(1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — Seconde partie. Moyens de former le style. — Chapitre Ier. Des exercices préparatoires à la composition » pp. 209-224
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(1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — Seconde partie. Moyens de former le style. — Chapitre Ier. Des exercices préparatoires à la composition » pp. 209-224

Chapitre Ier.

Des exercices préparatoires à la composition

302. En quoi consistent les exercices préparatoires à la composition ?

Sous le nom d’exercices préparatoires à la composition, nous comprenons, outre l’étude et la connaissance des principes littéraires, la lecture des modèles, l’imitation des chefs-d’œuvre, et la méditation du sujet qui donne les divers moyens de le féconder et de le développer ou les sources de l’amplification. Nous donnerons quelques développements à ces questions dans les trois articles suivants.

Article Ier.

De la lecture des modèles

303. La lecture des modèles n’est-elle pas un moyen puissant de former le style ?

De tout temps la lecture des modèles littéraires, c’est-à-dire de ce qu’il y a de plus parfait dans les ouvrages d’esprit, a paru un moyen puissant pour développer le talent et former le style. C’est par la lecture, dit Quintilien, que nous apprenons le sens et la valeur des mots, et la place qu’il convient de leur donner… La lecture sérieuse et souvent répétée grave les choses dans la mémoire, et en rend l’imitation facile. La voie des préceptes est longue, dit Sénèque, celle des exemples est brève et puissante : Longum iter per præcepta, breve et efficax per exempla. A l’étude des principes littéraires, il faut donc joindre la connaissance des grands écrivains qui les ont appliqués.

304. Cette règle n’est-elle pas fondée sur la pratique des plus grands génies ?

Cette règle est fondée non seulement sur l’opinion de tous les rhéteurs, mais encore sur la pratique des plus grands écrivains de tous les temps. Virgile et Cicéron, dit M. Laurentie, doivent beaucoup de leurs perfections à Homère et à Démosthènes. Le beau siècle de Louis XIV se faisait gloire de suivre les traditions de la Grèce et de l’Italie. Racine, Corneille, Boileau méditaient jour et nuit les chefs-d’œuvre antiques. Fénelon semble avoir emprunté à ces temps de génie les formes séduisantes de son langage. Bossuet étudia les secrets de leur éloquence ; mais il puisa surtout aux sources nouvelles que la religion chrétienne a ouvertes aux lettres. Son style est plein de l’étude des Pères, surtout de celle de saint Augustin.

305. Quels livres faut-il lire ?

La raison suffirait pour nous apprendre que ceux qui cherchent à s’initier à l’art d’écrire, doivent s’attacher dans leurs lectures aux meilleurs ouvrages des écrivains les plus illustres. C’était la pratique de Quintilien : Ego optimos quidem, et statim, et semper. Ces ouvrages sont ceux que le jugement des siècles, qu’une opinion bien prononcée, certaine, invariable, a placés au premier rang. Or, pour mériter cet honneur, un livre doit être irréprochable, tant sous le rapport moral que sous le rapport littéraire.

306. Montrez qu’il faut rejeter les mauvais ouvrages.

Si le discernement est nécessaire dans les choses purement matérielles, que sera-ce lorsqu’il s’agit de former tout ce qui constitue l’homme moral, goût, jugement, opinions, sentiments et désirs ; que sera-ce quand il s’agit souvent de la foi, c’est-à-dire du bonheur dans le présent et dans l’avenir ? Le jeune littérateur doit donc rejeter impitoyablement tous les livres qui portent des atteintes plus ou moins funestes à la religion et aux bonnes mœurs. Ces ouvrages d’ailleurs sont toujours nuisibles au développement des qualités qui font le grand écrivain. On perd, en les lisant, ces sentiments nobles, généreux, élevés, sans lesquels il est impossible d’exceller dans la composition. Ces grandes idées d’honneur, de vertu, de magnanimité, de dévouement, les seules capables dans tous les temps d’exciter l’admiration, l’enthousiasme, s’altèrent ou ne naissent jamais dans l’esprit des jeunes gens dont le cœur est vicié de bonne heure par la lecture d’auteurs dangereux ou suspects.

Les avantages de l’instruction sont assurément d’une grande importance dans la vie, dit M. le chanoine Capot ; mais il est quelque chose de plus précieux encore, et sans quoi l’instruction n’est souvent qu’un malheur de plus et pour nous et pour nos semblables ; je veux dire, la rectitude du jugement, l’habitude de discerner les choses sans préoccupation et sans préjugé, le silence des passions, la paix parfaite du cœur, le calme de la conscience. Disons-le sans crainte : rien, absolument rien ne doit être sacrifié à ces derniers avantages ; et dussent les connaissances d’un jeune homme s’en trouver moins étendues, mieux vaudrait moins d’instruction, avec plus de raison et plus d’innocence. L’alternative supposée, il n’y a donc pas à balancer, et une parole de saint Jérôme rend ici parfaitement notre pensée : Melius est aliquid nescire securè quàm cum periculo discere.

307. Qu’avez-vous à dire des lectures au point de vue littéraire ?

Le bon dans les compositions littéraires a des points d’affinité singulièrement remarquables avec le beau. Aussi les ouvrages que nous venons de signaler comme devant être si préjudiciables au jugement et au cœur, on peut avancer qu’ils n’offrent guère plus de garantie sous le rapport purement littéraire, qu’on les considère au point de vue des pensées ou du style. Dans un âge où le goût est encore si peu formé, la connaissance des règles si incomplète, l’expérience si peu avancée, il importe de ne nourrir son intelligence que d’ouvrages qui se distinguent par un goût sûr et délicat, et que le sentiment général a classés parmi les modèles. Et lorsqu’on aura longtemps contemplé les merveilles de la Bible, le livre par excellence, et les grandes inspirations de la littérature chrétienne ; lorsqu’on aura étudié les chefs-d’œuvre des plus beaux siècles ; lorsqu’on aura appris à distinguer le beau réel de ce qui n’en a que l’apparence, alors on pourra entreprendre d’autres lectures, et faire connaissance avec les écrivains dont la réputation est moins éclatante.

308. — Est-il nécessaire de lire beaucoup d’ouvrages ?

Une des règles relatives à la lecture des modèles est de se borner à un petit nombre d’auteurs. La multitude des livres, dit Sénèque, au lieu d’enrichir et d’éclairer l’esprit, ne sert qu’à y jeter le désordre et la confusion. Pline le Jeune conseille de lire beaucoup un petit nombre d’ouvrages : Multùm legendum, non multa. Un célèbre docteur avait dit : Timeo hominem unius libri  ; et M. de Bonald assure que de deux hommes également favorisés de la nature, celui-là réussira mieux dans l’art d’écrire et possédera surtout la manière la plus originale, qui aura lu le plus souvent et avec le plus de fruit un petit nombre d’excellents ouvrages et moins d’ouvrages médiocres. Il n’y a pas un grand homme, pas un sage, qui n’ait fini par restreindre à un très petit nombre d’écrivains favoris l’élite imposante des amis que la lecture lui avait donnés, parmi les maîtres de la parole. — Les commençants qui veulent se former un goût sûr et un bon style, doivent donc lire peu de livres, et les choisir dans le genre de leur talent. C’est l’avis de M. de Bonald.

309. Quels sont les moyens à prendre pour lire les modèles avec avantage ?

La lecture des modèles, pour être profitable, doit être réfléchie, courte et méthodique.

D’abord, de ce que le nombre de ces livres est peu étendu, il s’ensuit que chacun doit être lu plus d’une fois : Si jamais , dit Sénèque, vous quittez les auteurs estimés pour en lire d’autres, ne manquez pas de revenir aux premiers. Un livre dont l’importance est une fois hors de doute, n’est jamais connu à une première lecture ; il ne l’est que bien imparfaitement à une seconde, et ce n’est guère qu’à la troisième que l’on voit bien clair dans la pensée de l’auteur, et qu’on peut, d’un coup d’œil sûr, saisir le plan, la marche, le but, l’ensemble de son œuvre, découvrir l’enchaînement, la suite et la progression des pensées et des sentiments, et constater l’accord des expressions avec les idées. Un bon moyen encore de rendre une lecture fructueuse, c’est de ne pas lire un seul livre utile sans en faire, non pas l’analyse, ce serait trop demander, mais au moins des extraits à son usage. On relit souvent ces morceaux ; on les apprend même quelquefois de mémoire ; on meuble ainsi son esprit de souvenirs qui ne s’effaceront pas, et on y ramasse, selon l’expression de Cicéron, une riche moisson d’idées.

De plus, il faut lire peu à la fois ; les objets se fixent plus aisément dans l’esprit. Lire au delà de certaines bornes, c’est presque toujours se fatiguer sans fruit. L’esprit s’affaisse sous le poids dont on le charge. Il est comme les fleurs et les plantes, a dit un ingénieux critique, qui se nourrissent mieux quand on les arrose modérément ; mais qui sont noyées et suffoquées, quand l’eau est versée avec trop d’abondance.

Enfin, la lecture des modèles doit être faite avec ordre et méthode. Cette règle veut que l’on commence par les ouvrages les plus utiles, que l’on se garde de passer d’un livre à l’autre sans raison, et que l’on évite de courir de page en page et de sauter du commencement à la fin d’une composition, au lieu de suivre attentivement la marche de l’auteur.

Article II.

De l’imitation

310. Que faut-il entendre par imitation en littérature ? L’imitation des maîtres qui excellent ou qui ont excellé en chaque temps, consiste dans l’art de transporter dans ses propres écrits leurs pensées, leurs sentiments, leurs images, leur plan, mais avec une certaine liberté, c’est-à-dire en les déguisant avec esprit ou en les embellissant.

311. Rendez sensible par des exemples l’usage qu’on peut faire de l’imitation.

Nous prendrons seulement ces vers si pathétiques de l’épisode d’Orphée et d’Eurydice :

Te, dulcis conjux, te solo in littore secum,
Te, veniente die, te, decedente, canebat.
Virgile.
C’est toi, quand le jour naît, toi, quand le jour expire,
Toi que nomment ses pleurs, toi que chante sa lyre.
Lebrun.
Là, soit que le soleil rendît le monde au jour,
Soit qu’il finît sa course au vaste sein de l’onde,
Sa voix faisait redire aux échos attendris
Le nom, le triste nom de son malheureux fils.
Voltaire.

L’imitation de ce morceau se voit encore, mais plus faible, plus voilée, plus éloignée dans ce passage de J.-B. Rousseau :

Je disais à la nuit sombre :
O nuit, tu vas dans ton ombre
M’ensevelir pour toujours.
Je redisais à l’aurore :
Le jour que tu fais éclore
Est le dernier de mes jours.

312. L’imitation est-elle utile ?

L’imitation forme mieux que tous les préceptes, dit Gaichiez après Longin. — De tout temps, cet exercice, tel que nous l’avons défini, a été permis et conseillé. Virgile a marché sur les traces d’Homère, Cicéron sur celles de Démosthènes, Horace sur celles de Pindare. Les meilleurs orateurs et les meilleurs poètes modernes ont puisé sans scrupule dans les poètes et dans les orateurs grecs et latins. C’est dans les bons orateurs, dit Quintilien, qu’il faut prendre l’abondance et la richesse des termes, la variété des figures et la manière de composer. On doit, ajoute-t-il, s’attacher fortement à imiter toutes les perfections que l’on découvre en eux ; car il est indubitable que l’art consiste en grande partie dans l’imitation : Neque enim dubitari potest, quin artis pars magna contineatur imitatione. L’imitation est surtout très utile pour les commençants.

313. De quelles manières peut se faire l’imitation des auteurs ?

D’abord, il est naturel de prendre pour modèles de ses compositions les auteurs qu’on a choisis pour ses lectures. Sans revenir sur l’importance de ce choix, nous ferons remarquer avec d’Aguesseau, qu’on ne saurait se proposer des modèles trop purs et trop parfaits, quand on veut arriver soi-même à la perfection.

En supposant qu’on se propose les modèles les plus parfaits, comment s’y prendra-t-on pour s’en approprier les beautés ? — En premier lieu, on peut prendre les pensées d’un auteur en adoptant d’autres expressions, d’autres tournures, pour les exprimer. — On imite encore en appliquant avec habileté à d’autres sujets des traits empruntés à une autre langue, comme l’a fait Voltaire pour le Te, dulcis conjux…  — Enfin, une autre manière, appelée méthode de reproduction, consiste à lire plusieurs fois avec attention un morceau intéressant, à le reproduire librement et à le comparer avec le modèle.

Quelquefois cependant on pourra essayer de tirer des perles du fumier d’Ennius, c’est-à-dire d’embellir et de perfectionner des auteurs imparfaits. C’est ainsi que Virgile a pris dans le poème des Argonautes, d’Apollonius de Rhodes, l’idée de l’épisode de Didon, même avec assez de détails ; c’est ainsi que Corneille a imité Sénèque dans la scène d’Auguste avec Cinna ; que Voltaire, dans la Mort de César, a embelli Shakespeare, etc.

Quelles sont les règles à suivre dans l’imitation ?

Il faut d’abord éviter cette imitation servile, qui consiste à se traîner sur les pas d’un écrivain et qui a fait tant de mauvaises copies des meilleurs modèles, et imiter d’une manière noble, généreuse, pleine de liberté et d’aisance, comme La Fontaine qui dit de lui-même :

Mon imitation n’est point un esclavage.

Ensuite, comme tout n’est pas également parfait dans les modèles, puisque d’après Horace, Homère sommeille quelquefois, il faut user d’une grande sagacité dans le discernement et dans le choix, pour ne pas se laisser égarer par les défauts qui sont quelquefois séduisants.

Enfin, un autre danger de l’imitation, c’est de se passionner pour un modèle. Ce défaut a très-souvent de funestes conséquences :

Un modèle imparfait égare,
S’il a du brillant et du faux ;
Souvent un copiste bizarre
N’en imite que les défauts.
Daru.

C’est une imitation dangereuse, capable de corrompre le goût et qui, au jugement de Quintilien, perdait la jeunesse de son temps, égarée sur les pas de Sénèque et de Lucain.

315. La traduction n’est-elle pas une espèce d’imitation ? — Son importance.

Une autre sorte d’imitation, conseillée par Cicéron, Pline le Jeune et tous les littérateurs modernes, c’est la traduction, qui consiste à transporter une pensée, un ouvrage d’une langue dans une autre. La traduction est un des meilleurs moyens de rendre fructueuse l’étude des modèles, et un des exercices les plus utiles pour se former à l’art d’écrire. Ce qu’il y a de plus profitable peut-être, selon l’avis de beaucoup de personnes, dit Pline le Jeune, c’est de traduire du grec en latin et du latin en grec. Par là on acquiert la justesse et la beauté de l’expression, la richesse des figures, la facilité d’élocution ; et, dans cette imitation des auteurs les plus recommandables, on prend insensiblement des tours et des pensées semblables aux leurs. Mille choses qui échappent à un homme qui lit, n’échappent point à un homme qui traduit. A ce témoignage nous pouvons ajouter la pratique des plus illustres écrivains, qui tous se sont livrés à cet exercice, depuis Démosthènes, Virgile et Cicéron, jusqu’à Fénelon, Racine et J.-J. Rousseau.

Quant aux règles pratiques concernant ce genre d’imitation, nous ne pouvons les exposer ici, par la raison bien simple qu’il n’entre pas dans le plan d’un traité de littérature d’enseigner à traduire. Qu’il nous suffise de dire sur ce point que pour bien traduire une langue, ce n’est pas assez de la savoir, mais qu’il faut encore manier habilement la sienne ; et que si une bonne traduction demande la précision, la clarté, la pureté et l’élégance, son vrai mérite consiste surtout dans la fidélité, qui fait qu’on n’altère en rien ni la pensée de l’écrivain, ni le génie de la langue.

Article III.

De la méditation du sujet, d’où les sources de l’amplification

316. La méditation du sujet est-elle nécessaire ?

Tous les rhéteurs ont insisté avec force sur la nécessité de cet exercice. Il est en effet indispensable pour quiconque veut se rendre entièrement maître de son sujet, et l’approfondir de manière à en faire naître les éléments nécessaires pour un développement naturel et intéressant, c’est-à-dire pour une belle amplification.

317. Que faut-il faire pour bien méditer un sujet ?

Tous les moyens de former le style que nous venons d’énumérer, la connaissance des règles, la lecture et l’imitation des chefs-d’œuvre, sont sans doute très-utiles ; mais ils n’indiquent pas la manière de bien méditer un sujet. Cette méthode, qu’il faut enseigner aux commençants, puisque, avant d’écrire, ils doivent apprendre à penser, consiste à réfléchir profondément sur les qualités qui constituent la nature du sujet, sur les parties qui le composent, sur les circonstances qui le font ressortir. Ces différentes sources de l’amplification prennent les noms de définition, d’énumération des parties, de circonstances, de causes et d’effets, de contrastes ou de contraires. Nous dirons quelques mots sur chacune de ces sources.

318. En quoi consiste la définition considérée comme source d’amplification ? Exemples.

La définition, telle que nous l’entendons ici, consiste non pas à expliquer sèchement la nature de l’objet, mais à faire connaître d’une manière frappante et pleine d’intérêt, ses qualités essentielles et distinctives, surtout celles qui tendent plus directement au but que se propose l’écrivain. Exemples :

Les Lettres.

Studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant ; secundas res ornant, adversis perfugium ac solatium præbent ; delectant domi, non impediunt foris ; pernoctant nobiscum, peregrinantur, rusticantur.

Cicéron.

Le Temps.

Ce vieillard qui d’un vol agile,
Fuit toujours sans être arrêté ;
Le Temps, cette image mobile
De l’immobile éternité.
J.-B. Rousseau.

319. Faites connaître l’amplification par l’énumération des parties.

L’amplification par l’énumération des parties a lieu lorsqu’on divise l’objet, et qu’on remplace l’idée simple par l’énumération successive des parties qui le composent.

Nous indiquerons comme modèles l’énumération des tourments endurés par la mère des Machabées, dans le discours de saint Grégoire de Nazianze sur ces illustres martyrs ; l’énumération des malheurs de la reine d’Angleterre, dans l’exorde de son oraison funèbre ; celle des conséquences du péché originel, dans le magnifique sermon de Bourdaloue sur l’Immaculée Conception ; celle des difficultés qui pressent de toutes parts un général d’armée, par M. Thiers, et la suivante sur les avantages de la religion :

La religion renferme quelque chose de mystérieux et de relevé dans ses dogmes, de sévère dans ses préceptes, d’austère dans ses conseils, de magnifique dans ses promesses, de terrible dans ses menaces, qui est singulièrement propre à former des habitudes graves, des sentiments élevés et de forts caractères.

De Bonald.

320. Qu’avez-vous à dire sur l’amplification par les circonstances ?

Les circonstances consistent dans les particularités accidentelles qui déterminent l’objet, et comprennent ce qui le précède, ce qui l’accompagne et ce qui le suit. Les circonstances offrent le moyen le plus fécond d’approfondir un sujet. Elles sont toutes comprises dans ce vers :

Quis ? quid ? ubi ? quoties ? quâ vi ? cur ? quomodo ? quando ?

qui désigne la personne, la chose, le lieu, le nombre, les moyens, les motifs, la manière, le temps.

Cicéron s’est admirablement servi de l’amplification par circonstances pour prouver que Milon n’avait pas assassiné Clodius de dessein prémédité. C’est aussi par les circonstances que Virgile raconte la mort de César, l’histoire de Polyphême et des Cyclopes, l’épisode de Laocoon et la rencontre d’Andromaque ; que Fléchier décrit la mort de Turenne ; que Racine embellit le récit du songe d’Athalie, et fait raconter à Mithridate sa défaite par Pompée.

321. L’amplification peut-elle se faire par les causes et les effets ?

Une source féconde de beaux développements se trouve dans les causes et les effets, c’est-à-dire dans ce qui a produit l’objet ou dans ce qui en est le résultat.

On trouve de magnifiques amplifications par les causes et les effets dans la description de la mort d’Euryale, par Virgile, et dans la peinture de la peste des animaux, par La Fontaine ; et par les effets seulement, dans l’Oraison funèbre de Turenne, lorsque Fléchier rappelle les suites de la bonne fortune sur un général vainqueur ; dans celle de la reine d’Angleterre, lorsque Bossuet décrit les effets de la persécution protestante ; dans l’Enfant prodigue, de Massillon, lorsque celui-ci énumère les suites funestes de la volupté ; dans le premier acte d’Athalie, quand Joad expose les effets de la puissance de Dieu, et dans les Pensées de M. de Bonald, lorsque cet illustre philosophe fait justice en ces termes d’une des maximes de la Révolution :

La liberté, l’égalité, la fraternité ou la mort ont eu dans la Révolution une grande vogue. La liberté a abouti à couvrir la France de prisons ; l’égalité, à multiplier les titres et les décorations ; la fraternité, à nous diviser ; la mort seule a réussi.

322. Peut-on développer un sujet par l’opposition des contraires ?

Le développement d’un sujet par les contraires, contrastes ou répugnants, se fait en mettant en opposition deux personnes ou deux choses, ou en plaçant le même objet dans deux situations différentes.

Cicéron, dans le discours pour Marcellus, établit un contraste entre la clémence de César et ses exploits ; Mascaron fait ressortir par les contraires la piété de Turenne au milieu des camps ; M. de Bonald met en regard la barbarie des sauvages et celle des peuples policés de notre époque.

323. N’y a-t-il pas d’autres moyens de développer un sujet ?

Outre l’amplification par description et par parallèle dont nous parlerons plus loin, nous mentionnerons les développements qui se font par gradation, par similitude ou comparaison, et par expolition. Nous avons traité de la comparaison et de la gradation à l’article des figures. Quant à l’expolition, elle consiste à insister de plusieurs manières sur la même idée, pour la travailler, l’éclaircir, la développer et la rendre plus intéressante. — A ces différentes sortes d’amplification par les pensées, nous ajouterons celle qui se fait par le moyen des figures de pensées en général, comme on peut le voir dans le monologue bien connu où Marmontel a trouvé moyen de réunir presque toutes les figures.

Il y a aussi l’amplification par les mots ou les expressions, qui est moins importante que la première. Elle se fait principalement par des métaphores, par des hyperboles, par des synonymes, par des répétitions, par des formes nobles et majestueuses, enfin par des périphrases.

324. Dites quelques mots sur l’amplification par périphrase.

La périphrase substitue à l’expression simple une description ou une expression plus développée, afin de donner à la composition plus d’intérêt, de noblesse, de charme ou d’énergie. Le plus souvent elle sert à relever les choses communes et les petits détails, ou à adoucir des expressions dures ou choquantes. La périphrase se rapproche beaucoup de l’euphémisme. Les orateurs et les poètes en font un usage très fréquent.

Pour dire qu’il a cinquante-huit ans, Boileau emploie ce tour noble et harmonieux :

Mais aujourd’hui qu’enfin la vieillesse venue,
Sous mes faux cheveux blonds déjà toute chenue,
A jeté sur ma tête avec ses doigts pesants
Onze lustres complets surchargés de trois ans.

Au lieu de dire : Les soldats de Milon ont tué Clodius, Cicéron se sert de cette adroite périphrase :

Fecerunt id servi Milonis, quod suos quisque servos in tali re facere voluisset.