(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Brizeux, 1803-1858 » pp. 557-563
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Brizeux, 1803-1858 » pp. 557-563

Brizeux
1803-1858

[Notice]

Originaire d’Irlande, né à Lorient, Brizeux pourrait être appelé un barde breton ; car sa muse a toujours chanté l’Armorique, soit dans des élégies familières, soit dans de rustiques épopées. Sa chère province lui porta bonheur. Il lui dut de pures inspirations, et pour ainsi dire les senteurs vivifiantes qui s’exhalent de toutes ses œuvres. La religion, la patrie, la nature et l’art, voilà les sources auxquelles il a puisé. La jeunesse de son talent s’épanouit dans une idylle printanière, intitulée Marie. Son poëme des Bretons est animé d’un accent plus viril. Ses Histoires poétiques sont un écrin où brillent des joyaux exquis. Élégant et fin, comme la fleur sauvage des bruyères, il rappelle René, son compatriote, par un fonds de mélancolie incurable. Il y eut parfois trop de brume dans ses horizons ; mais il est sain comme l’air de ses grèves2.

La maison du moustoir

O maison du Moustoir ! combien de fois, la nuit,
Ou quand j’erre le jour dans la foule et le bruit,
Tu m’apparais ! — je vois les toits de ton village
Baignés à l’horizon dans des mers de feuillage,
Une grêle fumée au-dessus, dans un champ,
Une femme de loin appelant son enfant1 ;
Ou bien un jeune pâtre assis près de sa vache,
Qui, tandis qu’indolente elle paît, à l’attache,
Entonne un air breton si plaintif et si doux,
Qu’en le chantant ma voix vous ferait pleurer tous. —
Oh ! les bruits, les odeurs, les murs gris des chaumières,
Le petit sentier blanc et bordé de bruyères2,
Tout renaît, comme au temps où, pieds nus, sur le soir,
J’escaladais la porte, et courais au Moustoir ;
Et, dans ces souvenirs où je me sens revivre,
Mon pauvre cœur troublé se délecte et s’enivre !
Aussi, sans me lasser, tous les jours, je revois
Le haut des toits de chaume, et le bouquet de bois,
Au vieux puits la servante allant emplir ses cruches3,
Et le courtil en fleur où bourdonnent les ruches4,
Et l’aire, et le lavoir, et la grange ; en un coin,
Les pommes par monceaux, et les meules de foin ;
Les grands bœufs étendus aux portes de la crèche,
Et devant la maison un lit de paille fraîche.
Puis j’entre, et c’est d’abord un silence profond,
Une nuit calme et noire ; aux poutres du plafond
Un rayon de soleil, seul, darde sa lumière,
Et tout autour de lui fait danser la poussière5.
Chaque objet cependant s’éclaircit ; à deux pas,
Je vois le lit de chêne et son coffre6, et plus bas
(Vers la porte, en tournant), sur le bahut énorme,
Pêle-mêle, bassins, vases de toute forme,
Pain de seigle, laitage, écuelles de noyer,
Enfin, plus bas encor, sur le bord du foyer,
Assise à son rouet près du grillon qui crie,
Et dans l’ombre filant, je reconnais Marie.
(Marie. — Éd. Michel Lévy.)

La mort d’un bouvreuil

Ces premiers souvenirs de bonheur ou de peine,
Par instant on les perd, mais un rien les ramène.
Le fusil d’un chasseur, un coup parti du bois,
Viennent de réveiller mes remords d’autrefois :
L’aube sur l’herbe tendre avait semé ses perles1,
Et je courais les prés à la piste des merles,
Écolier en vacance ; et l’air frais du matin2,
L’espoir de rapporter un glorieux butin,
Ce bonheur d’être loin des livres et des thèmes3,
Enivraient mes quinze ans tout enivrés d’eux-mêmes.
Tel j’allais par les prés. Or, un joyeux bouvreuil,
Son poitrail rouge au vent, son bec ouvert, et l’œil
En feu, jetait au ciel sa chanson matinale4,
Hélas ! qu’interrompit soudain l’arme brutale.
Quand le plomb l’atteignit tout sautillant et vif,
De son gosier saignant un petit cri plaintif
Sortit, quelque duvet vola de sa poitrine ;
Puis, fermant ses yeux clairs, quittant la branche fine,
Dans les joncs et les buis de son meurtre souillés,
Lui, si content de vivre, il mourut à mes pieds5 !
Ah ! d’un bon mouvement qui passe sur notre âme
Pourquoi rougir ? la honte est un railleur qui blâme.
Oui, sur ce chanteur mort pour mon plaisir d’enfant,
Mon cœur, à moi chanteur, s’attendrit bien souvent6.
Frère7 ailé, sur ton corps je versai quelques larmes.
Pensif, et m’accusant, je déposai mes armes.
Ton sang n’est point perdu. Nul ne m’a vu depuis
Rougir l’herbe des prés, et profaner les buis.
J’eus pitié des oiseaux, et j’ai pitié des hommes.
Pauvret, tu m’as fait doux au dur siècle où nous sommes1.

La mort de louise

Quand Louise mourut à sa quinzième année,
Fleur des bois par la pluie et le vent moissonnée,
Un cortége nombreux ne suivit pas son deuil ;
Un seul prêtre en priant conduisit le cercueil ;
Puis venait un enfant qui, d’espace en espace,
Aux saintes oraisons répondait à voix basse ;
Car Louise était pauvre, et jusqu’en son trépas
Le riche a des honneurs que le pauvre n’a pas.
La simple croix de buis, un vieux drap mortuaire,
Furent les seuls apprêts de son lit funéraire ;
Et quand le fossoyeur soulevant son beau corps,
Du village natal l’emporta chez les morts,
A peine si la cloche avertit la contrée
Que sa plus douce vierge en était retirée.
Elle mourut ainsi. — Par les taillis couverts,
Les vallons embaumés, les genêts, les blés verts,
Le convoi descendit au lever de l’aurore :
Avec toute sa pompe avril venait d’éclore,
Et couvrait en passant d’une neige de fleurs
Ce cercueil virginal, et le baignait de pleurs ;
L’aubépine avait pris sa robe rose et blanche ;
Un bourgeon étoilé tremblait à chaque branche ;
Ce n’étaient que parfums et concerts infinis,
Tous les oiseaux chantaient sur le bord de leurs nids2.

Le clocher

Oh ! ne quittez jamais, c’est moi qui vous le dis,
Le devant de la porte où l’on jouait jadis,
L’église, où tout enfant, et d’une voix légère,
Vous chantiez à la messe auprès de votre mère,
Et la petite école, où traînant chaque pas1,
Vous alliez le matin ; oh ! ne la quittez pas !
Croyez qu’il sera doux de voir un jour peut-être
Vos fils étudier sous votre bon vieux maître,
Dans l’église avec vous chanter au même banc,
Et jouer à la porte, où l’on jouait enfant.

Un bain de mer

La mer ! j’aime la mer mugissante et houleuse,
Ou, comme en un bassin une liqueur huileuse2,
La mer calme, et d’argent3 ! Sur ses flancs écumeux
Quel plaisir de descendre, et de bondir comme eux,
Ou, mollement bercé, retenant son haleine,
De céder, comme une algue4 au flux qui vous entraîne !
Alors, on ne voit plus que l’onde, et que les cieux,
Les nuages dorés passant silencieux,
Et les oiseaux de mer, tous allongeant la tête5,
Et jetant un cri sourd signe de la tempête…

Le chevreuil

Dans un bois du canton, pris dès son plus jeune âge,
Il était familier, bien qu’au fond tout sauvage :
Aux heures des repas, gentiment, dans la main
Il s’en venait manger et des fruits et du pain.
On entendait sonner ses pieds secs sur les dalles ;
Puis, soudain, attiré par les forêts natales,
Il partait, défiant tous les chiens du manoir,
Et se faisant par eux chasser jusques au soir :
Alors, les flancs battants, et l’écume à la bouche,
Il rentrait en vainqueur, caressant et farouche.
Bientôt, le temps venu de ses fauves amours,
Il partit seul, errant et les nuits et les jours ;
S’arrêtant pour humer, épuisé de ses courses,
La fraîcheur des taillis et la fraîcheur des sources.
Sa trace était partout dans les sentiers des bois ;
Mais nul brame amoureux ne répétait sa voix ;
Plutôt, des fronts armés de pointes acérées
Devant lui s’avançaient sous les branches fourrées :
Chevreuils libres et fiers, de leur gîte accourus
Contre ce vil flatteur de l’homme, cet intrus.
Nous le vîmes alors couché dans son étable,
Sans plus songer à l’heure où se dressait la table,
Seul, triste, loin des chiens, tout entier à son mal,
Haïssant à la fois et l’homme et l’animal ;
Par accès s’élançant, dans ses colères mornes,
Contre les visiteurs qu’il frappait de ses cornes ;
De tristesse et de crainte il emplit le manoir,
Pauvre bête, et mourut ainsi de désespoir1 !…
A sa franche nature, oh ! laissez donc chaque être.
Laissez-le vivre en paix aux lieux qui l’ont vu naître2 !

Les fondements d’une école 1

De l’église du bourg sondez les fondements :
La foi, la paix du cœur en furent les ciments.
Dix siècles ont passé sur le saint édifice ;
Donc, pour bien affermir la nouvelle bâtisse,
C’est peu du granit dur, et c’est peu du mortier,
Et c’est encor trop peu des règles du métier :
Maçons, si vous voulez que votre blanche école
Ne tombe pas au vent, comme un jouet frivole,
Dès la première assise, à côté du savoir,
Mettez la foi naïve, et l’amour, et l’espoir2.

Le travail 3

Au travail ! au travail ! qu’on entende partout
Le bruit saint du travail, et d’un peuple debout.
Que partout on entende et la scie et la lime,
La voix du travailleur qui chante, et qui s’anime !
Que la fournaise flambe, et que les lourds marteaux,
Nuit et jour, et sans fin, tourmentent les métaux !
Rien n’est harmonieux comme l’acier qui vibre,
Et le cri de l’outil aux mains d’un homme libre !
Au fond d’un atelier, rien n’est plus-noble à voir
Qu’un front tout en sueur, un visage tout noir,
Un sein large et bronzé que la poussière souille,
Et deux robustes bras tout recouverts de houille !
Au travail ! au travail ! à l’œuvre ! aux ateliers !
Et vous, de la pensée habiles ouvriers,
A l’œuvre ! travaillez tous dans votre domaine
La matière divine, et la matière humaine !
Inventez, maniez, changez, embellissez,
La Liberté jamais ne dira : C’est assez1 !