Né à Caen, sous Henri II, témoin attristé des guerres civiles, et sujet reconnaissant
d’un souverain qui restaura l’ordre public, Malherbe représente un temps où la
discipline succède à l’anarchie. Il fit pour la langue française ce que son maître
Henri IV avait fait pour la France1
En lisant ses prédécesseurs, on comprend le soupir d’aise qui échappe à Boileau dans
ce vers :
S’il eut peu de sensibilité, d’imagination et d’invention, s’il ne craignit pas
d’être appelé le tyran des mots et des syllabes, il façonna l’instrument et le moule
de la poésie. C’est de lui que date la
cadence de la
strophe lyrique. Sa verve se condensa laborieusement dans un petit nombre d’œuvres
viriles, animées par un feu contenu qui a plus de chaleur que de flamme. Ses
imitations des anciens sont fines et adroites. Il se distingue par une brusquerie
majestueuse, de la vigueur, de l’essor, une fière tournure, une noblesse native, et un
ton déjà presque Cornélien. L’harmonie, l’heureux choix du mot propre, la sobriété de
la pensée, la netteté des images, la rigueur d’une prosodie sévère, sont autant de
mérites qu’on lui doit. Il a transformé en règles des qualités qui n’étaient avant lui
que de fortuites rencontres. Là où il est bon, il est excellent, et la postérité n’a
pas démenti ce vers :
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.
Prophétie du dieu de seine
Stances
1630
Va-t’en
1 à la malheure
2, excrément de la terre
3,
Monstre qui dans la paix fais les maux de la guerre,
Et dont l’orgueil ne connaît point de lois ;
En quelque haut dessein que ton esprit s’égare,
Tes jours sont à leur fin, ta chute se prépare,
Regarde-moi pour la dernière fois.
C’est assez que cinq ans ton audace effrontée,
Sur des ailes de cire aux étoiles montée,
Princes et rois ait osé défier :
La Fortune t’appelle au rang de ses victimes,
Et le ciel, accusé de supporter tes crimes,
Est résolu de se justifier
1.
Pour Monseigneur le cardinal de Richelieu
Sonnet (1635)
Peuples, çà, de l’encens ; peuples, çà, des victimes
2,
A ce grand Cardinal, ce chef-d’œuvre des cieux,
Qui n’a but que la gloire, et n’est ambitieux
Que de faire mourir l’insolence des crimes.
A quoi sont employés tant de soins magnanimes
Où son esprit travaille, et fait veiller ses yeux,
Qu’à
3 tromper les complots de nos séditieux,
Et soumettre leur rage aux pouvoirs légitimes ?
Le mérite d’un homme, ou savant, ou guerrier,
Trouve sa récompense aux chapeaux de laurier
4,
Dont la vanité grecque a donné les exemples
5,
Le sien, je l’ose dire, est si grand et si haut,
Que, si comme nos dieux il n’a place en nos temples,
Tout ce qu’on lui peut faire est moins qu’il ne lui faut.
Apollon à portes ouvertes
2
Laisse indifféremment cueillir
Ces belles feuilles toujours vertes
Qui gardent
3 les noms de vieillir ;
Mais l’art d’en faire des couronnes
N’est su que de peu de personnes ;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement
4.
……………
L’Orne, comme autrefois, nous reverrait encore,
Ravis de ces pensers
1 que le vulgaire ignore,
Égarer à l’écart nos pas et nos discours ;
Et couchés sur les
fleurs▶, comme étoiles semées,
Rendre en si doux ébats les heures consumées,
Que les soleils nous seraient courts.
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C’est un point arrêté
2, que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,
La Parque également sous la tombe nous serre
3 :
Et les mieux établis
4 au repos de la terre
N’y sont qu’hôtes et passagers
5.
Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D’habillements de pourpre, et de suite de pages,
Quand le terme est échu, n’allonge point nos jours :
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et, de toutes douleurs, la douleur la plus grande,
C’est qu’il faut laisser nos amours
6.
Depuis que tu n’es plus, la campagne déserte
1
A dessous deux hivers perdu sa robe verte,
Et deux fois le printemps l’a repeinte de
◀fleurs▶,
Sans que d’aucun discours ma douleur se console,
Et que ni la raison, ni le temps qui s’envole,
Puisse faire tarir mes pleurs.
Ôde à Louis XIII sur la révolte de la Rochelle
Donc un nouveau labeur à tes armes s’apprête :
Prends ta foudre
2,
Louis, et va, comme un lion,
Donner le dernier coup à la dernière tête
De la rébellion.
Fais choir en sacrifice au démon
3 de la France
Les fronts trop élevés de ces âmes d’enfer
4 ;
Et n’épargne contre eux, pour notre délivrance,
Assez de leurs complots l’infidèle malice
6
A nourri le désordre et la sédition :
Quitte le nom de Juste
7, ou fais voir ta justice
En leur punition.
Le centième décembre a les plaines ternies
1,
Et le centième avril les a peintes de
◀fleurs▶,
Depuis que parmi nous leurs brutales manies
2
Ne causent que des pleurs.
Dans toutes les fureurs des siècles de tes pères,
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien
Que l’inhumanité de ces cœurs de vipères
3
Ne renouvelle au tien ?
Par qui sont aujourd’hui tant de villes désertes,
Tant de grands bâtiments en masures changés,
Et de tant de chardons les campagnes couvertes,
Les sceptres devant eux n’ont point de privilèges,
Les immortels
5 eux-mêmes en sont persécutés ;
Et c’est aux plus saints lieux que leurs mains sacriléges
Font plus d’impiétés.
Marche, va les détruire, éteins-en la semence ;
Et suis jusqu’à la fin ton courroux généreux,
Sans jamais écouter ni pitié ni clémence,
Ils ont beau vers le ciel leurs murailles accroître,
Beau d’un soin assidu travailler à leurs forts,
Et creuser leurs fossés jusqu’à faire paroître
Le jour entre les morts
7.
Laisse-les espérer, laisse-les entreprendre.
Il suffit que ta cause est la cause de Dieu,
Et qu’avecque
1 ton bras elle a pour la défendre
Les soins de Richelieu.
N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
3
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre :
C’est Dieu qui nous fait vivre,
C’est Dieu qu’il faut aimer.
En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris, et ployer les genoux :
Ce qu’ils peuvent n’est rien ; ils sont ce que nous sommes,
Véritablement hommes,
Ont-ils rendu l’esprit
1, ce n’est plus que
poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l’éclat orgueilleux étonnait l’univers ;
Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,
Ils sont rongés des vers
2.
Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D’arbitres de la paix, de foudres de la guerre ;
Comme ils n’ont plus de sceptre, ils n’ont plus de flatteurs ;
Et tombent avec eux d’une chute commune
3
Tous ceux que la fortune
Faisait leurs serviteurs
4