Chapitre XII.
Abrégé des règles de la versification française.
§ I. Du vers.
Un vers est un assemblage de mots arrangés d’après certaines règles, et soumis à une mesure.
La versification enseigne les procédés employés pour construire les vers ; on la nomme aussi prosodie.
Le vers français se mesure par le nombre des syllabes : il est syllabique ; celui des Grecs et des Latins était métrique, c’est-à-dire qu’il était basé sur la combinaison des syllabes brèves et des syllabes longues.
Dépourvu de mètre et de forte accentuation, le vers français est un peu monotone ; il cherche à racheter ce défaut par la coupe qu’on appelle césure, et par la rime.
§ II. Des syllabes.
On appelle syllabe une ou plusieurs lettres qui se prononcent par une seule émission de voix.
Scander un vers, c’est le prononcer en faisant sentir chaque syllabe dont il se compose. Exemple :
C’est-pour-les-mal-heu-reux-que-l’a-mi-tié-fut-faite.
Quand deux voyelles se trouvent placées de suite, on peut être embarrassé sur la mesure qu’on doit leur donner ; tantôt les deux voyelles forment diphtongue, et ne représentent qu’une syllabe ; tantôt elles se prononcent séparément, et forment deux syllabes.
Ainsi, les voyelles se réunissent en diphtongues dans les mots suivants : fiacre, viande, premier, lumière, ciel, mien, lieu, aimions, loin, fouet, celui, etc.
Les voyelles sont séparées et forment double syllabe dans les mots mari-age, di-amant, confi-ant, pri-ère, défi-er, matéri-el, li-en, aéri-en, vi-olet, acti-on, avou-er, tuer, mu-et, rui-ne, etc.
Pour faire des vers, et même pour les bien lire, il est nécessaire de connaître exactement la quantité syllabique des mots, qui est invariablement fixée par l’usage. Cette connaissance s’acquiert surtout par la pratique. L’habitude de lire les poètes à haute voix donne le sentiment instinctif de la mesure beaucoup mieux que les règles.
§ III. De la mesure.
La mesure est le nombre des syllabes du vers.
Excepté le vers de onze syllabes, qui n’est pas admis par l’usage ni par l’oreille, on fait des vers depuis douze syllabes jusqu’à une.
Le grand vers, de douze syllabes, se nomme aussi alexandrin, hexamètre ou héroïque. C’est le vers le plus grave et le plus majestueux. Celui de dix syllabes est plus léger, plus doux ; celui de neuf est peu en usage ; celui de huit peut avoir de la noblesse aussi bien que de la douceur et de la grâce ; celui de sept ne manque pas d’énergie, mais il est moins harmonieux ; le vers de six syllabes est un peu monotone ; celui de cinq est d’une rapidité gracieuse ou terrible. L’emploi des autres vers est rare : on les trouve surtout mêlés aux vers de mesure plus longue. Le vers d’une syllabe, ou vers à écho, n’est guère qu’un jeu de versification. Voici des exemples de chaque espèce de vers : il faut noter que toute syllabe muette ne compte pas à la fin des vers.
Douze Syllabes.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12La plus belle victoire est de vaincre son cœur.
Dix Syllabes.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10Se faire aimer, c’est être utile aux autres.
Huit Syllabes.
1 2 3 4 5 6 7 8Travaillez, prenez de la peine.
Sept Syllabes.
1 2 3 4 5 6 7Les cieux instruisent la terreÀ révérer leur auteur.
Six Syllabes.
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses1 2 3 4 5 6L’espace d’un matin.
Cinq Syllabes.
1 2 3 4 5Dans ces prés fleurisQu’arrose la Seine.
Quatre Syllabes.
1 2 3 4Rompez vos fers,Tribus captives.
Trois Syllabes.
La cigale ayant chanté1 2 3Tout l’été.
Deux Syllabes.
Ô mon pays, sois mes amours,1 2Toujours
Une syllabe.
Si tu fais ce que je désire,1Sire,Nous t’édifierons un tombeau1Beau.
§ IV. De la césure.
Le mot césure signifie coupure. La césure est un repos plus ou moins sensible dans l’intérieur du vers. Ce repos, dans l’alexandrin, se fait au milieu, après la sixième syllabe : il partage le vers en deux parties qu’on nomme hémistiches (demi-vers). Boileau donne ainsi le précepte et l’exemple :
Que toujours, dans vos vers | le sens coupant les motsSuspende l’hémistiche, | en marque le repos.
Dans le vers de dix syllabes, la césure se place après la quatrième :
J’ai vu l’impie | adoré sur la terre.
Outre la césure obligée, il y a encore des césures mobiles et variables, qu’on nomme aussi coupes ou suspensions : elles ont pour but de varier agréablement la forme du vers :
Voltaire a dit :
Observez l’hémistiche, | et redoutez l’ennui,Qu’un repos uniforme | attache auprès de lui.Que votre phrase heureuse | et clairement rendueSoit tantôt terminée | et tantôt suspendue.C’est le secret de l’art…
Voici un exemple de césure mobile :
Qu’on tremble | en comparant l’offense | et le supplice !
La fin de chaque vers doit aussi être marquée par un repos.
Le vers qui manque de césure à l’hémistiche — ressemble à une ligne de prose : tels sont les vers suivants :
Ma foi, j’étais un franc—portier de comédie.
Adieu ; je m’en vais à—Paris pour mes affaires.
La césure est surtout de rigueur dans les genres élevés de poésie ; elle peut être plus faiblement marquée dans la comédie et dans les genres secondaires.
La césure ne peut jamais tomber sur une syllabe muette : le repos se fait toujours sur une syllabe sonore et accentuée ; ainsi la césure est mauvaise dans le vers suivant :
À sa voix tout tremble sur la terre et sur l’onde.
Le vers sera bon si l’on met trembla.
L’accent temporel, dans le vers français, remplace ce qui lui manque sous le rapport de la quantité syllabique.
§ V. De l’accent temporel.
La prononciation française est une des moins accentuées qu’il y ait de là un peu de monotonie. Cependant on aurait tort de croire que l’accent n’existe pas ; le Français appuie toujours sur la dernière syllabe quand elle n’est pas muette, et sur la pénultième ou avant-dernière, quand la dernière est muette : éc lat , car quoi s ; em blè me, incr oya ble 28.
Il suit de là que chaque mot a une syllabe accentuée ou longue, et que toutes les autres sont brèves. Les monosyllabes, quand ils se lient par la prononciation au mot suivant et s’appuient sur lui, n’ont pas d’accent temporel. Exemple :
Que fait -i l ? Il s’enfuit, l’ingrat ! il me délaisse !
Dans ce vers, le premier il est accentué ; les deux autres sont brefs.
D’après ce principe, le vers français a donc véritablement des longues et des brèves, c’est-à-dire des syllabes accentuées et d’autres qui ne le sont pas. C’est l’oreille qui les compte, pour l’harmonie et l’effet qu’on veut produire. Un vers chargé de syllabes fortes et accentuées est en réalité beaucoup plus long que celui qui en a moins, fussent-ils composés du même nombre de syllabes. Voici un vers composé de douze syllabes qui sont toutes accentuées :
Lac, près, bois, monts, ifs, pins, eaux, mers, flamme, air, tout fuit.
Quelle dissonance, quelle pesanteur insoutenable ! Le vers suivant, au contraire, est léger et harmonieux :
1 2 3 4À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Il est composé de quatre longues et de huit brèves ; le premier est donc réellement d’un tiers plus long que le second.
Le vers alexandrin, pour être harmonieux, doit avoir de quatre à six accents, deux fixes, à la césure et à la rime, deux mobiles : s’il en a plus, il est lourd ; s’il en a moins, il manque de gravité.
§ VI. De l’enjambement.
Il y a enjambement quand le repos manque à la fin du vers, et qu’il y a un rejet du sens au commencement du vers suivant :
L’enjambement est un défaut, quand il ne sert pas à produire une beauté. C’est à dessein que Delille a amené l’enjambement suivant :
Soudain le mont liquide, élevé dans les airs,Retombe ; un noir limon bouillonne au fond des mers,
L’enjambement est défendu dans le vers français à cause de la rime, qu’il tendrait à faire disparaître ; il choque l’oreille et le goût : tel est ce vers :
Consultons un devin, un prêtre, un interprèteDes songes ; car souvent…
Depuis Malherbe, le vers sur le vers n’osa plus enjamber ; nos meilleurs poètes ont évité l’enjambement, surtout dans les genres élevés ; on est moins sévère pour les genres simples. De nos jours, les poètes ont voulu réhabiliter l’enjambement, et se sont mis à ronsardiser : ils ont poussé l’excès jusqu’au ridicule, et leur exemple n’a fait que confirmer la règle.
§ VII. De l’hiatus.
L’hiatus, ou bâillement, est produit par la rencontre de deux voyelles, dont l’une finit un motet l’autre commence le mot suivant. Exemple. Il y est, tu arrives, et il y vient.
L’hiatus n’est permis que devant le h aspiré.
Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud.
On peut dire pourtant : Ah ! ah ! — oh ! oui, — tant y a, — à tort et à travers, — suer sang et eau, etc. Ces alliances de mots, consacrées par l’usage, se tolèrent surtout dans les genres simples.
C’est Malherbe qui a proscrit l’hiatus comme l’enjambement.
§ VIII. De l’élision.
L’élision est le retranchement de l’e muet dans la mesure des vers, quand il est suivi d’une voyelle ou d’un h non aspiré. Exemple :
Il parl | e, et dans la poudr | e il les fait tous rentrer.
L’élision n’a pas lieu devant le h aspiré :
Malheureux, j’ai servi de héraut à la gloire !
L’e muet placé à l’hémistiche, ne pouvant compter comme syllabe, ainsi que nous l’avons vu, doit toujours être élidé ; exemple : Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel.
L’e muet précédé d’une voyelle accentuée, dans le corps du vers, doit aussi être élidé, parce qu’il ne peut compter dans la prononciation, comme dans vie, vue, joie, aimée, etc., ainsi le vers suivant est défectueux :
La joie ne règne pas dans le cœur du méchant.
Il résulte de là que les mots terminés par un e muet précédé d’une voyelle et suivi d’une consonne, ne peuvent entrer dans le corps d’un vers, parce que l’élision est impossible ; ils ne peuvent se mettre qu’à la fin du vers, où la syllabe muette ne compte pas ; tels sont les mots joies, journées, lient, payent, etc.
On en excepte les mots aient, soient, et les terminaisons en aient, des imparfaits, où l’e muet ne compte pas dans la mesure.
Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble,Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient ensemble.
Dans le corps de certains mots, l’e muet est nul et ne compte pas ; ex. : je prierai, il avouera. Dans les vers, on écrit ordinairement je prîrai, il avoûra.
Dans le pronom le, l’e muet devient quelquefois accentué.
Exemple :
Si tu peux en douter, juge-le par la crainte.
Dans ce cas, l’élision de le est difficile ; pourtant plusieurs poètes se la sont permise. Ex. :
Du titre de clément rendez-le ambitieux.
Il vaut mieux éviter cette licence.
§ IX. De la rime.
La rime est le retour de la même consonance à la fin de deux ou de plusieurs vers.
La rime est un son musical : c’est l’écho de la pensée, a dit madame de Staël. Le poète Lebrun dit à peu près la même chose :
Les rimes, de nos vers échos harmonieux.
Ce qui prouve que la rime est un besoin de l’oreille, c’est qu’on la retrouve partout, chez les Chinois, les Indiens, les Arabes, et dans toutes les langues modernes. Elle est surtout nécessaire à notre poésie, qui, à défaut de mètre, ne se sauve de l’écueil de la monotonie que par la césure et par la rime. Ceux qui ont voulu faire en français des vers blancs, c’est-à-dire sans rime, n’ont fait que prouver plus fortement la nécessité de cette répétition du son à la fin du vers.
Il y a deux sortes de rimes : la rime masculine et la rime féminine.
La rime masculine est celle qui ne se termine pas par un e muet ; et la rime féminine est celle qui finit par un e muet, soit seul, soit suivi de s ou de nt. Ex. : rimes masculines : vérité, bonté ; désir, plaisir ; rimes féminines : place, glace ; belles, nouvelles ; louent, jouent ; estimées, aimées ; voient, croient.
La rime est riche quand la consonance porte sur deux articulations toutes semblables. Ex. : honneur, moissonneur ; ardent, dent ; coursier, acier.
La rime est suffisante quand il y a conformité de son, mais non d’articulation. Ex. : goût, tout ; rage, partage ; faveur, langueur.
La rime doit avant tout satisfaire l’oreille ; on peut donc faire rimer les mots qui ont le même son sans avoir les mêmes lettres. Ex. : prix, esprits ; terre, solitaire ; aimé, consumé.
Les rimes qui offrent les mêmes lettres sans offrir les mêmes sons ne valent rien ; ainsi l’on ne peut faire rimer ville avec famille ; altier avec fier ; aimer avec mer ; couronne avec trône.
Deux mots semblables ne peuvent rimer que s’ils ont un sens différent. Ex. : pas négation, avec pas substantif ; une livre avec un livre.
Un mot ne peut rimer avec son composé, à moins que l’usage n’ait établi une différence de signification qui efface en partie l’origine commune. Ainsi, jours avec toujours ; ami et ennemi ; faire, refaire ; suit, poursuit, sont de mauvaises rimes ; mais on peut faire rimer courir et secourir ; front et affront ; disposer, reposer.
Le singulier, en général, ne rime pas avec le pluriel ; loi ne rime pas avec fois, arme avec larmes.
Deux singuliers, l’un terminé par une voyelle, l’autre par une consonne, ne riment pas : foi et exploit ; songea et orgeat.
Un mot qui finit par s ne rime pas avec un mot terminé par t : trépas, état.
Un mot sans s final ne rime pas avec un mot terminé par s, z ou x, comme moins et foin ; vers et couvert ; assez et passé.
Les mots terminés par t, d, c, ne riment bien qu’avec des mots terminés par une de ces lettres ; ainsi, les rimes suivantes sont vicieuses : tyran, courant ; sort, cor ; sang, puissant ; long, salon ; mais on peut faire rimer ensemble les mots suivants : flanc, franc, banc, rang, sang.
Certains mots, qui ne riment pas au singulier, riment bien au pluriel : tyrans et courants ; longs et salons ; rangs et parents.
On appelle rime insuffisante celle qui se borne à une seule lettre, comme pari, défi ; donné, charité ; vertu, vendu. De même brûlant rime mal avec patent, action avec raison, etc.
Dans les rimes féminines, les syllabes muettes ne comptent pas pour la rime : ainsi, monde ne peut rimer avec demande. Il faut éviter les fausses rimes ou consonances semblables entre l’hémistiche et la fin du vers, ou entre les deux hémistiches des vers qui riment ensemble.
J’eus un frère, seigneur, illustre et généreux,Digne par sa valeur du sort le plus heureux.
§ X. Disposition des rimes.
Il est défendu de faire suivre des vers masculins ou des vers féminins qui ne riment pas ensemble.
On distingue trois combinaisons de rimes : les rimes plates, les rimes croisées, et les rimes mêlées.
1° Les rimes plates ou suivies sont celles qui offrent alternativement deux vers masculins et deux vers féminins.
2° Les rimes croisées sont celles où l’on trouve alternativement une rime masculine et une rime féminine, ou deux rimes masculines placées entre deux rimes féminines, et réciproquement.
3° Les rimes mêlées se succèdent sans ordre uniforme.
On appelle rimes redoublées celles qui présentent plus de deux fois le retour de la même rime ; ce redoublement a de la grâce et quelquefois de l’énergie dans la poésie légère et dans la poésie lyrique ; mais il ne faut pas en abuser. Voici un exemple où les rimes sont mêlées et redoublées :
Son coursier superbeFoule▶ comme l’herbeLes corps des mourants ;Le héros l’excite,Et le précipiteÀ travers les rangs ;Les feux l’environnent ;Les casques résonnentSous ses pieds sanglants ;Devant sa carrière,Tombe toute entièreSous ses traits brûlants,Comme la poussièreQu’emportent les vents.
§ XI. Des licences.
Les licences poétiques peuvent consister : 1° dans l’orthographe ; 2° dans les mots ; 3° dans les tournures.
1° Dans l’orthographe. On peut se permettre, quoique rarement, de retrancher l’s final au présent de certains verbes ; je voi, je croi, je reçoi, je sai, j’averti, je revien.
Cette licence est peu tolérée aujourd’hui.
On peut écrire au besoin grâce et grâces, jusque et jusques, guère et guères, certe et certes, encore et encor ; Zéphyr et Zéphyre, Athène et Athènes, Charle et Charles, Londre et Londres, etc.
2° Dans les mots. On peut mettre où pour à qui, auquel, vers lequel. Exemple :
C’est là l’unique étude où je veux m’attacher.
On met un verbe au singulier avec plusieurs sujets :
Âne, cheval et mule aux forêts habitait.
La poésie admet de fortes ellipses :
Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ?
Il y a certains mots poétiques qui vont mieux aux vers qu’à la prose. Exemple : cité pour ville, courroux pour colère, labeur pour travail, coursier pour cheval, glaive pour épée, hymen pour mariage, onde pour eau, nautonier pour matelot, penser pour pensée, etc.
3° Dans les tournures. L’inIversion est admise en poésie bien plus souvent qu’en prose ; elle est un des caractères essentiels et une des beautés du langage poétique ; elle lui donne de la grâce et de la vigueur. Corneille dit :
À qui venge son père il n’est rien d’impossible.
Un prosateur dirait : Rien n’est impossible à celui qui venge son père. On sent ici tout l’avantage du vers. Voici encore quelques exemples d’inversion :
Polissez-le sans cesse et le repolissez.
Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces.
Du temple, orné partout de festons magnifiques,Le peuple saint en ◀foule inondait les portiques.
Il faut éviter les inversions forcées, obscures, qui choquent l’oreille et le goût, comme les suivantes :
Je n’ai pu de mon fils consentir à la mort.
À peine de la cour j’entrai dans la carrière.
Malgré de nos destins la rigueur importune.
§ XII. De l’harmonie.
Les vers doivent être une musique ; ils ne vivent que d’harmonie. Si l’oreille ne trouve pas ce nombre cadencé, ce rythme mélodieux qu’elle cherche et qu’elle attend, tout le charme s’évanouit.
Il est un heureux choix de mots harmonieux ;Fuyez des mauvais sons le concours odieux,Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée,Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.
Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des règles de l’harmonie ; ce sont d’ailleurs des secrets qui se devinent et se sentent plutôt qu’ils ne s’enseignent ; une oreille sensible et délicate les trouvera sans peine, et saura les appliquer par instinct.
§ XIII. Vers libres.
On appelle vers libres ceux où le poète entremêle différentes mesures sans aucun retour symétrique. Les vers libres conviennent surtout au genre lyrique et aux poésies légères. Exemple :
J’ai vu l’impie adoré sur la terre :Pareil au cèdre, il cachait dans les cieuxSon front audacieux ;Il semblait à son gré gouverner le tonnerre,Foulait aux pieds ses ennemis vaincus :Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.
Quoique le mélange des vers libres ne soit assujetti à aucune règle positive, il en est une cependant qu’on ne saurait violer impunément : c’est celle de l’harmonie exigée par l’oreille. Il y a entre les différents mètres une concordance naturelle qu’il faut observer, sous peine de produire des secousses et des saccades désagréables.
Les vers qui s’entremêlent le plus harmonieusement sont ceux de douze et de six, et parfois de douze et de dix.
Le vers de sept syllabes à côté d’un vers de huit ou de douze fait un effet choquant : en général, un nombre impair de syllabes s’unit mal à un nombre pair.
Les petits vers, habilement mêlés aux grands, produisent souvent des effets pittoresques et harmonieux.
Exemple :
C’est promettre beaucoup ; mais qu’en sort-il souvent ?Du vent.
Le bataillon sacré, seul devant une armée,S’arrête pour mourir.
Racine, Quinault, La Fontaine, Molière, ont excellé dans l’art d’entrelacer les vers libres.
§ XIV. Des stances.
Le mot stance veut dire repos. La stance est un nombre déterminé de vers qui forment un sens complet.
La stance se nomme strophe dans l’ode, et couplet dans la chanson.
On nomme tercet, quatrain, sixain, huitain, dizain, une stance de trois, quatre, six, huit, dix vers.
Une stance ne peut commencer par la même rime qui finit la stance précédente.
Si une stance finit par une rime masculine, la suivante doit commencer par une féminine, et réciproquement.
Les stances peuvent varier presque à l’infini, soit par le mélange des rimes, soit par la mesure et le nombre des vers ; le poète n’a d’autres règles à suivre, sous ce rapport, que celles du bon sens et du bon goût. Il doit aussi chercher à approprier la stance au genre de composition qu’il adopte, et au caractère de sa pensée ; car, parmi les stances, les unes sont graves et pompeuses, les autres vives, gracieuses et légères : c’est le sentiment de l’harmonie qui doit toujours le guider,
On peut faire des stances depuis trois jusqu’à dix vers ; on en trouve aussi de douze ; l’oreille n’en supporte guère de plus longues.
Nous ne pouvons entrer ici dans les nombreux détails de la combinaison des stances, dont on peut citer plus de cent variétés ; nous nous contenterons d’indiquer, comme les plus usitées et les plus harmonieuses, les stances de quatre, de six et de dix vers.
Parmi les stances de quatre vers, une des plus belles est celle qui est composée alternativement de vers de douze et de six ou de huit syllabes, en rimes croisées.
Malherbe l’a employée dans son ode à Duperrier :
La mort a des rigueurs à nulle autres pareilles ;On a beau la prier :La cruelle qu’elle est se bouche les oreilles,Et nous laisse crier.
La stance de six vers est la plus fréquente : elle est ordinairement coupée en deux tercets par un repos ; le premier vers rime avec le second, le quatrième avec le cinquième, et le troisième avec le sixième. Deux de ces stances font surtout un bel effet : c’est d’abord celle dont le troisième et le sixième vers forment une chute sur six syllabes ou sur huit ; puis celle dont les cinq premiers vers ont douze syllabes, et le dernier huit. Exemple :
Le ciel nous rend toujours les biens qu’il nous prodigue,Vainement un mortel se plaint et le fatigueDe ses cris superflus :L’âme d’un vrai héros, tranquille, courageuse,Sait comme il faut souffrir d’une vie orageuseLe flux et le reflux.
Sur un écueil battu par la vague plaintive,Le nautonier de loin voit blanchir sur la riveUn tombeau près du bord par les flots déposé :Le temps n’a pas encor bruni l’étroite pierre,Et, sous le vert tissu de la ronce et du lierre,On distingue un sceptre brisé.
La stance de dix vers convient bien à l’ode, à cause de sa majesté et de son harmonie ; c’est une des plus complètes et des plus satisfaisantes pour l’oreille ; elle ressemble à une belle phrase musicale, surtout avec des vers de huit et de sept syllabes. Sa forme la plus ordinaire et la plus symétrique consiste à mettre un repos marqué au quatrième vers, un autre plus faible au septième ; à commencer par une rime féminine, en faisant rimer le premier vers avec le troisième, le second avec le quatrième, le cinquième avec le sixième, le septième avec le dixième, et le huitième avec le neuvième. Telle est la stance suivante :
Le Nil a vu, sur ses rivages,Les noirs habitants des désertsInsulter par leurs cris sauvagesL’astre éclatant de l’univers.Cris impuissants, fureurs bizarres !Tandis que ces monstres barbaresPoussaient d’insolentes clameurs,Le dieu, poursuivant sa carrière,Versait des torrents de lumièreSur ses obscurs blasphémateurs.
Genres en prose.
Toutes les compositions en prose peuvent se partager en cinq genres, savoir :
1° Le genre oratoire, ou l’éloquence ;
2° Le genre historique ;
3° Le genre didactique ou philosophique ;
4° Le genre du roman ;
5° Le genre épistolaire.
On réunit quelquefois, sous le nom de genre narratif, l’histoire et le roman : nous admettons la première division, comme plus facile pour l’étude que nous voulons faire.