(1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Michel de L’Hospital, 1505-1573 » pp. -
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(1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Michel de L’Hospital, 1505-1573 » pp. -

Michel de L’Hospital
1505-1573

[Notice]

Né vers 1505, en Auvergne, près d’Aigueperse, Michel de l’Hopital étudia le droit à Toulouse. « Dès quatre heures du matin, nous dit-il, on se levait pour la prière ; puis on allait aux écoles jusqu’à onze heures ; on ne revenait pour discuter les textes ou vérifier les passages ; et la récréation était de lire Aristophane, les tragiques grecs, Plaute ou Cicéron. » Attaché au connétable de Bourbon, son père avait été un des vassaux fidèles qui le suivirent dans sa fuite ; aussi fut-il condamné à l’exil et à la perte de ses biens. Son fils dut le rejoindre en Italie, à Padoue, ville renommée pour son savoir. Pendant six ans, il y approfondit la jurisprudence. Nommé auditeur de rote à Rome, ramené à Paris par le patronage du cardinal de Grammont, il dut à un mariage heureux la charge de conseiller au Parlement, et le chancelier Olivier le députa comme ambassadeur au concile de Trente. A son retour, la faveur de Marguerite de Valois, sœur d’Henri II, lui valut les postes de maître des requêtes et de surintendant des finances en la chambre des comptes. Son intégrité lui fit alors plus d’un ennemi ; mais il triompha de ces cabales, et, en 1560, la reine Catherine de Médicis lui confiait la garde des sceaux. Les chefs de l’État voulaient se couvrir de sa renommée, et se servir de sa docilité, parmi les querelles religieuses qui éclataient de toutes parts. Mais son patriotisme et son austérité évitèrent tout périlleux écueil. Politique habile et ferme, l’Hopital « brida » tout ensemble l’intolérance et la révolte. Ce fut lui qui, pour éviter l’établissement d’un tribunal inquisiteur, déféra aux évêques le crime d’hérésie. Il provoqua l’édit de Saint-Germain, qui contient déjà l’édit de Nantes. Il fit décider la réunion des États-généraux. Ses conseils de modération chrétienne eussent sauvé la France s’ils avaient pu être entendus. Mais les passions furent plus fortes que la sagesse. Le colloque de Poissy (1561), et le massacre de Vassy (1562) donnèrent le signal de la guerre civile qu’il voulait prévenir. Il lutta du moins contre les violents, jusqu’au jour où, se sentant aussi impuissant à faire le bien qu’à entraver le mal, il rendit avec dignité ces sceaux tenus huit années avec courage, entre les ambitieuses convoitises de partis également fanatiques. Il fut suivi dans sa retraite de Vignay par les regrets de tous les bons citoyens. « Quand cette neige sera fondue, avait-il dit en montrant sa barbe blanche, il n’y aura plus que de la boue. » — La boue fut détrempée de sang. Tandis que sonnait le tocsin de la Saint-Barthélemy, une troupe armée vint le menacer dans son asile ; ses serviteurs voulant la repousser, il s’y opposa : « Si la petite porte ne suffit pas, s’écria-t-il, qu’on ouvre la grande. » Il ne devait pas survivre au crime qu’il avait prévu. Il en mourut de douleur.

Nul ne justifia mieux cette définition de l’orateur : Vir bonus dicendi peritus 1. Il fut, selon l’expression de Montaigne, « une de ces belles âmes frappées à l’antique marque ». — « Sage de nature et de praticque, dit un contemporain2, point sévère sinon bien à propos, équitable quand il falloit, non-point chagrineux et rebarbatif, ni séparé des douces conversations, entendant les raisons, ni bizarre ni fantastique comme estoit ce Caton », il est de ces personnages dont la gloire grandit avec la raison publique. Ses Harangues et Mercuriales honorent le talent comme le caractère du magistrat. — S’il ne réussit pas à faire tout le bien qu’il voulut, ce sévère gardien de la justice fut du moins le modèle de toutes les vertus qui sauvent un pays dans les troubles civils. Il représente l’alliance trop rare de la politique et de la morale. — Aussi sa renommée juge-t-elle souverainement ceux qui ne la respecteraient pas.

Les avocats

Vous ne sçauriez veoir rien au monde si impudent, ny si hardy à mettre en avant ung faulx faict et une menterie en plein barreau ; ilz ont des fronts d’acier3, et, n’ayant point d’apprehension de perdre leur honneur, tout leur est indifferent, pourveu que rien ne tourne à leur dommaige. Vous oyrez4 crier, braire et tempester à l’appetit d’une partie hargneuse5 ; vous verrez les langues impures, venales et mercenaires mettre l’honneur des plus vertueux, illustres et grands personnaiges en compromis6, et ce dont je ne me sçaurois assez estonner, ces asnes d’Arcadie à qui les judges debvroient, à toutes les fois qu’ilz s’oublient et s’esmancipent contre la decence de leur robbe, mettre ung mords de bride, et leur fermer la bouche avec une bonne et grave reprimande, ilz les laissent divaguer de maniere qu’il semble à ces effrontez qu’ilz ont faict quelque beau chef-d’œuvre quand ilz ont, dient-ilz, bien lavé la teste7 à ung homme d’honneur, et mettent ceste haulte et sotte vanterie parmy leurs trophées… Et neantmoins ce sont ceulx ordinairement qui ont le plus de praticque1, parce qu’ilz se mettent à tous les jours, à toutes les causes ; et les bons playdeurs2, qui intenteroient ung procez sur la pointe d’une eguille3, les recherchent plus volontairement que les aultres, dont les mœurs sont composees à la prudence et modestie4 : vray ornement d’ung sçavant homme de bien, d’advocat5, lequel, faisant trop6 plus de cas de l’honneur que de gaing, ne soubtient jamais de cause contre sa conscience ; aussy la deffend il avec tant de vigueur, de force et de solides raisons, que l’on recognoist à vue d’œil7 qu’il ne se fonde pour obtenir la victoire que sur la verité et la justice de sa cause. Cestuy cy ne faict rien qu’en faveur et consideration de la vertu et de la justice, et s’employe hardyment pour la deffense et tuition8 de l’innocence opprimée ou que l’on veult opprimer : l’or et l’argent ne luy commandent poinct ; toutes les grandeurs et puissances ne le sçauroient destourner du vray honneur qui ne s’acquiert qu’en bien faisant… Au contraire le brouillon9, avec son ignorance, qui lui faict escorte perpetuelle, estime pure vanité tout l’honneur qui est sans profict et contribution pecuniaire ; n’ayme que playe et bosse, seme des noises10, querelles et procez partout où il se trouve, afin d’avoir de la pratique aux despends de qui que ce soit.

D’ung procez il vous en fera provigner11 et vous en fera naistre une douzaine : aussy il vous fera accroire au commencement que votre affaire n’est rien, que votre cause est sommaire et sans aulcune difficulté, et qu’il vous en fera sortir en une matinée. Mais, s’il vous peult embarquer une fois et tenir en ses pieges, vous n’en sortirez qu’il ne vous ait arraché le plus beau et le meilleur de vostre creditance, ou sa science de chicanner luy fauldra12 au besoing.

(Réformation de la justice, IVe partie.)