(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Corneille 1606-1684 » pp. 310-338
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Corneille 1606-1684 » pp. 310-338

Corneille
1606-1684

[Notice]

Né à Rouen, élevé au collège des Jésuites, Pierre Corneille subit d’abord l’influence du mauvais goût qui régnait autour de lui, et multiplia pendant sept années (1629-1636), des essais qui n’intéressent aujourd’hui que la curiosité littéraire5. Toutefois, dans Médée (1634), son génie s’était déjà révélé par des notes superbes et des tirades hautaines, quand parut le Cid, en 1636. De ce chef-d’œuvre date, pour ainsi dire, la création du premier homme et de la première femme dignes de figurer à jamais sur la scène française, aux applaudissements de la postérité, en compagnie d’Horace, de Cinna, de Polyeucte et de Pompée. A partir de Rodogune, qui, en 1642, ouvrit à Corneille les portes de l’Académie, son astre ne fit plus que pâlir, tandis que se levait à l’horizon la gloire de Racine, dont l’ombrageuse rivalité attrista sa vieillesse pauvre, fière et indépendante.

L’héroïsme est le principal ressort de son théâtre ; il nous propose des vertus altières et de grands caractères, dans une langue nerveuse et concise qui exprime par de sublimes accents le triomphe du devoir sur la passion. Sa nature stoïcienne le portait par une affinité secrète vers les Romains et les Espagnols. Il trouvait chez eux l’idéal de l’honneur patriotique et chevaleresque. En puisant à ces sources, il élève l’homme au-dessus de lui-même, et nous ravit par l’enthousiasme. Ses personnages excitent l’admiration plus que la terreur ou la pitié. On sait d’avance qu’ils sont incapables de faillir : chacun d’eux pourrait dire avec Chimène :

Le trouble de mon cœur ne peut rien sur mon âme.

Il en résulte parfois qu’ils nous paraissent trop étrangers à nos défaillances. Ils analysent leurs sentiments plus qu’ils n’agissent. Il leur arrive d’être trop sentencieux, de disserter, disons le mot, de déclamer ; mais ces défauts, on les pardonne aux éclatantes beautés que nul n’avait soupçonnées avant Corneille.

Aux peintures généreuses du cœur humain, il sut allier le sens historique, et l’intuition qui devine le génie des temps ou des lieux. Chez lui revit l’Espagne féodale, et Rome républicaine ou impériale. Ses acteurs ont l’âme, les mœurs, l’esprit, le langage de l’époque à laquelle ils appartiennent ; mais ils se gardent de cette érudition archéologique dont on a tant abusé depuis, et qui étouffe l’homme sous le costume, le principal sous l’accessoire.

N’oublions pas que dans quelques scènes du Menteur (1642), Corneille inaugura la haute comédie, et prépara la route à Molière1.

Épitaphe 2

Ne verse point de pleurs sur cette sépulture
Passant : ce lit funèbre est un lit précieux
Où gît d’un corps tout pur la cendre toute pure ;
Mais le zèle du cœur vit encore en ces lieux.
Avant que de payer le droit de la nature,
Son âme, s’élevant au delà de ses yeux,
Avait au créateur uni la créature ;
Et marchant sur la terre, elle était dans les cieux.
Les pauvres bien mieux qu’elle ont senti sa richesse :
L’humilité, la paix, étaient son allégresse ;
Et son dernier soupir fut un soupir d’amour.
Passant, qu’à son exemple un beau feu te transporte ;
Et loin de la pleurer d’avoir perdu le jour,
Crois qu’on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte1.

L’obéissance

On va d’un pas plus ferme à suivre qu’à conduire ;
L’avis est plus facile à prendre qu’à donner :
On peut mal obéir comme mal ordonner ;
Mais il est bien plus sûr d’écouter que d’instruire.
L’obéissance est sage, et son aveuglement
Forme un chemin plus doux que le commandement,
Lorsque l’amour l’a fait, et non pas la contrainte.

Mais elle n’a qu’aigreur, sans cette charité,
Et c’est un long sujet de murmure et de plainte,
Quand son joug n’est souffert que par nécessité2.

La croix

Oui, la croix3 en tous lieux est toujours préparée,
La croix t’attend partout, et partout suit tes pas ;
Fuis-la de tous côtés, et cours où tu voudras,
Tu n’éviteras pas sa rencontre assurée.
Tel est notre destin, telles en sont les lois ;
Tout homme pour lui-même est une vive1 croix,
Pesante d’autant plus que plus lui-même il s’aime2 ;
Et comme il n’est en soi que misère et qu’ennui,
En quelque lieu qu’il aille, il se porte lui-même,
Et rencontre la croix qu’il y porte avec lui.
Porte-la d’un bon cœur cette croix salutaire
Que tu vois attachée à ton infirmité ;
Fais un hommage à Dieu, d’une nécessité,
Et d’un mal infaillible un tribut volontaire.
Elle te portera toi-même en tes travaux,
Elle te conduira par le milieu des maux,
Jusqu’à cet heureux port3 où la peine est finie ;
Mais ce n’est pas ici que tu dois l’espérer.
La fin des maux consiste en celle de la vie,
Et l’on trouve à gémir tant qu’on peut respirer4.

L’autorité paternelle

GÉRONTE, DORANTE, CLITON.

Géronte.

Êtes-vous gentilhomme5 ?

dorante, à part.

Ah ! rencontre fâcheuse !
A son père.
Étant sorti de vous, la chose est peu douteuse.

Géronte.

Croyez-vous qu’il suffit d’être sorti de moi ?

Dorante.

Avec toute la France aisément je le croi1.

Géronte.

Et ne savez-vous point avec toute la France
D’où ce titre d’honneur a tiré sa naissance,
Et que la vertu seule a mis en ce haut rang
Ceux qui l’ont jusqu’à moi fait passer dans leur sang ?

Dorante.

J’ignorerais un point2 que n’ignore personne,
Que la vertu l’acquiert comme le sang le donne.

Géronte.

Où le sang a manqué si la vertu l’acquiert,
Où le sang l’a donné le vice aussi le perd.
Ce qui naît d’un moyen périt par son contraire :
Tout ce que l’un a fait, l’autre peut le défaire3 ;
Et, dans la lâcheté du vice où je te voi,
Tu n’es plus gentilhomme, étant sorti de moi.

Dorante.

Moi ?

Géronte

  Laisse-moi parler4, toi, de qui l’imposture
Souille honteusement ce don de la nature :
Qui se dit gentilhomme, et ment comme tu fais,
Il ment quand il le dit, et ne le fut jamais.
Est-il vice plus bas ? est-il tache plus noire, plus indigne d’un homme élevé pour la gloire ?
Est-il quelque faiblesse, est-il quelque action
Dont un cœur vraiment noble ait plus d’aversion,
Puisqu’un seul démenti lui porte une infamie
Qu’il ne peut effacer s’il n’expose sa vie,
Et si dedans1 le sang il ne lave l’affrent
Qu’un si honteux outrage imprime sur son front ?

Dorante.

Qui vous dit que je mens ?

Géronte.

Qui me le dit, infâme ?
Dis-moi, si tu le peux, dis le nom de ta femme.
Le conte qu’hier au soir tu m’en fis publier…

Cliton 2 à Dorante.

Dites que le sommeil vous l’a fait oublier.

Géronte.

Ajoute, ajoute encore avec effronterie
Le nom de ton beau-père et de sa seigneurie ;
Invente à m’éblouir quelques nouveaux détours.

Cliton, à Dorante.

Appelez la mémoire ou l’esprit au secours.

Géronte.

De quel front cependant faut-il que je confesse
Que ton effronterie a surpris ma vieillesse,
Qu’un homme de mon âge a cru légèrement
Ce qu’un homme du tien débite impudemment ?
Tu me fais donc servir de fable et de risée,
Passer pour esprit faible, et pour cervelle usée !
Mais dis-moi, te portais-je à la gorge un poignard ?
Voyais-tu violence ou courroux de ma part ?
Si quelque aversion t’éloignait de Clarisse,
Quel besoin avais-tu d’un si lâche artifice ?
Et pouvais-tu douter que mon consentement
Ne dût tout accorder à ton contentement,
Puisque mon indulgence, au dernier point venue,
Consentait, à tes yeux, l’hymen d’une inconnue3 ?
Ce grand excès d’amour que je t’ai témoigné
N’a point touché ton cœur, ou ne l’a point gagné ;
Ingrat, tu m’as payé d’une impudente feinte,
Et tu n’as eu pour moi, respect, amour, ni crainte.
Va, je te désavoue1
(Acte V, scène iii.)

La provocation

LE COMTE, D. DIEGUE.

Le comte.

Enfin, vous l’emportez, et la faveur du Roi
Vous élève en un rang qui n’était dû qu’à moi ;
Il vous fait gouverneur du prince de Castille.

D. Diègue.

Cette marque d’honneur qu’il met dans ma famille
Montre à tous qu’il est juste, et fait connaître assez
Qu’il sait récompenser les services passés.

Le comte.

Pour1 grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes :
Ils peuvent se tromper comme les autres hommes,
Et ce choix sert de preuve à tous les courtisans
Qu’ils savent mal payer les services présents.

D. Diègue.

Ne parlons plus d’un choix dont votre esprit s’irrite ;
La faveur l’a pu faire autant que le mérite.
Mais on doit ce respect au pouvoir absolu,
De n’examiner rien quand un roi l’a voulu.
A l’honneur qu’il m’a fait ajoutez-en un autre :
Joignons d’un sacré nœud ma maison à la vôtre.
Vous n’avez qu’une fille, et moi je n’ai qu’un fils ;
Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu’amis :
Faites-nous cette grâce, et l’acceptez pour gendre.

Le comte.

A des partis plus hauts ce beau fils2 doit prétendre,
Et le nouvel éclat de votre dignité
Lui doit enfler le cœur d’une autre vanité.
Exercez-la, monsieur3, et gouvernez le prince.
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler partout les peuples sous la loi,
Remplir les bons d’amour, et les méchants d’effroi ;
Joignez à ces vertus celles d’un capitaine :
Montrez-lui comme il faut s’endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars se rendre sans égal,
Passer les jours entiers et les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,
Et ne devoir qu’à soi le gain d’une bataille ;
Instruisez-le d’exemple, et rendez-le parfait,
Expliquant à ses yeux vos leçons par l’effet1.

D. Diègue.

Pour s’instruire d’exemple en dépit de l’envie,
Il lira seulement l’histoire de ma vie.
Là, dans un long tissu de belles actions,
Il verra comme il faut dompter les nations,
Attaquer une place, ordonner une armée,
Et sur de grands exploits bâtir sa renommée.

Le comte.

Les exemples vivants sont d’un autre pouvoir ;
Un prince dans un livre apprend mal son devoir.
Et qu’a fait, après tout, ce grand nombre d’années,
Que ne puisse égaler une de mes journées ?
Si vous fûtes vaillant, je le suis aujourd’hui,
Et ce bras du royaume est le plus ferme appui.
Grenade et l’Aragon tremblent quand ce fer brille ;
Mon nom sert de rempart à toute la Castille :
Sans moi, vous passeriez bientôt sous d’autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire :
Le prince à mes côtés ferait dans les combats
L’essai de son courage, à l’ombre de mon bras ;
Il apprendrait à vaincre en me regardant faire,
Et, pour répondre en hâte à son grand caractère,
Il verrait…

D. Diègue.

Je le sais, vous servez bien le Roi.
Je vous ai vu combattre et commander sous moi.
Quand l’âge dans mes nerfs a fait couler sa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place :
Enfin, pour épargner les discours superflus,
Vous être aujourd’hui ce qu’autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu’en cette concurrence
Un monarque entre nous met quelque différence.

Le comte.

Ce que je méritais, vous l’avez emporté.

D. Diègue.

Qui l’a gagné sur vous l’avait mieux mérité.

Le comte.

Qui peut mieux l’exercer en est bien le plus digne.

D. Diègue.

En être refusé n’en est pas un bon signe.

Le compte.

Vous l’avez eu par brigue, étant vieux courtisan.

D. Diègue.

L’éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

Le comte.

Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge.

D. Diègue.

Le Roi, quand il en fait, le mesure au courage.

Le comte.

Et par là cet honneur n’était dû qu’à mon bras.

D. Diègue.

Qui n’a pu l’obtenir ne le méritait pas.

Le comte.

Ne le méritait pas ! Moi ?

D. Diègue.

Vous.

Le comte.

Ton impudence,
Téméraire vieillard, aura sa récompense1
(Il lui donne un soufflet.)

D. Diègue, mettant l’épée à la main.

Achève, et prends ma vie après un tel affront,
Le premier dont ma race ait vu rougir son front1.

Le comte.

Et que penses-tu faire avec tant de faiblesse ?

D. Diègue.

O Dieu ! ma force usée en ce besoin me laisse !

Le comte.

Ton épée est à moi ; mais tu serais trop vain,
Si ce honteux trophée avait chargé ma main.
Adieu ! Fais lire au prince, en dépit de l’envie,
Pour son instruction l’histoire de ta vie :
D’un insolent discours ce juste châtiment
Ne lui servira pas d’un petit ornement.
(Le Cid, acte Ier, scène iii.)

Plaintes de don diègue

O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie2 !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu’avec respect toute l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé son empire,
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
O cruel souvenir de ma gloire passée !
Œuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle dignité, fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d’où tombe mon honneur !
Faut-il de votre éclat voir triompher le comte,
Et mourir sans vengeance, ou vivre dans la honte ?
Comte, sois de mon prince à présent gouverneur ;
Ce haut rang n’admet point un homme sans honneur,
Et ton jaloux orgueil, par cet affront insigne,
Malgré le choix du Roi, m’en a su rendre indigne.
Et toi, de mes exploits glorieux instrument,
Mais d’un corps tout de glace inutile ornement,
Fer jadis tant à craindre et qui, dans cette offense,
M’as servi de parade, et non pas de défense,
Va, quitte désormais le dernier des humains ;
Passe, pour me venger, en de meilleurs mains.
(Scène iv.)

Don Diègue fait appel à l’épée de son fils

D. Diègue.

Rodrigue, as-tu du cœur1 ?

Rodrigue.

Tout autre que mon père
L’éprouverait sur l’heure.

D. Diègue.

Agréable colère !
Digne ressentiment à ma douleur bien doux !
Je reconnais mon sang à ce noble courroux ;
Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte.
Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte,
Viens me venger.

D. rodrigue

De quoi ?

D. Diègue.

D’un affront si cruel,
Qu’à l’honneur de tous deux il porte un coup mortel ;
D’un soufflet. L’insolent en eût perdu la vie ;
Mais mon âge a trompé ma généreuse envie ;
Et ce fer, que mon bras ne peut plus soutenir,
Je le remets au tien pour venger et punir1
Va contre un arrogant éprouver ton courage :
Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel outrage ;
Meurs ou tue2. Au surplus, pour ne te point flatter,
Je te donne à combattre un homme à redouter ;
Je l’ai vu, tout couvert de sang et de poussière,
Porter partout l’effroi dans une armée entière.
J’ai vu, par sa valeur, cent escadrons rompus,
Et, pour t’en dire encor quelque chose de plus,
Plus que brave soldat, plus que grand capitaine,
C’est…

D.rodrigue.

De grâce, achevez.

D. Diègue.

Le père de Chimène.

D. rodrigue.

Le… ?

D. Diègue.

Ne réplique point, je connais ton amour ;
Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour ;
Plus l’offenseur3 est cher, et plus grande est l’offense.
Enfin, tu sais l’affront, et tu tiens la vengeance :
Je ne te dis plus rien. Venge-moi, venge-toi.
Montre-toi digne fils d’un père tel que moi.
Accablé des malheurs où le destin me range,
Je vais les déplorer. Va, cours, vole, et nous venge.
(Scène.v.)

Don Diègue defend son fils

D. Diègue.

Qu’on est digne d’envie
Lorsqu’on perdant la force on perd aussi la vie !
Et qu’un long âge apprête aux hommes généreux,
Au bout de leur carrière, un destin malheureux1 !
Moi, dont les longs travaux ont acquis tant de gloire,
Moi, que jadis partout a suivi la victoire2,
Je me vois aujourd’hui, pour avoir trop vécu,
Recevoir un affront, et demeurer vaincu.
Ce que n’a pu jamais combat, siége, embuscade,
Ce que n’a pu jamais Aragon, ni Grenade,
Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux,
Le comte, en votre cour, l’a fait presque à vos yeux3 ;
Jaloux de votre choix, et fier de l’avantage
Que lui donnait sur moi l’impuissance de l’âge.
Sire, ainsi ces cheveux blanchis sous le harnois,
Ce sang pour vous servir prodigué tant de fois,
Ce bras jadis l’effroi d’une armée ennemie,
Descendaient au tombeau tout chargés d’infamie,
Si je n’eusse produit un fils digne de moi,
Digne de son pays, et digne de son roi :
Il m’a prêté sa main, il a tué le comte ;
Il m’a rendu l’honneur, il a lavé ma honte.
Si montrer du courage et du ressentiment,
Si venger un soufflet mérite un châtiment,
Sur moi seul doit tomber l’éclat de la tempête :
Quand le bras a failli, l’on en punit la tête.
Qu’on nomme crime ou non ce qui fait nos débats,
Sire, j’en suis la tête, il n’en est que le bras1
Si Chimène se plaint qu’il a tué son père,
Il ne l’eût jamais fait, si je l’eusse pu faire.
Immolez donc ce chef que les ans vont ravir,
Et conservez pour vous le bras qui peut servir.
Aux dépens de mon sang, satisfaites Chimène2.
(Le Cid, acte II, scène viii.)

Strophes de Polyeucte 3

Source délicieuse, en misères féconde,
Que voulez-vous de moi4, flatteuses voluptés ?
Honteux attachements de la chair et du monde,
Que ne me quittez-vous, quand je vous ai quittés ?
Allez, honneurs, plaisirs, qui me livrez, la guerre :
  Toute votre félicité,
  Sujette à l’instabilité,
  En moins de rien tombe par terre ;
  Et comme elle a l’éclat du verre5,
  Elle en a la fragilité.
Aussi n’espérez pas qu’après vous je soupire.
Vous étalez en vain vos charmes impuissants ;
Vous me montrez en vain par tout ce vaste empire
Les ennemis de Dieu pompeux et florissants.
Il étale1 à son tour des revers équitables
  Par qui les grands sont confondus ;
  Et les glaives qu’il tient pendus2
  Sur les plus fortunés coupables
  Sont d’autant plus inévitables
  Que leurs coups sont moins attendus.
Tigre altéré de sang, Décie impitoyable,
Ce Dieu t’a trop longtemps abandonné les siens ;
De ton heureux destin vois la suite effroyable3
Le Scythe va venger la Perse et les chrétiens.
Encore un peu plus outre4, et ton heure est venue ;
  Rien ne t’en saurait garantir ;
  Et la foudre qui va patir,
  Toute prête à crever la nue,
  Ne peut plus être retenue
  Par l’attente du repentir.
Que cependant Félix5 m’immole à ta colère ;
Qu’un rival plus puissant éblouisse ses yeux6 ;
Qu’aux dépens de ma vie il s’en fasse beau-père,
Et qu’à titre d’esclave il commande en ces lieux :
Je consens, ou plutôt j’aspire à ma ruine.
  Monde, pour moi tu n’as plus rien :
  Je porte en un cœur tout chrétien
  Une flamme toute divine,
  Et je ne regarde Pauline7
  Que comme un obstacle à mon bien.
Saintes douceurs du ciel, adorables idées1,
Vous remplissez un cœur qui vous peut recevoir ;
De vos sacrés attraits les âmes possédées
Ne conçoivent plus rien qui les puisse émouvoir.
Vous promettez beaucoup, et donnez davantage :
  Vos biens ne sont point inconstants,
  Et l’heureux trépas que j’attends
  Ne vous sert que d’un doux passage,
  Pour nous introduire au partage
  Qui nous rend à jamais contents.
(Polyeucte, acte IV, scène ii.)

Polyeucte et Pauline 2

Polyeucte.

Madame, quel dessein vous fait me demander3 ?
Est-ce pour me combattre, ou pour me seconder ?
Cet effort généreux de votre amour parfaite
Vient-il à mon secours, vient-il à ma défaite ?
Apportez-vous ici la haine, ou l’amitié,
Comme mon ennemie, ou ma chère moitié ?

Pauline.

Vous n’avez point ici d’ennemi que vous-même4 :
Seul vous vous haïssez, lorsque chacun vous aime ;
Seul vous exécutez tout ce que j’ai rêvé.
Ne veuillez pas vous perdre, et vous êtes sauvé.
A quelque extrémité que votre crime passe,
Vous êtes innocent si vous vous faites grâce.
Daignez considérer le sang dont vous sortez1,
Vos grandes actions, vos rares qualités ;
Chéri de tout le peuple, estimé chez le prince,
Gendre du gouverneur de toute la province,
Je ne vous compte à rien le nom de mon époux2 :
C’est un bonheur pour moi qui n’est pas grand pour vous ;
Mais après vos exploits, après votre naissance,
Après votre pouvoir, voyez notre espérance3,
Et n’abandonnez pas à la main d’un bourreau
Ce qu’à nos justes vœux promet un sort si beau.

Polyeucte.

Je considère plus ; je sais mes avantages,
Et l’espoir que sur eux forment les grands courages4.
Ils n’aspirent enfin qu’à des biens passagers,
Que troublent les soucis, que suivent les dangers ;
La mort nous les ravit, la fortune s’en joue5
Aujourd’hui dans le trône et demain dans la boue ;
Et leur plus haut éclat fait tant de mécontents,
Que peu de vos Césars en ont joui longtemps.
J’ai de l’ambition, mais plus noble et plus belle :
Cette grandeur périt, j’en veux une immortelle,
Un bonheur assuré, sans mesure et sans fin,
Au-dessus de l’envie, au-dessus du destin.
Est-ce trop l’acheter que d’une triste vie,
Qui tantôt, qui soudain me peut être ravie ;
Qui ne me fait jouir que d’un instant qui fuit,
Et ne peut m’assurer de celui qui le suit ?

Pauline.

Voilà de vos chrétiens les ridicules songes ;
Voilà jusqu’à quel point vous charment leurs mensonges ;
Tout votre sang est peu pour un bonheur si doux !
Mais, pour en disposer, ce sang est-il à vous1 ?
Vous n’avez pas la vie ainsi qu’un héritage ;
Le jour qui vous la donne en même temps l’engage :
Vous la devez au prince, au public, à l’État.

Polyeucte.

Je la voudrais pour eux perdre dans un combat ;
Je sais quel en est l’heur, et quelle en est la gloire :
Des aïeux de Décie on vante la mémoire ;
Et ce nom, précieux encore à vos Romains,
Au bout de six cent ans lui met l’empire aux mains.
Je dois ma vie au peuple, au prince, à sa couronne ;
Mais, je la dois bien plus au Dieu qui me la donne :
Si mourir pour son prince est un illustre sort,
Quand on meurt pour son Dieu, quelle sera la mort2 ?

Pauline.

Quel Dieu ?

Polyeucte.

Tout beau3, Pauline : il entend vos paroles4
Et ce n’est pas un Dieu comme vos dieux frivoles,
Insensibles et sourds, impuissants, mutilés,
De bois, de marbre, ou d’or5, comme vous les voulez :
C’est le Dieu des chrétiens, c’est le mien, c’est le vôtre ;
Et la terre et le ciel n’en connaissent point d’autre.

Pauline.

Adorez-le dans l’âme, et n’en témoignez rien1.

Polyeucte.

Que je sois tout ensemble idolâtre et chrétien !

Pauline.

Ne feignez qu’un moment : laissez partir Sévère,
Et donnez lieu d’agir aux bontés de mon père.

Polyeucte.

Les bontés de mon Dieu sont bien plus à chérir :
Il m’ôte des périls que j’aurais pu courir,
Et, sans me laisser lieu de tourner en arrière,
Sa faveur me couronne entrant dans la carrière ;
Du premier coup de vent il me conduit au port2,
Et, sortant du baptême, il m’envoie à la mort.
Si vous pouviez comprendre et le peu qu’est la vie,
Et de quelles douceurs cette mort est suivie… !
Mais que sert3 de parler de ces trésors cachés
A des esprits que Dieu n’a pas encor touchés ?

Pauline.

Cruel ! car il est temps que ma douleur éclate4,
Et qu’un juste reproche accable une âme ingrate ;
Est-ce là ce beau feu ? Sont-ce là tes serments ?
Témoignes-tu pour moi les moindres sentiments ?
Je ne te parlais point de l’état déplorable
Où ta mort va laisser ta femme inconsolable ;
Je croyais que l’amour t’en parlerait assez,
Et je ne voulais pas de sentiments forcés ;
Mais cette amour si ferme et si bien méritée
Que tu m’avais promise, et que je t’ai portée1,
Quand tu me veux quitter, quand tu me fais mourir,
Te peut-elle arracher une larme, un soupir ?
Tu me quittes, ingrat, et le fais avec joie ;
Tu ne la caches pas, tu veux que je ma voie2 ;
Et ton cœur, insensible à ces tristes appas,
Se figure un bonheur où je ne serai pas !
C’est donc là le dégoût qu’apporte l’hyménée ?
Je te suis odieuse après m’être donnée !

Polyeucte.

Héla3

Pauline.

Que cet hélas a de peine à sortir !
Encor s’il commençait un heureux repentir,
Que, tout forcé qu’il est, j’y trouverais de charmes !
Mais courage, il s’émeut, je vois couler des larmes4.

Polyeucte.

J’en verse5, et plût à Dieu qu’à force d’en verser,
Ce cœur trop endurci se pût enfin percer !
Le déplorable état où je vous abandonne
Est bien digne des pleurs que mon amour vous donne ;
Et si l’on peut au ciel sentir quelques douleurs,J’y pleurerai pour vous l’excès de vos malheurs ;
Mais si, dans ce séjour de gloire et de lumière,
Ce Dieu tout juste et bon peut souffrir ma prière,
S’il y daigne écouter un conjugal amour,
Sur votre aveuglement il répandra le jour.
Seigneur, de vos bontés il faut que je l’obtienne6 ;
Elle a trop de vertus pour n’être pas chrétienne ;
Avec trop de mérite il vous plut la former,
Pour ne vous pas connaître et ne vous pas aimer,
Pour vivre des enfers esclave infortunée,
Et sous leur triste joug mourir comme elle est née.

Pauline.

Que dis-tu, malheureux ? qu’oses-tu souhaiter ?

Polyeucte.

Ce que de tout mon sang je voudrais acheter

Pauline.

Que plutôt !…

Polyeucte.

C’est en vain qu’on se met en défense :
Ce Dieu touche1 les cœurs lorsque moins on y pense.
Ce bien heureux moment n’est pas encor venu ;
Il viendra2 ; mais le temps ne m’en est pas connu.

Pauline.

Quittez cette chimère, et m’aimez.

Polyeucte.

Je vous aime,
Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même3.
pauline.
Au nom de cet amour, ne m’abandonnez pas.

Polyeucte.

Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas4.

Pauline.

C’est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?

Polyeucte.

C’est peu d’aller au ciel, je vous y veux conduire.

Pauline.

Imaginations !

Polyeucte.

Célestes vérités !

Pauline.

Étrange aveuglement !

palyeucte.

Éternelles clartés !

Pauline.

Tu préfèrés la mort à l’amour de Pauline !

Polyeucte.

Vous préfèrez le monde à la bonté divine !

Pauline.

Va, cruel, va mourir ; tu ne m’aimas jamais.

Polyeucte.

Vivez heureuse au monde, et me laissez en paix1.

Pauline.

Oui, je t’y vais laisser ; ne t’en mets plus en peine ;
Je vais…
(Acte IV, scène iii.)

Polyeucte avant le matyre

FÉLIX, POLYEUCTE, PAULINE, ALBIN.

Pauline.

Qui de vous deux aujourd’hui m’assassine ?
Sont-ce tous deux ensemble, ou chacun à son tour ?
Ne pourrai-je fléchir la nature ou l’amour ?
Et n’obtiendrai-je rien d’un époux ni d’un père ?

Félix.

Parlez à votre époux2.

polyeucte.

Vivez avec Sévère1.

Pauline.

Tigre, assassine-moi du moins sans m’outrager.

Palyeucte.

Mon amour, par pitié2, cherche à vous soulager ;
Il voit quelle douleur dans l’âme vous possède,
Et sait qu’un autre amour en est le seul remède3.
Puisqu’un si grand mérite a pu vous enflammer,
Sa présence toujours a droit de vous charmer :
Vous l’aimiez, il vous aime, et sa gloire augmentée…

Pauline.

Que t’ai-je fait, cruel, pour être ainsi traitée4,
Et pour me reprocher, au mépris de ma foi,
Un amour si puissant5 que j’ai vaincu pour toi ?
Vois, pour te faire vaincre un si fort adversaire,
Quels efforts à moi-même il a fallu me faire ;
Quels combats j’ai donnés pour te donner un cœur
Si justement acquis à son premier vainqueur6 :
Et si l’ingratitude en ton cœur ne domine,
Fais quelque effort sur toi pour te rendre à Pauline7 Apprends d’elle à forcer ton propre sentiment ;
Prends sa vertu pour guide en ton aveuglement ;
Souffre que de toi-même elle obtienne ta vie,
Pour vivre sous tes lois à jamais asservie8.
Si tu peux rejeter de si justes désirs,
Régarde au moins ses pleurs, écoute ses soupirs ;
Ne désespère pas une âme qui t’adore9

polyeucte.

Je vous l’ai déjà dit, et vous le dis encore,
Vivez avec Sévère, ou mourez avec moi.
Je ne méprise point vos pleurs, ni votre foi ;
Mais, de quoi que pour vous notre amour m’entretienne,
Je ne vous connais plus, si vous n’êtes chrétienne1
  C’en est assez : Félix, reprenez ce courroux,
Et sur cet insolent2vengez vos dieux et vous.

Pauline.

Ah ! mon père3, son crime à peine est pardonnable ;
Mais s’il est insensé, vous êtes raisonnable :
La nature est trop forte, et ses aimables traits
Imprimés dans le sang ne s’effacent jamais ;
Un père est toujours père, et sur cette assurance
J’ose appuyer encore un reste d’espérance.
Jetez sur votre fille un regard paternel :
Ma mort suivra la mort de ce cher criminel ;
Et les dieux trouveront sa peine illégitime,
Puisqu’elle confondra l’innocence et le crime,
Et qu’elle changera, parce redoublement4,
En injuste rigueur un juste châtiment :
Nos destins, par vos mains5, rendus inséparables,
Nous doivent rendre heureux ensemble, ou misérables ;
Et vous seriez cruel jusques au dernier point,
Si vous désunissiez ce que vous avez joint.
Un cœur à l’autre uni jamais ne se retire ;
Et pour l’en sépareril faut qu’on le déchire6
Mais vous êtes sensible à mes justes douleurs,
Et d’un œil paternel vous regardez mes pleurs.

Félix.

Oui, ma fille, il est vrai qu’un père est toujours père7 :
Rien n’en peut effacer le sacré caractère ;
Je porte un cœur sensible, et vous l’avez percé.
Je me joins avec vous contre cet insensé.
  Malheureux Polyeucte, es-tu seul insensible,
Et veux-tu rendre seul ton crime irrémissible ?
Peux-tu voir tant de pleurs d’un œil si détaché ?
Peux-tu voir tant d’amour sans en être touché ?
Ne reconnais-tu plus ni beau-père, ni femme,
Sans amitié pour l’un, et pour l’autre sans flamme ?
Pour reprendre les noms et de gendre et d’époux,
Veux-tu nous voir tous deux embrasser tes genoux1 ?

Polyeucte.

Que tout cet artifice est de mauvaise grâce !
Après avoir deux fois essayé la menace,
Après m’avoir fait voir Néarque2 dans la mort,
Après avoir tenté l’amour et son effort,
Après m’avoir montré cette soif du baptême,
Pour opposer à Dieu l’intérêt de Dieu même,
Vous vous joignez ensemble ! ah ! ruses de l’enfer3 !
Faut-il tant de fois vaincre avant que triompher !
Vos résolutions usent trop de remise ;
Prenez la vôtre enfin, puisque la mienne est prise.
  Je n’adore qu’un Dieu, maître de l’univers4
Sous qui tremblent le ciel, la terre et les enfers ;
Un Dieu qui, nous aimant d’une amour infinie,
Voulut mourir pour nous avec ignominie.
Et qui, par un effort de cet excès d’amour,
Veut pour nous en victime être offert chaque jour.
Mais j’ai tort d’en parler à qui ne peut m’entendre5.
Voyez l’aveugle erreur que vous osez défendre :
Des crimes les plus noirs vous souillez tous vos dieux,
Vous n’en punissez point qui n’ait son maître aux cieux ;
La prostitution, l’adultère, l’incestee,
Le vol, l’assassinat, et tout ce qu’on déteste,
C’est l’exemple qu’à suivre offrent vos immortels.
J’ai profané leur temple, et brisé leurs autels ;
Je le ferais1 encor, si j’avais à le faire,
Même aux yeux de Félix, même aux yeux de Sévère, Même aux yeux du sénat, aux yeux de l’empereur.

Félix.

Enfin ma bonté cède à ma juste fureur :
Adore-les, ou meurs.

Polyeucte.

Je suis chrétien2

Félix.

Impie !
Adore-les, te dis-je, ou renonce à la vie.

Polyeucte.

Je suis chrétien5.

Félix.

Tu l’es ? O cœur trop obstiné !
Soldats, exécutez l’ordre que j’ai donné.

Pauline.

Où le conduisez-vous ?

Félix.

A la mort.

polyeucte.

A la gloire.
Chère Pauline1, adieu ; conservez ma mémoire.

Pauline.

Je te suivrai partout, et mourrai si tu meurs.

Polyeucte.

Ne suivez point mes pas, ou quittez vos erreurs.

Félix.

Qu’on l’ôte de mes yeux, et que l’on m’obéisse.
Puisqu’il aime à périr, je consens qu’il périsse.
(Acte V, scène iii.)

À une dame 2

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Aimé à faire cet affront :
Il saura faner vos roses,
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On me vit, ce que vous êtes,
Vous serez ce que je suis.
Cependant j’ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants,
Pour n’avoir pas trop d’alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu’on adore,
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Chez cette race nouvelle
Où j’aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit1

Corneille se juge lui-même 2

La fausse humilité ne met plus en crédit ;
Je sais ce que je vaux, et crois ce qu’on m’en dit ;
Pour me faire admirer, je ne fais point de ligue,
J’ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue ;
Et mon ambition, pour faire plus de bruit,
Ne les va point quêter de réduit en réduit1 ;
Mon travail sans appui monte sur le théâtre,
Chacun en liberté l’y blâme ou l’idolâtre ;
Là, sans que mes amis prêchent leurs sentiments,
J’arrache quelquefois leurs applaudissements ;
Là, content du succès que le mérite donne,
Par d’illustres amis je n’éblouis personne.
Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,
Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans ;
Par leur seule beauté ma plume est estimée ;
Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée,
Et pense toutefois n’avoir point de rival
A qui je fasse tort en le traitant d’égal.