(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Balzac. (1594-1655.) » pp. 2-6
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(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — Balzac. (1594-1655.) » pp. 2-6

Balzac.
(1594-1655.)

[Notice]

Balzac, dont l’éloquence a excité l’enthousiasme de son époque, peut offrir à la nôtre plus d’un modèle oratoire. Né à Angoulême vers le temps où Henri IV faisait sa rentrée dans Paris, il mourut lorsque Louis XIV, majeur, laissait encore son pouvoir aux mains de Mazarin. C’est le premier de nos auteurs qui ait écrit supérieurement, dans ses moments heureux, notre langue parvenue à sa maturité. Ses principaux ouvrages sont : le Socrate chrétien, où une teinte antique relève la beauté de la morale moderne ; le Prince, où il trace à Louis XIII ses devoirs et célèbre Richelieu son protecteur ; ses Dissertations politiques et critiques ; Aristippe ou la Cour, et la Relation à Ménandre, en d’autres termes sa justification ou sa réponse aux ennemis que lui avait faits sa gloire. On trouve dans ce dernier livre, remarque M. Nisard, de grands traits de mélancolie que semble avoir recueillis Pascal1.

L’homme-Dieu.

L’homme-Dieu que nous adorons a nettoyé la terre de cette multitude de monstres que les hommes adoraient ; mais il n’en est pas demeuré là.

Il ne s’est pas contenté de ruiner l’idolâtrie et d’imposer silence aux démons : il a de plus confondu la sagesse humaine ; il a ôté la parole aux philosophes. Leurs sectes ont fait place à son Eglise et leurs dogmes à ses commandements : toute la raison, toute l’éloquence d’Athènes lui a cédé. C’est lui qui a humilié l’orgueil du Portique, qui a décrédité le Lycée et les autres écoles de la Grèce. Il a fait voir qu’il y avait de l’imposture partout, qu’il y avait des fables dans la philosophie, et que les philosophes n’étaient pas moins extravagants que les poëtes, mais que leur extravagance était plus grave et plus composée. Il a fait avouer aux spéculatifs qu’ils avaient rêvé lorsqu’ils avaient voulu méditer. Il leur a montré que de cent cinquante et tant d’opinions1 qui visaient au souverain bien, il n’y en avait pas une qui eût touché au but : vous pouvez voir et compter ces opinions dans les livres de la Cité de Dieu de saint Augustin2. Jésus-Christ a ainsi traité les sages du monde : de cette sorte il a pacifié leurs querelles et leurs guerres. En les réfutant tous, il les a tous accordés.

Avant lui, on se doutait bien de quelque chose : on donnait de légères atteintes à la vérité ; on avait quelques soupçons et quelques conjectures de ce qui est. Mais les plus intelligents étaient les plus retenus et les plus timides à se faire entendre ; ils n’osaient se déclarer sur quoi que ce soit ; ils ne parlaient qu’en tremblant et en hésitant des affaires de l’autre vie : ils consultaient et délibéraient toujours, sans jamais se résoudre ni prendre parti. Ils ne m’étonnent pas néanmoins. Car comment eussent-ils pu trouver la vérité qu’ils cherchaient, puisqu’elle n’était pas encore née : il fallait que la vérité se fit chair3, afin de se rendre sensible et de devenir familière aux hommes, afin de se faire voir et toucher.

Cette vérité n’est autre que Jésus-Christ : et c’est ce Jésus-Christ qui a fait cesser les doutes et les irrésolutions de l’Académie, qui a même assuré le pyrrhonisme4. Il est venu arrêter les pensées vagues de l’esprit humain : par son moyen, nous savons ce qu’Aristote, ce que le maître d’Aristote5, ce que les disciples d’Aristote ont ignoré. Ils avaient les yeux bons ; mais ils cheminaient de nuit, et la subtilité de leur vue n’était pas comparable à la pureté de notre lumière.

Ou le monde est éternel, ou il a eu un commencement ; ou l’âme de l’homme meurt avec le corps, ou il y a une seconde vie pour elle après celle-ci : voilà toute la satisfaction que vous donneront les savants de la Grèce et les habiles de Rome. Ne leur en demandez pas davantage. L’inconstance de leur esprit, l’incertitude de leurs opinions, est chose à faire pitié. Ils ne vous payeront que d’équivoques ; ils ne vous conseilleront que de suspendre votre jugement, que de retenir votre détermination. Le seul Jésus-Christ a pouvoir de conclure et de prononcer, et sa seule doctrine nous peut mettre l’esprit en repos. Elle définit, elle décide, elle juge souverainement. Elle tranche les difficultés ; elle coupe les nœuds et ne s’amuse pas à les démêler : elle nous assure en termes formels que les choses visibles ont commencé et que les substances spirituelles ne finiront point.

Depuis la publication de cette doctrine, nous disons hautement et affirmativement que le monde ne s’est pas bâti lui-même, mais qu’il y a je ne sais quoi de plus vieux et de plus ancien qui a travaillé à une si admirable architecture. Nous disons que les astres ont été faits par une main qui en pourrait faire de plus beaux. Nous disons que l’âme de l’homme est un feu inextinguible et perpétuel ; qu’elle est originaire du ciel ; que c’est une partie de Dieu même1 : et par conséquent qu’il y a bien plus d’apparence qu’elle se ressente de la noblesse de sa race que de la contagion de sa demeure ; qu’il est bien plus à croire qu’elle dure, pour se réunir à son principe, pour acquérir la perfection de son être, pour devenir raison toute pure, qu’il n’est à croire qu’elle finisse, pour tenir compagnie à la matière, pour s’éloigner de sa véritable fin, pour courir la fortune de ce qui est son contraire plutôt que son associé.

La même doctrine nous découvre les autres secrets du ciel avec la même certitude ; mais ce sont là les secrets importants, et qui contribuent à notre salut, et non pas les secrets inutiles qui ne font que donner de l’exercice à notre curiosité. Cette doctrine nous enseigne tout ce qu’il est nécessaire que nous apprenions.

Socrate chrétien, discours Ier.

De la conduite de Dieu dans les événements humains.

Il devait périr, cet homme fatal1, il devait périr, dès le premier jour de sa conduite, par une telle ou telle entreprise ; mais Dieu se voulait servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter2 le monde : la justice de Dieu se voulait venger et avait choisi cet homme pour être le ministre de sa vengeance. La raison concluait qu’il tombât d’abord par les maximes qu’il a tenues ; mais il est demeuré longtemps debout par une raison plus haute qui l’a soutenu3. Il a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n’était pas de lui, par une force qui appuie la faiblesse, qui anime la lâcheté, qui arrête les chutes de ceux qui se précipitent, qui n’a que faire des bonnes maximes pour produire les bons succès. Cet homme a duré pour travailler au dessein de la Providence. Il pensait exercer ses passions : il exécutait les arrêtés du ciel. Avant que de se perdre, il a eu le loisir de perdre les peuples et les Etats, de mettre le feu aux quatre coins de la terre, de gâter le présent et l’avenir par les maux qu’il a faits et par les exemples qu’il a laissés…

Mais il faut toujours en venir là. Il est très-vrai qu’il y a toujours quelque chose de divin, disons davantage, il n’y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les Etats. Ces dispositions, cette humeur, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude, viennent de plus haut qu’on ne s’imagine. Dieu est le poëte et les hommes ne sont que les acteurs4.

Ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c’est souvent un faquin qui en doit être l’Atrée ou l’Agamemnon.

Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains tout est foudre, tout est déluge, tout est Alexandre et César ; elle peut faire par un enfant, par un nain, ce qu’elle fait par les géants, par les héros.

Dieu dit lui-même de ces gens-là « qu’il les envoie en sa colère, et qu’ils sont les verges de sa fureur ». Mais ne prenez pas ici l’un pour l’autre : les verges ne piquent ni ne mordent d’elles-mêmes, ne blessent ni ne frappent toutes seules ; c’est l’envie, c’est la colère, c’est la fureur qui rendent les verges terribles et redoutables.

Cette main invisible, ce bras qui ne paraît pas, donne les coups que le monde sent ; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l’homme ; mais la force qui accable est toute de Dieu1.

Ibid., VIII.

Distinction de la vraie et de la fausse éloquence.

L’éclat ne présuppose pas toujours la solidité, et les paroles qui brillent le plus sont souvent celles qui pèsent le moins. Il y a une faiseuse de bouquets, je ne l’ose nommer Eloquence, qui est toute peinte et toute dorée, qui semble toujours sortir d’une boîte, qui n’a soin que de s’ajuster et ne songe qu’à faire la belle ; qui, par conséquent, est plus propre pour les fêtes que pour les combats, et plaît davantage qu’elle ne sert2, quoique néanmoins il y ait des fêtes dont elle déshonorerait la solennité et des personnes à qui elle ne donnerait point de plaisir.

Ne se soutenant que d’apparence3 et n’étant animée que de couleur, elle agit principalement sur l’esprit du peuple, parce que le peuple a tout son esprit dans les yeux et dans les oreilles. Faute de raisons et d’autorité, elle use de charmes et de flatterie. Elle est creuse et vide de choses essentielles, bien qu’elle soit résonnante1 de tons agréables. Elle est au moins plus délicate que forte, et, ayant sa puissance bornée, ou elle ne porte pas plus loin que les sens, ou, pour le plus, elle ne touche que légèrement le dehors de l’âme.

La vraie éloquence est bien différente de cette causeuse des places publiques, et son style est bien éloigné du jargon ambitieux des sophistes grecs. Disons que c’est une éloquence d’affaires et de service, née pour le commandement et la souveraineté, tout efficace et toute pleine de force. Disons qu’elle agit, s’il se peut, par la parole plus qu’elle ne parle ; qu’elle ne donne pas seulement à ses ouvrages un visage et de la grâce, mais un cœur, de la vie et du mouvement2.

Elle ne s’amuse point à cueillir des fleurs et à les lier ensemble ; mais les fleurs naissent sous ses pas. En visant ailleurs, elle les produit. Sa mine est d’une amazone, et sa négligence même ne fait point de tort à sa dignité. Elle ne laisse pas toutefois de se parer, quand il en est besoin, quoiqu’elle soit moins curieuse de ses ornements que de ses armes3.

Dissertations critiques, IIe.