Muses, gardez vos faveurs pour quelque autre ;
Ne perdons plus ni mon temps, ni le vôtre,
Dans ces débats où nous nous égayons.
Tenez, voilà vos pinceaux, vos crayons :
Reprenez tout, j’abandonne sans peine
Votre Hélicon, vos bois, votre Hippocrène
3,
Vos vains lauriers d’épine enveloppés,
Et que la foudre a si souvent frappés
4 ;
Car aussi bien
5, quel est le grand salaire
D’un écrivain au-dessus du vulgaire ?
Quel fruit revient aux plus rares esprits
De tant de soins
6 à polir leurs
écrits,
A rejeter les beautés hors de place,
Mettre d’accord la force avec la grâce,
Trouver aux
mots▶ leur véritable tour
Fuir les longueurs, éviter les redites,
Bannir enfin tous ces
◀mots▶ parasites
1,
Qui, malgré vous dans le style glissés,
Rentrent toujours, quoique toujours chassés ?
Quel est le prix d’une étude si dure ?
Le plus souvent une injuste censure,
Ou, tout au plus, quelque léger regard
D’un courtisan qui vous loue au hasard,
Et qui peut-être avec plus d’énergie
S’en va prôner quelque fade élégie.
Et quel honneur peut espérer de moins
Un écrivain libre de tous ces soins,
Que rien n’arrête, et qui, sûr de se plaire,
Fait, sans travail, tous les vers qu’il veut faire ?
Il est bien vrai qu’à l’oubli condamnés,
Ses vers souvent sont des enfants mort-nés ;
Mais chacun l’aime, et nul ne s’en défie.
A ses talents aucun ne porte envie ;
Il a sa place entre les beaux esprits,
Fait des sonnets
2, des bouquets pour Iris,
Quelquefois même aux bons
◀mots▶ s’abandonne,
Mais doucement, et sans blesser personne ;
Toujours discret, et toujours bien disant,
Et, sur le tout, aux salons complaisant.
Que si jamais, pour faire une œuvre en forme
3,
Sur l’Hélicon Phébus permet qu’il dorme
4.
Voilà d’abord tous ces chers confidents,
De son mérite admirateurs ardents,
Qui, par cantons répandus dans la ville,
Pour l’élever dégraderont Virgile :
Car il n’est point d’auteur si désolé
5
Qui dans Paris n’ait un parti zélé ;
Rien n’est moins rare. Un sot, dit la satire.
Trouve toujours un plus sot qui l’admire.