(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Casimir Delavigne 1794-1843 » pp. 524-529
/ 162
(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Casimir Delavigne 1794-1843 » pp. 524-529

Casimir Delavigne
1794-1843

[Notice]

Doué d’une imagination brillante et facile, d’une sensibilité tendre et généreuse, nourri de fortes études, Casimir Delavigne fut un artiste consciencieux qui, fidèle aux exemples des maîtres, les suivit pieusement dans toutes les voies où ils guidèrent son talent. Poëte lyrique, il solennisa les événements mémorables de son siècle dans des odes où il sut accommoder des sujets nationaux aux formes de la tradition classique. Ses premières Messéniennes qui réussirent au delà de ses espérances firent entendre, comme un signal, les accents d’une inspiration libérale, après le long silence de l’opinion. Ses sentiments répondaient aux appels du public ; mais il est périlleux de faire des œuvres de circonstance ; quand vint à se calmer cet enthousiasme trop passager, la sérénité du poëte n’en fut point altérée. Il se tourna vers le théâtre, et y prouva la souplesse de son invention par des comédies spirituelles ou des drames animés, dont l’intérêt se soutient encore aujourd’hui. Si quelques-unes de ses peintures ont pâli, comme celles de nos plus grands maîtres, l’oubli de son nom serait injustice et ingratitude. Son style eut toutes les qualités de son esprit : élévation, sérieux, dignité, élégance, grâce, éclat et harmonie. Chez lui on estime, on aime la douce chaleur d’une âme sympathique, honnête, indépendante et fière, qui honora les lettres par son talent, son caractère, le respect de l’art, et l’essor des nobles ambitions ; c’est une de nos plus pures renommées.

La jeunesse de 1825

O toi qu’on veut flétrir, jeunesse ardente et pure,
De guerriers, d’orateurs, toi, généreux essaim,
  Qui sens fermenter dans ton sein
Les germes dévorants de ta gloire future,
Penché sur un cercueil que tes bras ont porté1,
De ta reconnaissance offre l’exemple au monde :
Honorer la vertu, c’est la rendre féconde,
  Et la vertu produit la liberté.
……………………
Le verrai-je ce jour où, sans intolérance,
Son culte relevé protégera la France ?
O champs de Pressagni, fleuve heureux, doux coteaux,
Alors, peut-être, alors mon humble sépulture
  Se cachera sous les rameaux,
Où souvent, quand mes pas erraient à l’aventure,
Mes vers inachevés ont mêlé leur murmure
  Au bruit de la rame et des eaux.
Mais si le temps m’épargne, et si la mort m’oublie,
Mes mains, mes froides mains, par de nouveaux concerts
Sauront la rajeunir, cette lyre vieillie ;
Dans mon cœur épuisé, je trouverai des vers,
  Des sons dans ma voix affaiblie ;
Et cette liberté, que je chantai toujours,
Redemandant un hymne à ma veine glacée,
  Aura ma dernière pensée,
  Comme elle eut mes premières amours.

Charité 1

Au secours d’une infortunée
La pitié m’appelle aujourd’hui,
Et je réclame ton appui
Pour adoucir sa destinée.
La faiblesse enchaîne ses pas ;
Sur son front tremblant, qui s’incline,
L’âge accumule ses frimas :
Elle est bien vieille comme Alcine ;
Pour sorcière, elle ne l’est pas.
Ami, sois donc sa providence :
Elle compte plus d’un rival ;
Hélas ! dans ce siècle fatal,
On trouve encor la concurrence
A la porte de l’hôpital.
Mon astre, dit-on, me menace
D’y mourir aux dépens du roi !
Pour elle accorde-moi la place
Et la survivance pour moi2.

LES LIMBES 3

Comme un vain rêve du matin,
Un parfum vague, un bruit lointain,
C’est je ne sais quoi d’incertain
  Que cet empire ;
Lieux qu’à peine vient éclairer
Un jour qui, sans rien colorer,
A chaque instant près d’expirer,
  Jamais n’expire1.
Partout cette demi-clarté
Dont la morne tranquillité
Suit un crépuscule d’été,
  Ou de l’aurore
Fait pressentir que le retour2
Va poindre au céleste séjour,
Quand la nuit n’est plus, quand le jour
  N’est pas encore3 !
Ce ciel terne, où manque un soleil,
N’est jamais bleu, jamais vermeil ;
Jamais brise, dans ce sommeil
  De la nature,
N’agita d’un frémissement
La torpeur de ce lac dormant,
Dont l’eau n’a point de mouvement,
  Point de murmure4.
…………………………

Adieu !

Adieu, Madeleine chérie5,
Qui te réfléchis dans les eaux,
Comme une fleur, dans la prairie,
Se mire au cristal des ruisseaux.
Ta colline, où j’ai vu paraître
Un beau jour qui s’est éclipsé,
J’ai rêvé que j’en étais maître ;
Adieu ! ce doux rêve est passé1.
Assis sur la rive opposée,
Je te vois, lorsque le soleil
Sur tes gazons boit la rosée,
Sourire encore à ton réveil,
Et d’un brouillard pâle entourée,
Quand le jour meurt avec le bruit,
Blanchir comme une ombre adorée
Qui nous apparaît dans la nuit.
Doux trésors de ma moisson mûre,
De vos épis un autre est roi ;
Tilleuls dont j’aimais le murmure,
Vous n’aurez plus d’ombre pour moi
Ton coq peut tourner à sa guise,
Clocher, que je fuis sans retour ;
Ce n’est plus à moi que la brise
Lui dit d’annoncer un beau jour.
Cette fenêtre était la tienne,
Hirondelle, qui vins loger
Bien des printemps dans ma persienne,
Où je n’osais te déranger2.
Dès que la feuille était fanée,
Tu partais la première, et moi,
Avant toi je pars cette année ;
Mais reviendrai-je comme toi ?
Qu’ils soient l’amour d’un autre maître,
Ces pêchers dont j’ouvris les bras3 !
Leurs fruits verts4, je les ai vus naître ;
Rougir je ne les verrai pas5.
J’ai vu des bosquets que je quitte
Sous l’été les roses mourir ;
J’y vois planter la marguerite :
Je ne l’y verrai pas fleurir.
Ainsi tout passe, et l’on délaisse
Les lieux où l’on s’est répété :
« Ici luira sur ma vieillesse
L’azur de mon dernier été. »
Heureux, quand on les abandonne,
Si l’on part, en se comptant tous,
Si l’on part sans laisser personne
Sous l’herbe qui n’est plus à vous1 !
Adieu, mystérieux ombrage2,
Sombre fraîcheur, calme inspirant ;
Mère de Dieu, de qui l’image
Consacre ce vieux tronc mourant,
Où, quand son heure est arrivée,
Le passereau, loin des larcins3,
Vient cacher sa jeune couvée
Dans les plis de tes voiles saints.
Adieu, chapelle qui protége
Le pauvre contre ses douleurs ;
Avenue où, foulant la neige4
De mes acacias en fleurs,
Lorsque le vent l’avait semée
Du haut de ses rameaux tremblants,
Je suivais quelque trace aimée,
Empreinte sur ses flocons blancs.
Adieu, flots, dont le cours tranquille,
Couvert de berceaux verdoyants,
A ma nacelle, d’île en île,
Ouvrait mille sentiers fuyants1,
Quand, rêveuse, elle allait sans guide
Me perdre, en suivant vos détours,
Dans l’ombre d’un dédale humide,
Où je me retrouvais toujours.
Adieu, chers témoins de ma peine,
Forêt, jardin, flots que j’aimais !
Adieu, ma fraîche Madeleine !
Madeleine, adieu pour jamais !
Je pars, il le faut, et je cède ;
Mais le cœur me saigne en partant.
Qu’un plus riche qui te possède
Soit heureux où nous l’étions tant2 !