(1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Préface » pp. -
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(1868) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à l’usage de tous les établissements d’instruction. Cours supérieurs. Première partie : prose « Préface » pp. -

Préface

On a publié, sous des titres divers, bien des recueils analogues au nôtre, et l’on en publiera beaucoup d’autres encore ; car, outre que ces anthologies sont indispensables à la jeunesse, il est besoin, pour entretenir leur fraîcheur, de les renouveler avec les générations qui passent sur les bancs de nos écoles. Je n’en veux pour preuve que l’air un peu fané du gros bouquet cueilli jadis par MM. Noël et Laplace dans des terrains réputés classiques, et où l’ivraie pourtant ne manquait pas. Sans déprécier un ouvrage qui compte d’honorables services et adroit aux égards dus au grand âge, il est permis de dire qu’il ne suffit plus à notre goût littéraire ; car en lisant ces pages, où apparaît comme un revenant habillé à la mode du premier Empire, on est parfois tenté de croire que des morceaux choisis ne sont pas toujours des morceaux de choix.

Puisse-t-on ne point adresser ce reproche à nos essais, qui composent une collection de modèles appropriés à tous les degrés de l’enseignement ! Ce n’est pas que cette publication prétende faire oublier les travaux consciencieux qui lui ont ouvert la voie ; mais elle espère se recommander, elle aussi, par l’expérience que donne à son auteur une longue pratique du professorat ; et peut-être n’est-il pas indifférent d’ajouter que, vouée spécialement à la critique depuis bien des années déjà, notre plume a quelque habitude de juger les écrivains ou les livres.

Notre intention a été de n’admettre ici que les maîtres et leurs chefs-d’œuvre. Si quelques noms secondaires se sont glissés dans cette galerie, nous ne leur avons fait que des emprunts proportionnés à leur importance ; ils n’ont qu’un buste ou un médaillon, à distance respectueuse des statues qui les dominent. La liste de ces élus nous était imposée par les suffrages de la postérité. Elle commence au dix-septième siècle, et va jusqu’à nos jours. Remonter au delà de Balzac, c’eût été s’engager dans une époque où il faut un philologue pour guide ; s’arrêter aux frontières de notre âge, serait s’assujettir à des scrupules vraiment trop pusillanimes.

En dépouillant toute une bibliothèque pour en condenser la substance ou la fleur, nous n’avons pas songé surtout, comme tel autre recueil fort estimable, à former les aptitudes oratoires du rhétoricien. Il nous a paru préférable de butiner dans toutes les provinces de notre littérature, et de faire appel à toutes les facultés de l’intelligence. Embrassant donc l’histoire, l’éloquence, la philosophie, la critique, la morale, la poésie, en un mot toutes les formes de la pensée, nos extraits comprennent les genres essentiels qui ont leur raison d’être, et dont la variété peut solliciter ou animer un esprit curieux.

Mais nous avons proscrit impitoyablement bien des fragments qui jusqu’à ce jour avaient eu droit de cité dans les répertoires classiques, à savoir tout ce qui est amplification, tirade et œuvre de rhéteur. En revanche, notre plus vif plaisir a été de signaler les pages où l’homme se montre sous l’écrivain, où le style est la personne même trahissant son caractère, et laissant parler son cœur avec ce naturel, cet abandon, cette bonne foi qui ne sent ni l’encre ni le papier.

Voilà pourquoi nous avons souvent puisé dans ces correspondances intimes où l’être moral se découvre tout entier, sans le vouloir et sans le savoir. Il y a là des beautés voisines de nous, et qui sont pour la plume une excellente école. Elles lui apprennent à aimer par-dessus tout la franchise, et à chercher ses ressources dans l’accent sincère d’un sentiment ou d’une conviction, plus que dans ces procédés artificiels dont l’emploi indiscret finit par gâter des mains novices.

La même raison nous a conseillé d’adopter l’ordre chronologique pour le classement de nos textes, et de ne point les ranger d’après la distinction des genres. En nous affranchissant de ces cadres qui, trop étroits ou trop larges, ont le tort de paraître ou d’être arbitraires, nous avons évité la monotonie d’une routine fastidieuse qui risquait d’imposer à chaque groupe de morceaux choisis une étiquette de convention. Oui, mieux valait dérouler sous les yeux un tableau qui a son unité, sa suite et ses rapports logiques. L’ensemble de ces modèles, qui s’enchaînent, se continuent et s’expliquent les uns les autres, devient ainsi l’abrégé d’une histoire agissante et vivante, qui nous permet de suivre les progrès ou les transformations de la langue nationale, comme on descend le cours d’un beau fleuve dont les eaux s’abandonnent à leur pente, et reflètent les paysages de leurs rives.

Pour rendre plus efficaces les leçons que comporte cette méthode, il convenait d’avertir l’attention du lecteur par des commentaires qui provoqueront ses propres réflexions.

C’est l’objet des notices qui accompagnent ici chaque nom d’auteur. Il ne nous a pas semblé suffisant de les réduire à des faits ou à des dates. De jeunes esprits sont rebutés par la sécheresse de ces sommaires qui traînent partout et n’ont aucune empreinte personnelle ; or l’ennui sera toujours un mauvais professeur. Aussi avons-nous essayé d’esquisser des portraits, ou du moins (car ce mot serait trop ambitieux) d’indiquer avec choix ce qu’il y a de plus expressif dans la physionomie littéraire ou morale de chaque écrivain. Des préambules substantiels, où la biographie éclaire la critique, offriront donc, comme en miniature, tous les traits saillants d’un caractère ou d’un talent. Ce sera le livret raisonné de notre musée.

Quant aux notes, elles ont eu principalement pour objet d’épargner la peine d’autrui, sans faire valoir la nôtre. J’entends par là que nous nous sommes interdit toute ostentation de vaine science, pour remplir le rôle modeste d’interprète et de guide, expliquant ce qui est douteux ou obscur, soulignant les beautés sans pallier les défauts, traduisant certaines nuances dont la délicatesse peut échapper à des regards trop rapides, se défiant également d’une admiration superstitieuse et d’un purisme trop raffiné, visant surtout soit à économiser le temps précieux du maître par des recherches qui préviendront les siennes, soit à stimuler l’intelligence de l’élève par des aperçus qui éveilleront ses idées propres. De là vient que nous avons multiplié ces occasions de rapprochements et de comparaisons qui habituent l’œil à voir juste, à distinguer les styles, à reconnaître la facture d’un maître, à ne pas appliquer à la diversité des talents les lieux communs d’une appréciation vague et anonyme, en un mot, à devenir connaisseur. Et pourtant, quoique nous ayons disséminé au bas de nos pages beaucoup de citations ou de remarques dont la nouveauté peut avoir son prix, nous savons bien que le meilleur commentaire de nos extraits sera celui de nos collègues, c’est-à-dire les impressions spontanées d’une analyse orale, à laquelle rien ne supplée. Qu’il nous suffise d’avoir eu la bonne volonté d’aider les jeunes gens à mieux lire, et à juger par eux-mêmes, sous la conduite du cicérone qui, sans les importuner ou gêner leur initiative, les arrête à propos et discrètement devant les bons endroits1 !

Il ne nous reste plus qu’à dire deux mots de l’hospitalité offerte ici pour la première fois à ces renommées contemporaines, qui jusqu’à présent ont été tenues en dehors du sanctuaire classique. Si, contre toute vraisemblance, on nous reprochait cette tentative opportune, nous pourrions invoquer en sa faveur l’autorité d’un programme officiel que consacrent déjà plusieurs années de pratique. En effet, puisque l’Histoire contemporaine s’enseigne dans toute la France, pourquoi hésiterions-nous à en détacher un chapitre qui intéresse éminemment notre patriotisme, et ne sera peut-être pas le moins précieux pour la postérité ? M. Nisard, qui est le fervent gardien de la tradition, n’a-t-il pas écrit dans la dernière page de sa belle histoire littéraire ? « Les soixante premières années du dix-neuvième siècle sont plus de la moitié d’un grand siècle. » Ne soyons donc pas, comme le disait Voltaire, « semblables à ces avares qui ne veulent point convenir de leurs richesses, et crient sans cesse que les temps sont bien durs ». Sachons plutôt concilier le culte du passé avec la justice due au présent qui sera le patrimoine de l’avenir. N’ayons pas l’air de rougir de ce qui nous honorera plus tard ; et, en attendant les arrêts de la postérité, qui commence dès aujourd’hui pour plus d’un nom illustre, tirons des œuvres qui nous ont charmés le plaisir ou le profit que le tact d’un goût prudent peut mettre à la portée de la jeunesse. Outre qu’il lui est impossible de ne pas respirer l’air qui nous entoure, ne donnons pas l’attrait du fruit défendu à des livres qu’un engouement irréfléchi lira sans critique, si on s’obstine à les proscrire des écoles, au lieu d’apprendre par une direction tout ensemble libérale et sévère à séparer le mort du vit, c’est-à-dire à discerner les qualités des défauts, et l’excellent du mauvais ou du médiocre.

Les réserves mêmes que nous venons d’indiquer seront une garantie de la circonspection qui nous a constamment inspiré, dans le choix des pages que nous soumettons au jugement bienveillant de nos collègues. Est-il besoin d’ajouter aussi en terminant que notre premier souci fut d’allier l’enseignement moral à l’agrément littéraire ? Oui, nous pouvons, en toute sécurité, nous rendre ce témoignage que le fonds des idées nous a préoccupé à l’égal de la forme ; nous serons donc récompensé d’un travail souvent pénible, si les jeunes lecteurs de notre recueil comprennent bien cette leçon écrite à toutes ses pages, à savoir que le goût et la conscience se confondent, et que les pensées dignes de vivre procèdent toujours d’un caractère élevé, d’un volonté vaillante, d’un cœur honnête, d’un esprit droit et d’une âme saine.