(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Malherbe 1555-1628 » pp. 302-309
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Malherbe 1555-1628 » pp. 302-309

Malherbe
1555-1628

[Notice]

Né à Caen, sous Henri II, témoin attristé des guerres civiles, et sujet reconnaissant d’un souverain qui restaura l’ordre public, Malherbe représente un temps où la discipline succède à l’anarchie. Il fit pour la langue française ce que son maître Henri IV avait fait pour la France1

En lisant ses prédécesseurs, on comprend le soupir d’aise qui échappe à Boileau dans ce vers :

Enfin, Malherbe vint…

S’il eut peu de sensibilité, d’imagination et d’invention, s’il ne craignit pas d’être appelé le tyran des mots et des syllabes, il façonna l’instrument et le moule de la poésie. C’est de lui que date la cadence de la strophe lyrique. Sa verve se condensa laborieusement dans un petit nombre d’œuvres viriles, animées par un feu contenu qui a plus de chaleur que de flamme. Ses imitations des anciens sont fines et adroites. Il se distingue par une brusquerie majestueuse, de la vigueur, de l’essor, une fière tournure, une noblesse native, et un ton déjà presque Cornélien. L’harmonie, l’heureux choix du mot propre, la sobriété de la pensée, la netteté des images, la rigueur d’une prosodie sévère, sont autant de mérites qu’on lui doit. Il a transformé en règles des qualités qui n’étaient avant lui que de fortuites rencontres. Là où il est bon, il est excellent, et la postérité n’a pas démenti ce vers :

Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

Prophétie du dieu de seine

Stances
1630

Va-t’en1 à la malheure2, excrément de la terre3,
Monstre qui dans la paix fais les maux de la guerre,
  Et dont l’orgueil ne connaît point de lois ;
En quelque haut dessein que ton esprit s’égare,
Tes jours sont à leur fin, ta chute se prépare,
  Regarde-moi pour la dernière fois.
C’est assez que cinq ans ton audace effrontée,
Sur des ailes de cire aux étoiles montée,
  Princes et rois ait osé défier :
La Fortune t’appelle au rang de ses victimes,
Et le ciel, accusé de supporter tes crimes,
  Est résolu de se justifier1.

Pour Monseigneur le cardinal de Richelieu

Sonnet (1635)

Peuples, çà, de l’encens ; peuples, çà, des victimes2,
A ce grand Cardinal, ce chef-d’œuvre des cieux,
Qui n’a but que la gloire, et n’est ambitieux
Que de faire mourir l’insolence des crimes.
A quoi sont employés tant de soins magnanimes
Où son esprit travaille, et fait veiller ses yeux,
Qu’à3 tromper les complots de nos séditieux,
Et soumettre leur rage aux pouvoirs légitimes ?
Le mérite d’un homme, ou savant, ou guerrier,
Trouve sa récompense aux chapeaux de laurier4,
Dont la vanité grecque a donné les exemples5,
Le sien, je l’ose dire, est si grand et si haut,
Que, si comme nos dieux il n’a place en nos temples,
Tout ce qu’on lui peut faire est moins qu’il ne lui faut.

L’immortalité 1

Apollon à portes ouvertes2
Laisse indifféremment cueillir
Ces belles feuilles toujours vertes
Qui gardent3 les noms de vieillir ;
Mais l’art d’en faire des couronnes
N’est su que de peu de personnes ;
Et trois ou quatre seulement,
Au nombre desquels on me range,
Peuvent donner une louange
Qui demeure éternellement4.

À la mémoire d’un ami

……………

L’Orne, comme autrefois, nous reverrait encore,
Ravis de ces pensers1 que le vulgaire ignore,
Égarer à l’écart nos pas et nos discours ;
Et couchés sur les fleurs, comme étoiles semées,
Rendre en si doux ébats les heures consumées,
  Que les soleils nous seraient courts.
Mais, ô loi rigoureuse à la race des hommes !
C’est un point arrêté2, que tout ce que nous sommes,
Issus de pères rois et de pères bergers,
La Parque également sous la tombe nous serre3 :
Et les mieux établis4 au repos de la terre
  N’y sont qu’hôtes et passagers5.
Tout ce que la grandeur a de vains équipages,
D’habillements de pourpre, et de suite de pages,
Quand le terme est échu, n’allonge point nos jours :
Il faut aller tout nus où le destin commande ;
Et, de toutes douleurs, la douleur la plus grande,
  C’est qu’il faut laisser nos amours6.
Depuis que tu n’es plus, la campagne déserte1
A dessous deux hivers perdu sa robe verte,
Et deux fois le printemps l’a repeinte de fleurs,
Sans que d’aucun discours ma douleur se console,
Et que ni la raison, ni le temps qui s’envole,
  Puisse faire tarir mes pleurs.

Ôde à Louis XIII sur la révolte de la Rochelle

Donc un nouveau labeur à tes armes s’apprête :
Prends ta foudre2, Louis, et va, comme un lion,
Donner le dernier coup à la dernière tête
  De la rébellion.
Fais choir en sacrifice au démon3 de la France
Les fronts trop élevés de ces âmes d’enfer4 ;
Et n’épargne contre eux, pour notre délivrance,
  Ni le feu, ni le fer5.
Assez de leurs complots l’infidèle malice6
A nourri le désordre et la sédition :
Quitte le nom de Juste7, ou fais voir ta justice
  En leur punition.
Le centième décembre a les plaines ternies1,
Et le centième avril les a peintes de fleurs,
Depuis que parmi nous leurs brutales manies2
  Ne causent que des pleurs.
Dans toutes les fureurs des siècles de tes pères,
Les monstres les plus noirs firent-ils jamais rien
Que l’inhumanité de ces cœurs de vipères3
  Ne renouvelle au tien ?
Par qui sont aujourd’hui tant de villes désertes,
Tant de grands bâtiments en masures changés,
Et de tant de chardons les campagnes couvertes,
  Que par ces enragés4 ?
Les sceptres devant eux n’ont point de privilèges,
Les immortels5 eux-mêmes en sont persécutés ;
Et c’est aux plus saints lieux que leurs mains sacriléges
  Font plus d’impiétés.
Marche, va les détruire, éteins-en la semence ;
Et suis jusqu’à la fin ton courroux généreux,
Sans jamais écouter ni pitié ni clémence,
  Qui te parle pour eux6.
Ils ont beau vers le ciel leurs murailles accroître,
Beau d’un soin assidu travailler à leurs forts,
Et creuser leurs fossés jusqu’à faire paroître
  Le jour entre les morts7.
Laisse-les espérer, laisse-les entreprendre.
Il suffit que ta cause est la cause de Dieu,
Et qu’avecque1 ton bras elle a pour la défendre
  Les soins de Richelieu.

Paraphrase d’un psaume 2

N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde ;
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde3
Que toujours quelque vent empêche de calmer.
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre :
  C’est Dieu qui nous fait vivre,
  C’est Dieu qu’il faut aimer.
En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris, et ployer les genoux :
Ce qu’ils peuvent n’est rien ; ils sont ce que nous sommes,
  Véritablement hommes,
  Et meurent comme nous4.
Ont-ils rendu l’esprit1, ce n’est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l’éclat orgueilleux étonnait l’univers ;
Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
  Font encore les vaines,
  Ils sont rongés des vers2.
Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D’arbitres de la paix, de foudres de la guerre ;
Comme ils n’ont plus de sceptre, ils n’ont plus de flatteurs ;
Et tombent avec eux d’une chute commune3
  Tous ceux que la fortune
  Faisait leurs serviteurs4