Brizeux
1803-1858
[Notice]
Originaire d’Irlande, né à Lorient, Brizeux pourrait être appelé un barde breton ; car sa muse a toujours chanté l’Armorique, soit dans des élégies familières, soit dans de rustiques épopées. Sa chère province lui porta bonheur. Il lui dut de pures inspirations, et pour ainsi dire les senteurs vivifiantes qui s’exhalent de toutes ses œuvres. La religion, la patrie, la nature et l’art, voilà les sources auxquelles il a puisé. La jeunesse de son talent s’épanouit dans une idylle printanière, intitulée Marie. Son poëme des Bretons est animé d’un accent plus viril. Ses Histoires poétiques sont un écrin où brillent des joyaux exquis. Élégant et fin, comme la fleur sauvage des bruyères, il rappelle René, son compatriote, par un fonds de mélancolie incurable. Il y eut parfois trop de brume dans ses horizons ; mais il est sain comme l’air de ses grèves2.
La maison du moustoir
O maison du Moustoir ! combien de fois, la nuit,Ou quand j’erre le jour dans la foule et le bruit,Tu m’apparais ! — je vois les toits de ton villageBaignés à l’horizon dans des mers de feuillage,Une grêle fumée au-dessus, dans un champ,Une femme de loin appelant son enfant1 ;Ou bien un jeune pâtre assis près de sa vache,Qui, tandis qu’indolente elle paît, à l’attache,Entonne un air breton si plaintif et si doux,Qu’en le chantant ma voix vous ferait pleurer tous. —Oh ! les bruits, les odeurs, les murs gris des chaumières,Le petit sentier blanc et bordé de bruyères2,Tout renaît, comme au temps où, pieds nus, sur le soir,J’escaladais la porte, et courais au Moustoir ;Et, dans ces souvenirs où je me sens revivre,Mon pauvre cœur troublé se délecte et s’enivre !Aussi, sans me lasser, tous les jours, je revoisLe haut des toits de chaume, et le bouquet de bois,Au vieux puits la servante allant emplir ses cruches3,Et le courtil en fleur où bourdonnent les ruches4,Et l’aire, et le lavoir, et la grange ; en un coin,Les pommes par monceaux, et les meules de foin ;Les grands bœufs étendus aux portes de la crèche,Et devant la maison un lit de paille fraîche.Puis j’entre, et c’est d’abord un silence profond,Une nuit calme et noire ; aux poutres du plafondUn rayon de soleil, seul, darde sa lumière,Et tout autour de lui fait danser la poussière5.Chaque objet cependant s’éclaircit ; à deux pas,Je vois le lit de chêne et son coffre6, et plus bas(Vers la porte, en tournant), sur le bahut énorme,Pêle-mêle, bassins, vases de toute forme,Pain de seigle, laitage, écuelles de noyer,Enfin, plus bas encor, sur le bord du foyer,Assise à son rouet près du grillon qui crie,Et dans l’ombre filant, je reconnais Marie.(Marie. — Éd. Michel Lévy.)