Le Val-de-Grâce : éloge du peintre Pierre Mignard 1.
Digne fruit de vingt ans de travaux somptueux,
Auguste bâtiment, temple majestueux,
Fais briller à jamais, dans ta noble richesse,
La splendeur du saint vœu d’une grande princesse
2,
Mais défends bien surtout de l’injure des ans
Le chef-d’œuvre fameux de ses riches présents
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Cet éclatant morceau de savante peinture
Dont elle a couronné ta noble architecture :
C’est le plus bel effet des grands soins qu’elle a pris,
Et ton marbre et ton or ne sont point de ce prix.
Dis-nous, fameux Mignard, par qui te sont versées
Les charmantes beautés de tes nobles pensées,
Et dans quel fonds tu prends cette variété
Dont l’esprit est surpris et l’œil est enchanté ?
Dis-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles,
Dis tes expressions enfante les merveilles ;
Quels, charmes ton pinceau répand dans tous ses traits,
Et quelle force il mêle à ses plus doux attraits.
Tu te tais, et prétends que ce sont des matières
Dont tu dois nous cacher les savantes lumières,
Et que ces beaux secrets, à tes travaux vendus,
Te coûtent un peu trop pour être répandus;
Mais ton pinceau s’explique et trahit ton silence :
Malgré toi, de ton art il nous fait confidence ;
Et dans ses beaux efforts, à nos yeux étalés,
Les mystères profonds nous en sont révélés.
Une pleine lumière ici nous est offerte ;
Et ce dôme pompeux est une école ouverte
Où l’ouvrage, faisant l’office de la voix,
Dicte de ton grand art les souveraines lois.
La gloire du Val-de-Grâce.
Les Fâcheux1.
(Une scène de cette pièce.)
Acte II, Scène VII.
Un certain fâcheux, nommé Dorante, fatigue Eraste, en lui racontant une
partie de chasse qu’il vient de faire.
Dorante, Éraste.
Dorante.
Ah ! marquis, que l’on voit de fâcheux tous les jours
Venir de nos plaisirs interrompre le cours !
Tu me vois enragé d’une assez belle chasse
Qu’un fat… C’est un récit qu’il faut que je te fasse.
Éraste.
Je cherche ici quelqu’un et ne puis m’arrêter.
Dorante.
Parbleu ! chemin faisant, je te le veux conter.
Nous étions une troupe assez bien assortie,
Qui pour courir un cerf avions hier fait partie ;
Et nous fûmes coucher sur le pays exprès,
C’est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts.
Comme cet exercice est mon plaisir suprême,
Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même,
Et nous conclûmes tous d’attacher nos efforts
Sur un cerf
que chacun nous disait cerf dix cors
1 ;
Mais moi, mon jugement, sans qu’aux marques j’arrète
2
Fut qu’il n’était que cerf à sa seconde tête
3
Nous avions comme il faut séparé nos relais,
Et déjeunions en hâte avec quelques œufs frais,
Lorsqu’un franc campagnard avec longue rapière,
Montant superbement sa jument poulinière,
Qu’il honorait du nom de sa bonne jument,
S’en est venu nous faire un mauvais compliment,
Nous présentant aussi, pour surcroît de colère,
Un grand benêt de fils aussi sot que son père.
Il s’est dit grand chasseur, et nous a priés tous
Qu’il pût avoir le bien de courir avec nous.
Dieu▶ préserve, en chassant, toute sage personne
D’un porteur de huchet
4
qui mal à propos sonne ;
De ces gens qui, suivis de dix hourets
5 galeux.
Disent Ma meute, et font les chasseurs merveilleux !
Sa demande reçue, et ses vertus prisées,
Nous avons tous été frapper à nos brisées.
A trois longueurs de trait, tayaut
6, voilà d’abord
Le cerf donné
7 aux chiens. J’appuie et sonne fort.
Mon cerf débûche
8, et passe une assez longue plaine ;
Et mes chiens après lui, mais si bien en haleine,
Qu’on les aurait couverts tous d’un seul justaucorps.
Il vient à la forêt : nous lui donnons alors
La vieille meute ; et moi, je prends en diligence
Mon cheval alezan. Tu l’as vu ?
Éraste.
Mon cheval alezan. Tu l’as vu ?Non, je pense.
Dorante.
Comment ! c’est un cheval aussi bon qu’il est beau,
Et que ces jours passés j’achetai de Gaveau.
Je te laisse à penser si, sur cette matière,
Il voudrait me tromper, lui qui me considère.
Aussi je m’en contente ; et jamais, en effet,
Il n’a vendu cheval ni meilleur ni mieux fait.
Une tête de barbe
1, avec l’étoile
2 nette ;
L’encolure d’un cygne, effilée et bien droite
3 ;
Point d’épaules non plus qu’un lièvre ; court jointé
4
Et qui fait dans son port voir sa vivacité ;
Des pieds, morbleu, des pieds ! le rein double
5 : à vrai dire,
J’ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire ;
Et sur lui, quoiqu’aux yeux il montrât beau semblant
6
Petit-Jean
7 de Gaveau ne montrait qu’en tremblant.
Une croupe en largeur à nulle autre pareille,
Et des gigots,
◀Dieu▶ sait ! Bref c’est une merveille ;
Et j’en ai refusé cent pistoles, crois-moi,
Au retour
8 d’un cheval amené pour le roi.
Je monte donc dessus, et ma joie était pleine
De voir filer de loin les coupeurs
9 dans la plaine ;
Je pousse et je me trouve en un fort à l’écart.
A la queue
10 de nos chiens, moi
seul avec Drécart :
Une heure là-dedans notre cerf se fait battre.
J’appuie alors mes chiens
1, et fais le diable à quatre :
Enfin jamais chasseur ne se vit plus joyeux.
Je le relance seul ; et tout allait des mieux,
Lorsque d’un jeune cerf s’accompagne le nôtre :
Une part de mes chiens se sépare de l’autre,
Et je les vois, marquis, comme tu peux penser,
Chasser tous avec crainte, et Finaut
2 balancer ;
Quelques chiens revenaient à moi, quand, pour disgrâce,
Le jeune cerf, marquis, à mon campagnard passe.
Mon étourdi se met à sonner comme il faut,
Et crie à pleine voix : Tayaut, tayaut, tayaut !
Je ramène les chiens à ma première voie,
Qui vont, en me donnant une excessive joie,
Requérir notre cerf comme s’ils l’eussent vu.
Ils le relancent : mais ce coup est-il prévu ?
A te dire le vrai, cher marquis, il m’assomme :
Notre cerf relancé va passer à notre homme,
Qui, croyant faire un coup de chasseur fort vanté,
D’un pistolet d’arçon qu’il avait apporté
Lui donne justement au milieu de la tête,
Et de fort loin me crie : « Ah ! j’ai mis bas la bête. »
A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu !
Pour courre
3 un cerf ! Pour moi, venant dessus le lieu,
J’ai trouvé l’action tellement hors d’usage,
Que j’ai donné des deux à mon cheval de rage,
Et m’en suis revenu chez moi toujours courant,
Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant.
Éraste.
Tu ne pouvais mieux faire et ta prudence est rare :
C’est ainsi des fâcheux qu’il faut qu’on se sépare.
Adieu.
Dorante.
Adieu.Quand tu voudras, nous irons quelque part
Où nous ne craindrons point de chasseur campagnard.
Éraste, seul.
Fort bien. Je crois qu’enfin je perdrai patience.
Cherchons à m’excuser avec que diligence.