(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre premier. Division générale. »
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(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Seconde partie. Étude des genres de littérature, en vers et en prose. — Chapitre premier. Division générale. »

Chapitre premier.
Division générale.

Les œuvres littéraires peuvent choisir entre deux formes bien distinctes : la prose et les vers.

 

Il ne faut pas croire que les premiers monuments de la littérature d’un peuple soient ordinairement composés en prose. La poésie, revêtue d’un langage mesuré, précède partout la prose, comme l’art précède l’industrie : la cause en est que l’imagination et le sentiment parlent chez l’homme avant la raison. En Grèce, la prose littéraire ne naquit visiblement que vers l’an 600 avant Jésus-Christ, et déjà, depuis environ trois siècles Homère avait composé ses immortels poèmes. La prose arabe date de Mahomet ; en Irlande, la prose n’apparaît qu’au douzième siècle.

La prose est le langage libre, sans règle ni mesure fixe : on l’emploie surtout dans les genres de composition où domine la raison positive.

Les vers sont le langage soumis à des règles déterminées, et à une certaine mesure qu’on appelle rythme. Si le rythme est basé sur la distinction des syllabes en longues et en brèves, le vers s’appelle métrique ; si le vers se mesure simplement par le nombre des syllabes, on le nomme syllabique. Dans les langues modernes, le vers est presque toujours syllabique, tandis que les langues anciennes n’avaient guère que le vers métrique.

La poésie adopte ordinairement le langage mesuré ; de là vient que les mots vers et poésie sont souvent pris comme synonymes. Pourtant il y a quelquefois beaucoup de poésie dans la prose : les ouvrages de Bossuet, de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand sont là pour le prouver, et les vers en sont parfois totalement dépourvus : la comédie, par exemple, n’est qu’une conversation rimée.

§ I. De la poésie en général.

1° Sens du mot.

On a coutume de comprendre par le mot poésie l’expression de la pensée sous une forme rythmique ; mais chacun sait que ce mot se prend aussi dans un sens bien plus général et bien plus étendu.

Poésie, dans le sens étymologique, signifie création. Comme Dieu seul est véritablement créateur, il est aussi le premier, le souverain poète. Tout ce qui existe est le produit de son amour, de son intelligence, de sa puissance suprême. La création est le poème par excellence : c’est une épopée admirable et sublime.

2° Art et poésie.

Quand les hommes, dans leurs travaux, imitent la nature en créant une œuvre quelconque où brille l’imagination, ils font de l’art ou, si l’on veut, de la poésie ; car, en ce sens, ces deux mots ont la même signification.

La poésie se trouve dans la nature entière, dans le monde physique, moral et intellectuel. C’est une lumière divine qui se réfléchit dans l’âme humaine, une harmonie qui trouve en nous son écho. L’homme qui sent et comprend vivement la nature, est doué de facultés poétiques ; et si du sentiment profond qu’il éprouve il passe à l’action, s’il réalise ses émotions et ses conceptions en créant des œuvres d’art, il est réellement poète.

Il suit de là qu’on peut définir la poésie humaine, la création dans les arts.

La poésie se manifeste dans l’homme par deux moyens, l’inspiration et l’imagination.

§ II. Inspiration et génie.

L’inspiration est une émotion profonde et momentanée de l’âme, une vive exaltation du sentiment et de l’intelligence ; c’est le feu sacré, le souffle de Dieu qui vient parfois électriser un mortel ; c’est un don du ciel qui n’est accordé qu’à des natures d’élite. L’inspiration est l’apanage du génie.

Quand l’inspiration s’empare du génie, dans son délire fécond et sublime, l’homme sent le besoin de manifester sa pensée par des œuvres : il crée, il devient réellement poète.

Ainsi le génie peut se manifester sous plusieurs formes, dans les arts et même dans les sciences : Homère, Sophocle, Michel-Ange, Raphaël, Bossuet, Napoléon, sont des hommes de génie, et en même temps des poètes inspirés.

Un homme de génie est donc essentiellement créateur. Mais autant les hommes de génie sont rares, autant l’inspiration du ciel visite rarement l’homme de génie lui-même ; il a ses moments d’enthousiasme, comme le volcan ses éruptions flamboyantes ; puis il retombe dans le silence et l’obscurité, comme s’il était consumé par ses propres efforts :

Ainsi, quand l’aigle du tonnerre
Enlevait Ganymède aux cieux,
L’enfant, s’attachant à la terre,
Luttait contre l’oiseau des dieux ;
Mais entre ses serres rapides
L’aigle, pressant ses flânes timides,
L’arrachait aux champs paternels,
Et, sourd à la voix qui l’implore,
Il le jetait, tremblant encore,
Jusques aux pieds des immortels.

Ainsi, quand tu fonds sur mon âme,
Enthousiasme, aigle vainqueur,
Au bruit de tes ailes de flamme
Je frémis d’une sainte horreur ;
Je me débats sous ta puissance,
Je fuis, je crains que ta présence
N’anéantisse un cœur mortel ;
Comme un feu que la foudre allume,
Qui ne s’éteint plus, et consume
Le bûcher, le temple et l’autel.

Mais à l’essor de la pensée
L’instinct des sens s’oppose en vain :
Sous le dieu mon âme oppressée
Bondit, s’élance, et bat mon sein.
La foudre en mes veines circule ;
Étonné du feu qui me brûle,
Je l’irrite en le combattant,
Et la lave de mon génie
Déborde en torrents d’harmonie,
Et me consume en s’échappant.
Lamartine.

Le génie peut être inspiré par différentes causes : tantôt il s’inspire de lui-même, par la réflexion et par l’étude ; tantôt il est excité par un objet extérieur, par la contemplation de la nature, par diverses circonstances qui l’émeuvent fortement.

§ III. Imagination et talent.

L’imagination est aussi une faculté créatrice ; elle se représente les objets sous de vives couleurs, et les reproduit dans ses œuvres par des images frappantes.

L’imagination est comme le caractère permanent, la physionomie habituelle des natures poétiques. Elle n’est pas, comme l’inspiration, l’apanage exclusif des hommes de génie ; elle existe aussi, quoique à un degré moins élevé, chez les hommes de talent ; c’est un brillant miroir où la pensée vient se réfléchir, un prisme au moyen duquel tous les objets se revêtent des plus riches couleurs10.

L’imagination suppose un esprit vif et une âme sensible : un esprit vif saisit les rapports, les ressemblances et les différences, et les peint en leur donnant du mouvement et de l’éclat ; une âme sensible est facilement impressionnée, et reproduit fidèlement son émotion par des images.

Mais, au moyen de l’imagination, le poète peut aussi créer et inventer d’une manière absolue : c’est ainsi qu’il peut exprimer les passions sans les sentir ; que pour décrire un combat, une tempête, un paysage, il n’est pas toujours nécessaire qu’il en ait vu le tableau. Dante n’a point vu Ugolin dans la tour de la Faim, il n’a pas ressenti les tortures de son âme paternelle en voyant ses enfants mourir d’inanition ; il imagine, et quelles couleurs naturelles ! quelle émotion saisissante !

La lecture, l’étude, la comparaison, prêtent à l’imagination ce qui lui manque réellement ; elle peut même sortir tout à fait du monde réel pour s’élancer dans le monde de la fantaisie, où elle échappe aux lois positives de la raison. Flamme capricieuse et vagabonde, elle aime les espaces sans bornes qui séparent le ciel de la terre ; là, comme un météore changeant, elle fascine nos regards, nous étonne, nous enchante, nous éblouit.

C’est par l’imagination que Virgile nous transporte aux Champs-Élysées, que le Tasse construit le palais d’Armide au sein des nuages, que Milton nous fait assister à la perte du Paradis.

Pourtant l’imagination est plus sûre de son effet quand elle ne sort pas de la réalité, quand la raison la guide, quand elle rend fidèlement la nature. Une peinture bizarre, extravagante, peut étonner et éblouir ; mais elle ne charme jamais les personnes de goût.

L’imagination est une faculté qui naît avec nous, mais qui a besoin de l’éducation pour se développer. L’étude la rend plus vive en l’appliquant à la contemplation des beautés de la nature et de l’art ; elle se fixe et se pose des règles ; alors le goût la dirige, et elle devient, pour un esprit cultivé, la source de douces jouissances.

L’imagination, ainsi cultivée par l’étude, tend à sortir d’elle-même et à devenir créatrice : elle est l’indice non équivoque du talent ou du génie. Appliquée à la littérature ou aux arts, elle produit ces œuvres qui captivent l’admiration des hommes, et vont éveiller dans leurs âmes l’écho endormi de l’imagination : c’est par cet échange de sentiments que nous goûtons les charmes de la culture de l’esprit, et que nous nous félicitons d’appartenir à un siècle civilisé.

L’inspiration et l’imagination sont les deux éléments essentiels du génie poétique : la première, divine et toute puissante ; la seconde, plus humaine et plus calme, mais toujours brillante dans ses conceptions.

Mais la poésie, comme l’art, a un double but : outre l’imitation de la nature, elle aspire à l’idéal.

§ IV. Idéal.

Qu’est-ce que l’idéal ? C’est le beau absolu, c’est la perfection, en un mot, c’est Dieu même, source première de toute poésie.

À ce point de vue, la poésie n’est plus un art particulier, mais l’art suprême et unique qui comprend tous les autres, et les absorbe dans sa sublime généralité. Michel-Ange avait donc raison de dire que la poésie est le plus beau des arts : l’art, en effet, n’existe point, si la poésie ne le couronne de son auréole.

Le poète inspiré a comme une révélation mystérieuse et intime de la beauté infinie ; il s’échauffe par l’admiration qu’il conçoit pour elle ; il cherche à la réaliser dans son œuvre, à la faire descendre du ciel sur la terre : il ne réussit jamais qu’imparfaitement, car ses forces sont bornées, et le fini ne peut jamais contenir l’infini ; mais il parvient, comme Prométhée, à dérober quelques rayons de cette flamme céleste, idéal de ses rêves ; il les communique aux mortels ravis, qui, en reconnaissance, lui décernent l’immortalité.

§ V. But de la poésie.

Puisque la poésie découle de Dieu même, entrevu par l’idéal, elle doit avoir un effet essentiellement moral ; elle doit élever l’âme au-dessus de la matière, et lui inspirer le goût de tout ce qui est beau, grand et sublime. La poésie et les arts sont donc chez un peuple des éléments de civilisation et de moralité, quand ils ne sont pas détournés de leur but par des intentions vicieuses et perverses. Ils ennoblissent la nature humaine, en excitant l’admiration pour le beau idéal, en nous pénétrant vivement de la pensée de l’infini, vers lequel tendent toutes nos destinées.

§ VI. Poésie dans les beaux-arts.

Tous les arts ont une poésie qui leur est propre, et qui parle au cœur et à l’imagination par le moyen des sens. L’architecture et la sculpture parlent aux yeux par la grandeur, la noblesse, la grâce des proportions et des formes ; la peinture, par la vérité de la composition, la richesse des couleurs et la perfection du dessin. La musique enchante l’oreille et touche l’âme par la mélodie des sons et par la savante harmonie des accords. La danse est la musique du corps et l’harmonie des mouvements.

Tous les arts se prêtent un mutuel secours : l’architecture et la peinture se traduisent réciproquement dans leurs œuvres, et la seconde est souvent appelée à orner la première, comme dans les loges de Raphaël au Vatican, dans les fresques qui décorent les églises, et dans les tableaux qui masquent la nudité des murailles.

La sculpture fait en quelque sorte partie de l’architecture, dont elle est même un accessoire indispensable. La musique se marie harmonieusement, dans les grands édifices religieux, aux lignes majestueuses des basiliques. La poésie de chacun de ces arts rejaillit ainsi sur les autres, et en relève le goût et la beauté.

§ VII. Poésie du langage.

La poésie proprement dite, celle du langage, est bien plus importante, plus complète et plus variée que celle des arts : c’est l’âme elle-même, avec tous ses sentiments, toutes ses passions, qui se traduit, dans les compositions du poète, en paroles musicales et harmonieuses. Quoique la prose puisse servir à l’expression de la poésie, les vers n’en sont pas moins la vraie langue poétique. Par l’heureuse disposition des syllabes, par la coupe habile du vers, par la répétition des mêmes sons, la pensée se dessine plus frappante et plus vive ; elle saisit à la fois l’oreille et l’imagination, elle pénètre plus profondément dans le cœur et dans la mémoire.

Le vers se plie, comme la musique, à toutes les émotions de l’âme; il se modifie selon les sujets et les genres, soit pour exprimer les passions humaines, soit pour peindre et animer la nature, soit pour donner un corps et une image aux idées abstraites et métaphysiques. Le poète tire encore un puissant secours de la variété des rythmes, de l’arrangement habile des strophes, pour donner au style tantôt de la grandeur et de la majesté, tantôt de la vivacité, de la douceur et de la grâce.

Le vers contribue encore à donner un caractère plus vigoureux, plus original aux élans du génie. La difficulté même d’encadrer sa pensée dans la mesure étroite du vers, fait naître une lutte éminemment favorable à l’éclosion des beautés poétiques ; cette concentration fortifie la pensée, et prépare chez les hommes de talent ou de génie l’explosion des idées les plus heureuses, en même temps qu’elle comprimé les infructueuses tentatives de la médiocrité.

De la contrainte rigoureuse
Où l’esprit semble resserré,
Il reçoit cette force heureuse
Qui l’élève au plus haut degré :
Telle, dans les canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L’onde s’élève dans les airs ;
Et la règle, qui semble austère,
N’est qu’un, art plus certain de plaire,
Inséparable des beaux vers,
La Faye.

§ VII. Du beau en général.

1° Nature du beau

Le beau, dit Platon, c’est la splendeur du vrai. Saint Augustin ajoute : C’est aussi l’éclat du bon. Le beau, selon nous, se sent mieux qu’il ne s’explique : c’est une lumière qui brille, une flamme qui échauffe, une puissance qui touche et remue toutes les fibres du sentiment. C’est encore quelque chose de plus, qu’il n’est pas facile de définir : c’est une force vague et mystérieuse qui s’impose par elle-même, et dont tout le monde reconnaît l’autorité, parce qu’elle est douce et irrésistible. Vers le beau convergent toutes les facultés nobles et généreuses de l’homme : c’est le pôle du cœur humain.

2° Source du beau.

Le beau, par sa nature même, échappe à l’analyse, parce qu’il tient à l’infini. Dieu en est l’origine et le centre ; il l’a imprimé dans ses œuvres, comme un reflet de lui-même, comme le cachet sublime de sa puissance. Dans la nature, le beau se manifeste à l’homme par une sorte de rayonnement céleste ; et dans les arts, l’homme exprime l’idée qu’il en a conçue dans son double rapport avec Dieu et avec la nature.

3° Sentiment du beau.

Ce qui est beau n’émeut pas tous les hommes au même degré : l’un en a une vue claire et distincte, l’autre n’en a qu’une perception confuse ; c’est que l’un est poète, et que l’autre ne l’est pas. Car on peut être poète par le sentiment, sans produire des œuvres de poésie. Il est des personnes qui resteront froides et indifférentes à la lecture du Cid, à la vue d’une belle nuit constellée, d’un tableau de Raphaël ou de la coupole de Saint-Pierre ; d’autres, au contraire, seront émues et transportées. Ce sentiment poétique du beau fait partie de notre nature, mais l’éducation le perfectionne et l’agrandit ; elle lui donne, comme flambeau, le goût, qui éclaire et dirige le sentiment : elle prépare ainsi à l’âme les plus vraies et les plus douces jouissances, car la poésie double la vie de l’âme.

4° Essence du beau.

Si nous examinons la nature même de la beauté, et la cause de l’émotion qu’elle produit en nous, nous trouverons que les attributs du beau sont les mêmes que ceux de l’essence divine, et qu’on peut lui appliquer ce que Voltaire a dit de Dieu même :

La puissance, l’amour avec l’intelligence ;
Unis et divisés, composent son essence.

Ce qui nous semble beau doit participer, plus ou moins, à l’une de ces trois qualités, et souvent à toutes les trois à la fois.

Tel est le beau en général dans les arts ; tel il sera aussi dans la littérature, et principalement dans la poésie ; car la poésie, selon nous, c’est l’émanation même et le parfum de la beauté : il est impossible que ce qui est beau ne soit pas en même temps poétique, et que ce qui est poétique ne soit pas beau.

§ IX. Du sublime en général.

On a défini le beau la splendeur du vrai ; on peut définir le sublime la splendeur du beau, car le sublime n’est autre chose que le beau porté à sa plus haute puissance. Un ne peut dire avec précision où finit Le beau et où commence le sublime, parce que ce ne sont que les manifestations diverses d’une même force à différents degrés.

Le sublime en général est une puissance de beauté qui dépasse les proportions habituelles de la nature, et qui touche à l’infini dont elle nous donne une vague révélation. On voit par là qu’il y a un rapport immédiat entre le sublime et l’idéal.

Impression du sublime.

L’impression que nous recevons du sublime produit dans notre âme une sorte de ravissement et de stupeur qui confond et atterre ses facultés.

C’est que le sublime est une grandeur dont la mesure nous échappe, et qui ne trouve plus dans notre nature, dans nos idées habituelles, aucun point de rapport, aucun point de comparaison. Le sublime s’élance au-delà des bornes du fini : c’est l’aigle qui se perd dans la nue. En le contemplant à cette hauteur, notre intelligence éprouve une sorte de vertige ; elle palpite et se débat pour retrouver son centre habituel ; elle y revient bientôt, car l’impression du sublime n’est que momentanée ; mais elle est fatiguée et comme brisée par l’élan de son admiration. Tel est le sentiment que l’on éprouve quand on se trouve pour la première fois dans un pays de hautes montagnes, dans les Alpes, par exemple ; ou bien encore au milieu d’un océan sans bornes ; mais quand on est familiarisé avec ce spectacle, l’étonnement diminue et le sentiment du sublime s’évanouit.

Dans les arts et dans la poésie, la grandeur du sublime frappe moins peut-être que dans la nature, parce qu’elle parle plus à l’âme qu’aux sens : il appartient surtout aux esprits cultivés de la sentir ; car si les sens ont besoin d’éducation dans l’enfance, les facultés de l’âme ne demandent pas moins une culture assidue et délicate pour s’élever, par le sentiment, au niveau des sublimes beautés de la poésie.

Citons comme exemples du sublime, dans les arts : l’Apollon du Belvédère, le Laocoon, le Jugement dernier de Michel-Ange, les pyramides d’Égypte.

En littérature : l’Iliade d’Homère, l’Enfer de Dante.

Dans Corneille, ce vers si connu :

Soyons amis, Cinna, c’est moi qui t’en convie,

qui faisait pleurer le grand Condé.

Cette pensée de Pascal :

« L’univers est une sphère infinie dont le centre est partout, et la circonférence nulle part11.

§ X. Origine de la poésie.

À l’origine des sociétés, l’homme est encore enfant ; il sent plus qu’il ne réfléchit. En présence de Dieu et de la nature, son cœur s’épanouit d’admiration, d’enthousiasme ou de reconnaissance. Ce qui est beau et grand le frappe ; il exprime ses sentiments avec simplicité, avec énergie ; il chante, et la poésie est créée.

La poésie est donc un chant ; elle est sœur de la musique ; l’une et l’autre ont pour base la mélodie et la mesure : voilà pourquoi les hymnes primitifs, les premiers élans poétiques de tous les peuples sont revêtus d’un rythme musical.

Âges de la poésie.

Quand un peuple est jeune encore, la religion a toujours un grand empire sur son imagination ; ses premiers chants sont toujours consacrés à la Divinité. Alors le poète se confond avec le musicien et le devin ; celui qui est atteint du souffle sacré de l’inspiration est considéré comme un être privilégié, comme l’interprète des dieux ; il maîtrise, il gouverne les peuples.

Chez les Grecs, les premiers poètes inventent la lyre ; Orphée fonde les mystères et apprivoise les bêtes féroces, c’est-à-dire les hommes sauvages, par la douceur de ses chants ; Amphion élève les murs de Thèbes au son de sa lyre. Les Gaulois et les Germains ont leurs bardes, et les Scandinaves leurs scaldes, revêtus aussi d’une espèce de sacerdoce poétique.

Cette première période de l’humanité, marquée par l’enthousiasme religieux, et enveloppée souvent de fabuleux mystères, peut se nommer religieuse et mythique ; c’est l’époque de la poésie lyrique inspirée.

Peu à peu l’humanité sort de l’enfance pour entrer dans la jeunesse, époque de passions fougueuses, de force expansive et de combats gigantesques. Alors apparaissent les héros et leurs merveilleuses aventures ; c’est l’âge héroïque. La poésie sort du lyrisme pour raconter les exploits des guerriers ; elle aborde l’épopée, où la Divinité se trouve encore mêlée aux actions des hommes. La science est plus religieuse qu’exacte, et si elle crée le poème didactique, comme chez Hésiode, c’est avec un ton inspiré.

Bientôt le prestige héroïque disparaît ; la société atteint l’âge mûr. L’homme agit par lui-même ; c’est l’époque de l’action par excellence, c’est-à-dire de l’action énergique et mesurée. La poésie traduit l’action humaine dans le drame. Alors naît aussi la prose, expression de la pensée réfléchie : l’histoire raconte les évolutions des peuples dans leur sphère d’activité. C’est l’apogée du développement humain, c’est aussi l’âge d’or de la littérature, le moment où la langue atteint sa maturité.

Après l’action vient le repos, et dans le repos naît la réflexion, la philosophie. L’humanité a dépassé le sommet de la vie ; elle descend lentement la pente opposée en s’étudiant elle-même, en réfléchissant au passé, en rêvant à l’avenir ; c’est l’âge philosophique. Elle n’a plus que par intervalles des élans d’enthousiasme ; son lyrisme est mêlé de froides abstractions ; son épopée est une imitation calculée des siècles héroïques, à laquelle il manque la véritable inspiration. La critique commence ; impuissante à créer, elle pose des règles, fruit de l’expérience ; le genre didactique est florissant, et se mêle au genre descriptif. Le drame est infecté de l’esprit de système. L’âme, blasée sur les nobles jouissances, cherche des émotions raffinées ou violentes ; elle les trouve dans le drame ou le roman. Dégoûtée parfois de ces plaisirs factices et énervants, elle va demander à la pastorale de la retremper dans les innocentes émotions de la vie champêtre ; ou bien elle exhale ses douleurs, imaginaires ou réelles, dans les plaintes de l’élégie.

La décadence a commencé ; elle tend à la décrépitude, à moins que les évènements humains ne viennent secouer l’engourdissement de l’esprit, et le régénérer en le retrempant dans des éléments nouveaux.

Telle est, en général, la marche progressive de l’humanité, et sa division naturelle en âge lyrique, âge épique, âge dramatique, âge philosophique, correspondant à l’enfance, à la jeunesse, à l’âge mûr, à la vieillesse de l’homme ou de la société. Il ne faudrait pas, sans doute, vouloir appliquer ce système dans toute sa rigueur et à toutes les littératures ; mais il suffit de jeter un coup d’œil sur l’histoire pour en saisir la justesse et la vérité. C’est d’après ce cadre que nous diviserons les divers genres de poésie.

Genres en vers.
Division.

Nous pouvons diviser, comme il suit, les genres de littérature en vers :

Quatre grands genres :

  • Le genre lyrique.
  • Le genre épique.
  • Le genre dramatique.

    • Tragédie.
    • Comédie
  • Le genre didactique.

Six genres secondaires :

  • Le genre élégiaque.
  • Le genre pastoral.
  • Le genre satirique.
  • L’apologue ou fable.
  • L’épître.
  • Les poésies diverses ou fugitives.