(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Massillon. (1663-1742.). » pp. 120-123
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(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Massillon. (1663-1742.). » pp. 120-123

Massillon.
(1663-1742.).

[Notice]

Aucun auteur n’est plus capable que Massillon d’apprendre à s’exprimer avec facilité, avec grâce et abondance : il achève en quelque sorte la culture des esprits, en leur offrant beaucoup de qualités accessibles qui les fécondent et qui les polissent. Appropriée au caractère de son imagination douce et pathétique, sa diction est sobrement ornée, élégante et pure, harmonieuse et sans effort. Aucun n’a parlé aux passions un langage plus propre à les captiver et à les soumettre ; aucun n’a mieux connu le cœur humain et ne l’a peint avec plus d’éloquence. Par là, cet orateur mérita d’être admiré de Louis XIV, vieillissant, et qui avait entendu de si grands hommes. Le jeune roi Louis XV reçut ensuite de lui les plus belles leçons qui aient jamais été adressées à un roi. On sait combien elles furent stériles ; toutefois Massillon mourut avant que la sagesse du cardinal de Fleury eût cessé d’être un frein pour ce prince : il n’eut pas la douleur de voir les désordres scandaleux qui signalèrent la seconde partie de son règne. Depuis longtemps, au reste, le vénérable prélat vivait loin de la cour, dans son évêché de Clermont, qui avait été, en 1717, la récompense de ses talents. Les soins de son diocèse, tous les devoirs scrupuleusement observés de l’épiscopat, et les pratiques journalières d’une charité sans bornes, avaient rempli ses dernières années et mis le comble à sa gloire2. Né dans la Provence en 1663, il mourut en 1742.

Oraison funèbre de Louis XIV1.

(Exorde.)

La grandeur de Dieu.

Dieu seul est grand2, mes frères, et dans ces derniers moments surtout où il préside à la mort des rois de la terre ; plus leur gloire et leur puissance ont éclaté, plus, en s’évanouissant alors, elles rendent hommage à sa grandeur suprême : Dieu paraît tout ce qu’il est, et l’homme n’est plus rien de tout ce qu’il croyait être.

Oui, mes frères, la grandeur et les victoires du roi que nous pleurons ont été autrefois assez publiées : la magnificence des éloges a égalé celle des événements ; les hommes ont tout dit, il y a longtemps, en parlant de sa gloire. Que nous reste-t-il ici ? que d’en parler pour notre instruction.

Ce roi, la terreur de ses voisins, l’étonnement de l’univers, le père des rois3, plus grand que tous ses ancêtres, plus magnifique que Salomon dans toute sa gloire, a reconnu comme lui que tout était vanité. Le monde a été ébloui de l’éclat qui l’environnait ; ses ennemis ont envié sa puissance ; les étrangers sont venus des îles les plus éloignées baisser les yeux devant la gloire de sa majesté4 ; ses sujets lui ont presque dressé des autels, et le prestige qui se formait autour de lui n’a pu le séduire lui-même.

Vous l’aviez rempli, ô mon Dieu, de la crainte de votre nom ; vous l’aviez écrit sur le livre éternel, dans la succession des saints rois qui devaient gouverner vos peuples ; vous l’aviez revêtu de grandeur et de magnificence. Mais ce n’était pas assez, il fallait encore qu’il fût marqué du caractère propre de vos élus : vous avez récompensé sa foi par des tribulations et par des disgrâces. L’usage chrétien des prospérités peut nous donner droit au royaume des cieux ; mais il n’y a que l’affliction et la violence1 qui nous l’assurent.

Voyons-nous des mêmes yeux, mes frères, la vicissitude des choses humaines ? Sans remonter aux siècles de nos pères, quelles leçons Dieu n’a-t-il pas données au nôtre ? Nous avons vu toute la race royale presque éteinte ; les princes, l’espérance et l’appui du trône, moissonnés à la fleur de l’âge ; l’époux et l’épouse auguste, au milieu de leurs plus beaux jours, enfermés dans le même cercueil, et les cendres de l’enfant suivre tristement et augmenter l’appareil lugubre de leurs funérailles2 ; le roi, qui avait passé d’une minorité orageuse au règne le plus glorieux dont il soit parlé dans nos histoires, retomber de cette gloire dans des malheurs presque supérieurs à ses anciennes prospérités, se relever encore plus grand de toutes ces pertes, et survivre à tant d’événements divers pour rendre gloire à Dieu et s’affermir dans la foi des biens immuables.

Ces grands objets passent devant nos yeux comme des scènes fabuleuses : le cœur se prête pour un moment au spectacle ; l’attendrissement finit avec la représentation ; et il semble que Dieu n’opère ici-bas tant de révolutions, que pour se jouer dans l’univers, et nous amuser plutôt que nous instruire.

Oraison funèbre de Louis XIV (1715).

Panégyrique de saint Louis.

(Fragment.)

Gouvernement de saint Louis : ses vertus civiles et militaires.

Le saint roi rendit aux peuples, avec la tranquillité, la joie et l’abondance : les familles virent renaître ces siècles heureux qu’elles avaient tant regrettés ; les villes reprirent leur premier éclat ; les arts, facilités par les largesses du prince, attirèrent chez nous les richesses des étrangers : le royaume, déjà si abondant de son propre fonds, se vit encore enrichi de l’abondance de nos voisins. Les Français vivaient heureux ; et, sous un si bon roi, tout ce qu’ils pouvaient souhaiter à leurs enfants, c’était un successeur qui lui fût semblable1.

C’est le privilège, et en même temps le devoir des grands, de préparer non-seulement à leur siècle, mais aux siècles à venir, des secours publics aux misères publiques : notre saint roi connut ce devoir, et jamais prince ne fit plus d’usage d’un si heureux privilége. Que de maisons saintes dotées ! que de lieux de miséricorde élevés par ses libéralités ! que d’établissements utiles entrepris par ses soins ! il n’est point de genre de misère à laquelle ce pieux roi n’ait laissé pour tous les âges suivants une ressource publique. Ville heureuse, qui le vîtes autrefois régner, au milieu de vos murs s’élèvent encore et subsisteront toujours des édifices sacrés, les fruits immortels de sa charité et de son amour pour son peuple. Mais l’enceinte de cette capitale ne renferma pas tous les soins bienfaisants de sa magnificence et de sa piété. Obligé souvent de visiter ses provinces et de se montrer à ses sujets les plus éloignés, il laissa partout des monuments durables de sa miséricorde et de sa bonté ; et encore aujourd’hui on ne marque ses voyages dans les divers endroits du royaume que comme autrefois les Juifs marquaient ceux des patriarches dans la Palestine, c’est-à-dire par les lieux de religion qu’il éleva à la gloire du Dieu de ses pères. Ses trésors pouvaient à peine suffire à ses pieuses largesses ; et tout roi qu’il était, il se croyait les dépenses les moins superflues interdites, tandis qu’il lui restait encore des misères à soulager.

A la tête des armées, ce n’était plus ce roi pacifique, accessible à ses sujets, assis sous le bois de Vincennes avec une affabilité que la simplicité du lieu rendait encore plus respectable ; réglant les intérêts des familles, réconciliant les pères avec les enfants, démêlant les passions de l’équité, assurant les droits de la veuve et de l’orphelin, paraissant plutôt un père au milieu de sa famille qu’un roi à la tête de ses sujets, entrant dans des détails dont des subalternes se seraient crus déshonorés, et ne trouvant indigne d’un prince et indécent à la majesté des rois que d’ignorer les besoins de leurs peuples. Ce n’était plus, dis-je, ce roi pacifique et clément : c’était un héros toujours plus intrépide à mesure que le péril augmentait ; plus magnanime dans la défaite que dans la victoire ; terrible à ses ennemis, lors même qu’il était leur captif. Elevé sur un trône que les troubles de la minorité avaient affaibli, avec quelle valeur en rétablit-il la gloire et la majesté ! En subjuguant ainsi les ennemis domestiques, notre pieux héros s’exerçait à combattre un jour les ennemis de la foi. Il voyait avec douleur les armes des princes chrétiens employées à s’exterminer les uns les autres, et leurs tristes divisions augmenter tous les jours l’insolence et les conquêtes des nations infidèles. Poussé d’un zèle saint, il sort, comme un autre Abraham, de sa terre et de la maison de ses pères ; il s’arrache à toutes les délices du trône, et, à la tête de ses plus vaillants sujets, il vole venger la gloire de Jésus-Christ outragée par des barbares, qui foulaient encore aux pieds une partie des lieux saints de la Palestine et menaçaient d’envahir le reste, que la valeur des Français venait de conquérir depuis peu. Terre infortunée qui, arrosée du sang de Jésus-Christ, et consacrée par les mystères qui ont opéré le salut de tous les hommes, gémissez pourtant encore, malgré tous les efforts de nos pères, sous une dure servitude, pour servir sans doute de monuments jusqu’à la fin à la vérité des prédictions du Sauveur ; terre infortunée, vous rappelâtes alors, en voyant ce pieux héros armé pour la délivrance de la sainte Jérusalem, vous rappelâtes vos anciens jours de gloire et d’allégresse ; vous parûtes animée d’une nouvelle espérance, vous crûtes revoir les Josué, les Gédéon, les David, a la tête de vos tribus, qui venaient briser votre joug et vous délivrer de la servitude et de l’oppression d’un peuple incirconcis. Mais le temps de votre délivrance n’était pas encore arrivé ; le crime de vos pères n’était pas encore expié ; et le Seigneur ne voulait que glorifier son serviteur en l’éprouvant, et point du tout mettre fin à vos malheurs et à votre ignominie.

Panégyrique de saint Louis 1 (Extrait de la première partie).