J. B. Rousseau.
(1671-17411.)
[Notice]
Né à Paris en 1671, J. B. Rousseau, qui étendit et agrandit parmi nous le genre que Malherbe avait créé, fut l’un de ceux qui payèrent le plus chèrement par le malheur le privilége de la renommée. Joints à ses talents, les torts de son caractère lui firent beaucoup d’ennemis et il finit par être leur victime2. Frappé d’un arrêt de bannissement, il passa tout le reste de sa vie loin de la France dont il est demeuré l’une des gloires. L’élévation de la pensée, la magnificence des images, l’harmonie et la vigueur du style lui assurent, malgré ses défauts, une place à côté de nos classiques. Bien moins châtié et soutenu que les modèles du dix-septième siècle (sa langue et son goût parurent, surtout au déclin de sa carrière, souffrir de son séjour à l’étranger), il a cependant conservé dans ses odes et dans ses cantates leur haute et saine inspiration. Il est l’intermédiaire qui unit la plus glorieuse époque des lettres françaises à une autre époque où leur éclat, moins pur, ne s’est pas encore obscurci. Rousseau excelle aussi à manier l’épigramme ; il s’est pareillement essayé dans l’allégorie, à présent délaissée, ainsi que dans la comédie et l’épître, mais avec assez peu de succès. Au préjudice de la réputation de Rousseau, qu’on a parfois trop déprimée de nos jours, la poésie lyrique devait trouver, vers la fin du dernier siècle et au commencement du nôtre, une source nouvelle d’inspirations touchantes et sublimes1.
Les cieux proclament leur auteur.
A la Fortune.
L’aveuglement des hommes1.
Qu’aux accents de ma voix la terre se réveille2 !Rois, soyez attentifs ; peuples, ouvrez l’oreille :Que l’univers se taise et m’écoute parler3.Mes chants vont seconder les accords de ma lyre ;L’esprit saint me pénètre, il m’échauffe, il m’inspireLes grandes vérités que je vais révéler.L’homme en sa propre force a mis sa confiance.Ivre de ses grandeurs et de son opulence,L’éclat de sa fortune enfle sa vanité.Mais, ô moment terrible, ô jour épouvantable,Où la mort saisira ce fortuné coupable4,Tout chargé des liens de son iniquité !Que deviendront alors, répondez, grands du monde,Que deviendront ces biens où votre espoir se fonde,Et dont vous étalez l’orgueilleuse moisson ?Sujets, amis, parents, tout deviendra stérile5 ;Et, dans ce jour fatal, l’homme à l’homme inutileNe paîra point à Dieu le prix de sa rançon.Vous avez vu tomber les plus illustres têtes ;Et vous pourriez encore, insensés que vous êtes,Ignorer le tribut que l’on doit à la mort ?Non, non ; tout doit franchir ce terrible passage6 :Le riche et l’indigent, l’imprudent et le sage,Sujets à même loi, subissent même sort1.D’avides étrangers, transportés d’allégresse,Engloutissent déjà toute cette richesse,Ces terres, ces palais de vos noms ennoblis.Et que vous reste-t-il en ces moments suprêmes ?Un sépulcre funèbre où vos noms, où vous-mêmesDans l’éternelle nuit serez ensevelis2.Les hommes, éblouis de leurs honneurs frivoles,Et de leurs vains flatteurs écoutant les paroles,Ont de ces vérités perdu le souvenir :Pareils aux animaux farouches et stupides,Les lois de leur instinct sont leurs uniques guides,Et pour eux le présent paraît sans avenir3.Un précipice affreux devant eux se ◀présente ;Mais toujours leur raison, soumise et complaisante,Au-devant de leurs yeux met un voile imposteur.Sous leurs pas cependant s’ouvrent de noirs abîmes,Où la cruelle mort, les prenant pour victimes,Frappe ces vils troupeaux dont elle est le pasteur4.Là s’anéantiront ces titres magnifiques,Ce pouvoir usurpé, ces ressorts politiques,Dont le juste autrefois sentit le poids fatal :Ce qui fit leur bonheur deviendra leur torture ;Et Dieu, de sa justice apaisant le murmure5,Livrera ces méchants au pouvoir infernal.Justes, ne craignez point le vain pouvoir des hommes,Quelqu’élevés qu’ils soient, ils sont ce que nous sommes :Si vous êtes mortels, ils le sont comme vous1.Nous avons beau vanter nos grandeurs passagères,Il faut mêler sa cendre aux cendres de ses pères,Et c’est le même Dieu qui nous jugera tous2.Liv. I, ode 33.