Balzac
1596-1655
[Notice]
Né à Angoulême, Jean-Louis Guez de Balzac, membre de l’Académie française, passa presque toute sa vie sur les bords de la Charente, au fond de son château, dans un isolement égoïste et superbe, qui, loin de nuire à sa renommée, donnait à ses écrits l’autorité d’oracles impatiemment attendus. Il entretenait de loin la ferveur de ses fidèles par des épîtres et des dissertations que se disputaient les ruelles et les familiers de l’hôtel de Rambouillet. Sa seule passion fut sa haine contre Richelieu, qui ne voulait voir en lui qu’un habile rhéteur, sans accorder aucun emploi à son ambition politique ; mais ce ressentiment ne fit explosion qu’après la mort du ministre.
Esprit brillant, belle imagination, il fut le Malherbe de la prose : il a le sentiment de la cadence, l’ampleur de la période, l’éclat du discours ; il sait choisir et ordonner les mots ; il orne de grandes pensées par des expressions magnifiques dont l’harmonie soutenue enchante l’oreille. Mais on voit trop en lui le bel esprit qui ne vise qu’à se produire, n’aime que lui-même, sourit avec effort, plaisante sans gaieté, et pousse la solennité jusqu’à l’emphase. Adroit à manier l’antithèse, la métaphore, l’hyperbole, il donne l’idée d’un beau corps auquel l’âme fait défaut. Les artifices de son noble langage laissent le cœur indifférent. La postérité n’a pas partagé l’engouement de ses contemporains. Toutefois, dans le Socrate chrétien, il annonce Bossuet, et ses Entretiens à Ménandre font pressentir les Provinciales.
Il fut pour la langue française un excellent professeur de rhétorique.
La vraie et la fausse éloquence
Il y a une faiseuse de bouquets et une tourneuse de périodes, je ne l’ose nommer éloquence, qui est toute peinte et toute dorée1 ; qui semble toujours sortir d’une boîte2 ; qui n’a soin que de s’ajuster, et ne songe qu’à faire la belle : qui, par conséquent, est plus propre pour les fêtes que pour les combats, et plaît davantage qu’elle ne sert, quoique néanmoins il y ait des fêtes dont elle déshonorerait la solennité, et des personnes à qui elle ne donnerait point de plaisir.
Ne se soutenant que d’apparence, et n’étant animée que de couleur, elle agit principalement sur l’esprit du peuple, parce que le peuple a tout son esprit dans les yeux et dans les oreilles3 ; et, faute de raisons et d’autorité, elle use de charmes et de flatterie : elle est creuse et vide de choses essentielles, bien qu’elle soit claire et résonnante de tons agréables. Elle est au moins plus délicate que forte ; et, ayant sa puissance bornée, et ses coups d’ordinaire mesurés, ou elle ne porte pas plus loin que les sens, ou, pour le plus4, elle ne touche que légèrement le dehors de l’âme.
Si elle prend▶ courage, et si elle se déborde quelquefois, ses efforts et ses torrents ne font que passer. Au lieu d’apporter de l’abondance avec eux, ils ne laissent après eux que de l’écume. Leur impétuosité est une lâcheté qui menace ; elle ressemble à la colère des personnes faibles, qui les remue sans toucher les autres. Ils n’emmènent que les pailles et les plumes, et s’écroulent au pied des arbres et des murailles, sans les ébranler.5.
Cette éloquence de montre et de vanité a eu cours dans la servitude de la Grèce, lorsque la paix et la guerre n’étaient plus en sa disposition, et que, n’ayant plus d’affaires à s’occuper, elle cherchait de quoi divertir son oisiveté…
Ces discours étaient remplis de tout ce que l’orateur possédait et de tout ce qu’il avait emprunté. Il ne laissait pas un seul enjolivement ni une seule afféterie au logis : en dix mots il voulait employer douze figures ; il enflait sa matière de lieux communs et de pièces cent fois rejouées. Pour éviter la pauvreté, il se jetait dans le luxe. Toutes ses locutions étaient pompeuses et magnifiques. Mais cette magnificence était si éloignée de la sobriété et de la modestie du style oratoire, que la plus téméraire poésie, et la plus prodigue des biens qu’il faut ménager, ne saurait rien concevoir de plus déréglé.
À la vérité, si c’était là l’éloquence, l’opinion de ce philosophe, qui mettait la rhétorique au nombre des connaissances voluptueuses1, aurait quelque fondement. On l’eût chassée avec justice de la république de Sparte et des autres États bien policés ; et il ne la faudrait estimer guère davantage que l’art qui enseigne à faire les confitures, et a pour objet le plaisir du goût, ou celui qui flatte un autre sens, et travaille à la composition des parfums2.
Mais il n’en va pas ainsi : il faut conserver à chaque chose la noblesse de sa fin et la dignité de son usage. Les biens de l’esprit ne nous ont pas été donnés pour la simple volupté du corps. Le plaisir des oreilles est en ceci plus que rien, mais ce n’est pas tout. L’éloquence n’est pas le spectacle des oisifs et le passe-temps du menu peuple3. Un orateur est quelque autre chose qu’un danseur de corde et qu’un baladin. Nous ne devons pas nous jouer de la raison, ni faire passer pour plaisante4 celle à qui nous avons l’obligation d’être sérieux.
Disons donc que la vraie éloquence est bien différente de cette causeuse des places publiques, et son style bien éloigné du jargon ambitieux des sophistes grecs. Disons que c’est une éloquence d’affaires et de service ; née au commandement5 et à la souveraineté ; tout efficace et toute pleine de force. Disons qu’elle agit, s’il se peut, par la parole, plus qu’elle ne parle ; qu’elle ne donne pas seulement à ses ouvrages un visage, de la grâce et de la beauté, comme Phidias, mais un cœur, de la vie et du mouvement comme Dédale6.
Elle ne s’amuse point à cueillir des fleurs et à les lier ensemble ; mais les fleurs naissent sous ses pas, aussi bien que sous les pas des déesses. En visant ailleurs, en faisant autre chose, en passant pays7 elle les produit. Sa mine est d’une amazone plutôt que d’une coquette, et la négligence même a du mérite sur elle, et ne fait point de tort à sa dignité. Elle ne laisse pas toutefois de se parer, quand il est besoin, quoiqu’elle soit moins curieuse de ses ornements que de ses armes, et qu’elle songe davantage à gagner l’âme pour toujours par une victoire entière, qu’à la débaucher pour quelques heures par une légère satisfaction…
L’antiquité appelait cela puiser ses discours dans l’estomac1 et avoir l’âme éloquente : elle a donné cette qualité à Ulysse, après lui avoir donné la doctrine et l’expérience, comme si la vertu de discourir devait être l’effet et la créature2 de celle de connaître et de savoir.
Et certes, il n’est rien de plus véritable. Un homme qui a vu et qui a écouté longtemps avec de l’attention et du dessein3, qui a fait diverses réflexions sur les vérités universelles, qui a considéré sérieusement les principes et les conclusions de chaque science, qui a fortifié son naturel de mille règles et de mille exemples, qui s’est nourri du suc et de la substance des bons livres ; un homme, dis-je, si plein, a bien de quoi débiter ; ayant tant de fonds et tant de matière de parler, il a de grands avantages quand il parle ; et personne ne peut trouver étrange que d’une infinité de hautes et de rares connaissances sortent et fleurissent les diverses grâces de ses paroles comme de leur tige et de leur racine.
Et de fait, les aiguillons que Périclès laissait dans les âmes, les tonnerres qu’il excitait dans les assemblées, les noms de Jupiter et d’Olympien que l’on lui donna, et le temple de la déesse Persuasion, qu’elle-même, selon le dire commun, avait bâti sur ses lèvres, que sont-ce autre chose que des marques et des images de cette monarchie spirituelle4, fondée par la parole dans un état populaire, et de cette espèce de divinité qu’un homme représentait sur la terre ?
La souveraine éloquence gouverna ainsi longtemps la plus fine5 partie du genre humain, et présida aux affaires de la Grèce. C’est ce que vous avez compris en deux mots, et ce que vous appelez vaincre et régner. Car il est très-vrai qu’elle tenait lieu de grandeur et de majesté à des seigneuries aussi petites que sont celles de Lucques et de Genève. Elle ne souffrait rien de servile dans l’esprit des artisans ; elle élevait les pensées d’un particulier au-dessus du trône et de la tiare du roi de Perse. Et, pour passer du spécieux à l’utile, elle réunissait les Grecs divisés, et formait les ligues contre les Barbares : elle était la liaison du sénat avec le peuple, et la barrière entre Philippe et la liberté1.
Philippe ne le dissimulait pas. Il reconnaissait que Démosthène pouvait plus que lui, et avait coutume de dire que les harangues de cet orateur renversaient les entreprises des rois, et que sa rhétorique était l’arsenal et le magasin d’Athènes. Il disait qu’en vain on députait des ambassadeurs pour résister à Démosthène, aux assemblées où il se trouvait, vu qu’ils n’y pouvaient servir leurs maîtres qu’en s’accommodant à ses opinions ; que la valeur pouvait combattre la force, et avoir l’avantage sur le nombre ; mais qu’il était également impossible au nombre, à la force et à la valeur d’ériger de trophée contre l’éloquence de Démosthène.
Pour avoir ce Démosthène en son pouvoir, ce Philippe offrit aux Athéniens la ville d’Amphipolis ; et il ne s’en faut point étonner, puisque par cet échange il mettait en danger celle d’Athènes, et qu’il assurait toutes celles de son royaume. Il estimait un homme plus que vingt mille hommes, parce qu’il savait qu’un homme est quelquefois l’esprit et la force d’un État, et que celui-ci, selon la relation que lui en avait faite Antipater, tout nu et désarmé qu’il était, sans vaisseaux, sans soldats et sans argent, combattant seulement avec des lois, des ordonnances et des paroles, attaquait la Macédoine de tous côtés, investissait les meilleures places, et rendait inutiles les plus puissantes armées.
Un homme de ce mérite n’était pas le bouffon et le bateleur de ceux d’Athènes, comme notre Apulée2 de ceux de Carthage, quand il leur récitait ses Florides. C’était leur magistrat naturel ; c’était un maître qui s’accordait avec la liberté, qui se faisait obéir, quoiqu’il ne leur fît point de commandement absolu, quoiqu’il n’eût ni archers, ni hallebardes ; quoiqu’il ne les haranguât point de dessus les bastions d’une citadelle. Ce n’était pas le flatteur et le parasite du peuple : c’était son censeur et son pédagogue1…
Que ces grâces austères me plaisent ! que cette sévérité est attrayante ! que cette amertume me semble bien de meilleur goût que toutes les douceurs fades et tout le sucre des beaux parleurs ! Les paroles que notre flatterie a nommées puissantes et pathétiques n’étaient que de la cendre et des charbons morts, au prix d’un feu si pur et si vif2.
Dieu règne sur les rois et les empires
Un peu d’esprit et beaucoup d’autorité, c’est ce qui a presque toujours gouverné le monde, quelquefois avec succès et quelquefois non, selon l’humeur du siècle, plus ou moins porté à endurer, selon la disposition des esprits plus farouches ou plus apprivoisés. Mais il faut toujours en venir là : il est très-vrai qu’il y a quelque chose de divin, disons davantage, qu’il n’y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les États. Ces dispositions et ces humeurs dont nous venons de parler, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude viennent de plus haut qu’on ne s’imagine. Dieu est le poëte, et les hommes ne sont que les acteurs : ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c’est souvent un faquin qui doit en être l’Atrée ou l’Agamemnon. Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve3. Entre ses mains tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre, tout est César : elle peut faire par un enfant, par un nain, par un eunuque ce qu’elle a fait par les géants et par les héros, par les hommes extraordinaires.
Dieu lui-même dit de ces gens-là qu’il les envoie en sa colère et qu’ils sont les verges de sa fureur. Mais ne ◀prenez▶ pas ici l’un pour l’autre. Les verges ne piquent ni ne mordent d’elles-mêmes, ne frappent ni ne blessent toutes seules. C’est l’envoi, c’est la colère, c’est la fureur qui rendent les verges terribles et redoutables. Cette main invisible, ce bras qui ne paraît pas donne les coups que le monde sent. Il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l’homme, mais la force qui accable est toute de Dieu.
Tibère
Que les princes se glorifient tant qu’il leur plaira de ne voir rien que le ciel qui soit plus élevé que leur trône ; qu’ils parlent tant qu’ils voudront de l’indépendance de leurs couronnes ; il y a deux tribunaux dont ils ne peuvent décliner la juridiction, et devant lesquels il faut tôt ou tard qu’ils se présentent : c’est au dehors le tribunal de la renommée, et celui de la conscience au dedans. Quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, ils sont du ressort de ces deux juges : ils ne sauraient s’empêcher de comparaître devant l’un et l’autre tribunal et d’y rendre compte de leurs actions.
Tibère a humilié toutes les âmes ; il a dompté tous les courages ; il a mis sous ses pieds toutes les têtes : il s’est élevé au-dessus de la raison, de la justice et des lois. Il pense avoir ôté à Rome jusqu’à la liberté de la voix et de la respiration : ou les pauvres Romains sont muets, ou ils n’ouvrent la bouche que pour flatter le tyran. Mais un homme possédera-t-il sans trouble la gloire d’être plus craint que les dieux ? (On parlait ainsi en ce temps-là.) Goûtera-t-il sans contradiction le fruit de cette victoire inhumaine qu’il a remportée sur les esprits ? Jouira-t-il paisiblement des avantages de sa cruauté, de la peur et du silence de ses sujets, de la lâcheté et des mensonges de ses courtisans ? La vérité qu’on retient captive ne sortira-t-elle point par quelque endroit ? Ne paraîtra-t-elle point dans quelque lieu, à la honte et à la confusion de Tibère ? Oui certes, et d’une étrange sorte.
Des extrémités de l’Orient, il lui vient une grande lettre qui délivre la vérité opprimée, qui la venge des espions et délateurs, qui efface les odes et les panégyriques de la flatterie. Cette lettre injurieuse est écrite de la main du roi des Parthes, et il n’y a pas moyen de la supprimer.
Ce n’est point un cartel d’ennemi à ennemi ; c’est une satire ; c’est un pasquin 1 ; c’est quelque chose de pis : ou plutôt ce sont les premières pièces d’un procès criminel intenté par le genre humain que les vices de Tibère avaient offensé. Au nom de toute la terre, un roi se déclare partie et ◀prend▶ la parole contre un empereur.
Après lui avoir reproché sa mauvaise haleine, sa tête pelée, son visage pétri de boue et de sang, les monstres et les prodiges de ses débauches, en un mot les plus visibles défauts de sa personne et les crimes les plus connus de sa vie, cette grande lettre1, cette lettre injurieuse lui conseille, pour conclusion, de mettre fin par une mort volontaire à tant de maux qu’il souffre et qu’il fait souffrir, l’exhorte de donner par là à toute la terre la seule satisfaction qu’elle pouvait recevoir de lui.
Vous voyez comme la renommée condamne Tibère par la bouche des étrangers ; mais la conscience souscrit à cet arrêt par le propre témoignage de Tibère : car, environ ce temps-là, il écrit lui-même une autre lettre au sénat dans laquelle il maudit sa malheureuse grandeur avec des paroles de désespoir. Il découvre à nu les inquiétudes et les peines d’une âme ennuyée de tout et mal satisfaite de soi-même, abandonnée de Dieu et des hommes, qui a perdu jusqu’à ses propres désirs, qui ne peut ni vivre ni mourir. Il semble qu’il veuille faire pitié à ceux à qui il faisait encore peur.
Les saintes Écritures et les saints Pères qui les expliquent sont partout de l’opinion de l’histoire, et ne trouvent point de pareil supplice à celui de la conscience. Si nous les en croyons, la mauvaise chose que c’est quand le bourreau est la même personne que le criminel2 ! La justice divine paraît quelquefois avec éclat et fait des exemples qui sont vus de tout le monde : quelquefois aussi elle s’exerce secrètement et abandonne les méchants à leurs propres cœurs et à leurs propres pensées. Cette impunité apparente n’est ni grâce ni faveur. L’entrée du palais ne montre rien de funeste et tout rit par le dehors ; mais le lieu du supplice, c’est le cabinet, c’est l’intérieur de l’homme, c’est le plus profond de l’âme. Et là-dedans il y a une solitude affreuse et terrible, qui est plus à craindre que les spectateurs et que l’échafaud, parce qu’elle n’a ni qui la console, ni qui la plaigne. Sans parler de ce qui se doit faire en l’autre monde, Dieu a divers moyens de se venger de ses ennemis en celui-ci ; mais il ne saurait mieux les punir qu’en laissant leur peine à leur discrétion.
L’homme s’agite et Dieu le mène
À monsieur Conrart
Quoique j’appréhende tout, je ne désespère de rien1. Parmi les lamentations de nos Jérémies (j’appelle ainsi mes amis plaintifs), je mêle toujours de bons augures et de bonnes espérances. Je vous exhorte d’en faire de même, mon cher monsieur, et de ne vous laisser point abattre aux appréhensions de l’avenir et aux prévoyances trop exactes des maux futurs. Laissons agir la Providence, qui se moque bien de toutes nos réflexions et de tous nos raisonnements. Allons par les routes qu’elle nous marque, et ne ◀prenons▶ point les sentiers obliques que notre imagination nous fait concevoir souvent plus sûrs que le grand chemin. Quand nous nous sommes bien alambiqué le cerveau pour trouver une suite aux choses présentes et pour en tirer des conséquences touchant celles qui doivent arriver, il se trouve que nous avons imité les enfants, qui se donnent beaucoup de peine à faire des maisons de cartes que le moindre vent renverse, ou qui seraient inutiles quand il ne les renverserait pas. Mais c’est trop moraliser pour un villageois, et trop s’enfoncer dans la politique pour un infirme qui se laisse conduire dans le vaisseau où il se trouve embarqué, sans entreprendre d’aider les matelots ni de corriger le pilote2. Je suis sans réserve, monsieur, votre, etc.
Balzac à la campagne
À Chapelain
Pour3 les nouvelles du grand monde que vous m’avez fait savoir, en voici de notre village. Jamais les blés ne furent plus verts ni les arbres mieux fleuris. Le soleil n’agit pas de toute sa force, comme il fit dès le mois d’avril de l’année passée, quand il brûla les herbes naissantes. Sa chaleur est douce et innocente, supportable aux têtes les plus malades. La fraîcheur et les rosées de la nuit viennent ensuite, et réjouissent ce qui languirait sur la terre sans leur secours ; mais, ayant plutôt abattu la poussière que fait de la boue, il faut avouer qu’elles ne contribuent pas peu aux belles matinées dont nous jouissons1. Je n’en perds pas le moindre moment ; et, les commençant justement à quatre heures et demie, je les fais durer jusqu’à midi. Durant ce temps-là, je me promène sans me lasser, et en des lieux où je puis m’asseoir quand je suis las. Je lis des livres qui ne m’obligent point à méditer, et je n’apporte à ma lecture qu’une médiocre attention. Car en même temps je ne laisse pas de donner audience à un nombre infini de rossignols, dont tous nos buissons sont animés. Je juge de leur mérite, comme vous faites de celui des poëtes au lieu où vous êtes. Et en effet, si vous ne le savez pas, je vous apprends qu’il y a autant de différence de rossignol à rossignol que de poëte à poëte. Il y en a de la première et de la dernière classe. Nous avons quantité de Maillets et de *** ; mais nous avons aussi quelques Chapelains2 et quelques Malherbes. Le reste à une autre fois. Je suis, monsieur, votre, etc.3