comme ouvrages d’éloquence ou monuments de philosophie.

Quoique le terme académie se soit génériquement étendu à toutes les associations savantes, nous n’entendons parler ici que de celles qui s’occupent spécialement des progrès et du perfectionnement de la langue, et qui ont pour objet toutes les matières de grammaire, de poésie et d’éloquence. Fidèles aux vœux de leur institution, les premiers académiciens se firent un devoir de le respecter, et rendirent à la langue française des services aussi réels que mal appréciés depuis. Renfermés uniquement dans le cercle de leurs fonctions grammaticales, ces modestes et laborieux écrivains bornaient leur gloire à épurer, à fixer la langue par de sages observations, ou par des ouvrages utiles ; et lorsqu’ils proposaient des prix à l’éloquence ou à la poésie, c’était toujours quelque trait de morale, ou l’éloge de Louis XIV. De tels sujets pouvaient ne pas ouvrir une carrière très vaste au génie du poète ou de l’orateur ; mais ils n’offraient pas du moins à leur imagination les écarts dangereux qui devaient bientôt outrager l’éloquence, la langue et la raison.

L’influence salutaire de l’académie française ne tarda pas à se faire remarquer ; et les progrès du langage et de l’éloquence sont déjà très sensibles dans Pélisson, le premier orateur digne d’être cité que nous présentent les fastes académiques. Que l’on en juge par ce morceau pris au hasard dans son discours de réception.

« Il y a véritablement un petit nombre de génies extraordinaires, que la nature prend plaisir à former, qui trouvent tout en eux-mêmes, qui savent ce qu’on ne leur a jamais enseigné, qui ne suivent pas les règles, mais qui les font et qui les donnent aux autres. — Quant à nous, qui sommes d’un ordre inférieur, si nous n’avons que nos propres forces, et si nous n’empruntons rien d’autrui, quel moyen qu’avec un seul jugement et un seul esprit, qui n’ont rien que d’ordinaire et de médiocre, nous contentions tant de différents esprits, tant de jugements divers, à qui nous exposons nos ouvrages ? Quel moyen que de nous-mêmes nous assemblions une infinité de qualités, dont les principes semblent contraires ; que nos écrits soient en même temps subtils et solides, forts et délicats, profonds et polis ; que nous accordions toujours ensemble la naïveté et l’artifice, la douceur et la majesté, la clarté et la brièveté, la liberté et l’exactitude, la hardiesse et la retenue, et quelquefois même la fureur et la raison » ?

Tout le discours est écrit avec la même pureté, la même élégance : pas une expression ou une tournure qui ait vieilli, pas une dissonance qui choque l’oreille ; et quand on se reporte à l’époque où il fut composé, et qu’on le rapproche de morceaux d’une date beaucoup plus récente, on est également surpris de l’un et des autres.