(1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE III. De la disposition des mots qui composent le discours. » pp. 78-143
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(1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE III. De la disposition des mots qui composent le discours. » pp. 78-143

CHAPITRE III.

De la disposition des mots qui composent le discours.

Les mots qui servent à former le discours sont du domaine de tout le monde ; c’est un bien commun dont chacun peut faire usage pour exprimer par la parole ou l’écriture ses idées et ses sentiments. Il n’y a donc que le choix et la disposition qui nous appartiennent ; et il est vrai de dire que notre langage sera plus ou moins distingué, selon que nous aurons été plus ou moins judicieux dans l’emploi des mots, et selon que nous aurons su, par d’heureuses combinaisons, donner une forme gracieuse aux expressions les plus simples, aux termes les plus vulgaires.

In verbis etiam tenuis cautusque serendis :
Dixeris egregiè, notum si callida verbum
Reddiderit junctura novum… Hor., Ars poet.

Soyez délicat et réservé dans l’emploi des mots ; on vous admirera quand, par une heureuse alliance, vous aurez su donner une grâce nouvelle à des mots déjà connus.

La disposition des mots est relative : 1° à la disposition des idées que l’on veut exprimer ; 2° à l’harmonie du style. D'où deux articles.

ARTICLE I.

de la disposition des mots considérés dans leurs rapports avec les idées.

Il y a deux ordres à suivre dans la disposition des mots : l’un grammatical 14, l’autre oratoire 15

L'ordre grammatical consiste à disposer chaque terme d’une proposition, chaque partie d’une phrase, selon les règles établies au début de la syntaxe. Ainsi, le sujet doit se mettre avant le verbe, celui-ci avant l’attribut. Si le sujet et l’attribut sont complexes, les divers compléments doivent se succéder selon leurs rapports de dépendance.

Ainsi, dans cette phrase : Cæsar incitus, accensus amore gloriæ et dominationis, subegit Romam imperio suo, post prælium Munda. Le sujet est Cæsar, mis en tête de la phrase : sujet simple, mais complexe. — Quels en sont les compléments ? Nous voyons d’abord incitus et accensus, deux adjectifs qui sont du même genre, au même nombre et au même cas que le sujet, et qui le suivent immédiatement. Ce sont donc deux compléments de même degré. — Voilà César excité, enflammé ; — mais par quoi ? — amore, par l’amour, complément de second degré ; — mais par l’amour de quoi ? — gloriæ et dominationis, par l’amour de la gloire et de la domination, complément de troisième degré. Vient ensuite le verbe subegit, soumit ; verbe transitif, et par conséquent ayant ou pouvant avoir un complément direct, un complément indirect et un complément circonstanciel. — Soumit quoi ? Romam, Rome, complément direct qui suit immédiatement le verbe. — A quoi ? — imperio suo, à son empire, complément indirect ; — quand ? — post prælium Munda, après la bataille de Munda, complément circonstanciel.

Voila l’ordre tel qu’il doit être au point de vue de la grammaire et de la logique, ordre basé sur les lois générales du langage, et qui serait le même dans toutes les langues, si l’on suivait constamment dans la parole ou dans l’écriture le rapport analytique des idées dont les mots ne sont que les images ; ordre enfin qu’une traduction rigoureuse doit suivre pas à pas, avec la plus scrupuleuse exactitude.

Mais souvent il arrive que, pour donner du relief aux idées qui nous intéressent plus vivement, pour exprimer d’une manière plus sensible les images et les sentiments qui nous dominent, nous intervertissons l’ordre grammatical, et nous plaçons en premier lieu les mots qui servent à exprimer ces idées, ces images et ces sentiments, bien que l’analyse ne leur assigne qu’un rang secondaire.

« Lorsque nous agissons, dit le Batteux, nous nous proposons un seul objet qui est le centre de toutes les parties de l’action. C'est cet objet qui nous préoccupe par lui-même ; s’il y a d’autres objets qui nous occupent en même temps, ce n’est que relativement à celui-là. L'idée qui représente cet objet principal se nomme comme lui l’idée principale. Celles qui ne représentent que les objets secondaires, se nomment accessoires, et n’ont qu’une fonction subordonnée à cette idée principale à laquelle elles appartiennent. Or, nous disons que la force, l’intérêt, la naïveté du discours demandent que l’objet principal se montre à la tête, et qu’il mène à sa suite tous ceux qui lui sont subordonnés, et chacun selon le degré d’importance ou d’intérêt qu’il renferme. »

Les peintres ne manquent pas de placer le personnage principal dans le lieu le plus apparent de leur tableau ; ils groupent ensuite les figures accessoires de telle sorte, que l’attention du spectateur, partant de l’objet principal, se porte successivement sur tous les objets qui l’environnent.

Telle doit être aussi la règle de l’écrivain ; il doit mettre en évidence les pensées les plus frappantes, les images les plus sensibles. Les idées secondaires viendront d’elles-mêmes se ranger à la suite de l’idée principale, de manière à former un seul tout dont les diverses parties soient parfaitement coordonnées.

Quelques exemples rendront la chose plus sensible.

Cicéron, dans sa première Catilinaire, après avoir rejeté sur Catilina toute la violence de son indignation, l’apostrophe en ces termes : Ad mortem te, Catilina, duci jussu consulis jampridem oportebat. L'ordre grammatical serait : Oportebat jampridem te, Catilina, duci ad mortem, jussu consulis. Mais il y a une idée principale qui domine toutes les autres, et que Cicéron ne manque pas de placer en tête de la phrase : c’est la mort, ad mortem. Après l’idée du supplice, l’objet le plus frappant est assurément celui qui doit le subir. C'est aussi celui que l’orateur fait paraître à la suite :Ad mortem le, Catilina…

Une phrase oratoire peut renfermer cinq éléments principaux : un sujet qui fait ou qui souffre l’action, un verbe qui exprime cette action, un complément direct, un complément indirect et un complément circonstanciel.

Or, nous disons que ces cinq parties doivent se coordonner entre elles de telle sorte, que la plus importante, celle qui offre le plus d’intérêt, occupe le premier rang dans la phrase, et que les autres soient disposées selon le degré d’importance qu’elles renferment.

Prenons pour exemple la proposition suivante, qui n’est point oratoire, car elle énonce un simple fait historique ; mais qui nous fera comprendre que la disposition des mots est relative à l’intérêt des idées qu’ils représentent : Alexander vicit Darium ad Arbelam. Cette phrase, dit le Batteux, peut offrir quatre points de vue différents. Ou l’on veut savoir quel est celui qui a vaincu Darius. Dans ce cas, l’idée principale sera Alexander, que l’on mettra en tête de la phrase. Ou l’on demande quel est le roi de Perse vaincu par Alexandre. Dans ce second cas, Darius sera l’idée principale, et l’on dira : Darium vicit Alexander ad Arbelam. Ou il s’agit principalement du lieu où Darius fut vaincu. Alors on dira : Ad Arbelam Alexander vicit Darium. Ou, enfin, on veut savoir quelle est la victoire qui a décidé du sort de la Perse, par opposition à quelque autre victoire où Darius n’aurait pas été complètement vaincu. Dans ce dernier cas, le mot vicit sera l’idée principale.

Telle doit être la disposition des mots considérés dans leurs rapports avec les idées. Si c’est le sujet qui renferme l’idée principale, on devra le placer en premier lieu, immédiatement après la conjonction.

Cicéron, voulant faire comprendre que la gloire du peuple romain repose sur celle de Lucullus, dont les victoires ont été chantées par le poète Archias, a soin de dire, en commençant par le sujet, qui est l’idée principale : Populus enim romanus, Lucullo imperante, sibi Pontum aperuit. C'est le peuple romain qui s’est ouvert le royaume du Pont, quand Lucullus y commandait nos armées.

De même, dans cette autre phrase : Saxa et solitudines voci respondent ; bestiæ sæpè immanes cantu flectuntur atque consistunt. Cic., pro Arch. Les rochers et les solitudes répondent à la voix du poète ; les animaux même les plus féroces se laissent fléchir par ses accords et suspendent leur fureur.

De même aussi, quand Tullus Hostilius, indigné de la trahison de M. Suffétius, s’écrie : Metius ille ductor itineris hujus ; Metius idem hujus machinator belli ; Metius fæderis romani albanique ruptor. Liv., il ne manque pas de mettre le sujet en premier lieu ; il le répète même à chaque proposition, pour le faire sentir davantage.

Si l’objet principal est l’action exprimée par le verbe, il faudra que celui-ci occupe le premier rang. C'est ce qu’observe Cicéron dans cette phrase, où il veut faire ressortir toute l’horreur du complot formé par Catilina dans la maison de Léca, l’un des principaux conjurés : Fuisti igitur apud Læcam, Catilina ; distribuisti partes Italiæ ; statuisti quò quemque proficisci placeret ; delegisti quos Romæ relinqueres, quos tecum duceres ; descripsisti urbis partes ad incendia ; confirmasti te ipsum jam esse exiturum ; dixisti paululum tibi esse etiam tùm moræ, quòd ego viverem. Cic., Catil.

Si l’attention se porte principalement sur l’attribut de la proposition, c’est cet attribut que l’on exprimera en premier lieu. Ainsi, quand Scévola veut apprendre à Porsenna qu’il est Romain, il lui dit : Romanus sum civis. Liv. Et quand Gavius s’écrie du haut de la croix où il est attaché : Civis romanus sum, il énonce d’abord sa qualité de citoyen romain, celle qui peut lui être le plus utile dans le péril extrême où il se trouve.

Si c’est le complément direct qui offre le plus d’intérêt, ce qui arrive le plus souvent, car l’effet nous intéresse ordinairement plus que la cause, ce complément doit se placer avant le verbe, comme nous le voyons dans les exemples suivants : Tantam mansuetudinem, tam inusitatam clementiam, nullo modo præterire possum. Cic., pro Marc. Je ne puis nullement passer sous silence une telle mansuétude, une clémence si extraordinaire.

Cicéron, à la fin de son plaidoyer pour Milon, après avoir exhorté les juges à ne suivre que la voix de leur conscience en donnant leurs suffrages, fait aussi un appel à la faveur des soldats romains qui entourent le tribunal : Vos, vos appello, fortissimi viri, qui multum pro republicâ sanguinem effudistis ; vos, centuriones, vosque, milites, etc. Il est facile de voir, dans ces deux phrases, que tout l’intérêt se porte sur les compléments directs.

Dans le 9e livre de l’Enéide, Nisus, voyant son ami Euryale au pouvoir des Rutules qui vont l’immoler à leur vengeance, s’écrie aussitôt :

Me, me, adsum qui feci ; in me convertite ferrum,
O Rutuli ! mea fraus omnis ; nihil iste nec ausus,
Nec potuit ; cœlum hoc et conscia sidera testor.

Moi, moi, c’est moi qui suis coupable, c’est moi qu’il faut percer, ô Rutules ! toute la faute est à moi. Celui-là n’a rien osé, il n’a rien pu ; j’en prends à témoin le ciel et les astres.

Ces vers, où tout est sublime au point de vue du sentiment, sont aussi un parfait modèle de construction oratoire. Il faut y remarquer surtout le pronom personnel me, répété deux fois et régi par occidite sous-entendu. Ce pronom figure merveilleusement au commencement du premier vers, pour peindre l’empressement de Nisus à se faire connaître des ennemis, et à arrêter le fer qui va frapper son ami Euryale. Il faut aussi remarquer les autres compléments in me, mea, nihil, cœlum, placés pour la même raison au commencement de chaque proposition.

Quelquefois c’est un complément indirect ou circonstanciel qui exprime la pensée la plus frappante, et qui, pour cette raison, doit occuper le premier rang dans la phrase. Ex. : In vinculis, quoniam per scelus infandum mihi libertas erepta est, fortiter moriar. C'est dans les chaînes que je veux mourir, puisqu’on m’a ravi la liberté par un crime si abominable. Tantæ molis erat romanam condere gentem. Virg. Tant il était difficile de fonder l’empire romain.

Tout le monde connaît ce sublime début de la première Catilinaire : Quousque tandem abutere, Catilina, patientiâ nostra ? Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? Ici, l’âme de la période est un sentiment d’impatience et d’indignation ; c’est donc la patience poussée à bout qui en est le premier et le principal objet ; c’est aussi celui que l’orateur fait paraître en premier lieu : Quousque tandem. Le mot abutere ne vient qu’après, parce que, si l’on est profondément indigné, c’est surtout parce qu’il y a très-longtemps que Catilina abuse de notre patience.

Quamdiù etiam furor iste tuus nos eludet ? Quem ad finem sese effrenata jactabit audacia ? Combien de temps encore serons-nous les jouets de ta fureur ? Où s’arrêteront les emportements de ton audace effrénée ? C'est la même marche précisément, parce que c’est le même fonds de pensées et de sentiments. L'orateur ajoute : Nihilne te nocturnum præsidium Palatii, nihil urbis vigiliæ, nihil timor populi romani, nihil concursus bonorum omnium… nihil horum ora vultusque moverunt ? Quoi ! ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les postes de soldats répandus dans la ville, ni l’effroi du peuple, ni le concours de tous les bons citoyens, ni les regards, ni les visages de ceux qui t’entourent, n’ont pu t’émouvoir ! En lisant cette phrase, où l’orateur énumère avec tant de véhémence les principales choses qui auraient dû toucher le cœur de Catilina, il est facile de remarquer combien le mot nihil répété au commencement de chaque proposition donne d’énergie à la pensée.

Quand le terme qui exprime l’objet principal a été mis à la place qui lui convient, on range à sa suite les termes accessoires, chacun selon le degré d’intérêt qu’il renferme. Il faut avoir soin toutefois de ne point bouleverser l’ordre naturel des idées, ni d’obscurcir les rapports grammaticaux qui unissent les mots entre eux ; rapports sans lesquels il n’y aurait plus de liaison dans le discours, et la parole ne serait plus qu’un vain bruit. Ces rapports étant nécessaires à l’intelligence de la phrase, il importe que le lecteur puisse les saisir facilement. Les inversions, loin d’obscurcir le sens, doivent au contraire le rendre plus clair, en présentant les idées sous une forme plus sensible, plus animée, et en suivant, dans la disposition des mots, la marche que l’esprit lui-même a suivie dans la disposition des idées et des sentiments, dont les mots ne sont que les images.

Il faut donc éviter, dans la construction oratoire, toutes les inversions, toutes les transpositions de mots qui pourraient obscurcir le sens de la phrase. Ainsi, ce serait une faute de dire : Neque potest imperator continere exercitum, qui se ipsum non continet, parce que le conjonctif qui suivant immédiatement le mot exercitum, qui est du même genre et du même nombre, donnerait lieu à une équivoque ; on ne saurait si c’est le général ou l’armée qui ne peuvent se contenir. Il faut donc, pour la clarté du sens, rapprocher le conjonctif qui de son antécédent, et dire avec Cicéron : Neque potest is exercitum continere imperator, qui se ipsum non continet. Ce serait une faute de dire, en parlant de la modération d’Agricola à l’égard des soldats romains dont on lui avait confié le commandement : Maluit videri bonos invenisse rarissimâ moderatione, quàm fecisse ; parce que le complément circonstanciel rarissimâ moderatione modifie le verbe invenisse, tandis qu’il doit modifier le verbe maluit. Il faut dire avec Tacite, en commençant par l’idée principale : Rarissimâ moderatione maluit videri bonos invenisse, quàm fecisse.

Il y a un sens très-équivoque dans ce vers de l’oracle :

Aio te, Æacide, Romanos vincere posse.

Pyrrhus, à qui il s’adressait, l’entendait de cette manière : Fils d’Eacide, je dis que tu pourras vaincre les Romains, tandis que le sens réel était que les Romains remporteraient sur lui la victoire.

Il faut donc, dans l’arrangement des parties qui composent une phrase, éviter avec le plus grand soin d’embarrasser mal à propos les mots les uns parmi les autres. Si l’on fait des inversions, qu’elles aient toujours leur raison d’être, et qu’elles ne se fassent jamais aux dépens de la liaison naturelle des idées ; qu’elles n’obscurcissent point la clarté du discours.

La construction oratoire, comme nous l’avons envisagée, est plus spécialement celle du poète et de l’orateur, qui parlent habituellement le langage de la passion. Quand notre âme est livrée à de vives émotions, les images et les sentiments qui la dominent donnent à la pensée un degré d’animation telle, que tout se passe pour ainsi dire en scène dans le grand théâtre de l’intelligence. Dès lors, la parole, qui doit être l’expression fidèle de nos pensées, se produit avec des couleurs aussi vives, et en un style aussi animé. Mais quand tout est calme au dedans de nous, et que notre âme suit paisiblement le cours habituel de ses idées, le langage admet aussi une marche plus réglée, une voie plus uniforme ; il se rapproche davantage de l’ordre grammatical dont nous avons parlé.

Nous ferons remarquer, avant de finir cet article, que les Latins aimaient à concentrer dans le corps de la phrase les idées moins saillantes, les termes accessoires, les mots complétifs ou circonstanciels, et qu’ils réservaient pour la fin la partie du discours qui excite plus vivement l’attention et satisfait le plus les oreilles de ceux qui écoutent. C'était le plus souvent le verbe, ou d’autres mots agréables à entendre et nécessaires à l’intelligence de la phrase.

La raison de cet arrangement, c’est que l’auditeur étant frappé tout d’abord par la mise en scène de l’objet principal, si le verbe, ou d’autres mots essentiels sont renvoyés à la fin, il est obligé de soutenir son attention jusqu’au terme final, qui est comme la solution ou le dénouement de tout ce qui précède. Dès lors, les idées secondaires, les modificatifs, les circonstances accessoires excitent plus vivement son attention, et l’ensemble de la phrase se grave mieux dans sa mémoire. D'ailleurs, cette disposition ramasse, pour ainsi dire, toutes les parties de la proposition, tous les membres de la période, et les réunit d’une manière plus compacte et plus intime ; elle donne à la phrase une plus grande unité, et la rend par là même plus intéressante pour le lecteur.

ARTICLE II.

de la disposition des mots sous le rapport de l’Harmonie.

L'harmonie dans le discours résulte du choix et de la disposition ingénieuse des mots qui forment les propositions, de la liaison bien ordonnée des propositions qui composent la phrase ou la période, enfin de la variété dans la forme et l’étendue des périodes qui composent le discours.

Rien, au dire de Cicéron, le plus harmonieux des orateurs romains, ne contribue autant à la beauté du langage que cette harmonie du style, à laquelle les écrivains distingués ont donné les plus grands soins.

« Le charme qui résulte d’une phrase bien ordonnée, est étonnant ; et je ne comprends pas quelles oreilles donna la nature à ceux qui n’y sont point sensibles. Il me semble qu’il doit faire impression sur tout homme bien organisé. J'avoue qu’une période pleine et nombreuse m’enchante ; que mon oreille veut des phrases cadencées et parfaitement arrondies ; qu’elle est choquée, s’il y manque quelque chose, ou s’il y a du superflu. J'ai vu souvent l’orateur charmer son auditoire par l’harmonie de son style, et le peuple assemblé témoigner son plaisir par des acclamations universelles. » Cic., De Orat.

« Les mots, dit Quintilien, sont dans les mains de l’orateur comme une cire molle et flexible qu’il anime, qu’il tourne comme il veut, et à laquelle il fait prendre toutes les formes qu’il lui plaît. Par la différente disposition qu’il leur donne, tantôt le discours marche avec une gravité majestueuse, ou coule avec une prompte et légère rapidité ; tantôt il charme l’auditeur par une douce harmonie, ou le pénètre d’horreur et de saisissement par une cadence dure et âpre, selon la différence des sujets qu’il traite. Il n’est guère possible qu’une chose aille au cœur, quand elle commence par choquer l’oreille, qui en est comme le vestibule et l’entrée. Au contraire, l’homme écoute avec plaisir ce qui lui plaît ; et c’est ce plaisir qui l’amène à croire ce qu’on lui dit. »

Il y a trois sortes d’harmonies dans le discours : l’harmonie des mots, l’harmonie des périodes, et l’harmonie imitative.

§ I.

De l’harmonie des mots.

L'harmonie des mots, qui donne de l’éclat à nos pensées par la beauté sonore des expressions, exige un choix, un ensemble de mots d’une prononciation facile, coulante, et qui flatte agréablement l’oreille. Boileau, dans son Art poétique, a su joindre le précepte à l’exemple, quand il a dit :

« Il est un heureux choix de mots harmonieux ;
Fuyez des mauvais sons le concours odieux.
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée. »

L'harmonie des mots proscrit les sons durs, âpres et d’une prononciation difficile.

Cicéron blâme avec raison les expressions suivantes : Habeo istam ego perterricrepam. J'ai là une femme tracassière et criarde. Versituloquas malitias. Ce sont des malices pleines de fourberie.

On doit éviter comme contraires à l’harmonie :

1° La répétition trop fréquente de la même lettre, surtout celle des consonnes doubles, des consonnes fortes et aspirées, comme les lettres p, q, r, f, k, s, t, x.

Les phrases suivantes sont donc blâmables : Rex Xerxes stabat anxius præ exercitu, etc. Major mihi moles, majus miscendum est malum. Cum loquitur, tanti fletus, tanti gemitus fiunt.

2° La rencontre de plusieurs voyelles, d’où résulte dans la prononciation un bâillement de bouche nommé hiatus. Ex. : Ipse ego omnia opera ago ardua… Frugifera ac fertilia arva Asiæ hostis tenet.

3° Une suite de mots d’une ou de deux syllabes : Hâc re nos hic non feret. Il ne nous supportera pas en cela. Multos ego vidi bonos viros nihil præter victum cultumque optantes. J'ai vu plusieurs hommes de bien qui ne désiraient que la nourriture et l’entretien du corps.

4° Il faut éviter également de faire suivre les mots d’une grande longueur ; cela rendrait le discours lâche et traînant. Par exemple : gravissimorum studiorum legatores constituerunt.

Il faut un heureux mélange de voyelles et de consonnes, de mots longs et de mots courts, qui se prêtent une mutuelle assistance, afin de donner à la phrase une douce harmonie et de charmer les oreilles de ceux qui écoutent. Telle est cette phrase de Cicéron : Mea lenitas, si cui solutior visa est, illud exspectabat ut ea quœ latebant, palam erumperent. Si ma douceur a paru trop relâchée, c’est que j’attendais que les choses qui se passaient dans le silence éclatassent au grand jour. Qu'on fasse subir le moindre changement à cette phrase, que l’on mette si au commencement, et illud après exspectabat, toute la beauté s’évanouira.

5° On doit éviter aussi une suite de mots ayant les mêmes consonnances, une suite de propositions se terminant par les mêmes finales, comme dans ces exemples : Tales casus Cassandra canebat. Cassandre prédisait de tels malheurs. Ut primùm Basileam venimus, priusquàm judices adiremus, supplices omnes procubuimus, et Deum multis precibus invocavimus. Dès que nous fûmes arrivés à Bâle, avant d’aller trouver les juges, nous nous mîmes tous à genoux, et nous adressâmes à Dieu beaucoup de prières.

A moins toutefois que l’on ne veuille frapper plus vivement l’attention de l’auditeur, en établissant entre les différents termes d’une proposition, entre les différents membres d’une période, une sorte de symétrie résultant des similitudes ou des antithèses, comme dans cette belle période de Cicéron, qu’il cite lui-même comme un modèle en ce genre : Est igitur hœc, judices, non scripta, sed nata lex ; quam non didicimus, accepimus, legimus ; verùm ex naturâ arripuimus, hausimus, expressimus ; ad quam non docti, sed facti, non instituti, sed imbuti sumus. Cic., pro Mil. Il est une loi non écrite, mais innée ; une loi que nous n’avons point apprise, que nous n’avons point reçue, que nous n’avons point lue : nous la tenons de la nature, nous l’avons puisée dans son sein, c’est elle qui nous l’a inspirée ; ni les leçons, ni les préceptes ne nous ont instruits à la pratiquer ; nous l’observons par sentiment, nos âmes en sont pénétrées.

6° Il ne faut point mettre à la fin d’une phrase la fin d’un vers hexamètre, comme dans cet exemple : Ubi bonus deteriorem divitiis magis clarum videt, multa in pectore volvit. Quand l’homme de bien voit le méchant considéré à cause de ses richesses, il est vivement impressionné.

Il ne faut pas non plus faire usage dans la prose de périphrases poétiques, comme si l’on disait, pour exprimer simplement l’action de respirer : Vitales luminis auras ducere. Ce serait une affectation ridicule.

7° Enfin, il faut savoir mélanger les mots harmonieux avec ceux qui le sont moins, tempérer la trop grande force des uns par la douceur des autres, faire en sorte que la prononciation des mots précédents dispose la voix à celle des mots suivants, et que la phrase se termine par une finale habilement ménagée pour le repos de l’oreille.

Toutefois, comme nous l’avons déjà dit, il faut bien se garder d’être obscur, et par conséquent de déplacer les mots sans aucun motif, de les embarrasser mal à propos les uns parmi les autres. Si l’on fait des inversions, des transpositions de mots ou de membres de phrase, que ce ne soit jamais aux dépens de la clarté ; mais que l’esprit puisse suivre toujours et sans effort les rapports grammaticaux et l’ordre analytique des idées.

8° L'harmonie doit être répandue dans toute la suite du discours ; mais c’est au commencement, et plus encore à la fin de la phrase qu’elle doit se faire sentir davantage. Au commencement, parce que l’auditeur, prêtant une attention toute nouvelle, remarque mieux les beautés et les défauts des premières expressions. A la fin de la phrase, parce que l’oreille, entraînée dans tout le reste par l’abondance des paroles et la rapidité de la déclamation, n’est en état de bien juger des beautés d’une période, qu’au moment où l’orateur est arrivé à son dernier terme, et suspend pour un instant le cours rapide de son discours. C'est alors que l’admiration, arrêtée jusque là par un plaisir continu, se manifeste par un assentiment secret, ou éclate par des applaudissements.

Il faut donc avoir soin de placer au commencement, mais surtout de réserver pour la fin de la phrase les mots les plus nombreux16 et les mieux cadencés. Tels sont les noms et les adjectifs de plusieurs syllabes, les comparatifs et les superlatifs, mais principalement les verbes, à raison de leur nombre et de leur finale sonore et variée.

On admire avec raison la belle chute que Cicéron a su ménager dans la période suivante :

Quam spem cogitationum et conciliorum meorum, cùm graves communium temporum, tùm varii nostri casus fefellerunt.

L'initiale, et plus encore la finale suivante méritent aussi d’être remarquées : Confiteretur, si fecisset, et magno animo, et libenter se fecisse, libertatis omnium causa ; quod ei certè non confitendum modò fuisset, verùm etiam prœdicandum. Cic., pro Mil., 29.

Ces exemples suffisent pour faire voir combien un mot plus ou moins nombreux, à la fin d’une phrase, combien même une syllabe de plus ou de moins produisent de différence dans l’harmonie.

Veut-on savoir, dit Cicéron, combien il importe de donner à chaque mot la place qui lui convient ? Qu'on prenne au hasard dans quelque orateur une phrase nombreuse et périodique, et qu’on essaye d’en déranger l’ordre et la structure ; on verra qu’aussitôt toute la grâce, toute l’harmonie, toute la beauté s’évanouira. Il en fait lui-même l’épreuve sur le passage suivant, tiré de son discours pour Cornélius : Neque me divitiæ movent, quibus omnes Africanos et Lælios, multi venalitii mercatoresque superârunt. Cette combinaison, sans doute, est agréable à l’oreille. Mais faites-y le moindre changement ; dites, par exemple : multi superârunt mercatores venalitiique, les mêmes pensées, les mêmes expressions sont restées ; mais il n’y a plus de grâce, il n’y a plus d’harmonie.

Il en est de même dans cette autre phrase : Animadverti, judices, omnem accusatoris orationem in duas divisam esse partes. Cic. L'ordre naturel demandait qu’on mît : In duas partes divisam esse. Mais quelle différence pour l’oreille !

Le moyen le plus sûr et le plus facile, pour se former au nombre et à l’harmonie, c’est de l’étudier dans les grands maîtres : dans Tacite, dans Tite-Live, Salluste, Quinte-Curce, etc. ; mais surtout dans Cicéron, surnommé à juste titre le père de l’éloquence chez les Latins. C'est lui, en effet, qui a introduit dans la prose ce nombre, cette délicatesse de formes, cette mélodie cadencée qui a tous les charmes du vers, sans en avoir la contrainte.

Avant de finir ce paragraphe, nous citerons encore quelques exemples où nous ferons remarquer l’ordre et la disposition des mots, au point de vue de l’élégance et de l’harmonie.

Soit cette phrase prise au hasard dans Cicéron : Cùm plurimas et maximas necessitates amicitia contineat, tùm illa nimirùm præstat omnibus, quòd bonâ spe prœlucet in posterum, nec debilitari animos, aut cadere patitur. Cic., De Am. L'amitié renferme des avantages très-grands et très-nombreux ; mais le premier de tous, c’est qu’elle embellit notre avenir d’une douce espérance, et qu’elle ne laisse pas les esprits s’affaiblir et succomber dans les revers.

Les deux premières propositions commencent par les corrélatifs cùm… tùm… Nous avons vu la raison de cette élégance, à l’article des conjonctions.

Dans la première proposition, le complément direct necessitates paraît en premier lieu, parce qu’il offre un intérêt plus grand que le sujet amicitia.

Nous voyons, au contraire, le même sujet mis à la première place, dans la seconde proposition, parce que l’intérêt principal lui est revenu.

Dans la première proposition, les adjectifs plurimas et maximas sont placés avant leur substantif necessitates, parce que les idées qu’ils renferment excitent plus vivement l’attention.

Quant aux verbes, nous voyons le premier, contineat, mis à la fin de la proposition. Ceci, nous l’avons dit, est habituel à la langue latine, quand l’intérêt ou l’harmonie n’exigent pas une autre disposition.

Le second verbe, præstat, est placé avant son complément indirect omnibus, et le troisième, prælucet, placé également avant son complément circonstanciel in posterum. Cette disposition est due surtout à l’harmonie, afin qu’il n’y ait pas un verbe à la fin de chaque proposition ; ce qui serait monotone et désagréable à entendre.

Dans la quatrième et dernière proposition, le verbe patitur est mis en dernier lieu ; il est précédé de ses compléments debilitari animos, aut cadere. Cette manière de finir une phrase, nous l’avons déjà dit, est ordinaire chez les Latins. C'est à la fois afin d’avoir pour finale un mot qui sonne bien à l’oreille, et qui soit comme le dénouement de tout ce qui précède. Il faut remarquer le premier infinitif, debilitari, séparé du second par le sujet animos, pour éviter la suite immédiate de plusieurs verbes.

Soit cette autre phrase : Ut igitur ii qui sunt in amicitiæ conjunctionibusque necessitudine superiores, exæquare se cum inferioribus debent ; sic inferiores non dolere se à suis amicis aut ingenio, aut fortunâ, aut dignitate superari. Cic., De Am. Comme ceux qui ont de la supériorité sur les autres, doivent, dans les rapports qu’ils ont avec leurs amis, se mettre au niveau de leurs inférieurs, de même ceux-ci ne doivent point s’affliger de voir dans leurs amis la prééminence du génie, de la fortune ou de la dignité.

Dans la première partie de cette phrase, le sujet de la proposition principale, ii, est exprimé en premier lieu, parce qu’il est suivi d’une proposition incidente qui en détermine le sens : qui sunt in, etc. Dans cette seconde proposition, le verbe suit immédiatement le sujet, tandis que l’attribut superiores ne paraît qu’en dernier lieu. Cette disposition est plus harmonieuse ; elle plaît aussi au point de vue de l’intérêt : l’attribut superiores, qui exprime une idée principale, ressort bien à la fin de la proposition.

Le verbe exæquare, qui fait suite à la proposition principale, vient immédiatement après. Cette place lui est due, à raison de l’intérêt qu’il renferme ; il est suivi de ses compléments direct et indirect, et enfin du verbe debent, qui termine agréablement la première partie de la phrase.

La seconde partie est disposée d’une manière analogue. Dans la première proposition, le verbe debent est sous-entendu, parce qu’il vient d’être immédiatement exprimé. Dans la proposition infinitive qui suit, le complément direct, se, parait en premier lieu ; les compléments indirect et circonstanciels viennent ensuite, et enfin le verbe supérari, qui finit la phrase d’une manière très-harmonieuse.

Souvent il arrive que, pour donner plus d’unité à une phrase et rendre la pensée plus intéressante, on exprime d’abord l’un des termes de la proposition principale, et l’on renvoie l’autre partie tout à la fin, comme dans cette période de Cicéron : Nolite, si in nostro omnium fletu nullam lacrymam aspexistis Milonis, si vultum semper eumdem, si vocem, si orationem stabilem ac non mutatam videtis, hoc minùs ei parcere. Si Milon n’a pas mêlé une seule larme aux pleurs que nous versons tous ; si vous remarquez toujours la même fermeté sur son visage, dans sa voix, dans ses discours, n’en soyez pas moins disposés à l’indulgence.

Souvent aussi, pour donner plus d’intérêt à l’objet principal, on énonce d’abord les qualités les plus sensibles, les circonstances les plus remarquables ; puis, après avoir excité ainsi la curiosité du lecteur, on expose l’idée principale. Telle est cette autre période de Cicéron : Domi suæ nobilissimus vir, senatûs propugnator, atque illis quidem temporibus penè patronus, avunculus hujus nostri judicis, fortissimi viri, M. Catonis, tribunus

plebis, Marcus Drusus occisus est. Cic., pro Mil. Un citoyen de la naissance la plus distinguée, le défenseur du sénat, je dirai presque son protecteur, l’oncle de notre juge, d’un homme plein de courage, de M. Caton, un tribun du peuple, Marcus Drusus a été tué dans sa maison.

§ II.

De l’harmonie des périodes.

Outre l’harmonie des mots qui forment les propositions, il y a aussi l’harmonie des phrases et des périodes qui composent le discours17. Cette harmonie résulte non seulement du choix des mots et de leur disposition ; mais encore de la texture, de la coupe et de l’arrangement des différentes parties qui forment une phrase, des différents membres qui composent une période. Elle résulte aussi de la juste proportion et de la variété des périodes entre elles. Ouvrez les bons auteurs, vous verrez que jamais une phrase ne ressemble à la phrase qui précèdé ; que jamais, ou presque jamais, elles ne sont disposées de la même manière. Leurs écrits ressemblent à une vaste prairie émaillée de mille fleurs qui charment d’autant plus les regards que les couleurs en sont plus variées.

« L'harmonie de la période exige qu’il n’y ait pas trop d’inégalité entre les différents membres qui la composent, que les derniers surtout ne soient pas trop courts par rapport aux premiers. On doit éviter également les périodes trop longues et les périodes trop courtes. Le style qui fait perdre haleine, et celui qui oblige à chaque instant de s’arrêter, sont également répréhensibles. Le grand art est de savoir entremêler les phrases arrondies et soutenues avec d’autres qui le sont moins, et qui servent comme de repos à l’oreille18. »

La période suivante, extraite de Cicéron, est remarquable par la proportion réellement admirable des membres qui la composent, et par la mélodieuse harmonie qui en résulte : Nam cùm in ipso beneficio vestro tanta magnitudo est, ut eam complecti oratione non possim ; tùm in studiis vestris tanta declarata est voluntas, ut non solùm calamitatem mihi detraxisse, sed etiam dignitatem auxisse videamini.

Dans cette période, tout est satisfaisant pour l’esprit et pour l’oreille, tout est facile pour la respiration. Cette espèce de mesure coulante, cette division régulière et bien proportionnée des membres qui la composent, cette mélodie qui se fait sentir à la fin de chaque membre, et surtout cette belle chute auxisse videamini, tout, en un mot, contribue à la rendre parfaitement élégante.

Le style périodique convient plus spécialement aux grands orateurs ; il offre à l’imagination quelque chose de grave, d’imposant, de solennel. Mais il ne saurait convenir à tous les sujets, et il serait déplacé dans les mouvements rapides d’une passion violente, dans une discussion purement philosophique, et plus encore dans la familiarité simple et naïve d’une conversation.

Il est donc essentiel, avant de commencer une composition, de se faire une juste idée du sujet que l’on traite. Cette idée nous dirigera dans le genre de style que nous devrons suivre ; ou, pour parler le langage de la musique, cette idée nous donnera le ton, ou la note principale qui servira de base à toutes les autres. Ce ton se modifiera, dans chaque partie, selon les sentiments dont nous serons pénétrés, selon les exigences de l’oreille, qui aime une agréable variété.

L'harmonie des mots serait une qualité bien frivole, si elle ne servait qu’à couvrir le vide des pensées, en flattant agréablement l’oreille. Ce serait le cas de dire avec Horace :

Versus inopes rerum, nugœque canorœ.

Ce serait vouloir ressembler à ce rhéteur qui, suivant Lucien, se croyait le premier des hommes parce qu’il avait sans cesse dans la bouche quinze ou vingt mots attiques qu’il s’était exercé à prononcer avec grâce et dont il assaisonnait tous ses discours.

RÈGLES PARTICULIÈRES

concernant la disposition des mots.

Ces règles ne sont qu’une application très-imparfaite des règles générales que nous venons d’exposer. C'est au goût sûr et aux oreilles délicates de maîtres savants et habiles, plus encore qu’à des règles particulières, qui ne peuvent rien avoir d’absolu, de juger de la bonne ou de la mauvaise disposition des diverses parties qui composent le discours.

ARTICLE I.

de la disposition des substantifs.

I

Les noms qui expriment un titre, une dignité, une profession, se mettent communément après le nom propre, quand ces mots sont simplement explicatifs. Ex. : Cicero consul, Augustus imperator, Curioni tribuno plebis.

Mais quand ces noms sont employés comme titres honorifiques, comme termes de louange ou de blâme, ils se mettent avant le nom propre, pour mieux faire ressortir la qualité qu’ils désignent.

exemples :

Cum ad poetam Ennium venisset. Cic. Etant allé chez le poète Ennius.

Nos hic cum homine gladiatore omnium nequissimo, collega nostro Antoine, bellum gerimus. Cic. Nous faisons ici la guerre avec Antoine, notre collègue, le plus infàme des gladiateurs. On dit de même en français, en mettant en avant le titre honorifique : Monsieur le duc, madame la comtesse.

II

Le vocatif se place bien dans le corps de la phrase, et mieux encore après un pronom qui désigne la même personne, à moins que l’intérêt n’exige qu’il soit placé au commencement.

exemple :

Ad mortem te, Catilina, duci jussu consulis jampridem oportebat. Cic. Il y a longtemps, Catilina, que le consul aurait dû te faire conduire au supplice.

III

Le génitif se met ordinairement avant le nom dont il est complément, et il a une grâce particulière, quand il en est séparé par un ou plusieurs mots qui en déterminent le sens.

exemple :

Servorum manu telisque pene interfectus est. Cic. Il a failli succomber sous les coups de ses esclaves.

Virtutum amicitia adjutrix à Deo data est, non vitiorum comes. Cic. Dieu nous a donné l’amitié pour être le soutien de la vertu, mais non la compagne du vice.

Ista Platonis Aristotelisque ornamenta neglexit Epicurus. Cic. Epicure a negligé ces ornements du style de Platon et d’Aristote.

Remarque. La raison de cette règle est encore l’intérêt ou l’harmonie : l’intérêt, parce que l’attention principale se porte le plus souvent sur l’objet désigné par le génitif. Ainsi, quand on demande à qui ou de qui est ce livre ? Il est évident que l’on désire connaître le nom de l’auteur, ou de celui qui le possède, plutôt que le nom du livre, qui nous est déjà connu.

Mais, si l’intérêt ou l’harmonie exigeaient un ordre différent, il faudrait s’y conformer. Ainsi, dans cette phrase : Tanta vis probitatis est, ut eam vel in hoste diligamus, Cic., l’oreille ne souffrirait pas que l’on dit : Tanta probitatis vis est. Dans cette autre phrase : Recordatione amicitiœ nostrœ sic fruor, ut beatè vixisse videar, quia cum Scipione vixerim, il est évident que l’intérêt principal se porte sur le mot recordatione plutôt que sur le génitif amicitiœ.

IV

Les autres compléments directs, indirects, circonstanciels, se mettent aussi le plus souvent avant le mot qui les régit, entre le sujet et le verbe, quand la phrase n’a pas trop d’étendue et qu’il est facile d’en saisir les rapports.

exemples :

Pythagoras Crotonam venit, ut populum in luxuriam lapsumad us um frugalitatis revocaret. Pythagore vint à Crotone, pour ramener à l’usage de la frugalité le peuple qui s’était laissé aller au luxe et à la débauche.

Hoc primùm sentio, nisi in bonis amicitiam esse non posse. Cic. Je pense d’abord qu’il ne peut y avoir d’amitié qu’entre les gens de bien.

V

Le plus souvent c’est le complément direct qui renferme l’idée principale, et que l’on doit mettre en premier lieu ; les compléments indirectes et circonstanciels, les propositions incidentes viendront se ranger à sa suite.

exemples :

Augustus summum imperium Romœ adeptus, nepotes suos litteras aliaque scientiarum rudimenta per se plerumque docuit. Auguste étant parvenu au souverain pouvoir enseigna lui-même le plus souvent à ses petits-fils la littérature et les éléments des autres sciences.

Omnia non modò quæ reprehendi palàm, sed eliam quæ obscurè cogitari possunt, timemus. Cic. Nous redoutons non seulement les reproches publics, mais les pensées même les plus secrètes.

VI

Il est plus rationnel de mettre les compléments répondant à la question undè avant ceux répondant à la question quo, par la raison bien simple que la fin doit aller après le commencement.

exemple :

Equidem, ex omnibus rebus quas mihi aut fortuna, aut natura tribuit, nihil habeo quod cum amicitiâ Scipionis possim comparare. Cic. De tous les avantages que je tiens de la nature, ou que la fortune m’a accordés, il n’en est aucun que je puisse comparer à l’amitié de Scipion.

VII

Il faut éviter de séparer les compléments de même degré, à moins que l’intérêt ou l’harmonie n’exigent un ordre différent.

On ne dira donc pas : In legendis scriptoribus et imitandis ; mais bien : In legendis imitandisque scriptoribus.

On ne dira pas : Amicitiam nec usu habent cognitam, nec ratione ; mais bien : Nec usu nec ratione habent cognitam.

VIII

L'ablatif absolu, qui est un véritable complément circonstanciel, va beaucoup mieux au commencement ou au milieu de la phrase qu’à la fin.

exemples :

Caritate benevolentiâque sublatâ, omnis est è vitâ sublata jucunditas. Cic. Otez de la vie la charité et la bienveillance, vous en retranchez tous les plaisirs.

Anaxagoram ferunt, nuntiatâ morte filii, dixisse : Sciebam me genuisse mortalem. On rapporte qu’Anaxagore, ayant appris la mort de son fils, dit : Je savais bien que je l’avais mis au monde pour mourir.

IX

Deux substantifs employés à différents cas dans la même proposition, aiment à se trouver l’un à la suite de l’autre.

exemple :

Amicus amici consuetudine gaudet. Cic. Un ami se plaît à vivre avec son ami.

On rapproche de même les noms qui ont une signification opposée, pour mieux faire sentir l’antithèse.

exemples :

Hostis hostem occidere volui. T. L. Ennemi, j’ai voulu tuer un ennemi.

Veterum orationes oratori futuro legendæ sunt. Cic. Le futur orateur doit lire les discours des anciens.

ARTICLE II.

de la disposition des adjectifs.

I

Les adjectifs qualificatifs se placent communément avant leurs substantifs, quand ils expriment une qualité principale qui détermine le sens.

exemples :

Cari sunt nobis parentes, cari sunt liberi ; omnes vero curitates patria complectitur. Cic. Nos parents et nos enfants nous sont chers ; mais l’amour de la patrie domine toutes nos affections.

Quœ mulier sceleratum ac perniciosum civem occidere non auderet, si periculum non timeret ? Cic. Quelle femme n’oserait faire mourir un citoyen pernicieux, un scélérat, si elle n’avait rien à craindre ?

Remarque. Cette règle repose encore sur l’intérêt attaché aux idées, ou sur l’harmonie résultant de la disposition des mots. Sur l’intérêt, parce que les qualités principales que l’on considère dans un objet, excitent plus vivement l’attention que l’objet lui-même. Ainsi, quand je dis : egregia res est amicitia, il est évident que l’idée de l’attribut egregia me frappe plus vivement que toute autre idée que je n’envisage point à ce moment.

Mais si ni l’intérêt ni l’harmonie n’exigeaient une telle disposition, il serait mieux de suivre un ordre différent. Ainsi l’on ne dirait pas : immortales dii, justissima lex, potentissimus rex, parce que le mot dii, les monosyllabes lex et rex, mis à la suite des superlatifs, produiraient une consonnance très-désagréable. On ne dirait pas : uticensis Cato, africanus Scipio, siculus Diodorus, parce que ces adjectifs ne désignent qu’une propriété accidentelle et n’offrent qu’un intérêt secondaire.

II

On met élégamment entre le substantif et l’adjectif les mots qui servent à déterminer l’idée exprimée par le substantif ; par conséquent, les génitifs, les datifs, les prépositions suivies de leurs compléments, etc.

exemple :

Jucunda quidem fuit mihi omnium officiorum tuorum recordatio. Le souvenir de tous vos bienfaits m’a été très-agréable.

III

Les comparatifs et les superlatifs se placent généralement mieux après leurs substantifs.

exemples :

Spe uberiori, prœmiis amplioribus ad perdiscendum commoveri. Cic. Etre excité à l’étude par des espérances plus flatteuses et de plus grandes récompenses.

Eloquentia fructus uberrimos parit. Cic. L'éloquence produit les fruits les plus abondants.

Il faut excepter les cas suivants :

1° Quand il y a plusieurs comparatifs ou superlatifs qui se suivent, comme dans cette phrase de Cicéron : Sed me recreat et reficit C. Pompeii sapientissimi et justissimi viri consilium. Mais les intentions de Pompée, le plus sage et le plus juste des hommes, me rassurent et m’inspirent de la confiance.

2° Quand étant seuls ils produisent une consonnance plus agréable, ou quand l’intérêt qu’ils présentent l’emporte sur les exigences de l’harmonie. Ainsi Cicéron a dit au commencement de son plaidoyer pour Milon : Etsi vereor, judices, ne turpe sit pro fortissimo viro dicere incipientem timere, etc. Bien que je craigne, ô juges, qu’il ne soit honteux pour moi de manifester de la crainte, en commençant à défendre la cause du citoyen le plus courageux.

IV

On place ordinairement après leurs substantifs les adjectifs possessifs meus, tuus, suus, noster, vester, ipse, quand ils ne sont pas précédés d’une préposition.

exemple :

Mihi autem nihil amabilius studio tuo in me, nihil jucundius conjunctione tuâ cum libertatis nostrœ defensoribus. Cic. Rien n’est plus aimable pour moi que votre dévouement à mon égard ; rien ne m’est plus agréable que votre liaison avec les défenseurs de notre liberté.

V

On met aussi le plus souvent après leurs substantifs les adjectifs déterminatifs alius, alter, omnis, quidam, nullus, solus, totus, talis ; à moins que l’intérêt ou l’harmonie n’exigent un ordre différent.

exemples :

Mira quœdam in cognoscendo suavitas et delectatio. Cic. On goûte un plaisir, une jouissance incroyable dans la connaissance de la vérité.

Gallia est omnis divisa in tres partes. Cæs. Toute la Gaule est divisée en trois parties.

C'est au goût juste et aux oreilles délicates de juger quand ces adjectifs et d’autres semblables sont mieux placés avant leurs substantifs.

VI

Quisque, dans le sens de omnis, se place très-bien :

1° après les adjectifs possessifs suus, sua, suum. Ex. : Suo quisque debet officio fungi. Cic. Tous doivent remplir leur devoir. — 2° Après le relatif qui, quœ, quod. Ex. : Quod cuique opus erit affatim præbebo. Je fournirai abondamment à chacun tout ce dont il aura besoin. — 3° Après les superlatifs et les nombres ordinaux. Ex. : Optimus quisque illi favet. Tous les plus honnêtes gens le favorisent. — 4° Après les conjonctions ut et quo pour ut eo, quand il y a comparaison. Ex. : Ut quisque optimus est, ità difficillimè alios esse improbos suspicatur. Plus on est homme de bien, moins on soupçonne les autres de méchanceté. — 5° Avec un nom de temps, quand il y a un retour périodique de l’action. Ex. : Quinto quoque anno Sicilia censentur. Tous les cinq ans, on fait le recensement de la Sicile.

VII

Les corrélatifs, soit adjectifs, soit adverbes, comme qualis, quantus, quot, quantum, etc., mis avant leurs antécédents talis, tantus, tot, tantum, ont une grâce particulière, quand l’ordre ou l’intérêt des idées permettent de s’exprimer ainsi.

exemples :

Quales in republicâ principes sunt, tales reliqui solent esse cives. Cic. Tels sont les chefs d’une république, tels sont d’ordinaire les autres citoyens.

Quot oratores, totidem penè reperiuntur genera dicendi. Cic. Autant d’orateurs, autant de genres d’éloquence.

VIII

Les nombres cardinaux se mettent bien après leurs substantifs, quand ils ne sont pas précédés d’une préposition.

exemple :

Annorum septingentorum memoriam uno libro colligavit. Il a réuni dans un seul livre l’histoire de sept cents ans.

Mais on dira avec une préposition : Ex quatuor epistolis quas mihi scripsisti, nulla nisi multos post dies ad me pervenit. Cic.

Il faut excepter aussi les adjectifs numéraux centum et mille, qui doivent se mettre avant leurs substantifs. Ex. : Mille meœ siculis errant in montibus agnæ. Virg.

IX

Dans les nombres au dessous de cent, le plus petit nombre se place le premier avec la conjonction et, ou, plus rarement, le dernier sans cette conjonction.

exemple :

Romulus septem et triginta annos regnavit. Liv. Romulus a régné trente-sept ans.

Au dessus de cent, le nombre le plus fort précède toujours le plus petit, avec ou sans et. Ainsi l’on dit : centum et septem, ou centum septem.

Remarque. 1. Les nombres 18, 28, 38, etc., et 19, 29, 39, etc., s’expriment le plus souvent par une soustraction. Ex. : duodeviginti, deux ôtés de vingt, ou dix-huit ; undetriginta, un ôté de trente, ou vingt-neuf.

2. Les poètes expriment le plus souvent les nombres multiples par un adverbe. Ainsi ils disent : bis senos dies, deux fois six jours, pour dire douze jours ; bis mille, pour duo millia.

Pour les nombres ordinaux, le plus grand précède ordinairement le plus petit sans la conjonction et, ou le suit avec cette conjonction. Ainsi l’on dit : vicesimus primus, ou primus et vicesimus.

Mais au dessus du centième, on commence par le nombre le plus grand. Ainsi l’on dit : trecentesimus nonagesimus quartus, trois cent quatre-vingt-quatorzième.

Remarque. Les Latins emploient le nombre ordinal dans tous les cas où abusivement nous nous servons du nombre cardinal. Ex. : Quota hora est ? septima. Quelle heure est-il ? sept heures (au lieu de la septième heure). Quinto quoque anno Sicilia consetur. Tous les cinq ans, on fait le dénombrement de la Sicile. Anno millesimo octingentesimo sexagesimo octavo. L'an mil huit cen soixante-huit.

ARTICLE III.

de la disposition des pronoms.

I

Les pronoms personnels, ordinairement sous-entendus comme sujets, doivent s’exprimer quand l’intérêt l’exige ; souvent même il importe de les répéter avant chaque proposition, afin de donner plus d’énergie à la pensée.

exemple :

Tu Clodii cruentum cadaver ejecisti domo, tu in publicum adjecisti, tu nocturnis canibus dilaniandum reliquisti. Cic. Vous avez traîné hors de chez lui le cadavre sanglant de Clodius, vous l’avez jeté sur la place publique, vous l’avez abandonné à la voirie pour servir de pâture aux chiens dévorants.

II

Le pronom personnel qui précède le relatif qui, quœ, quod, se sous-entend ordinairement, quand l’un et l’autre sont au nominatif, souvent même quand ils sont à l’accusatif.

exemples :

Qui plurima comedunt, non meliùs valent, quàm qui sumunt necessaria. Ceux qui mangent beaucoup ne se portent pas mieux que ceux qui ne prennent que le nécessaire.

Quod valetudini tuæ maximè conducit si feceris (sous-ent id), maximè obtemperaveris voluntati meœ. Cic. Si vous faites ce qui est le plus utile à votre santé, j’en éprouverai la plus grande satisfaction.

A moins toutefois que l’intérêt n’exige l’emploi du pronom personnel ; ce qui a lieu surtout quand il y a opposition ou gradation entre les deux membres de phrase, comme dans cet exemple : Injustus ille est, qui non modo non repellit, sed etiam adjuvat injuriam. Cic. Celui qui ne s’oppose pas à une injure, mais qui la favorise, viole les règles de la justice.

Dans ce cas, il est mieux d’énoncer la proposition principale en premier lieu, quand elle offre plus d’intérêt, comme dans cet exemple : Ii operosè agendo nihil agunt, qui in litterarum inutilium studiis detinentur. Cic. Ceux qui passent leur temps à étudier une littérature frivole, ne retirent aucun fruit de leur travail.

Il est mieux aussi d’exprimer tout d’abord la proposition incidente, quand il s’agit de faire ressortir la différence ou l’opposition qu’il y a entre les idées, comme dans cette phrase : Quæ amici non audent monere reges, hœc in libris scripta sunt. Les conseils que des amis n’osent donner aux rois sont consignés dans des livres.

III

Les pronoms personnels se mettent bien après les adjectifs et les participes qui les qualifient, et même après les infinitifs.

exemples :

Morosum se difficilemque ostendit. Cic. Il s’est montré chagrin et difficile.

Alacres in eum locum legiones profectœ sunt, undè redituras se non arbitrabantur. Liv. Les légions sont parties gaîment pour une campagne d’où elles pensaient qu’elles ne devaient pas revenir.

IV

Deux ou plusieurs pronoms rapprochés les uns des autres dans une même phrase, ont une grâce particulière, pourvu toutefois que ce rapprochement ne nuise pas à la clarté du discours.

exemples :

Perfecisti ut nemo sine litteris meis se tibi commendatum putaret. Cic. Vous avez fait en sorte que personne ne se crût bien recommandé auprès de vous sans quelques unes de mes lettres.

Reperti sunt duo equites romani, qui te istâ curà liberarent. Il se trouva deux chevaliers romains qui devaient vous délivrer de cette inquiétude.

V

Hic et ille employés dans le sens de celui-ci, celui-là, doivent se rapporter, l’un, hic, à la personne ou à la chose dont on a parlé en dernier lieu, et l’autre, ille, à celle dont on a parlé en premier lieu.

exemple :

Meritò laudantur Cicero Terenliaque uxor, hœc propter animi fortitudinem, ille verò ob singularem in eam amorem. On loue avec raison Cicéron et Térentia son épouse, celle-ci à cause de sa fermeté, et celui-là à cause de son grand amour pour elle.

VI

Hic s’applique plus particulièrement à la première personne ; iste, à la seconde ; ille, à la troisième.

exemples :

Hic amicus, cet ami que j’ai ; amicus iste, cet ami que vous avez ; amicus ille, cet ami qu’il a.

VII

Le relatif qui, quæ, quod, étant au nominatif, se met bien avant le verbe, à la suite de son antécédent exprimé ou sous-entendu.

exemples :

Annos triginta qui natus est illud potuit experiri. Cic. Un homme âgé de trente ans a pu en faire l’expérience.

Voluptati virtutem qui prœponit, sapiens est. Cic. Celui-là est sage qui préfère la vertu à la volupté.

VIII

Le relatif qui, quæ, quod, étant à un autre cas, a plus de grâce, quand il est placé avant son antécédent, ainsi que la proposition dont il fait partie, comme nous l’avons déjà vu précédemment.

exemples :

Cui secundœ res adsunt, ille ne superbiat. Cic. Que celui qui éprouve du bonheur ne se laisse point enorgueillir.

Quas scripsisti litteras, eœ mihi fuerunt jucundissimœ. Cic. La lettre que vous m’avez écrite m’a été très-agréable.

IX

Les génitifs cujus, quorum se mettent bien devant leur antécédent.

exemple :

Quœramus amicos quorum de virtutibus et sapientiâ universi consentiant. Cherchons des amis dont les vertus et la sagesse soient approuvées de tout le monde.

ARTICLE IV.

de la disposition des verbes.

I

L'usage ordinaire des bons écrivains, dans le style tempéré et surtout dans le récit historique, est de mettre le sujet au commencement de la phrase et de renvoyer le verbe à la fin, en plaçant entre les deux tous les mots complétifs.

exemple :

Dumnorix gratià et largitione apud Sequanos plurimùm valebat. Cæs. Dumnorix avait le plus d’autorité chez les Séquanais, à cause de son crédit et de ses largesses.

Remarque. Cette disposition du sujet, du verbe et de leurs compléments, — le premier au commencement de la phrase, le second à la fin, et les autres dans le milieu, — tient en haleine l’esprit du lecteur, et l’oblige de soutenir son attention jusqu’au verbe, qui est l’un des termes essentiels de la phrase.

Si cependant la phrase était d’une grande longueur, ou s’il y avait plusieurs verbes à la suite les uns des autres, il faudrait éviter de renvoyer le verbe principal à la fin, pour ne pas embrouiller le sens, ni fatiguer l’attention, comme dans cet exemple :

Cœsar, quùm iniquo loco pugnari hostiumque augeri copias videret, præmetuens suis, ad Sextium legatum, quem minoribus castris præsidio reliquerat, nuntium mittit, ut cohortes ex castris educeret, et sub infimo colle, abdextro latere hostium, constitueret, utque, etc.

Il ne faut pas oublier que la règle précédente doit être modifiée, quand l’intérêt ou l’harmonie du style exigent un ordre différent.

II

Le verbe sum a une grâce particulière au commencement de la phrase, étant mis tout le premier, ou après l’un de ces mots :nullus, nihil, nemo, ou d’autres avec lesquels il forme une consonnance agréable.

exemples :

Fuit ista quondam in hâc republicâ virtus. Il y eut autrefois un aussi grand courage dans notre république.

Nulla est acerbitas, quœ non omnibus nobis hâc orbis perturbatione impendere videatur. Cic. Il n’est aucun malheur qui ne semble nous menacer tous, dans un désordre si universel.

III

Le verbe sum se met élégamment soit au commencement, soit à la fin de la phrase, après les noms et les adjectifs de plusieurs syllabes, après les comparatifs et les superlatifs, après les participes futurs passifs.

exemples :

Temeritas est videlicet florentis ælatis, prudentia senectutis. Cic. La témérité est l’apanage de la jeunesse, et la prudence celui de la vieillesse.

Nullum virtutis theatrum conscientiâ majus est. Cic. La vertu n’a point de plus beau théâtre que la conscience.

Suavis est præteritorum malorum recordatio. Le souvenir des maux passés nous est agréable.

IV

Dans le milieu de la phrase, le verbe sum est plus élégant après les mots négatifs, après les comparatifs et les superlatifs, après les noms et les adjectifs de plusieurs syllabes.

exemples :

Ut ager, quamvis fertilis, sine culturâ fructuosus esse non potest, sic sine doctrinâ animus. Cic. Comme un champ, quelque fertile qu’il soit, ne peut produire des fruits, s’il n’est cultivé ; de même notre esprit n’est capable de rien sans l’étude.

Ignoratio futurorum malorum utilior est quam scientia. Cic. Il vaut mieux ignorer les maux à venir que les connaître.

V

Dans les temps composés du verbe sum et d’un participe, il est plus élégant de placer le verbe substantif le premier, et de le séparer par un ou plusieurs mots.

exemples :

Insidiator erat in foro collocatus. Cic. Le dresseur d’embùches était posté dans le forum.

Non fuit illud facinus puniendum. Cic. Ce crime ne devait pas être puni.

VI

Il est très-élégant de mettre entre deux virgules, et dans le corps de la phrase, les verbes quœso, rogo, credo, fateor, et autres semblables.

exemple :

Ostende mihi, quæso, legis judiciique tabulas. Cic. Montrez-moi, je vous prie, les registres de la loi et du jugement.

VII

Inquit, employé pour citer les paroles de quelqu’un, se met toujours après un ou plusieurs mots, et si ce verbes a un sujet, ce qui est très-rare, ce sujet se place ordinairement après lui.

exemples :

No n te pudet, inquit, qui patriœ tuœ nullo modo consulis ?

N'avez-vous pas honte, dit-il, de négliger entièrement les intérêts de votre patrie ?

Seni etiam, inquit M. Aurelius, discere decorum est. Il est beau, même pour un vieillard, d’acquérir de la science, dit l’empereur Marc-Aurèle.

VIII

Les secondes personnes des verbes passifs ou déponents terminées en re sont quelquefois plus agréables à l’oreille que celles qui se terminent en ris.

exemple :

Hic quâ lætitiâ perfruere ? quibus gaudiis exultabis ? quantâ in voluptate bacchabêre ? Là, de quel plaisir tu jouiras ! quels transports de joie ! quelle vive allégresse ! quelle ivresse de volupté !

IX

La troisième personne plurielle du parfait actif, terminée en ère, est quelquefois plus harmonieuse que celle en erunt.

exemple :

Urbem Romam condidêre aique habuêre Trojani. Les Troyens furent les fondateurs et les premiers habitants de la ville de Rome.

X

La syncope est souvent plus élégante dans les parfaits en ivi et les temps qui en sont formés.

exemples :

In exilium si exieris. Cic. Si tu vas en exil.

Ad Marcellum demigrâsti. Cic. Tu es allé chez Marcellus.

ARTICLE V.

de la disposition des adverbes.

I

Les adverbes se placent ordinairement auprès des verbes ou des adjectifs qu’ils modifient.

exemple :

Omnia non modò quæ reprehendi palàm, sed etiam quæ obscure cogitari possunt, timemus. Cic. Nous craignons non seulement les reproches publics, mais même les pensées les plus secrètes.

II

Deux adverbes qui ont une signification analogue, et qui modifient le même verbe, se placent bien à la suite l’un de l’autre.

exemples :

Ut tandem aliquando metuere desinam. Cic. Afin que je cesse enfin d’éprouver de la crainte.

Neque ea quisquam, nisi diù multùmque scriptitârit, consequetur. Cic. Personne ne viendra à bout de ces difficultés, s’il ne se donne la peine d’écrire beaucoup.

III

Antè et post, employés comme adverbes, se mettent bien entre l’adjectif et le substantif, pourvu que l’adjectif soit le premier.

exemple :

Paucis post diebus cùm ad Nasicam venisset Ennius. Cic. Ennius étant allé chez Nasica peu de jours après.

IV

Il est plus élégant de mettre quelques mots entre les locutions conjonctives non solùm, non tantùm, non modò : sed etiam, sed quoque, verùm etiam.

exemples :

Non pecuniam modò, sed vitam etiam patriæ debemus. Cic. Nous devons à la patrie non seulement notre fortune, mais même notre vie.

Neque id solùm meâ sponte, sed multò etiam magis te denuntiante. Cic. Je n’ai pas seulement fait cela de moi-même ; c’était plus encore d’après vos recommandations.

V

Quidem se place très-élégamment après un pronom ; il se sépare même quelquefois du mot qu’il doit modifier.

exemples :

Hoc tibi, persuasum volo, esse te quidem mihi carissimum. Cic. Je veux que vous soyez bien persuadé que je vous aime beaucoup.

Philotimi litterœ me quidem non nimis, alios verò maximè delectârunt. Cic. Les lettres de Philotime ne m’ont pas causé trop de plaisir, mais tous les autres en ont été charmés.

VI

Ne — quidem est toujours séparé en deux mots, et c’est ordinairement l’un des termes principaux de la proposition que l’on met entre les deux.

exemple :

Ne patrem quidem amabat, nedùm fratrem ac sororem. Bien loin d’aimer son frère et sa sœur, il n’aimait pas même son père.

Ne quùm in Siciliâ quidem fuit bellum, ejus belli in Italiam pars ulla pervasit. Cic. Quand on a fait la guerre en Sicile, il n’est pas même arrivé que la moindre partie de cette guerre se fût communiquée à l’Italie.

VII

Equidem mis pour ego quidem se place toujours au commencement de la phrase, et se construit ordinairement avec la première personne des verbes.

exemple :

Equidem non video cur tam facilè irascaris. En vérité, je ne vois pas pourquoi vous vous fâchez si facilement.

VIII

Non… nisi, signifiant seulement, se trouvent généralement séparés dans Cicéron.

exemple :

Se l hoc primùm sentio, nisi in bonis amicitiam esse non posse. Cic. Mais je pense d’abord que l’amitié ne peut se trouver qu’entre les gens de bien.

IX

Antequàm, priusquàm, postquàm forment quelquefois deux expressions entre lesquelles on met un ou plusieurs mots.

exemple :

Ante leves ergò pascentur in œthere cervi,

Et freta destituent nudos in littore pisces,

Quàm nostro illius labatur pectore vultus. Virg.

Ainsi, l’on verra dans les plaines de l’air paître les cerfs légers, la mer laisser les poissons à sec sur le rivage, avant que son image s’efface de mon cœur.

X

Non, adverbe de négation, se place élégamment auprès du mot qu’il modifie.

exemple :

Cui cognita non est veritas, si judicium ferat, œquus non est. Celui qui ne connaît pas la vérité, n’est pas juste dans ses jugements.

ARTICLE VI.

de la disposition des prépositions.

I

Le mot seul de préposition indique assez la place que ces particules doivent occuper dans le discours. Ce sera donc avant les mots qui leur servent de complément qu’il conviendra de les placer. Ainsi, l’on dira : in senatu, dans le sénat ; apud patrem tuum, chez votre père.

Cependant les poètes en usent quelquefois autrement. Ainsi, ils disent : Transtra per et remos. Virg. A travers les rames et les bancs des rameurs. Maria omnia circum. Id. Autour de toutes les mers. Mais il est nécessaire qu’un tel arrangement ne nuise point à la clarté du discours.

De même, en prose, il y a des prépositions qui se mettent après leur régime, comme tenùs, jusqu’à ; versùs, vers ; instar, comme. Cum, avec, se joint aux ablatifs des pronoms ego, tu, sui, et du relatif qui, quæ, quod. Ex. : Capulo tenùs. jusqu’à la garde. Orientem versùs, vers l’orient. Mecum erat Philippus, Philippe était avec moi.

II

Les prépositions se placent souvent avec plus de grâce entre l’adjectif et le nom, pourvu que l’adjectif soit le premier.

exemple :

Qui nuper summo cum imperio fuerat, summo autem in amore esse propter nomen ipsum imperii non potuerat. Cie. Celui qui naguère a joui du souverain pouvoir, mais qui pour cela même n’a pu s’attacher entièrement les cœurs.

De là ces formes gracieuses : his de rebus, his in terris, multos antè annos, paucis post diebus, etc.

III

Quand le mot régi par une préposition est suivi d’un complément au génitif, la préposition se met bien la première, puis le génitif, et enfin le nom.

exemple :

Nomen legati ejusmodi esse debet, quod non modò inter sociorum jura, sed etiam inter hostium tela incolume versetur. Cie. Le nom d’ambassadeur doit imprimer un tel respect, qu’il soit inviolable non seulement parmi les alliés, mais au milieu même des armées ennemies.

IV

La préposition peut aussi être séparée de son complément par un adverbe ou un participe précédé ou suivi lui-même de son complément.

exemples :

Ad benè beatèque vivendum nihil præstantius est, quàm verus amicus. Rien ne contribue plus efficacement à rendre la vie heureuse, qu’un véritable ami.

Pythagoras Babyloniam ad perdiscendos siderum motus profectus est. Just. Pythagore se rendit à Babylone pour y étudier le mouvement des astres.

V

Les prépositions à, ab, abs, ne s’emploient pas indifféremment l’une pour l’autre. A se met mieux devant les consonnes : à Deo, à patre. Ab devant les voyelles et les consonnes avec lesquelles il forme une heureuse liaison. Telles sont les lettres l, r, s, j. Ex. : Ab Apolline, ab Jove, etc. Abs est peu usité ; on le trouve quelquefois devant les lettres t et q. Ex. : Abs te nihil potui facere. Je n’ai rien pu faire sans vous.

VI

In se met élégamment pour inter.

exemple :

Peto ut eum complectare, diligas, in tuis habeas. Cie. Je vous prie de le protéger, de le chérir, de le mettre au nombre de vos amis.

ARTICLE VII.

de la disposition des conjonctions.

I

Les conjonctions se placent ordinairement au commencement des phrases ou des propositions dont elles font partie. Si parfois il arrive que l’intérêt, ou l’harmonie, ou les exigences de la mesure leur fassent subir quelque déplacement, il sera facile de s’en apercevoir et de les distinguer.

exemple :

Quòd si exemeris ex rerum naturâ benevolentiœ conjunctionem, nec domus ulla, nec urbs stare poterit ; ne agri quidem cultus permanebit. Cic. Si vous retranchez de la société les liaisons formées par la bienveillance, aucune famille, aucune ville ne pourra subsister ; la culture même des champs sera abandonnée.

II

Souvent les conjonctions et les locutions conjonctives sont séparées de la proposition dont elles font partie par d’autres propositions déterminatives ou explicatives. Par ex. : An, quùm bello vastabitur Italia, vexabuntur urbes, tecta ardebunt, tùm te non existimas invidiæ incendio conflagraturum ? Cic. Quand la guerre dévastera l’Italie, quand les villes seront saccagées, les maisons livrées aux flammes, penses-tu donc échapper aux feux de la haine allumés contre toi ? (Ici la conjonction an est séparée de la proposition dont elle fait partie par ces trois autres : quùm bello vastabitur Italia, quùm vexabuntur urbes, quùm tecta ardebunt.) Ut ii qui sunt in amicitiâ superiores exæquare se cum inferioribus suis debent, sic inferiores non dolere se à suis aut ingenio, aut fortunâ, aut dignitate superari. Cic. (Ici la conjonction ut et le sujet ii sont séparés du verbe et de l’attribut par la proposition incidente qui sunt, etc.) Il importe donc, pour la clarté du discours, de soumettre ces sortes de phrases à une analyse rigoureuse, et d’apprendre aux jeunes élèves à distinguer les différentes espèces de propositions, et le rôle que chacune d’elles joue dans la phrase dont elle fait partie.

III

Conjonctions et, ac, atque, que.

1° La conjonction et est plus douce à l’oreille que ac devant les consonnes c, g, q ; elle l’est moins devant la lettre t. Et et ac se mettent également devant les autres consonnes. C'est à l’oreille de juger laquelle des deux s’unit le mieux avec le mot suivant. Atque va mieux devant les voyelles.

exemples :

Et quoniam auctoritas multùm in bellis administrandis valet. Cic. Et parce que l’autorité influe beaucoup sur la conduite de la guerre.

Et quoniam auctoritas multùm in bellis administrandis valet. Cie. Et parce que l’autorité influe beaucoup sur la conduite de la guerre.

Ac primùm silici scintillam excudit Achates. Virg. Et d’abord Achate fait jaillir une étincelle d’un caillou.

Atque ego primùm sentio, nisi in bonis amicitiam esse non posse. Cic. Et je pense d’abord qu’il ne peut y avoir d’amitié qu’entre les gens de bien.

2° La conjonction que se met bien après les adjectifs omnis, totus, alius, etc. ; après les génitifs hujus, illius, totius, etc. ; après les mots d’une syllabe et ceux d’une grande longueur, pour éviter des consonnances désagréables.

exemples :

Honos alit artes, omnesque incenduntur ad studia gloriœ cupiditate. Cic. L'honneur alimente les beaux-arts, et tous, en songeant à la gloire, sont embrasés d’ardeur pour l’étude.

Hominem facillimum liberalissimumque cognosces. Cic. Vous verrez dans moi un homme très-humain et très-libéral.

IV

Conjonctions verò, autem.

Les conjonctions verò, autem, mises après un mot avec lequel elles forment une consonnance agréable, sont généralement plus élégantes que sed, at, verùm, placés au commencement.

Verò se met bien après les conjonctions nec, enim, nisi, quùm, dùm ; après les adverbes jam, nunc, tùm ; après les adjectifs déterminatifs hic, hæc, hoc ; qui, quæ, quod, et d’autres que la délicatesse de l’oreille fera connaître.

exemples :

Nisi verò existimetis dementem Africanum fuisse. Cic. A moins que vous ne pensiez que Scipion l’Africain fut un insensé.

Hanc verò quæstionem nunquàm senatus constituendam putavit. Cic. Jamais le sénat n’a été d’avis que l’on dût faire cette enquête.

Autem va mieux après les mots qui finissent par des voyelles, ou certaines consonnes avec lesquelles elles s’unissent d’une manière agréable. Tels sont : tu, ipse, ille, iste, ecce, nos, vos, quid, cur, non, sin, etc.

exemples :

Ecce autem elapsus Pyrrhi de cæde Polites. Virg. Mais voici que Politès, échappé au massacre de Pyrrhus…

Sin autem ad pugnam exierint. Virg. Mais si elles sont sorties pour le combat.

V

Conjonctions nam, namque, enim, etenim.

La conjonction nam se met au commencement de la proposition, et elle a une grâce particulière, quand elle est suivie de et mis pour etiam.

exemple :

Nam et ratione uti decet. Cic. Car il faut aussi faire usage de sa raison.

Namque, qui ajoute plus de force à l’affirmation, se met bien devant les voyelles.

exemple :

Namque imperator fuit summus terrâ marique. Car ce fut un grand général et sur terre et sur mer.

Enim se met après un ou plusieurs mots, le plus souvent après un monosyllabe ou d’autres mots avec lesquels il forme une agréable consonnance. Ainsi l’on dit bien : sed enim, quid enim, ut enim, neque enim, erat enim, etc.

exemple :

Neque enim sunt isti audiendi, qui virtutem duram et quasi ferream volunt. Cic. Car il ne faut pas écouter ceux qui veulent que la vertu soit dure et pour ainsi dire de fer.

Etenim, qui affirme avec plus de vigueur que les trois autres, se met le plus souvent au commencement d’une phrase, d’un paragraphe, d’un alinéa.

exemple :

Etenim quid est, Catilina, quod jam ampliùs exspectes ? Qu'y a-t-il donc, Catilina, que tu puisses attendre encore ?

VI

Conjonctions si, ut, quùm, dùm, ne, cur.

Les conjonctions si, ut, quùm, dùm, ne, cur, se placent élégamment dans le corps de la phrase, immédiatement avant le verbe, quand la disposition des mots et l’euphonie le permettent ainsi.

exemples :

….. Vulgi quæ vox ut venit ad aures. Virg.

Dès que ces paroles eurent frappé les oreilles de la multitude.

Hæc eadem si velis facere, in te gratissimus ero. Si vous voulez faire cela, je vous serai très-reconnaissant.

Is sententiam ne diceret, recusavit. Cic. Il refusa de dire son avis.

VII

L'adverbe tùm et la conjonction quùm, ayant le sens de alors que, lorsque, peuvent se coordonner de trois manières différentes :

1° En mettant tùm dans une première proposition, et quùm dans une seconde.

exemple :

Tùm rex fuit, quùm Romæ regem licebat esse. Cic. Il fut roi dans le temps où il était permis de l’être à Rome.

2° En mettant quùm dans la première proposition, et tùm dans la seconde.

exemple :

Quùm animus movetur placidè, tùm illud gaudium dicitur. Cic. Quand notre âme éprouve de douces émotions, ce sentiment s’appelle de la joie.

3° En mettant tùm à la fin de la première proposition, et quùm au commencement de la seconde.

exemple :

Ludo quidem et joco illis uti licet tùm, quùm seriis rebus satisfecerint. Cic. Il leur est permis sans doute de se livrer au jeu ; mais ce sera quand ils auront vaqué aux affaires sérieuses.

VIII

Quand il y a deux propositions dont la première contient la raison de la seconde, on met élégamment quòd ou quia dans la première, et ideò, idcircò, proptereà, dans la seconde. On fait de même pour la conjonction dùm et l’adverbe intereà.

exemples :

Quæ omnia quia Cato extulerat in cœlum, idcircò in ejus sententiam est facta discessio. Cic. Parce que Caton avait fait de toutes ces choses un éloge pompeux, tous se rangèrent à son avis.

Dùm hostium copiæ conveniebant, Cæsar intereà exercitum suum admovit. Cæs. Pendant que les troupes des ennemis se réunissaient, César fit avancer son armée.

IX

On fait usage de nisi pour si… non, de nec ou neque pour et non, afin d’éviter la répétition trop fréquente de ces deux monosyllabes.

exemples :

Sincerum nisi vas, quodeumque infundis, acescit.

Si un vase n’est pas pur, tout ce que vous y répandez se corrompt bientôt.

Erant in Torquato plurimæ litteræ, nec eæ vulgares. Cic. Torquatus était un littérateur distingué, et, dans ses écrit, il n’y a rien de vulgaire.

X

On se sert élégamment des locutions conjonctives quod si, quod nisi, quod ubi, quod utinam, pour éviter la répétition fréquente de et.

exemples :

Quod ni ita fuisset. Cic. Et si la chose n’eût été ainsi.

Quod si fecissem (pour et si illud fecissem). Si je l’eusse fait.

XI

Sie se met bien au commencement d’une phrase, quand il est suivi de ut ou d’une proposition infinitive.

exemples :

Sic est factum, ut amici tui dictitant. Il a été fait ainsi que vos amis se plaisent à le répéter.

Ego sic existimo : oratore perfecto nihil rarius esse, nihil inventu difficilius. Cic. Je pense qu’il n’y a rien de plus rare, rien de plus difficile à trouver qu’un orateur parfait.

ARTICLE VIII.

de la disposition des phrases et des membres de phrases.

I

Si la langue latine a ses règles pour l’arrangement des mots qui forment une phrase, elle les a aussi pour l’arrangement des phrases qui composent le discours.

Ces règles reposent sur les mêmes principes que ceux énoncés précédemment : sur l’ordre analytique des idées, sur l’intérêt et l’harmonie.

L'ordre analytique veut que l’on exprime d’abord la proposition principale, et que l’on fasse suivre les propositions complétives selon leurs rapports de dépendance.

Ainsi, dans cette phrase de l’Orateur de Cicéron : Utrùm difficilius an majus esset negare tibi sæpiùs idem roganti, an efficere id quod rogares, diù multùmque dubitavi. J'ai douté beaucoup et pendant longtemps s’il ne valait pas mieux, vous refuser une chose que vous me demandiez avec instance, que de me prêter à tous vos désirs.

L'ordre analytique serait : Dubitavi diù multùmque utrùm negare tibi roganti sæpiùs idem, an efficere id quod rogaresesset difficilius an majus. Mais des raisons d’intérêt et d’harmonie prescrivaient à l’orateur un ordre différent. Cicéron propose une question ; le premier mot l’annonce, utrùm. Viennent ensuite les attributs difficilius an majus, qui renferment, pour ainsi dire, le nœud ou l’intérêt principal de la pensée.

On n’a point encore exposé les deux objets du jugement exprimés par les deux infinitifs negare et efficere ; l’esprit les demande. Aussi ces deux verbes figurent-ils à la tête des deux propositions suivantes, dont ils expriment chacun l’objet principal.

Vient enfin la proposition principale, accompagnée de ses modificatifs : diù multùmque dubitavi. Elle devait être la dernière, parce que, l’intérêt de la phrase n’étant pas pour elle, les premières attentions ne lui étaient pas dues. Lequel était plus difficile, ceci ou cela ? Je doute. Voilà l’ordre d’intérêt.

Nam et negare ei quem unicè diligerem, cuique me carissimum esse sentirem, præsertim et justa petenti, et præclara cupienti, durum admodùm mihi videbatur. Car refuser à celui que je chérissais par dessus tout et qui me témoignait la plus grande affection, à celui surtout qui me demandait une chose juste, une chose glorieuse, cela me semblait trop pénible.

Nam negare, voilà le verbe qui, renfermant l’idée principale, au point de vue de l’intérêt, occupe le premier rang. Le complément ei, ne présentant qu’un intérêt secondaire, vient après, avec sa suite quem unicè… cui me… justa petenti. Et toutes ces parties, qui expriment les motifs de l’action principale, sont groupées dans le centre de la phrase et avant le verbe videbatur, qui, étant mis à la fin, après ses modificatifs durum admodùm, frappe aussi l’attention et produit un très-bel effet, au point de vue de l’harmonie.

II

Ce n’est pas assez qu’un discours soit beau dans chacune de ses parties prises séparément ; il faut encore qu’il soit beau dans son ensemble. Or, ce qui contribue le plus à produire ce résultat, c’est la variété. Une longue uniformité, dit Montesquieu, rend tout insupportable. Le même ordre de périodes longtemps continué, les mêmes nombres et les mêmes chutes produisent une monotonie qui accable d’ennui et de dégoût ceux qui lisent ou qui écoutent.

Comme conséquence de ce principe, il faudra éviter de placer à la suite les unes des autres des phrases de même forme et de même longueur, des périodes dont les membres seraient coordonnés de la même manière, et dont les pauses reviendraient aux mêmes intervalles. Mouler sur la même forme toute une suite de périodes n’est pas moins fastidieux que de chanter toujours sur le même ton.

III

Quelle que soit la place que l’on assigne aux parties principales d’une phrase, il est essentiel que ces parties ne soient point confondues parmi des incidents, des termes accessoires, des propositions circonstancielles qui en obscurciraient le sens, et nuiraient par là même à l’effet qu’elles doivent produire.

Ainsi, quand le sujet amène à sa suite quelques circonstances de temps ou de lieu, quelques termes modificatifs, il faut avoir soin de placer ces derniers de telle sorte que l’objet principal puisse être bien aperçu, et se montrer dans tout son jour.

Remarquez l’arrangement de la phrase suivante :

Non ergò erunt homines deliciis diffluentes audiendi, si quandò de amicitiâ, quam nec usu nec ratione habent cognitam, disputabunt. Cic.

Voila sans doute une phrase bien construite. Les termes principaux y sont placés soit au commencement, soit à la fin de chaque proposition. Les compléments accessoires sont rangés au milieu, où ils frappent suffisamment l’attention, et où ils produisent le plus d’effet, comme force secondaire unie de la manière la plus intime à la force principale, et agissant de concert avec elle sur l’esprit et les oreilles de l’auditeur.

Si l’auteur eût donné une autre disposition à cette phrase, et qu’il eût dit : Ergò homines diffluentes deliciis non audiendi erunt, si quandò de amicitià disputabunt, quam cognitam nec usu, nec ratione habent ; toute l’harmonie, tout l’intérêt, toute la beauté auraient disparu.

IV

De ce que nous venons de dire il est facile de conclure que les circonstances accessoires, les propositions complétives se mettent bien au milieu de la phrase, quand cette disposition ne nuit point à la clarté du discours. Ainsi, au lieu de dire : Scipio exercitum in Africam trajecit, ut Annibalem ex Italiâ deduceret ; il sera mieux de mettre la proposition complétive après le sujet de la proposition principale : Scipio, ut Annibalem ex Italiâ deduceret, exercitum in Africam trajecit.

Au lieu de dire : Quis est qui velit circumfluere omnibus copiis, atque in omnium rerum abundantiâ vivere, ut neque diligat quemquam, nec ipse ab ullo diligatur ; on dira mieux : Quis est qui velit, ut neque diligat quemquam, nec ipse ab ullo diligatur, circumfluere omnibus copiis, etc.

V

Quand deux propositions unies entre elles par une conjonction ont le même sujet ou le même complément, il est plus élégant et plus conforme au génie de la langue latine de les disposer de la manière suivante. Au lieu de dire : Antigonus in prælio occisus est, quùm adversùs Seleucum dimicaret, dites : Antigonus, quùm adversùs Seleucum dimicaret, in prælio occisus est.

Au lieu de dire : Ut barbari eum effugisse incendium eminùs viderunt, telis missis interfecerunt, dites : Quem, ut barbari incendium effugisse eminùs viderunt, telis missis interfecerunt.

VI

Si le complément de la proposition principale désignait la même personne ou la même chose que le sujet de la proposition subordonnée, il faudrait placer ce complément le premier, et le faire suivre de la proposition subordonnée.

Ainsi, au lieu de dire : Etsi hæc quæstio non est iniqua, nunquàm tamen senatus eam constituendam putavit, dites : Hanc verò quœstionem, etsi non est iniqua, nunquàm tamen senatus constituendam putavit. Cic. Bien que cette enquête ne soit point injuste, jamais néanmoins le sénat n’a jugé qu’on dût l’établir.

Au lieu de dire : Quùm Annibal procederet victor in Italiam, civitates ei tributum dabant, dites : Annibali, quùm incederet victor in Italiam, civitates tributum dabant. Quand Annibal marchait en vainqueur contre l’Italie, les pays qu’il traversait lui payaient tribut.

VII

La phrase serait encore plus élégante, si la proposition complétive n’avait ni le même sujet, ni le même complément que la proposition principale, comme dans cet exemple : Maximos honores, quùm injuriæ adsunt, vir probus contemnit. Cic. L'homme de bien méprise les plus grands honneurs, quand il y a des injustices.

VIII

S'il y a, dans un second membre de phrase, des termes mis en opposition ou en parallèle avec ceux du premier, il faut faire en sorte que ces mots soient placés dans le même ordre, et se correspondent l’un à l’autre.

exemple :

Æquitas, temperantia, fortitudo, prudentia, virtutes omnes certant cum iniquitate, cum luxuriâ, cum ignaviâ, cum temeritate, cum vitiis omnibus. Cic. La justice, la modération, la force, la prudence, enfin toutes les vertus combattent contre l’injustice, la débauche, la lâcheté, la témérité, enfin contre tous les vices.

IX

Les mots synonymes, ou placés par gradation, doivent être disposés de telle sorte, que les plus expressifs soient mis les derniers, si c’est une gradation ascendante.

exemple :

Turpe est viro debilitari dolore, frangi, succumbere. Il est honteux pour un homme de se laisser affaiblir par la douleur, d’être abattu, de succomber.

X

Dans une phrase un peu étendue, il faut, autant que possible, varier les terminaisons de chaque membre, et éviter de faire les derniers membres trop courts par rapport aux premiers.

exemple :

Religio medetur animis, inanes sollicitudines detrahit, cupiditatibus liberat, molestas pellit timores. La religion guérit nos esprits malades ; elle dissipe nos vaines inquiétudes, nous affranchit du joug des passions, et bannit la crainte de nos cœurs.

XI

Il importe, pour faire de rapides progrès dans la langue latine, que les élèves s’habituent à exprimer de différentes manières une même idée, une même proposition, une même phrase. C'est le moyen le plus facile de se familiariser avec le génie de cette langue, et de donner au style la force, la grâce, la noblesse qui lui conviennent.

Quelques exemples rendront la chose plus sensible. Le mot doctus, savant, peut s’exprimer de différentes manières : litteris eruditus, scientiâ instructus, præstans doctrinâ, scientiis ornatus, etc.

De même, laudabilis, louable, ou laudandus, dignus laude, laudibus efferendus ou celebrandus, etc. Tum omni laude dignum te habebo, quùm omnibus virtutibus animum tuum exornaveris. Je vous jugerai digne de toute louange, quand votre âme sera ornée de toutes les vertus.

De même, laudare, louer, ou laudibus efferre, celebrare, extollere, afficere, illustrare, laudes tribuere, impertire, indicere, etc. Quibus te laudibus efferam, nescio. Je ne sais quelles louanges vous accorder.

Soit à exprimer en latin cette pensée : Cicéron a été le plus éloquent des orateurs. La formule la plus simple sera : Eloquentissimus oratorum fuit Cicero. Ensuite on pourra varier ces expressions de plusieurs manières :

1° Par une construction différente : Inter oratores, ou ex oratoribus Cicero fuit eloquentissimus.

2° Par des synonymes : Disertissimus, ou facundissimus ex oratoribus fuit Cicero.

3° En augmentant la signification du superlatif : Oratorum longè disertissimus fuit Cicero.

4° En se servant de l’adjectif simple et d’un adverbe : Inter oratores Cicero fuit maximè eloquens, ou imprimis facundus.

5° En mettant un comparatif ou un adverbe de comparaison : Orator nullus Cicerone fuit eloquentior ; nemo disertus magis quàm Cicero ; nemo tam facundus quàm Cicero ; nullus æquè disertus ac Cicero, etc.

6° En se servant de périphrases : Oratores omnes Cicero eloquentiâ superavit, ou antecessit ; eloquentiâ nullus Cicerone fuit præstantior ; tanta fuit Ciceronis eloquentia, ut parem non habuerit ; omnibus ætatis suœ oratoribus Cicero præstabat eloquentiâ, etc.

7° En prenant une tournure négative : Nulli equidem Cicero impar ou inferior erat eloquentiâ ; nullos Cicero pares habuit eloquentiâ ; omnes præ Cicerone fuerunt infacundi, etc.

8° En employant une interrogation ou une exclamation : Quis unquàm Cicerone fuit eloquentior ? In quo vis dicendi major fuit quàm in Cicerone ? An quisquam apud Romanos perindè facundus fuit ac Cicero ? O singularem prorsùs Tullii facundiam ! Quanta Ciceroni fuit eloquentia ! Quanta vis dicendi ! etc.

Nous ajouterons, comme une chose digne de remarque, qu’il ne faut point abuser des périphrases, quand les mots simples suffisent pour exprimer la pensée dans toute son extension. Un maître habile et familiarisé avec le génie de la langue latine, ne manquera pas de diriger ses élèves dans cette voie si intéressante pour eux, et si utile au progrès de leurs études.

§ III.
De l’harmonie imitative.

« L'harmonie, telle que nous venons de l’envisager, peut s’appeler harmonie mécanique, parce qu’elle consiste uniquement dans les mots matériellement pris, et considérés comme sons. Mais il y a une autre sorte d’harmonie, que l’on appelle imitative, et qui consiste dans le rapport des sons avec les objets qu’ils expriment. »

Il y a trois choses à imiter dans les objets que l’on veut décrire : les sons et les mouvements physiques ; les sentiments, les émotions de l’âme.

Nous disons d’abord que l’on peut imiter, par la parole, les sons que produisent les objets physiques, comme le bruit des vagues, le mugissement des vents, le murmure d’un ruisseau, etc. C'est l’usage le plus naturel de ce genre de beauté. La liaison se forme aisément entre des sensations qui affectent le même organe. Il suffit, pour décrire des sons doux et coulants, de choisir et de combiner heureusement des mots composés de voyelles et de liquides. De même, pour reproduire des sons durs et pénibles à entendre, il faut multiplier les syllabes rudes, les mots où abondent les consonnes fortes et les aspirées.

Le langage lui-même nous vient en aide dans ce genre d’imitation. En effet, dans la plupart des langues, les mots qui expriment les sons les plus doux ou les plus éclatants, sont déjà imitatifs par eux-mêmes. Ainsi, l’on dit en français : le sifflement des vents. le mugissement des flots, le bourdonnement de l’abeille, le craquement du bois qui se fend et éclate, le bouillonnement de l’eau, le pétillement de la flamme, la douce haleine du zéphyr, le doux murmure d’un ruisseau, etc.

Le poètes les plus célèbres de l’antiquité, Homère chez les Grecs, Virgile chez les Latins, ont poussé ce genre d’harmonie à sa dernière perfection. Homère fait entendre le bruit des flots, le choc des vents, le cri des voiles qui se déchirent, la chute du rocher de Sisyphe, etc.

Virgile, en habile imitateur, produit des effets d’harmonie non moins étonnants. Nous en citerons quelques vers dans lesquels il imite le déchaînement des vents :

…… Ac venti, velut agmine facto,
Quà data porta ruunt, et terras turbine perflant.
Æn., I, 82.

Et les vents, comme une cohorte impétueuse, se précipitent par où une issue leur est ouverte, et souflent sur les terres avec d’immenses tourbillons.

Les éclats du tonnerre, et les éclairs qui sillonnent les nues :

Intonuere poli, et crebris micat ignibus æther.

Les cieux tonnent avec fracas ; mille éclairs sillonnent les nues.

….. Horrificis juxtà tonat Ætna ruinis.
Æn., III, 571.

Tout près l’Etna tonne et vomit d’épouvantables ruines.

Le sifflement des serpents qui se dirigent vers Laocoon :

Sibila lambebant linguis vibrantibus ora.

Ils faisaient siffler leur triple dard dans leur gueule béante. Les affreuses clameurs de Laocoon :

Clamores simul horrendos ad sidera tol lit.

Il pousse vers le ciel des cris épouvantables.

La lime qui ronge le fer :

Tùm ferri rigor, atque argutæ lamina serræ.

« J'entends crier la dent de la lime mordante. » Delille. On peut aussi imiter, par la parole, les divers mouvements des corps, en employant des sons qui aient quelque analogie avec ces mouvements : des syllabes longues pour ceux qui s’exécutent avec lenteur, des syllabes brèves pour ceux qui se font rapidement.

Ainsi Virgile a imité le mouvement des bras des cyclopes dans les forges de l’Etna :

Illi inter sese multâ vi brachia tollunt
In numerum, versantque tenaci forcipe massam.

Ils élèvent avec un grand effort leurs bras en cadence, et tournent la masse de fer avec leurs tenailles mordantes.

La grosseur des vagues qui vont battre le rivage :

…. Et vastos volvunt ad littora fluctus.

Une montagne d’eau qui s’élève dans les airs :

…. Insequitur cumulo præruptus aquæ mons.

Le monosyllabe mons, qui finit le vers, peint très-bien la grosseur de la vague.

Les Troyens précipités au fond de la mer, ou élevés sur les flots les plus escarpés :

Hi summo in fluctu pendent ; his unda dehiscens
Terram inter fluctus aperit.

(La moitié du premier vers demeure supendue ; l’autre se précipite sur le vers suivant.)

La vaste étendue de la mer, où surnagent quelques malheureux Troyens :

Apparent rari nantes in gurgite vasto.

Le supplice d’Encelade écrasé sous le poids de l’Etna :

Fama est Enceladi semiustum fulmine corpus
Urgeri mole hâc.

Ce monosyllabe, hâc, placé à la césure et après une élision, imite merveilleusement la pesanteur de la montagne qui écrase le géant.

Le galop du cheval :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Cicéron, dans son plaidoyer pour Milon, voulant démontrer que Clodius s’était mis en marche dans le dessein d’attaquer Milon, et que celui-ci n’était point parti avec l’intention de surprendre Clodius, décrit ainsi leur équipage et leur rencontre.

Obviam fit ei Clodius, expeditus, in equo, nullâ rhedâ, nullis impedimentis, nullis Grœcis comitibus, ut solebat ; sine uxore, quod nunquàm feré : quùm hic insidiator, qui iter illud ad cædem faciendam apparâsset, cum uxore veheretur in rhedâ, penulatus, magno, et impedito, et muliebri ac delicato ancillarum puerorumque comitatu. Pro Mil, 10.

Il est facile de remarquer, dans ce qui a rapport à Clodius, la rapidité du style produite par des mots courts, des syllabes brèves, des phrases entrecoupées. Cicéron a voulu imiter ainsi la rapidité de cette course débarrassée de toute entrave, et offrant toutes les facilités pour un coup de main.

Au contraire, dans ce qui concerne Milon, l’orateur accumule des mots composés de syllabes longues, des épithètes, des hiatus, afin de mieux représenter la marche paisible de Milon qui se rendait à Lanuvium pour l’élection d’un flamine, et de mettre sous les yeux ce nombreux attirail de femmes et de valets si peu propres à servir au milieu d’un combat.

Enfin, on peut imiter aussi, par l’harmonie du style, les sentiments, les émotions vives, les mouvements passionnés de l’âme. Quand nous voulons décrire ces divers mouvements, il s’opère dans nous une sorte de mélodie, qui a de l’analogie avec la passion qui nous agite, et qui se manifeste dans notre langage de la même manière que les sentiments du musicien se reproduisent dans les morceaux de musique qu’il compose.

Ainsi, le poète qui décrit le plaisir, la joie, une suite d’objets agréables, introduit naturellement dans ses vers des sons doux et coulants.

Tels sont ces vers de Virgile :

Devenere locos lætos, et amœna vireta
Fortunatorum nemorum, sedesque beatas.
Largior hic campos æther et lumine vestit
Purpureo ; solemque suum, sua sidera, nôrunt.

Ils arrivèrent dans des bois fortunés, parmi de riants bocages, charmant séjour de la joie et du bonheur. Un air pur remplit ces beaux lieux, et les colore de la plus douce lumière.

Tout le calme, toute la joie, tout le bonheur des Champs-Elysées respirent dans ces beaux vers et dans les suivants, où les sons les plus tranquilles, les plus doucement cadencés, succèdent à cette pénible et lugubre harmonie, faite pour les habitants du Tartare.

Quoi de plus tendre, de plus émouvant que le passage suivant, où le vénérable Anchise aperçoit son fils Enée qui vient à lui à travers la prairie ? Il lui tend les bras, et lui dit en versant des larmes de joie :

Venisti tandem, tuaque exspectata parenti
Vicit iter durum pietas ! datur ora tueri,
Nate, tua, et notas audire et reddere voces, etc.

Venisti tandem. Quel effet produit ce mot tandem mis à la première coupe du vers ! comme il exprime bien le regret d’une longue absence ! et comme les deux mots venisti tandem peignent bien la joie et le bonheur du retour ! Anchise, il est vrai, était mort depuis peu ; mais l’amour séparé de son objet trouve bien longs les moments les plus courts.

…… Tuaque exspectata parenti
Vicit iter durum pietas…

C'est avec un goût parfaitement religieux, avec des sentiments vraiment dignes d’un poète chrétien, que Virgile nous présente la piété filiale comme la cause première de la descente d’Enée aux enfers. C'est d’ailleurs le beau, le principal caractère qu’il a su donner à son héros, pius Æneas. C'est aussi celui qui convient au vénérable Anchise ; car il doit y avoir identité de pensées et de sentiments entre le père et le fils. Ce que le poète exprime si bien par les mots suivants : exspectata parenti, piété déjà si connue du père, et dont le fils donnait alors une preuve si évidente.

Vicit iter durum pietas…

Le pieux Enée dut éprouver bien de la répugnance avant d’entreprendre ce voyage mystérieux, où tout offrait à l’imagination des choses effrayantes : ces forêts profondes et ténébreuses qu’il fallait traverser ; le Cocyte aux ondes noires et fangeuses ; le passage terrible de l’Achéron, dont les sombres bords sont pleins d’âmes errantes ; les monstres horribles qui gardent l’entrée des enfers, Cerbère avec ses trois gueules béantes, Briarée aux cent bras, l’affreuse Gorgone, l’hydre de Lerne ; enfin le Tartare avec ses divinités infernales : Pluton, Proserpine, les Euménides ;… puis ces milliers d’âmes infortunées qui habitent ces lieux pleins d’horreur et de désespoir. Il y eut donc une lutte violente entre la crainte et la piété filiale. Celle-ci néanmoins l’emporta, comme l’expriment très-bien ces mots vicit iter durum pietas.

……..Datur ora tueri,
Nate, tua, et notas audire et reddere voces.

Pourquoi ces paroles d’Anchise à son fils : Je puis encore vous voir, vous entendre et vous parler ? C'est que, dans ce fortuné séjour, il n’y avait que des âmes bienheureuses ; on n’y voyait aucun être soumis à la mortalité. La présence d’Enée était donc une chose extraordinaire, qui dut causer une grande surprise et une vive joie au vénérable vieillard. Il était donc naturel qu’il le manifestât à son fils en ces termes qui expriment si vivement les sentiments de son cœur : Datur ora tueri, nate, tua, etc.

« Vous venez enfin, ô mon fils ! votre piété, dont vous m’avez donné tant de preuves, a enfin surmonté tous les obstacles ! Je puis encore vous voir, je puis entendre vos douces paroles ; vous pouvez répondre encore à la voix de votre père ! »

Nous citerons aussi les vers suivants, dans lesquels Virgile décrit la mort du jeune Euryale, dont le cœur virginal vient d’être percé par le glaive du cruel Volscens :

Volvitur Euryalus letho, pulchrosque per artus
It cruor, inque humeros cervix collapsa recumbit.
Purpureus veluti cum flos succisus aratro
Languescit moriens ; lassove papavera collo
Demisere caput, pluviâ cùm fortè gravantur.
Æn., IX, 434.

Il se roule dans les bras de la mort, un sang virginal inonde ses beaux membres, sa tête appesantie se penche languissamment sur ses épaules. Ainsi une belle fleur coupée par le tranchant de la charrue, se fane et périt. Ainsi des pavots épuisés de lassitude, courbent leurs têtes chargées de pluie.

Il est facile de remarquer, dans les deux premiers vers, trois coupes différentes, qui peignent admirablement les trois circonstances les plus frappantes de la mort d’Euryale. C'est d’abord la violence et la promptitude de son agonie, si bien exprimée par cette première coupe : Volvitur Euryalus letho ; c’est ensuite le sang qui jaillit de sa blessure et qui inonde ses beaux membres : pulchrosque per artus it cruor ; c’est enfin la défaillance de tout son corps, si bien représentée par cette tête qui s’affaisse et penche sur les épaules : inque humeros cervix collapsa recumbit.

Quant aux deux comparaisons suivantes, l’une tirée de l’hyacinthe qui a été arrachée par la charrue, l’autre du pavot dont la tête chargée de pluie s’affaisse sur sa tige languissante, il suffit d’avoir une âme sensible et des oreilles délicates pour sentir combien elles sont belles d’harmonie et de sentiment, et combien cette beauté convient à la beauté mourante du jeune guerrier. L'épithète purpureus, qui commence le premier vers, est choisie avec goût ; elle a rapport au sang qui jaillit du cœur d’ Euryale. Ces mots languescit moriens, mis au commencement du second vers, peignent admirablement bien la langueur du jeune héros qui défaille et se meurt.

Quoi de plus beau, de plus riche en images, de plus hardi comme tableau, de plus harmonieux, que cette admirable peinture de Laocoon et de ses deux enfants, étouffés sous les étreintes de deux serpents monstrueux ?

Ecce autem gemini à Tenedo, tranquilla per alta,
(Horresco referens), immensis orbibus angues
Incumbunt pelago, pariterque ad littora tendunt ;
Pectora quorum inter fluctus arrecta, jubœque
Sanguineæ exsuperant undas ; pars cætera pontum
Poné legit, sinuatque immensa volumine terga.
Fit sonitus spumante salo. Jamque arva tenebant,
Ardentesque oculos suffecti sanguine et igni,
Sibila lambebant linguis vibrantibus ora.
Diffugimus visu exsangues : illi agmine certo
Laocoonta petunt ; et primùm parva duorum
Corpora natorum serpens amplexus uterque
Implicat, et miseros morsu depascitur artus.
Post ipsum auxilio subeuntem, ac tela ferentem
Corripiunt, spirisque ligant ingentibus ; et jam
Bis medium amplexi, bis collo squamea circùm
Terga dati, superant capite, et cervicibus altis.
Ille simul manibus tendit divellere nodos,
Perfusus sanie vittas, atroque veneno ;
Clamores simul horrendos ad sidera tollit.

Mais voici que, sortis de Ténédos, par une mer tranquille (je frémis d’horreur à ce récit), deux énormes serpents déroulent sur les eaux leurs orbes immenses, et s’avancent de front vers le rivage. Leur poitrine écailleuse se dresse au milieu des flots ; leurs crêtes sanglantes dominent les ondes ; le reste du corps s’allonge sur la plaine liquide par d’immenses sinuosités. On entend mugir l’onde écumante. Déjà ils atteignent le rivage ; les yeux ardents, rouges de sang et de feu, ils font vibrer leur triple dard dans leur gueule béante. A cette vue, nous fuyons glacés d’effroi. Eux, d’un élan commun, vont droit à Laocoon. Et d’abord, se jetant sur ses deux enfants, ils embrassent d’une horrible étreinte, ils déchirent par de cruelles morsures les membres délicats de ces jeunes infortunés. Puis, saisissant avec violence le père lui-même, qui accourt avec des traits, ils enveloppent son corps de leurs vastes replis. Deux fois roulant autour de ses reins, deux fois repliant autour de son cou leurs cercles d’écailles, ils dépassent encore son front de leurs têtes altières. Lui, tout trempé de leur bave immonde, et dégouttant du noir venin qui souille ses bandelettes sacrées, il roidit ses bras contre ces nœuds terribles, et pousse vers le ciel des cris épouvantables.

Ecce autem… Ces mots sont bien propres à fixer l’attention du spectateur.

Gemini… Ce sont deux serpents jumeaux, d’égale forme et d’égale grosseur ; ce qui rend la chose plus extraordinaire ; ce qui donne aussi plus d’unité, plus d’énergie et plus d’intérêt à l’action principale.

A Tenedo… Partis de Ténédos. Pourquoi cette circonstance ?… C'est que le poète considère le supplice de Laocoon comme une vengeance divine ; il est donc naturel qu’il fasse partir les serpents du lieu où était la flotte des ennemis. D'ailleurs cette circonstance favorise admirablement le récit de Sinon et le stratagème des Grecs.

Tranquilla per alta. Cette circonstance du calme de la mer est choisie avec goût ; elle fait mieux ressortir les mouvements des deux serpents à la surface des eaux.

Horresco referens. Ces mots, jetés au commencement du tableau, produisent un grand effet ; à la vue et même au simple récit d’un spectacle si affreux, la frayeur doit vous saisir.

Il faut remarquer la force du verbe horresco. Ce n’est point une crainte ordinaire ; c’est une frayeur qui fait dresser les cheveux et qui agite tous les membres.

Immensis orbibus angues incumbunt pelago, pariterque ad littora tendunt. Toutes ces expressions sont admirables. Les mots immensis orbibus et incumbunt pelago peignent très-bien les vastes contours et les immenses replis des serpents qui se déroulent sur la plaine liquide… Le mot angues est choisi avec goût, ainsi que les mots serpens et dracones qui se trouvent plus loin. Le premier, angues, est un serpent qui nage dans l’eau ; le second, serpens, est un reptile qui rampe sur la terre ; et le troisième, draco, est un serpent monstrueux qui se retire dans les temples déserts et dans les masures.

Il est bon de remarquer ici que le poète n’embarrasse point son récit dans de menus détails ; il expose hardiment les caractères les plus frappants : l’énorme grosseur des serpents, leur départ, leur traversée, leur marche directe vers Laocoon. Une action aussi dramatique ne souffre aucune circonstance accessoire ; le poète se hâte donc d’arriver au dénouement.

Il est néanmoins une chose que l’on désire, parce qu’elle est pleine d’intérêt, et qu’elle touche de près à l’action principale : c’est la peinture de ces monstrueux reptiles. Virgile sait profiter du moment où ils offrent à la vue les formes les plus saisissantes, pour nous en retracer les principaux traits. Ce sont leurs mouvements sur la plaine liquide, leurs cous allongés, leurs têtes qui dominent les ondes, leurs immenses sinuosités, le mugissement de la mer ; c’est l’ardeur de leurs regards pleins de feu et de sang, la vibration rapide de leurs langues, leurs sifflements aigus : toutes circonstances qui ajoutent le plus vif intérêt à l’action principale.

Pectora quorum inter fluctus arrecta, jubæque
Sanguineæ exsuperant undas ; pars cætera pontum
Ponè legit, sinuatque immensa volumine terga.

La variété de ces coupes si différentes l’une de l’autre est d’une grande beauté ; elles caractérisent admirablement les principaux traits que le poète met sous les yeux. La première surtout, pectora quorum inter fluctus arrecta, figure très-bien le cou allongé des reptiles qui domine sur les eaux et se redresse dans l’air.

Virgile nous montre ensuite leurs crêtes rouges de sang ; chose extraordinaire, et signe visible de la cruauté ; il déroule sur les ondes leurs immenses replis, par ces mots si riches d’harmonie : sinuatque immensa volumine terga, et qui nous rappellent ces beaux vers de Racine :

« Indomptable taureau, dragon impétueux ;
Sa croupe se recourbe en replis tortueux. »
Ardentesque oculos suffecti sanguine et igni,
Sibila lambebant linguis vibrantibus ora.

Quelle hardiesse dans ces images ! quelle harmonie dans ces expressions ! Il semble voir l’ardeur de ces regards pleins de feu et de sang, la vibration rapide de ces langues au triple dard, qui s’agitent dans une gueule béante ; il semble entendre ces sifflements aigus, si bien imités par la répétition de la lettre s. Un spectacle si horrible est bien de nature à eflrayer et à faire prendre la fuite.

Diffugimus visu exsangues. Remarquez la force de ce mot exsangues, de ex, qui marque ici la privation, l’absence, et sanguis, sang, c’est-à-dire n’ayant plus de sang dans les veines, ou pâles d’effroi. C'est qu’en effet, dans une grande frayeur, le sang s’éloigne des parties extrêmes, et se concentre vers le cœur.

…….. Illi agmine certo
Laocoonta petunt ; et primùm parva duorum
Corpora natorum serpens amplexus uterque
Implicat, et miseros morsu depascitur artus.

Illi agmine certo, etc. Les serpents ne cherchent point d’autres victimes ; leur but ne serait pas atteint, ou il serait retardé ; et dès lors, tout l’effet de ce drame effrayant serait détruit. Le terme de leur course est assuré ; ils vont droit à Laocoon. Agmine certo Laonconta petunt.

……. Et primùm parva duorum
Corpora natorum serpens amplexus uterque
Implicat, et miseros morsu depascitur artus.

Les serpents se jettent d’abord sur les deux fils de Laocoon : Et primùm parva duorum, etc. Ces jeunes enfants si cruellement immolés sous les yeux de leur parent, offrent déjà un spectacle bien tragique ; ils ajoutent aussi le plus grand intérêt aux efforts impuissants et à la mort violente du père.

Ces mots serpens amplexus uterque, au nombre singulier, expriment mieux l’unité d’action des    deux serpents qui enveloppent les deux enfants de Laocoon.

Rien de si émouvant que les circonstances de leur supplice : ces faibles corps étouffés sous d’horribles étreintes, ces cruelles morsures, ces chairs délicates arrachées par morceaux avec une impitoyable fureur ; choses horribles, exprimées si énergiquement par ces mots : et miseros morsu depascitur arlus.

Post ipsum auxilio subeuntem, ac tela ferentem
Corripiunt, spirisque ligant ingentibus ; et jam
Bis medium amplexi, bis collo squamea circùm
Terga dati, superant capite, et cervicibus altis.

Il faut remarquer d’abord la force du mot corripiunt. Quand les serpents se sont jetés sur les deux enfants, il les ont enveloppés sans aucun effort, implicaverunt. Mais le père pouvait opposer de la résistance ; ils le saisissent donc avec violence, corripiunt.

Spirisque ligant ingentibus. C'est avec un goût infini que le vers s’arrête à ce mot ingentibus, dont la longueur figure très-bien les immenses replis qui étreignent le corps de Laocoon.

Et jam bis medium amplexi… Quelle image effrayante, quel affreux spectacle le poète met ici sous nos yeux ! Déjà les serpents l’ont enveloppé deux fois au milieu du corps, deux fois ils ont fait le tour de son cou ; et cependant leurs cous allongés, leurs têtes aux crêtes sanglantes s’élèvent encore au dessus de la sienne.

Il faut remarquer dans ces vers la force de la particule bis, deux fois répétée pour nous montrer ces horribles ceintures quatre fois repliées au milieu du corps, quatre fois roulées autour du cou de la malheureuse victime.

Ille simul manibus tendit divellere nodo,
Perfusus sanie vittas, atroque veneno ;
Clamores simul horrendos ad sidera tollit.

Ces vers produisent un merveilleux effet sur l’imagination. En les lisant, il semble voir ce malheureux luttant de toutes ses forces contre ces effroyables nœuds, tout couvert de sang et du poison de ces monstres ; il semble entendre ses cris épouvantables, si bien figurés par ces mots pleins d’une sonorité effrayante, et mis au nombre pluriel : clamorés horrendos… Le mot vittas ajoute de l’intérêt à la peinture : ce n’est point une victime ordinaire, c’est un prêtre orné de bandelettes que les serpents dévorent.

Une chose à remarquer dans l’ensemble de ce tableau, ce sont les traits hardis et pour ainsi dire inspirés du poète : les coupes de vers, les phrases suspendues, l’esprit arrêté pour admirer chaque fait. C'est là réellement le cachet du génie ; c’est ce qui nous révèle le grand poète.