(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre III. »
/ 246
(1853) Principes de composition et de style (2e éd.) « Première partie. Principes de composition et de style. — Principes de rhétorique. — Chapitre III. »

Chapitre III.

La rhétorique est l’art de bien dire, ou d’exprimer convenablement ses pensées.

L’enseignement de la rhétorique a ordinairement pour but l’éloquence ; mais nous voulons en appliquer ici les préceptes à tous les genres de composition.

Nous avons vu plus haut que, pour bien parler ou pour bien écrire, il faut trois opérations distinctes : l’invention, la disposition, et l’élocution ; nous reprendrons cette division naturelle.

De l’invention.

La première condition de l’invention, c’est d’avoir une idée.

§ I. Des idées.

L’idée, c’est ce que voit l’esprit : c’est la notion d’un fait, soit intérieur, soit extérieur. Les mots sont les signes de nos idées.

Les idées sont physiques, quand elles représentent des objets matériels : terre, livre, arbre ;

Morales, quand elles représentent une chose de l’ordre moral : orgueil, vertu, sensibilité ;

Métaphysiques, quand elles s’appliquent aux faits de l’ordre rationnel : cause, espace, idéal.

On dit qu’une idée est abstraite, lorsque l’on abstrait, que l’on sépare les qualités des objets, pour ne considérer ces qualités qu’en elles-mêmes, indépendamment des objets qui les possèdent. Ainsi, les idées de blancheur, de grandeur, de beauté, de faiblesse, sont des idées abstraites : nous les acquérons en voyant des êtres blancs, grands, beaux, faibles.

Une idée générale est celle qui représente toute une classe d’êtres ou de faits ; exemple : La rose est une belle fleur.

Les langues, en vieillissant, tendent de plus en plus vers l’abstraction et la généralisation, parce que les peuples qui les parlent prennent de plus en plus une tendance philosophique.

Liaison des idées.

Les idées sont liées dans notre esprit, lorsque l’une réveille naturellement le souvenir de l’autre. Ainsi l’idée de guerre nous rappelle tout ce qui l’accompagne : la mêlée sanglante, les champs dévastés, les villes ruinées, la douleur des familles ; ou bien encore la patrie sauvée, la gloire des vainqueurs.

Un capitaine français avait amené à Paris un jeune sauvage d’O-taïti : il le conduisit au Jardin des Plantes, où celui-ci se promena sans prendre grand intérêt à tourne qu’il voyait. Tout à coup un bananier s’offre à sa vue : c’est l’arbre de son pays ; il s’élance, l’embrasse en sanglotant et en s’écriant avec transport : « O-taïti ! O-taïti ! » C’était le cri du cœur, le souvenir de la patrie : le bananier lui rappelait sa terre natale, sa famille, ses amis, toute sa vie passée.

La Laitière et le Pot au lait, de La Fontaine, nous offre un autre charmant modèle d’association d’idées.

Cette association des idées dans l’esprit est d’un grand secours pour celui qui parle et qui écrit. La conversation ordinaire ne se soutient que par ce moyen. La personne qui cause avec le plus de charme est celle qui sait le mieux enchaîner ses idées et celles des autres par des transitions naturelles. Dans la composition, celui dont les idées se lient facilement trouve sans peine de grandes ressources pour écrire, et il se fait lire avec intérêt ; mais il faut observer que si les notions sont mal assorties, elles nous égarent et peuvent fausser notre jugement.

II. Du jugement et de la proposition.

En comparant deux idées entre elles, notre esprit forme un jugement.

Le jugement énoncé par la parole se nomme proposition.

La proposition est affirmative ou négative, selon qu’on énonce un rapport de convenance ou de disconvenance entre l’objet dont on parle et son attribut.

Des phrases.

La phrase consiste en une ou plusieurs propositions formant un sens complet.

La manière d’exprimer ses idées et de tourner les phrases s’appelle diction, élocution ou style : nous en reparlons plus loin en détail. Nous devons exposer d’abord les différents moyens qui peuvent aider l’écrivain dans l’invention.