De Laprade
Né en 1812
[Notice]
M. Victor de Laprade est entre tous le poëte de l’idéal. Il aime les cimes supérieures, et sa devise pourrait être ; Haut les cœurs Dans Eleusis et Psyché, qui furent ses premières▶ œuvres, et font revivre des légendes antiques, la nature semble être une médiatrice entre l’âme et Dieu. Il y a là des pages qui rappellent Poussin et Lucrèce, mais un Lucrèce chrétien, comme l’attestent ses Poëmes évangéliques où abondent les beaux vers animés par le souffle de la foi. En les lisant, on est ému comme en face des fresques de Flandrin. L’industrie du peintre y traduit non de molles et stériles rêveries, mais les soupirs, les accents d’un cœur religieux, le concert des voix intimes que l’enthousiasme du beau peut éveiller au fond même de la conscience. Au sentiment de l’art antique il a su allier celui de l’art chrétien. Homère et l’Évangile furent ses maîtres. Ajoutons qu’il a soutenu son essor par un progrès constant. Récemment encore, il vient de prouver la souplesse de son talent par une épopée intime, où il se fait le rhapsode d’un foyer rustique, et donne une sœur au couple immorte d’Hermann et Dorothée 3. Son vers a de l’ampleur, de l’élan, de la sérénité. Il a comparé quelques-uns de ses poëmes à un vase athénien rempli des fleurs du Calvaire 4.
Les épis du pauvre
Le réveil de psyché
Change les pleurs de l’aube en gouttes de lumière ;Et la forêt joyeuse, au bruit des flots chanteurs,Exhale, à son réveil, les humides senteurs ;La terre est vierge encor, mais déjà dévoilée,Et sourit au soleil sous la brune envolée.Entre les fleurs, Psyché, dormant au bord de l’eau,S’anime, ouvre les yeux à ce monde nouveau ;Et baigné des vapeurs d’un sommeil qui s’achève,Son regard luit pourtant, comme après un doux rêve.La terre avec amour porte la blonde enfant ;Des rameaux par la brise agités doucementLe murmure et l’odeur s’épanchent sur sa couche.Le jour pose, en naissant, un rayon sur sa bouche ;D’une main, supportant son corps demi penché.Rejetant de son front ses longs cheveux, PsychéÉcarte l’herbe haute et les fleurs autour d’elle,Respire, sent la vie, et voit la terre belle,Et blanche, se dressant dans sa robe aux longs plis,Hors du gazon touffu monte comme un grand lis4(Psyché. Éd. Michel Lévy.)
L’invasion 1
Aux armes !
Que le moindre clocher sonne le glas d’alarmes ;Que chacun sous son toit se dresse avec ses armes ;Que tout hameau lointain vierge de l’étrangerCoure au-devant du flot qui nous veut submerger ;………………Que tout homme jaloux d’une sœur, d’une femme,Ayant à lui son champ et sa fierté dans l’âme ;Que tout chef d’une race, et tout enfant pieuxQui sait sous quel gazon reposent ses aïeux,Jurant de recouvrer cette place usurpée,Frappe un coup de sa faux, s’il manque d’une épée.Et, certes, nous verrons ces torrents d’ennemisDes villes et des bourgs promptement revomis,Et nous redeviendrons, d’insultés que nous sommes,Libres, maîtres chez nous, comme il sied à des hommes.(Pernette. — Éd. Didier, 1869, p. 140.)
Le franc tireur
L’étranger au pas lourd s’étendait, sans soupçons,Devant nos chemins creux couverts par les buissons,Quand jaillit, à travers les ronces et les lierres,Un sifflement aigu suivi de cent tonnerres2…L’écho crépite et gronde, et nos vaillants conscrits,Dressés et triomphants, s’élancent à grands cris :Pas un coup de fusil qui n’ait touché son homme,Et la balle a choisi tous les chefs qu’on renomme !Surpris et foudroyé, le bataillon trop lentHésita : froids soldats, braves, mais sans élan.Tandis qu’ils frappaient l’air d’une vaine riposte,Et s’alignaient, chacun incertain de son poste,Nos conscrits, bondissant à travers les halliers,Fiers louveteaux à qui ces bois sont familiers,Avaient refait, dans l’ombre, une halte invisible,Et répété trois fois la décharge terrible.Plongeant de chaque roche et de chaque fourré,Le feu de nos chasseurs remontait par degré,Et l’étranger laissait des morts sur chaque étage.A chaque pas, du nombre il perdait l’avantage.Il montait, mais d’un pied qui va se ralentir,Et craignant de chaque arbre un coup prêt à partir.Car déjà, de très-haut, dans leur savante fuite,Nos chasseurs dominaient cette vaine poursuite,Du seuil de ces grands bois dont les troncs vénérés,Comme des combattants étroitement serrés,Autour des longs rochers, donjons à tête grise,Font une palissade où tout assaut se brise.Là, de ces boucliers habile à se couvrirLa troupe s’arrêta pour vaincre ou pour mourir.Encor bien loin, là-bas, dans les ronces grimpantes,L’étranger gravissait péniblement les pentes,Harassé, décimé. Nos braves jeunes gensL’écrasaient de leurs feux rapides et plongeants ;Et déjà les rochers, roulant par intervalles,Suffisaient, épargnant le trésor de nos balles1.
La moisson
Une maitresse d’école
Prnette 2
Elle aimait entre tous, de son amour de mère,Ceux dont l’âme innocente attend une lumière.Les petits révoltés, les rôdeurs de buissonsPréféraient à leurs jeux ses charmantes leçons.Les marmots hérissés3 ayant horreur du livre,Quand elle ouvrait le sien, quittaient tout pour la suivre.Dans nos rudes hameaux faits pour la liberté,Où jamais magister ne s’était implanté,Son foyer souriant fut la première école ;Elle y prenait l’enfance au miel de sa parole ;Et4 par elle, aujourd’hui, du maître à l’ouvrier,Tous, en ces champs heureux, savent lire et prier.Elle excitait d’un mot chez ses petits convivesLes curiosités de leurs âmes naïves……………………C’était près d’elle à qui se ferait écolier ;Tout enfant chérissait son toit hospitalier.Plus de grossiers ébats, de rixes, de maraude.Oh ! les bons jours d’hiver, dans la salle bien chaude,A chanter1 doucement les antiques noëls,A se faire conter des contes éternels,A s’empresser autour du vieux livre d’images,A changer mille fois de plaisirs et d’ouvrages,A mêler la prière entre les jeux divers,Et même à réciter des fables et des vers !Puis on posait cahier, tricot, livre, au plus vite :Les châtaignes fumaient dans l’immense marmite,Les branches de raisins2 s’abaissaient du plafond,La corbeille de noix se vidait jusqu’au fond,Et les pommes d’api, fraîches comme l’aurore,Sautaient et bondissaient sur la table sonore3.