(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre II. Défense de Fouquet, par Pélisson. »
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(1811) Cours complet de rhétorique « Livre troisième. Des Trois Genres principaux d’Éloquence. — Section cinquième. La Tribune académique. — Chapitre II. Défense de Fouquet, par Pélisson. »

Chapitre II.
Défense de Fouquet, par Pélisson.

Mais le plus beau monument du talent oratoire de Pélisson, celui qui honorera à jamais l’éloquence et l’amitié, ce sont les Mémoires qu’il composa pour la défense du célèbre Fouquet, qui, tombé en un moment du faîte de la puissance dans la disgrâce la plus complète, inspirait, du fond de sa prison, de beaux vers à La Fontaine, et des discours éloquents à Pélisson. C’est une époque bien glorieuse pour les lettres françaises, et qui justifie bien heureusement ce qu’un ancien a dit de l’étude des belles-lettres en général, qu’elles ne laissaient rien de barbare dans le cœur qui les aimait :

Emollit mores, nec sinit esse feros.
(Ovid.)

Tout le monde connaît la belle élégie de La Fontaine sur la disgrâce du surintendant : elle se trouve dans tous les recueils. Les apologies de Pélisson sont moins répandues, ou appartiennent à des recueils qui ne sont ni entre les mains, ni à la portée de tout le monde. Il est malheureux que de pareils morceaux ne puissent pas être mis plus souvent sous les yeux des jeunes gens. Ils y admireraient, malgré quelques légères imperfections, la noblesse soutenue du style, des sentiments et des idées ; la force des raisonnements, la suite et l’enchaînement des preuves ; une égale habileté à faire valoir tout ce qui peut servir l’accusé, rendre ses adversaires odieux, ou émouvoir ses juges ; des pensées sublimes, des mouvements pathétiques et surtout une péroraison adressée à Louis XIV, où le talent de l’orateur et le courage de l’ami nous paraissent également admirables. Nous nous bornerons aux traits les plus saillants.

« Nous sommes tous hommes, sire ; nous avons tous failli, nous avons tous désiré d’être considérés dans le monde ; nous avons vu que sans bien on ne l’était pas ; il nous a semblé que sans lui toutes les portes nous étaient fermées, que sans lui nous ne pouvions pas même montrer notre talent et notre mérite, si Dieu nous en avait donné, non pas même pour servir votre majesté, quelque zèle que nous eussions pour son service. Que n’aurions-nous pas fait pour ce bien, sans qui il nous était impossible de rien faire » ?

Fouquet était réellement coupable de malversations, et même de crime d’état ; il était difficile à l’éloquence même de pallier de semblables torts ; et ce n’est pas excuser un ministre dilapidateur, que de dire que nous aimons tous le bien, et que nous sommes capables de tout pour en acquérir. Ce qui suit vaut infiniment mieux ; il s’agit du code nouveau sur la comptabilité.

« Votre majesté, sire, vient de donner au monde un siècle nouveau (et cela était vrai sous tous les rapports), où ses exemples plus que ses lois même et que ses châtiments commencent à nous changer. Nous serons tous gens d’honneur, et nous courrons après la gloire, comme nous courions après l’argent, etc. Mais quant à notre conduite passée, sire, que votre majesté s’accommode, s’il lui plaît, à la faiblesse, à l’infirmité de ses enfants. Nous n’étions pas nés dans la république de Platon, ni même sous les premières lois d’Athènes, écrites de sang, ni sous celles de Lacédémone, où l’argent et la politesse étaient un crime ; mais dans la corruption des temps, dans le luxe inséparable de la prospérité des états, dans l’indulgence française, dans la plus douce des monarchies, non seulement pleine de liberté, mais de licence. Il ne nous était pas aisé de vaincre notre naissance et notre mauvaise éducation ».

Tout cela était vrai : et voilà en quoi consiste précisément le courage de le dire, et de le dire à Louis XIV. Rien de plus touchant et de plus noble à la fois, que l’endroit où quittant les lieux communs et les réflexions générales, l’orateur parle au nom de son client.

« Et quant au particulier de qui j’ai entrepris la défense, particulier maintenant et des moindres et des plus faibles, la colère de votre majesté, sire, s’emporterait-elle contre une feuille sèche que le vent emporte ? (Job.) Car à qui appliquerait-on plus à propos ces paroles que disait autrefois à Dieu même le modèle de la patience et de la misère, qu’à celui qui, par le courroux du ciel et de votre majesté, s’est vu enlever en un seul jour, et comme d’un coup de foudre, biens, honneur, réputation, serviteurs, famille, amis, santé, sans consolation et sans commerce, qu’avec ceux qui viennent pour l’interroger et pour l’accuser ? — J’ignore ce que veulent et ce que demandent, trop ouvertement néanmoins pour le laisser ignorer à personne, ceux qui ne sont pas satisfaits encore d’un si déplorable malheur ; mais je ne puis ignorer, sire, ce que souhaitent ceux qui ne regardent que votre majesté, et qui n’ont pour intérêt et pour passion que sa seule gloire. Il n’est pas jusqu’aux lois, sire, qui tout insensibles et tout inexorables qu’elles sont de leur nature, ne se réjouissent, lorsque ne pouvant se fléchir elles-mêmes, elles se sentent fléchir d’une main toute-puissante, telle que celle de votre majesté, etc. »

Cette image des lois personnifiées et le sentiment que leur prête ici l’orateur, ont quelque chose de sublime, et qui rentre essentiellement dans la manière antique. Ne croirait-on pas, dans le reste de ce beau morceau, entendre Cicéron lui-même plaidant devant le peuple romain la cause de Milon ?

« C’est un beau nom que la chambre de justice ; mais le temple de la clémence, que les Romains élevèrent à cette vertu triomphante en la personne de Jules César, est un plus grand, et un plus beau nom encore. Si cette vertu n’offre pas un temple à votre majesté, elle lui promet du moins l’empire des cœurs, où Dieu même désire régner et en fait toute sa gloire. — Courez hardiment, sire, dans une si belle carrière ; votre majesté n’y trouvera que des rois, comme Alexandre le souhaitait, quand on lui parla de courir aux jeux olympiques. Que votre majesté nous permette un peu d’orgueil et d’audace : comme elle, sire, quoique non autant qu’elle, nous serons justes, vaillants, prudents, tempérants, libéraux même ; mais comme elle nous ne saurions être cléments, etc. — Si quelqu’un, sire (nous ne pouvons le penser), s’opposait à cette miséricorde, à cette équité royale, nous ne souhaitons pas même qu’il soit traité sans miséricorde et sans équité. Mais pour nous, qui l’implorons pour M. Fouquet, qui ne l’implore pas seulement, mais qui y espère, mais qui s’y fonde, quel malheur en détournerait les effets ? quelle autre puissance si grande et si redoutable dans les états de votre majesté, l’empêcherait de suivre et sa gloire et ses inclinations, toutes grandes et toutes royales, puisque sans leur faire violence et sans faire tort à ses sujets, elle peut exercer toutes ces vertus ensemble ? L’avenir, sire, peut être prévu, réglé par de bonnes lois : qui oserait encore manquer à son devoir quand le prince fait si dignement le sien ? — Mais pour le passé ; sire, il est passé, il ne revient plus, il ne se corrige plus. Votre majesté nous avait confiés à d’autres mains que les siennes : persuadés qu’elle pensait moins à nous, nous pensions bien moins à elle ; nous ignorions presque nos propres offenses, dont elle ne semblait pas s’offenser. C’est là, sire, le digne sujet, la propre et véritable matière, le beau champ de sa clémence et de sa bonté ».