(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Jean-Baptiste Rousseau 1670-1741 » pp. 441-444
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Jean-Baptiste Rousseau 1670-1741 » pp. 441-444

Jean-Baptiste Rousseau
1670-1741

[Notice]

Ce que nous savons de sa vie ne le recommande guère à l’estime de la postérité. Il y a autant d’alliage dans son talent que dans son caractère ; on chercherait vainement en lui ces accents sincères et passionnés qui attestent une généreuse nature de poëte. Il ignora l’inspiration vraie. Les sujets ne s’emparaient point de lui : il n’y voyait qu’une matière à traiter, et s’il parut se vouer à l’ode religieuse, ce ne fut pas par entraînement de cœur. Il eut l’intelligence plutôt que le sentiment de la poésie sacrée, et l’âme des prophètes ne l’échauffa guère.

Il est froid, artificiel ; il a le génie indigent, il se traîne sur des lieux communs mythologiques ; il travaille de mémoire, et pourtant, lorsqu’il est soutenu par un modèle ou des souvenirs, il a de l’harmonie, du rhythme, parfois même de la couleur et de la noblesse dans les détails du style. Mais sa langue est sèche et artificielle.

Ôde à philomèle 1

Pourquoi, plaintive Philomèle,
Songer encore à vos malheurs,
Quand, pour apaiser vos douleurs,
Tout cherche à vous marquer son zèle2?
L’univers, à votre retour,
Semble renaître pour vous plaire ;
Les Dryades3 à votre amour
Prêtent leur ombre solitaire4.
Loin de vous l’Aquilon fougueux
Souffle sa piquante froidure ;
La terre reprend sa verdure :
Le ciel brille des plus beaux feux5.
Pour vous l’amante de Céphale6
Enrichit Flore de ses pleurs ;
Le Zéphyr cueille sur les fleurs
Les parfums que la terre exhale.
Pour entendre vos doux accents,
Les oiseaux cessent leur ramage,
Et le chasseur le plus sauvage
Respecte vos jours innocents.
Cependant votre âme, attendrie
Par un douloureux souvenir,
Des malheurs d’une sœur chérie7
Semble toujours s’entretenir.
Hélas ! que mes tristes pensées
M’offrent des maux bien plus cuisants !
Vous pleurez des peines passées,
Je pleure des ennuis présents1.
Et quand la nature attentive
Cherche à calmer vos déplaisirs,
Il faut même que je me prive
De la douceur de mes soupirs2.

Les dégouts du poëte

Muses, gardez vos faveurs pour quelque autre ;
Ne perdons plus ni mon temps, ni le vôtre,
Dans ces débats où nous nous égayons.
Tenez, voilà vos pinceaux, vos crayons :
Reprenez tout, j’abandonne sans peine
Votre Hélicon, vos bois, votre Hippocrène3,
Vos vains lauriers d’épine enveloppés,
Et que la foudre a si souvent frappés4 ;
Car aussi bien5, quel est le grand salaire
D’un écrivain au-dessus du vulgaire ?
Quel fruit revient aux plus rares esprits
De tant de soins6 à polir leurs écrits,
A rejeter les beautés hors de place,
Mettre d’accord la force avec la grâce,
Trouver aux mots leur véritable tour
Fuir les longueurs, éviter les redites,
Bannir enfin tous ces mots parasites1,
Qui, malgré vous dans le style glissés,
Rentrent toujours, quoique toujours chassés ?
Quel est le prix d’une étude si dure ?
Le plus souvent une injuste censure,
Ou, tout au plus, quelque léger regard
D’un courtisan qui vous loue au hasard,
Et qui peut-être avec plus d’énergie
S’en va prôner quelque fade élégie.
Et quel honneur peut espérer de moins
Un écrivain libre de tous ces soins,
Que rien n’arrête, et qui, sûr de se plaire,
Fait, sans travail, tous les vers qu’il veut faire ?
Il est bien vrai qu’à l’oubli condamnés,
Ses vers souvent sont des enfants mort-nés ;
Mais chacun l’aime, et nul ne s’en défie.
A ses talents aucun ne porte envie ;
Il a sa place entre les beaux esprits,
Fait des sonnets2, des bouquets pour Iris,
Quelquefois même aux bons mots s’abandonne,
Mais doucement, et sans blesser personne ;
Toujours discret, et toujours bien disant,
Et, sur le tout, aux salons complaisant.
Que si jamais, pour faire une œuvre en forme3,
Sur l’Hélicon Phébus permet qu’il dorme4.
Voilà d’abord tous ces chers confidents,
De son mérite admirateurs ardents,
Qui, par cantons répandus dans la ville,
Pour l’élever dégraderont Virgile :
Car il n’est point d’auteur si désolé5
Qui dans Paris n’ait un parti zélé ;
Rien n’est moins rare. Un sot, dit la satire.
Trouve toujours un plus sot qui l’admire.

épigramme

1653Ce monde-ci n’est qu’une œuvre comique
Où chacun fait2 des rôles différents.
Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérants.
Par nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile et des grands rebutée,
Par nous, d’en bas, la pièce est écoutée.
Mais nous payons, utiles spectateurs ;
Et quand la farce est mal représentée,
Pour notre argent nous sifflons les acteurs3.

Un héros

Est-on héros pour avoir mis aux chaînes
Un peuple ou deux ? Tibère eut cet honneur.
Est-on héros en signalant ses haines
Par la vengeance ? Octave eut ce bonheur.
Est-on héros en régnant par la peur ?
Séjan fit tout trembler, jusqu’à son maître.
Mais de son ire4 éteindre le salpêtre,
Savoir se vaincre et réprimer les flots
De son orgueil, c’est ce que j’appelle être
Grand par soi-même : et voilà mon héros !