(1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Préface » pp. -
/ 318
(1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Préface » pp. -

Préface

Le célèbre auteur du Traité des Études désirait qu’on se servît d’une rhétorique imprimée qui donnât des définitions bien exactes et bien nettes, et qui joignit aux préceptes des réflexions et des exemples. Le souhait du judicieux critique, qui peut s’étendre à toutes les parties de la littérature et par conséquent à la poétique aussi bien qu’à la rhétorique, a été depuis longtemps entendu. Il existe de nombreux ouvrages pour les trois temps assignés par Marmontel aux disciples de la rhétorique, ainsi que pour l’étude de l’art qu’on a appelé le premier des arts agréables. Toutefois, au moins pour ce qui concerne la poésie, aucun des traités que nous connaissons ne nous a paru répondre complètement à l’idée que nous nous sommes faite d’une poétique élémentaire. Parmi ces ouvrages, dans lesquels nous nous plaisons d’ailleurs à reconnaître des qualités réelles, les uns, tout en présentant d’heureux développements sur quelques points, se taisent presque entièrement sur d’autres qui ont aussi leur importance, ou se servent d’un langage métaphysique souvent résultant pour l’esprit et toujours incommode pour la mémoire ; les autres, sous prétexte d’éviter les longueurs, tombent dans la sécheresse et l’aridité, et ressemblent plutôt à des tables analytiques qu’à des traités destinés aux classes supérieures ; d’autres enfin présentent une étendue démesurée, et se perdent dans des explications trop vagues et trop diffuses. Souvent les définitions manquent d’exactitude et de netteté ; souvent aussi le plan n’est ni assez logique, ni assez complet. — Nous nous sommes efforcé de remédier à ces inconvénients. Notre but constant a été d’offrir aux élèves un traité clair, exact, méthodique, complet et en même temps élémentaire. Nous n’avons rien négligé pour donner à toutes les réponses, et surtout aux définitions, autant de justesse que de lucidité, pour établir des divisions aussi claires que naturelles, et pour renfermer dans notre plan tous les principes et toutes les règles des compositions poétiques. Ces principes, soit généraux, soit particuliers, nous les avons justifiés par des exemples soigneusement choisis tant sous le rapport moral que sous le rapport littéraire, mais pour lequel nous avons souvent renvoyé au Recueil de Modèles, surtout pour les grands genres.

Certaines questions plus importantes ou plus controversées ont été l’objet d’un examen plus approfondi, et tiennent dans notre ouvrage une place qu’elles n’ont pas dans la plupart des traités de poésie. Nous citerons les caractères essentiels de la poésie, les qualités nécessaires au poète, la versification, le merveilleux chrétien dans l’épopée, la question des trois unités, les effets des spectacles dramatiques.

Voulant faire un traité vraiment didactique et élémentaire, nous avons adopté le système aujourd’hui trop abandonné des demandes ou questions dans le texte, comme plus commode et plus avantageux pour le grand nombre des élèves. En ce point, comme en plusieurs autres, nous avons été heureux de nous rencontrer avec un savant critique, ancien inspecteur de l’Université, bien connu dans la presse religieuse. Après avoir pris connaissance de notre plan et de notre méthode, il nous écrivait dernièrement en ces termes : « Votre ouvrage me paraît très heureusement conçu et parfaitement divisé. Le système des livres élémentaires par demandes et par réponses n’est plus en vogue, mais il m’a toujours semblé regrettable pour l’utilité pratique qui manque à beaucoup de traités… »

Enfin, nous avons tenu à faire un ouvrage aussi complet que peut l’être un traité classique. A ceux donc qui pourraient trouver notre Poétique un peu étendue, nous ferons remarquer qu’un certain nombre de questions moins importantes peuvent être seulement lues avec attention par les élèves, et que le professeur peut à son gré augmenter le nombre de celles que nous avons rangées dans cette catégorie. Ces développements nous ont paru d’une utilité réelle, et nous sommes plus que jamais convaincu de leur importance, lorsque nous recevons d’un professeur distingué, dont les savants ouvrages sont connus dans toute la France, ces encouragements bienveillants : « Je vous félicite d’avoir compris que les abrégés ne profitent qu’à ceux qui les font, et vous avez sagement fait de donner aux préceptes un juste développement qui les fait bien comprendre. » Un autre juge également compétent voulait bien nous faire savoir, après avoir soigneusement examiné notre Poétique, qu’il se plaisait à reconnaître tout le mérite et toute la conscience de ce livre.

Tout en cherchant à améliorer le plan et la méthode, nous nous sommes bien gardé de perdre de vue le côté moral et religieux des belles-lettres. Fille du ciel, la poésie comme tous les beaux-arts, n’atteint sa fin dernière, a dit M. de Bonald, qu’en visant au bon et à l’utile. Nous avons donc toujours recherché avec soin le but moral de la poésie en général et de chaque genre en particulier, persuadé que l’éducation, comme le dit si justement le savant Évêque d’Orléans, doit former l’esprit à l’intelligence du vrai, le cœur à l’amour du beau, et la vie entière à la pratique du bien. En outre, nous avons développé, plus qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour, les études sur les poètes bibliques et liturgiques. L’Écriture nous a fourni des modèles inimitables dans l’élégie, dans la pastorale, dans le genre didactique, et surtout dans l’ode. Les poètes chrétiens, considérés sans prévention, ne nous ont point paru indignes de faire entendre leurs accents sous les voûtes séculaires de nos temples ; et leur inspiration nous a semblé de nature à fixer l’attention des jeunes littérateurs.

Nous ne terminerons pas sans dire un mot des auteurs que nous avons consultés. Le Batteux, dont les nombreux ouvrages attestent la vaste érudition, la pureté de goût et la sûreté de principes littéraires, nous a fourni de riches matériaux. C’est ainsi que ce qui concerne le style poétique, l’épigramme, le madrigal, le sonnet, la pastorale, la fable, est tiré en grande partie des Principes Littéraires du savant distingué, dans lequel Delille aimait à reconnaître le grammairien habile, le dissertateur ingénieux, l’écrivain élégant et correct, le littérateur estimable et judicieux. Parmi les autres écrivains que nous avons mis à contribution, nous citerons Rollin, Marmontel, La Harpe, Blair, Lowth, Lemercier, Domairon, Chateaubriand, Schlegel, Schœl ; MM. Pérennès, Laurentie, Villemain, Théry, Constant, Mazure, etc. Ces noms, qui sont ceux des princes de la critique, suffiraient pour montrer que notre travail est appuyé sur des autorités sérieuses.

Puisse cet ouvrage rendre plus agréable aux jeunes humanistes l’étude de la poésie ! Puisse-t-il leur faciliter l’intelligence des beautés poétiques ! Puisse-t-il surtout contribuer à rendre plus vigoureuse cette sève de christianisme qui doit vivifier les études et l’éducation tout entière, puisque c’est en ce point, comme nous l’écrivait dernièrement un savant et vénérable Prélat, que se résume toute la question de l’avenir. Nous aurons atteint le but que nous nous sommes proposé en faisant paraître ce travail qui, dans le principe, n’était nullement destiné à la publicité.

A. P.