De la Poétique
1. Qu’est-ce que la Poétique ?
La Poétique ou l’Art poétique est un traité de l’art de la poésie. On donne ce nom à la collection des règles, à l’ensemble des préceptes relatifs à la poésie, à sa nature, aux qualités qu’elle exige du poète, à sa forme, ainsi qu’aux caractères, aux tons distincts des différents genres qu’elle renferme. L’art poétique est la théorie de la poésie, comme la rhétorique est la théorie de l’éloquence : il sert à diriger le poète dans ses ouvrages, et fournit aux critiques les moyens d’apprécier les diverses compositions poétiques.
2. La poésie a-t-elle précédé la poétique ?
Dans tous les arts, les modèles ont devancé les préceptes. Les hommes de génie ont considéré la nature et l’ont embellie en l’imitant ; puis des esprits observateurs ont analysé ces productions, et après avoir découvert le secret de leurs beautés, ont fait part aux autres hommes du résultat de leurs investigations, et leur ont indiqué la voie qu’ils devaient suivre. Ainsi, de même que l’éloquence a précédé la rhétorique qui en fait connaître les règles, de même la poésie a précédé la poétique, qui n’est autre chose qu’un recueil d’observations basées sur les compositions poétiques les plus célèbres. Homère avait été sublime longtemps avant que Longin eût essayé de définir le sublime ; et les chefs-d’œuvre d’Euripide et de Sophocle avaient vu le jour lorsque Aristote traçait les règles de la tragédie.
3. Quelles sont les poétiques les plus célèbres ?
Les quatre poétiques les plus célèbres sont celles d’Aristote, d’Horace, de Vida et de Boileau. Nous dirons un mot de chacun de ces ouvrages.
Aristote. La plus ancienne poétique connue est celle d’Aristote, célèbre philosophe, né à Stagyre, en Thrace, l’an 384 avant J.-C., et mort en 322. Ce vaste génie, qui embrassa toutes les sciences, et qui fit toujours preuve d’une incontestable supériorité, a laissé un art poétique, en prose, dont une partie est perdue. Dans les vingt-cinq chapitres qui nous restent, l’auteur recherche les causes originelles de la poésie, qu’il croit trouver dans notre penchant pour l’imitation, et dans notre goût pour le rythme ; puis il trace en détail les règles de la tragédie. Il dit peu de chose de la comédie et de l’épopée, parce qu’il se réservait d’en parler plus longuement dans la partie de son ouvrage qui a disparu.
Horace. Horace, célèbre poète latin, né à Venouse, l’an de Rome 689, entreprit aussi de tracer les règles de la poésie ; mais son Art poétique n’est, & proprement parler, qu’une longue lettre versifiée qu’il adressa aux Pisons sous ce titre : Epistola ad Pisones. La dénomination pompeuse d’Art poétique, qui lui fut donnée plus tard par Quintilien, a été ratifiée par l’usage. Dans cet ouvrage, Horace ne s’asservit à aucune méthode, s’exprime avec familiarité et abandon, et se contente de donner à ses préceptes de la chaleur et de l’agrément et d’inspirer partout le goût du simple, du beau et du naturel. On y trouve principalement les règles du genre dramatique chez les Romains.
Vida. Longtemps après parut une autre Poétique latine, qui eut pour auteur un contemporain de Léon X, Vida, évêque d’Albe, né à Crémone, en 1470, et mort en 1566. Vida est un des poètes modernes qui ont le plus approché de la versification de Virgile. Admirateur enthousiaste du prince des poètes latins, il ne pense qu’avec ses expressions, il imite toutes ses formes, et quelquefois, dans ses beaux moments, il réunit son génie heureux à la brillante fécondité d’Ovide. Son Art poétique est divisé en trois chants. Il a été mis, dans quelques pays, au nombre des livres classiques. Une imagination riante, un style léger et facile rendent ce poème très agréable. On y trouve des préceptes utiles et des détails pleins de justesse et de goût sur les études du poète, sur son travail, sur les modèles qu’il doit suivre. Ce que l’auteur dit de l’élocution poétique est rendu avec autant de force que d’élégance.
Boileau. Enfin, Boileau-Despréaux, né à Paris, en 1636, et mort dans la même ville en 1711, a fait un Art poétique en quatre chants. Ce poème, écrit avec une haute raison et le plus harmonieux langage, a valu à son auteur le titre de législateur du Parnasse français, et passe communément pour son chef-d’œuvre. Trois choses surtout concourent à donner une valeur considérable à la poétique de Boileau : la difficulté de l’entreprise, la beauté des vers et l’utilité de l’ouvrage. De plus, ce poème offre une ordonnance bien plus parfaite que l’épître d’Horace, et présente les règles de la poésie d’une manière plus complète et plus détaillée. Dans le premier chant et dans le quatrième, Boileau donne les règles générales de la poésie : qualités du style, versification, nécessité de corriger son travail et de consulter des critiques éclairés. Une courte digression renferme l’histoire de la poésie française depuis Villon jusqu’à Malherbe. — Le second chant traite du genre pastoral, de l’élégie, de l’ode, du sonnet, de l’épigramme et de quelques autres poésies fugitives, et de la satire. — Dans le troisième chant, le poète expose en détail les règles relatives à la tragédie, à l’épopée et à la comédie. — Boileau est beaucoup plus complet que ses prédécesseurs ; cependant, il n’a parlé ni de la fable, ni de l’opéra, ni de la poésie didactique ; et cette regrettable lacune n’a pu être comblée jusqu’à ce jour, malgré les tentatives de quelques auteurs.
4. Comment peut-on diviser la poétique ?
Les grandes divisions d’une poétique complète, qui nous seront fournies, ainsi que les divisions secondaires, par la définition qui est en tête de cet ouvrage, peuvent se réduire à deux : la première comprendra ce qui concerne la poésie considérée d’une manière générale, c’est-à-dire, sa nature, sa forme, et les qualités qu’elle exige du poète ; et la seconde renfermera ce qui regarde la poésie considérée en particulier ou les différents genres qu’elle renferme, genres principaux ou grands genres, et genres secondaires. Par conséquent, ce traité se divisera en deux parties : dans la première, nous parlerons de la poésie en général ; dans la seconde, nous ferons connaître les règles particulières applicables aux différents genres de poésie.