(1811) Cours complet de rhétorique « Préface. »
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(1811) Cours complet de rhétorique « Préface. »

Préface.

Rappelé, après vingt ans d’interruption, dans une carrière que j’ai toujours aimée, que j’avais choisie de préférence à toute autre, et dont la force seule des événements avait pu m’éloigner, je n’ai pas cru pouvoir mieux témoigner ma reconnaissance au Chef suprême de l’Enseignement, qu’en donnant à cette nouvelle édition du Cours complet de Rhétorique, tous les soins dont je puis être capable.

Cet ouvrage, publié il y a quelques années sans nom d’auteur, et vaguement attribué à un ancien professeur de la Flèche 1, reçut du public un accueil assez favorable pour m’engager à le revoir avec cette inflexible sévérité qui ne se pardonne que les fautes nécessairement échappées à la faiblesse des lumières ou à l’insuffisance des moyens.

Il n’est aucune des parties différentes, dont ce Cours est composé, qui n’ait subi des corrections importantes ou reçu des additions considérables. Ce que le public avait particulièrement distingué dans son accueil, a été retouché avec le plus grand soin ; ce qu’il avait paru improuver, a été ou retranché tout à fait, ou sensiblement amélioré. On m’avait, entre autres choses, objecté l’espèce de bigarrure qui résultait, dans les premiers livres, du mélange des citations anglaises ou italiennes avec les exemples grecs et latins ; j’ai senti l’inconvénient, et j’ai renvoyé en notes tout ce qui pourrait distraire de l’objet principal les lecteurs peu familiarisés avec les idiomes étrangers. J’ai fait, en un mot, ce que j’ai dû, et tout ce que je pouvais, pour justifier l’estime dont on a honoré la première édition de mon ouvrage, et pour obtenir à celle-ci la même distinction. Je n’ai pas même un grand mérite à avoir fait peut-être un peu moins mal que la première fois. Les secours sont si multipliés aujourd’hui pour un pareil ouvrage, les sources où l’on peut puiser des préceptes et des exemples sont si riches et si fécondes, qu’il n’est guère possible de se méprendre au choix des uns ou des autres. Comment s’égarer, en effet, avec des guides tels que ceux qui, parmi les anciens et les modernes, ont écrit sur le bel art de l’éloquence, depuis Aristote jusqu’à La Harpe ? Je dois beaucoup à chacun de ces grands critiques en particulier ; formé par leurs leçons, et profondément imbu de leur doctrine, c’est leur esprit, ce sont leurs principes que je reproduis dans mon ouvrage : je me plais à les citer fréquemment ; et, lors même que je ne les nomme pas, il sera facile de reconnaître ce que j’ai emprunté de leur commerce. Aristote, Hermogènes, Denys d’Halycarnasse, Longin, Cicéron, Quintilien, Rollin, Blair, La Harpe, etc., etc., ne sont pas toujours textuellement rappelés ici ; mais des yeux exercés les y retrouveront à chaque page, et c’est surtout ce que je me suis proposé.

Voilà donc encore un livre nécessairement fait avec beaucoup d’autres livres. M. de La Harpe prétend quelque part2 que c’est l’ouvrage de ceux qui ne sont pas capables d’en faire d’autres. Cela peut être ; mais j’ai cru cependant que de l’étude raisonnée de ces rhéteurs fameux, il pouvait résulter, en matière de goût et d’éloquence, un cours complet de doctrine qui ne serait ni sans intérêt ni sans utilité.

J’avais, pour me déterminer, une autorité plus imposante encore, celle de Fénelon :

« Une excellente rhétorique, dit-il, serait bien au-dessus d’une grammaire et de tous les travaux bornés a perfectionner une langue. Celui qui entreprendrait cet ouvrage, y rassemblerait les plus beaux préceptes d’Aristote, de Cicéron, de Quintilien, de Longin et des autres célèbres auteurs. Leurs textes qu’il citerait, seraient les plus beaux ornements du sien, etc. »

(Lettre à l’Acad. sur l’Éloq.)

Ce que Fénelon conseille, j’ai essayé de le faire ; et si le succès ne justifie pas l’entreprise, ce ne sera pas faute d’avoir exactement suivi le plan indiqué par un grand maître pour faire un bon ouvrage.

Le difficile n’était donc pas de réunir en un seul et même corps ce que ces grands rhéteurs avaient pensé de plus sage et dit de mieux, sur un art qu’ils connaissaient si bien ; mais l’essentiel consistait à donner l’âme et la vie à ce corps de préceptes, naturellement secs et arides ; et c’était le seul moyen de faire un ouvrage neuf sur une matière en apparence épuisée depuis si longtemps.

Oui, si les gens sensés, les seuls dont l’opinion puisse être de quelque poids à mes yeux, ont jugé cet ouvrage avec quelque indulgence ; s’ils l’ont distingué des autres compilations du même genre, c’est que mon plan ne leur a point échappé ; c’est qu’ils ont retrouvé, sans doute, à chaque page, à chaque ligne de ce Cours, l’intention bien prononcée de ramener les jeunes gens à la vertu, en les rappelant à l’étude et a l’admiration du beau et du vrai, et de leur prouver qu’il ne peut y avoir ni génie, ni sensibilité sans vertus, comme il ne peut y avoir rien de solide dans le talent, sans les mœurs et la conduite.

Les anciens, nos modèles en vertus, comme ils furent nos maîtres dans tous les arts ; les anciens ne concevaient de véritablement grand en tout genre, que ce qui était éminemment vertueux. L’on peut voir dans les admirables Institutions de Quintilien, que s’il s’occupe de former avec soin et d’orner l’esprit de son jeune élève, il met bien plus d’attention encore et de sollicitude à ouvrir son âme à toutes les vertus, persuadé avec raison qu’il en fera aisément un orateur habile, quand il en aura fait un citoyen vertueux. Parcourons ce que Cicéron a écrit sur l’éloquence, et nous le verrons poser partout la probité pour base de ce bel art. Et ce qui prête au sentiment de ces grands hommes une autorité bien plus respectable encore, c’est que les détails de leur vie ne furent jamais en contradiction avec leurs discours : c’est qu’ils ne conseillaient rien qu’ils n’eussent d’avance pratiqué eux-mêmes, et que tout ce qu’ils disaient de la vertu n’était que le tableau de leurs pensées, et l’histoire fidèle de leurs actions.

Voila les modèles que doit se proposer celui qui écrit pour la jeunesse, et qui écrit (comme je le faisais en commençant cet ouvrage) immédiatement après les jours de la corruption et de la barbarie ; il doit s’élever au-dessus de toutes les petites considérations particulières, ne voir que le bien, le vouloir fortement, et prendre, pour l’opérer, tous les moyens qui sont en sa puissance. Ce qu’il eût suffi d’indiquer dans d’autres temps, il le faut clairement énoncer aujourd’hui ; il faut attaquer sans crainte et combattre sans relâche toutes les erreurs du goût, parce qu’elles sont devenues des erreurs de morale ; toutes les hérésies littéraires, parce que l’esprit ne se trompe jamais qu’aux dépens du cœur, et que la corruption des mœurs est partout la conséquence inévitable de la dépravation du jugement. On ne tombe que parce qu’on ne voit plus où l’on marche.

Aussi me pardonnera-t-on volontiers, je l’espère, d’avoir sacrifié quelquefois au développement de pareilles vérités, les graves niaiseries de la litote et de la catachrèse, et d’avoir mis en exemples, toujours tirés des plus grands maîtres, ce qui ne se trouve ailleurs que sous la forme aride et rebutante des préceptes. Il s’agissait moins de faire une rhétorique nouvelle, je le répète, que de consacrer un ouvrage vraiment utile à démontrer l’accord indispensable et constant chez les véritables grands hommes, de la vertu et de l’éloquence, des mœurs et des talents.