(1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — Première partie. Règles générales du style. — Chapitre II. Des qualités du style » pp. 79-118
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(1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — Première partie. Règles générales du style. — Chapitre II. Des qualités du style » pp. 79-118

Chapitre II.

Des qualités du style

111. Combien le style a-t-il d’espèces de qualités ?

Nous venons d’étudier le style dans ses éléments, c’est-à-dire dans les pensées, les sentiments, les images et les mots soit isolés, soit réunis de manière à former des phrases. Avant de considérer les ornements du style, et de clore par là notre étude sur les règles générales de l’art d’écrire, nous examinerons les différentes qualités qui lui sont assignées par les rhéteurs.

Le style a deux espèces de qualités : les qualités générales et les qualités particulières. On appelle qualités générales celles qui sont invariables et essentielles, et qui conviennent par conséquent à toute espèce de composition. Les qualités particulières varient selon la nature de l’ouvrage ou la différence du genre. Nous examinerons ces deux espèces de qualités dans les deux articles suivants, et nous nous efforcerons en même temps de prémunir les jeunes littérateurs contre les défauts opposés.

Article Ier

Des qualités générales du style

112. Quelles sont les qualités générales ou essentielles du style ?

Les qualités générales du style peuvent se réduire à six, savoir : la pureté, la clarté, le naturel, la dignité, la convenance et l’harmonie. C’est à l’examen de ces qualités que nous allons consacrer les paragraphes suivants.

§ I. De la pureté du style.

113. Qu’est-ce que la pureté du style ?

La pureté, considérée comme qualité générale du style, consiste à écrire correctement, c’est-à-dire à n’employer que des termes, des tours et des constructions conformes aux règles de la langue dont on se sert. Cette qualité s’acquiert par la lecture des bons auteurs, et par l’étude approfondie de la langue. Boileau en proclame l’importance dans ces vers déjà cités : Surtout qu’en vos écrits la langue révérée…

114. Quels sont les défauts opposés à la pureté du style ?

Les principaux défauts opposés à la pureté du style sont : les barbarismes de mots et de phrases, les équivoques, les solécismes, le néologisme et le purisme. Nous avons parlé assez longuement ailleurs des trois premiers ; nous dirons quelques mots des deux autres.

115. En quoi consiste le néologisme ?

Le néologisme consiste à employer sans besoin et sans goût des termes nouveaux, à se servir de tours de phrase recherchés, et à unir d’une manière bizarre plusieurs mots qui ne peuvent aller ensemble. Ainsi les mots unitarisme, positivisme, pivoter, etc., sont des néologismes de mots. Voici comment V. Hugo peint un bon écrivain :

Ses idées sont faites de cette substance particulière qui se prête, souple et molle, à toutes les ciselures de l’expression, qui s’insinue, bouillante et liquide, dans tous les recoins du moule où l’écrivain la verse, et se fige ensuite, lave d’abord, granit après.

Lamotte a dit que les grandes réputations sont presque toujours posthumes. Mais, si on dit bien qu’un ouvrage est posthume, lorsqu’il a été publié après la mort de son auteur, on ne peut dire qu’une réputation est posthume, parce qu’un auteur ne peut acquérir une réputation après sa mort.

Il est permis aujourd’hui de se servir des expressions suivantes : Être fort de ses intentions, s’élever à la hauteur des principes, utiliser ou signaler une découverte, etc.

116. Qu’est-ce que l’archaïsme ?

L’archaïsme, qui est le contraire du néologisme, est une tournure de phrase ou une expression vieillie et surannée qu’on emploie par affectation ou par négligence, comme envier quelqu’un pour porter envie à quelqu’un, un chacun pour chacun.

En général, on doit se garder des archaïsmes, mais cela ne doit pas aller jusqu’à la crainte de réintégrer dans la langue quelques mots heureux, utiles, qui n’en auraient pas dû sortir. L’archaïsme s’accommode mieux avec la fable et les autres genres simples qu’avec les genres élevés qui s’éloignent trop de cet aimable abandon, de cette fine délicatesse, de cette naïveté gracieuse de nos anciens écrivains, comme Froissart, Charles d’Orléans, Villon, Marot, saint François de Sales, etc.

Ce que nous venons de dire de l’archaïsme peut s’appliquer aux mots nouveaux. Si le néologisme est interdit, il ne peut être défendu de renouveler les mots, de rajeunir le style et d’enrichir la langue. Mais, pour qu’on puisse le faire légitimement, il faut que les nouvelles expressions soient nécessaires, agréables et intelligibles ; que les tours soient justes, et que les alliances de mots, fondées sur la véritable signification de ces mots, soient nécessitées par le besoin réel d’exprimer une belle pensée qui, sans cela, ne serait pas bien entendue.

117. Qu’est-ce que le purisme ?

Le purisme est une affectation pédantesque à rechercher la pureté du style, qui se tient invariablement attachée à toutes les règles de la grammaire, et qui condamne impitoyablement toute innovation dans les tournures et dans les expressions. Voici ce que disent des puristes La Bruyère et Lainet :

Ces sortes de gens ont une fade attention à ce qu’ils disent, et l’on souffre avec eux, dans la conversation, de tout le travail de leur esprit ; ils sont comme pétris de phrases et de petits tours d’expression ; ils ne hasardent point le moindre mot quand il devrait faire le plus bel effet du monde : rien d’heureux ne leur échappe ; rien chez eux ne coule de source et avec liberté ; ils parlent proprement et ennuyeusement.

La Bruyère.
Je sens que je deviens puriste ;
Je plante au cordeau chaque mot,
Je suis les Dangeaux à la piste,
Je pourrais bien n’être qu’un sot.
Lainet.

§ II. — De la clarté.

118. Qu’est-ce que la clarté du style ?

La clarté du style est, d’après Quintilien, cette qualité qui fait saisir sur-le-champ et sans effort la pensée exprimée par la parole. La clarté de l’expression doit être telle que l’idée frappe l’esprit, comme la lumière du soleil frappe les yeux. Elle résulte de la propriété et de l’arrangement naturel des mots, de la régularité des constructions, et surtout de la justesse, de la lucidité et de l’enchaînement des pensées.

119. Quelle est l’importance de la clarté du style ?

La clarté est tellement essentielle dans tous les genres de compositions, qu’aucun autre mérite ne peut en compenser l’absence.

Dans la langue parlée et dans la langue écrite
La clarté du discours est le premier mérite.
Fr. de Neufchâteau.

En effet, un écrivain ne pense, ne parle que pour les autres. Son premier devoir est donc de parler de manière à se faire entendre. Et ce n’est pas assez que l’on puisse vous comprendre, dit Quintilien, il faut faire en sorte qu’il soit impossible de ne pas vous comprendre. Sans la clarté, les plus riches ornements du style ne jettent qu’une pâle lueur au sein de l’obscurité, et fatiguent le lecteur sans lui plaire.

120. Quels sont les défauts opposés à la clarté ? — Obscurité de l’expression.

L’obscurité, qui fait qu’on ne saisit que difficilement la pensée exprimée par la parole, est le plus grand vice du discours. Ce défaut vient de l’expression ou de la pensée.

L’obscurité vient de l’expression, quand on arrange mal les mots, ou qu’on emploie des termes équivoques.

Dans cette phrase : L’orateur arrive à sa fin qui est de persuader, d’une manière toute particulière  ; ces derniers mots sont mal placés, et par là deviennent susceptibles de divers rapports. La phrase serait nette et sans la moindre obscurité, si elle était construite ainsi : L’orateur arrive, d’une manière toute particulière, à sa fin qui est de persuader. L’abbé d’Olivet a fait remarquer avec raison le défaut de clarté du vers suivant de Racine. Andromaque dit à Pyrrhus :

Sans espoir de pardon, m’avez-vous condamnée ?

Cette phrase est louche, parce que sans espoir de pardon regarde Andromaque, et m’avez-vous condamnée, regarde Pyrrhus. Il fallait : Sans espoir de pardon me vois-je condamnée ? afin que la phrase entière tombât sur Andromaque ; ou bien : M’avez-vous condamnée sans me laisser aucun espoir de pardon ? afin qu’elle ne tombât que sur Pyrrhus.

Ce qui rend le plus souvent le style obscur dans l’expression, c’est le mauvais emploi ou l’équivoque des pronoms. Un auteur a dit : Hypéride a imité Démosthènes en ce qu’il a de beau. On ne voit pas auquel des deux orateurs se rapporte le dernier membre de la phrase. Si c’est à Hypéride, il faudrait dire : Hypéride, en ce qu’il a de beau, a imité Démosthènes. Si c’est à Démosthènes, il faudrait au contraire : Hypéride a imité Démosthènes, en ce que celui-ci a de beau.

La phrase suivante est obscure par suite de la construction ou inversion forcée :

Au temple suspendues, le feu du sanctuaire éclairait les armes du guerrier.

Les périphrases recherchées, les parenthèses multipliées, les phrases trop longues, et la trop grande concision, contribuent aussi à rendre le style obscur.

121. D’où vient l’obscurité de la pensée ?

L’obscurité de la pensée vient de l’obscurité de l’esprit de l’écrivain.

Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées.

Tandis que

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Ce défaut s’appelle galimatias. Le galimatias est une suite d’idées qui n’ont aucun sens raisonnable, et auxquelles on ne comprend rien. Racine est tombé dans ce défaut, quand il a fait dire à Mithridate qu’il n’est point de rois

Qui, sur le trône assis, n’enviassent peut-être
Au-dessus de leur gloire un naufrage élevé,
Que Rome et quarante ans ont à peine achevé.

On ne saurait comprendre ce que c’est qu’un naufrage élevé au-dessus de la gloire des rois, et encore moins ce que veut dire achever un naufrage.

Diderot est aussi inintelligible, dans sa définition de la naïveté :

On est, dit-il, naïvement héros, naïvement scélérat, naïvement beau, naïvement dévot, naïvement orateur, naïvement philosophe ; sans naïveté point de beauté : on est un arbre, une plante, un animal naïvement. La naïveté est une grande ressemblance de l’imitation avec la chose ; c’est de l’eau prise dans le ruisseau et jetée sur la toile.

Il est clair que ceux qui parlent ainsi ne se comprennent pas eux-mêmes. Il vaut mieux se taire que de parler pour n’être pas entendu.

Voici le sage conseil que Maynard donnait à un jeune homme qui affectait d’écrire d’une manière inintelligible :

Mon ami, chasse bien loin
Cette noire rhétorique :
Tes écrits auraient besoin
D’un devin qui les explique :
Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu’il pense,
Dis-moi qui peut t’empêcher
De te servir du silence ?

122. Dans quel cas est-il permis d’obscurcir sa pensée ?

Dans certains cas, il est permis de donner à sa pensée un jour moins éclatant, et même de l’obscurcir en quelque sorte par l’expression. C’est lorsque la clarté lui enlèverait la finesse, la délicatesse, la réserve que demandent certaines circonstances.

Antiloque, chargé d’annoncer à Achille la mort de Patrocle, le prépare d’abord à cette triste nouvelle, en lui disant : Ah ! fils du sage Pelée, quelle nouvelle allez-vous apprendre ? Arrivé au mot fatal, il se garde bien de le prononcer : Κεῖται Πάτροκλος, lui fait dire Homère ; ce qui vaut infiniment mieux que τέθνηκε Πάτροκλος. On admire avec raison ce verbe κεῖται, qui doit tout son prix à la circonstance.

Monsieur, vous avez travaillé dix ans à vous rendre inutile , disait Fontenelle au cardinal Dubois, premier ministre du jeune Louis XV. Ce trait de louange, si délicat, avait tant de finesse, que les libraires de Hollande le prirent pour une bévue de l’imprimeur de Paris, et mirent pour rendre la phrase plus intelligible, à vous rendre utile, exprimant ainsi par une banalité une pensée très spirituelle.

§ III. — Du naturel.

123. Qu’est-ce que le naturel dans le style ?

Le naturel se trouve dans le style lorsque les pensées, les images, les sentiments sont rendus avec aisance et facilité, sans recherche et sans apprêt, comme s’ils s’étaient présentés d’eux-mêmes à l’esprit, de telle sorte que le lecteur croie qu’il aurait facilement parlé ou écrit de même.

124. Citez quelques exemples de style naturel.

Outre les exemples déjà cités comme modèles de pensées et de sentiments naturels, nous mentionnerons les morceaux suivants : la jeune Captive, par André Chénier ; l’Écureuil et le Rat, par Laurent de Jussieu ; la Solitude de Fontenay, par Chaulieu, dont voici quelques strophes :

Désert, aimable solitude,
Séjour du calme et de la paix,
Asile où n’entrèrent jamais
Le tumulte et l’inquiétude.
Parmi ces bois et ces hameaux
C’est là que je commence à vivre.
Et j’empêcherai de m’y suivre
Le souvenir de tous mes maux.

125. Le naturel ne produit-il pas la facilité ?

Le naturel produit l’aisance et la facilité du style. Le style facile est celui qui paraît n’avoir coûté aucune peine, aucun effort, et que l’on semble avoir trouvé comme en se jouant. Ce qui bien souvent s’entend moins de la facilité réelle avec laquelle un ouvrage a été composé, que du résultat du travail opiniâtre par lequel l’écrivain est parvenu à effacer la trace de ses efforts. Racine savait donner de la facilité aux vers qu’il composait le plus difficilement. Le style de Quinault est plus facile que celui de Despréaux, d’après Voltaire, qui accordait le même avantage à Bossuet sur Fléchier.

Le travail ne doit pas paraître dans un ouvrage, parce que la gêne et l’effort de l’auteur ne manquent jamais d’affecter le lecteur d’une manière désagréable.

Un évêque de Lisieux ayant lu un nouvel ouvrage de Balzac, se contenta de dire : Cela est beau, mais pas assez pour la peine que cela a dû lui coûter.

126. Qu’est-ce que l’affectation du style ?

L’affectation du style, dit Bouhours, est un éloignement du naturel. Elle consiste à s’exprimer d’une manière singulière, forcée et prétentieuse. Le plus souvent elle vient de ce qu’on emploie des termes pompeux et recherchés pour dire des choses simples et communes. En voici des exemples :

Platon a dit en parlant de l’eau et du vin :

Le vin qu’on verse dans un vase est d’abord bouillant et furieux ; mais dès qu’il entre en société avec une divinité sobre qui le châtie, il devient doux et bon à boire.

Molière fait dire aux Précieuses ridicules :

Voiturez-nous les commodités de la conversation , pour dire : approchez les fauteuils. — Un nécessaire , pour un laquais. —  Le conseiller des grâces , pour un miroir. —  La petite outre d’Éole , pour un soufflet. —  Contentez l’envie que ce fauteuil a de vous embrasser , pour asseyez-vous

Lamotte a appelé une haie le suisse d’un jardin .

Nous avons cité des exemples de pensées affectées, à l’article de la clarté et de la délicatesse des pensées. De toutes ces citations nous dirons avec Molière :

Ce n’est que jeux de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est pas ainsi que parle la nature.

§ IV. — De la dignité du style.

127. Qu’est-ce que la dignité du style ?

On entend par dignité ou noblesse du style, une certaine élévation, une certaine délicatesse qui fait rejeter les pensées et les sentiments populaires et trop familiers, ainsi que les expressions basses ou triviales. Cette qualité du style convient à tous les sujets, même aux plus simples ; et Boileau fait un devoir aux écrivains de dire les petites choses avec agrément et avec noblesse :

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse ;
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.

128. Comment peut-on relever les termes qui manquent de dignité ?

Les expressions qui manquent de dignité et de noblesse, et que la poésie semble devoir rejeter, peuvent être relevées de plusieurs manières :

1° Par une habile préparation, par des rapprochements heureux.

Voici comment Bossuet a réussi à faire passer dans le récit d’un songe de la princesse Palatine, les mots poule et chien, et à les rendre dignes de la majesté de l’oraison funèbre :

Dieu, dit-il, qui fait entendre ses vérités en telles manières et sous telles figures qu’il lui plaît, continua de l’instruire, comme il a fait Joseph et Salomon ; et durant l’assoupissement que l’accablement lui causa, il lui mit dans l’esprit cette parabole si semblable à celle de l’Évangile. Elle vit paraître ce que Jésus-Christ n’a pas craint de nous donner comme l’image de sa tendresse, une poule devenue mère , empressée autour de ses petits qu’elle conduisait ; un d’eux s’étant écarté, notre malade le voit englouti par un chien avide , elle accourt, etc.

2° Par des qualificatifs convenables ou agréables et des images frappantes :

Et je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.
Ou bien sème du blé dans le même terrain
Qui n’a produit d’abord que le frêle lupin,
Ou la vesce légère, ou ces moissons bruyantes
De pois retentissants dans leurs cosses tremblantes.
Delille, Géorgiques I.

3° Par un contraste énergique et frappant. Racine, parlant de la piété de Louis XIV, relève le mot pavé, qui n’a rien que de commun et de bas par lui-même :

Tu le vois tous les jours devant toi prosterné,
Humilier ce front de splendeur couronné ;
Et, confondant l’orgueil par de justes exemples,
Baiser avec respect le pavé de tes temples.

4° Par une expression plus noble rapprochée du terme bas ou commun, ou par une allusion piquante :

Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?
Un ânier, son sceptre à la main,
Menait en empereur romain
Deux coursiers à longues oreilles.

129. Quel est le défaut opposé à la dignité du style ?

C’est la bassesse, qui consiste à présenter des pensées abjectes ou puériles, des images dégoûtantes, ou à se servir de termes communs ou ignobles, d’expressions vulgaires, triviales ou injurieuses.

Hésiode a eu tort de dire en parlant de la déesse des Ténèbres :

Une puante humeur lui coulait des narines.

On peut en dire autant de Saint-Amand lorsqu’il peint un petit enfant qui, au passage de la mer Rouge, va, saute, revient :

Et joyeux à sa mère offre un caillou qu’il tient.

De même, il est contraire à la noblesse de parler, comme l’a fait un auteur moderne, d’ équarrisseurs de chair humaine, de manufacturiers de cadavres , de fabrique de pourriture et de sang , etc.

Voici comment Amyot et Racine expriment cette pensée, que les forfaits des parents sont un triste héritage pour les enfants :

Qui sent son père ou sa mère coupable
De quelque tort ou faute reprochable,
Cela de cœur bas et lâche le rend
Combien qu’il l’eût de sa nature grand.
Mais quelque noble orgueil qu’inspire un sang si beau,
Le crime d’une mère est un pesant fardeau.

Le style d’Amyot est bas et plat ; celui de Racine, au contraire, est plein de dignité et de noblesse.

§ V. De la convenance.

130. Qu’est-ce que la convenance du style ?

La convenance est une qualité par laquelle on assortit le style aux pensées, aux sentiments que l’on exprime, ainsi qu’aux circonstances actuelles du lieu, du temps et des personnes, en un mot, au sujet que l’on traite. La convenance du style est donc l’accord exact entre la forme et le fond.

Des couleurs du sujet je teindrai mon langage,

dit Delille.

La convenance est une des qualités constitutives du style.

131. Quel est le moyen d’assortir le style au sujet ?

Le style sera assorti au sujet si l’on joint à la propriété des termes la propriété des agréments, c’est-à-dire si l’on donne au style les seuls agréments qui lui conviennent relativement au sujet. Il y a des phrases, des mots, des tours qui ont de l’éclat et de la grandeur : ceux-là sont destinés à paraître dans les genres élevés. Il y en a d’autres qui n’ont aucun appareil extraordinaire : ceux-là sont faits pour les sujets médiocres.

Tous les sujets qu’on traite appartiennent ou à la mémoire, ou à la raison, ou au sentiment, ou à l’imagination.

Dans ceux qui appartiennent à la mémoire, l’écrivain expose, raconte : il faut que son style soit uni, facile, naturel et rapide.

Dans les sujets qui appartiennent à la raison, l’écrivain se propose d’instruire : il faut que son style soit grave, méthodique, ferme et énergique.

Dans les sujets qui appartiennent au sentiment, l’écrivain veut toucher : il faut que son style soit doux, insinuant, vif, animé, pathétique.

Dans les sujets qui appartiennent à l’imagination, l’écrivain cherche à plaire : il faut que son style soit fin, gracieux, élégant, varié.

132. D’où provient la variété du style ?

La convenance produit naturellement la variété, c’est-à-dire cette qualité du style qui, par l’heureux mélange des idées et des tours, empêche l’unité de tomber dans l’uniformité et de produire l’ennui. En effet, dans un sujet quelconque, les pensées et les sentiments, n’ayant pas toujours le même degré d’élévation et de simplicité, appellent nécessairement des nuances différentes dans le style. La variété dans l’unité est un des principes du beau, et une source féconde d’intérêt :

Heureux qui dans ses vers sait d’une voix légère,
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.

133. Quel est le défaut contraire à la convenance et à la variété ?

C’est la monotonie qui consiste à mettre une uniformité constante dans l’élévation, dans le tour des phrases, dans l’usage des figures, c’est-à-dire à ne changer ni ses tournures ni ses nuances. D’Alembert disait de Racine, qu’il avait la monotonie de la perfection ; et l’on a dit que les orateurs et les poètes du siècle dernier avaient la perfection de la monotonie.

L’écrivain doit s’efforcer de varier ses locutions, ses tournures, ses périodes et ses couleurs, afin d’éviter ce défaut qui produit infailliblement l’ennui et le dégoût. Oh ! les beaux vers , disait Fontenelle en parlant de vers qui manquaient de variété, mais je ne sais pourquoi je bâille en les lisant.

Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
L’ennui naquit un jour de l’uniformité.

L’étude de la convenance nous amène tout naturellement à l’examen des qualités particulières du style et à la distinction des genres. — Nous renvoyons à l’harmonie en général ce que nous avons à dire de l’harmonie du style, comme nous l’avons déjà fait pour la phrase.

Article II.

Des qualités particulières du style ou des différents genres.

134. Combien compte-t-on généralement d’espèces de style ?

Nous venons de passer en revue les qualités générales du style, c’est-à-dire celles qui sont toujours indispensables. Il nous reste à examiner les qualités qui varient selon la nature du sujet, et qu’on appelle qualités particulières. Quoiqu’il y ait autant de styles différents qu’il y a d’écrivains, de sujets, et pour ainsi dire de pensées, cependant comme toutes les matières que l’on traite sont, ou dans un genre simple, ou dans un genre plus élevé, ou dans un genre sublime, et comme l’écrivain ou l’orateur s’y propose principalement, d’après Cicéron, ou d’instruire, probare, ou de plaire, delectare, ou de toucher, flectere, on peut dire aussi, avec tous les rhéteurs, qu’il n’y a que trois espèces générales de style : le style simple, le style tempéré ou fleuri, et le style sublime ; et trois genres de compositions littéraires : le genre simple, le genre tempéré et le genre sublime.

Dans les trois paragraphes suivants, nous étudierons les trois genres de style, et nous ferons connaître les qualités particulières que demande chaque genre.

§ I. — Du style simple.

135. Qu’est-ce que le style simple ?

Le style simple est celui dont on se sert pour exprimer sans recherche, avec pureté, facilité et sans que l’art paraisse, les pensées, les sentiments et les images.

136. Expliquez cette définition.

Ce genre n’admet ni les mots sonores, ni les tours harmonieux, ni les périodes nombreuses, ni les ornements éclatants, ni les grands mouvements de l’éloquence. Il plaît, il intéresse par la vérité des pensées, la justesse des expressions, la netteté et la précision des phrases. Il n’exclut point une certaine élégance, une fine délicatesse, un agréable enjouement ; il admet même les figures, pourvu qu’elles ne soient pas trop brillantes, qu’elles se présentent naturellement et qu’elles soient employées avec sobriété. Mais il rejette tout ce qui est recherché, tout ce qui sent le travail, l’apprêt et l’art, en un mot, tout ce qui peut jeter dans le discours une lumière trop vive et trop éclatante. Des grâces naturelles, une simplicité correcte, une aimable négligence en font tout le prix, comme on pourra en juger par les exemples suivants.

137. Citez des modèles de style simple.

Nous citerons comme modèles en ce genre, l’histoire de Joseph, dans la Bible ; les Satires et les Épîtres d’Horace ; les comédies de Térence ; les Commentaires de César ; le Vieillard et les trois Jeunes hommes, la Laitière et le Pot au lait, de La Fontaine ; le portrait du Fat, de Desmahis ; les Tisons, par le P. Ducerceau ; une Promenade au Mont-Valérien, par Bernardin de Saint-Pierre ; le Sacrifice des petits Enfants, de Berquin ; l’histoire de Denise, par Laurent de Jussieu ; et le Petit Savoyard, de Guiraud, dont voici la première strophe :

Pauvre petit, pars pour la France.
Que te sert mon amour ? Je ne possède rien.
On vit heureux ailleurs ; ici, dans la souffrance.
Pars, mon enfant : c’est pour ton bien.

138. A quels sujets convient le style simple ?

Le style simple s’emploie généralement dans les ouvrages didactiques, les récits de faits ordinaires, les entretiens familiers, les lettres, la fable, les dialogues, l’histoire, l’églogue, les rapports, les dissertations, en un mot, dans tous les sujets où l’on parle sérieusement de choses simples et communes.

139. Quels sont les qualités propres au style simple ?

Les qualités propres au style simple sont la naïveté, la finesse, la délicatesse et la concision.

I. Naïveté.

140. Qu’est-ce que la naïveté du style ?

La naïveté du style est une simplicité naturelle et ingénue, mais raisonnable et gracieuse, avec laquelle on exprime des pensées, des sentiments qui échappent sans effort et sans apprêt, et qui frappent par je ne sais quoi de spontané et d’imprévu. Elle consiste dans le choix de certaines expressions simples d’une molle douceur, et qui paraissent nées d’elles-mêmes plutôt que choisies.

141. Citez des modèles de style naïf.

Après Joinville, historien de saint Louis, qui se distingue par une naïveté toute spontanée, après quelques écrivains du xve  siècle et du xvie dont nous avons, en parlant de l’archaïsme, loué la naïveté gracieuse, nous signalerons le chevalier de Cailly, plus connu sous le nom de chevalier d’Aceilly, que le P. Bouhours range parmi nos poètes les plus naïfs, et La Fontaine qui est inimitable sous ce rapport. La naïveté, chez ces deux écrivains, n’est pas seulement un don de la nature, c’est encore une heureuse imitation du naïf de Joinville et le fruit d’un art très profond. La Laitière et le Pot au lait et le Savetier et le Financier, que tout le monde sait par cœur, sont des chefs-d’œuvre de naïveté. — Une autre espèce de naïveté, qu’on nommerait mieux ingénuité, est celle qui convient aux récits destinés à l’enfance. C’est de cette qualité que les contes de Perrault tirent leur agrément.

142. Quels sont les défauts opposés à la naïveté ?

Si la naïveté de Marot, de Montaigne, de La Fontaine et de quelques autres écrivains est une grâce, chez d’autres, dit J.-J. Rousseau, c’est la très proche voisine de la bêtise. Da même que dans les pensées naïves il faut éviter ce qu’on appelle une naïveté, ainsi que des manières de voir trop basses et trop communes, de même, dans le style, il faut se garder d’employer des expressions triviales et grossières, de rapporter des détails frivoles et inutiles, et de dire des choses d’une naïveté que Rousseau appelle puérile.

II. Finesse.

143. Qu’est-ce que la finesse du style ?

La finesse du style consiste dans la délicatesse des tours et l’heureux choix des mots, et surtout dans l’art de n’exprimer qu’une partie de ses pensées, pourvu toutefois que l’esprit du lecteur puisse aisément deviner le reste.

Parmi les écrivains qui se sont distingués par la finesse du style, nous citerons Sénèque, Pline le Jeune, La Rochefoucauld, La Fontaine, La Bruyère, Molière.

144. Que faut-il entendre par finesse d’une langue ?

Les finesses ou les délicatesses d’une langue sont ses nuances les plus délicates et les plus déliées, ses élégances les plus exquises, les tours, les ellipses qui lui sont propres, les tons variés dont elle est susceptible, les caractères qu’elle donne à la pensée par le choix, le mélange, l’assortiment des mots. La nécessité d’une langue coûte peu à apprendre, dit Voltaire, ce sont les finesses et les délicatesses qui coûtent le plus.

145. Quel est le défaut contraire à la finesse ?

Si la finesse n’était pas employée avec ménagement, elle ne tarderait pas à tomber dans l’affectation, et par suite dans l’obscurité. Buffon regarde comme très opposé au mérite du style l’emploi de ces pensées fines et la recherche de ces idées légères, déliées, sans consistance, et qui, comme la feuille du métal battu, ne prennent de l’éclat qu’en perdant de la solidité. Rien n’est fatigant comme cette finesse affectée, qui est produite par un désir extrême de paraître simple et naturel et qu’on nomme marivaudage. Aux auteurs que nous avons signalés dans l’affectation des pensées comme atteints de ce défaut, nous joindrons Fontenelle, Marivaux, Dorat, Vauvenargues, et Blanchet dont le morceau intitulé l’Académie silencieuse ou les Emblèmes, n’est pas exempt d’affectation et de monotonie.

III. Délicatesse.

146. En quoi consiste la délicatesse du style ?

La délicatesse du style est l’expression simple et naïve des choses délicatement senties, c’est-à-dire des pensées et des sentiments tendres et délicats.

147. Citez des exemples de style délicat.

Après les vers de Racine et de Boileau, après les adieux de Marie Stuart à la France, les consolations de Malherbe à son ami, les verselets de Clotilde de Surville à son enfant, cités plus haut (47-64), nous signalerons les plaintes d’Iphigénie à son père, les vers de Virgile sur Marcellus, l’Incurable d’Hippolyte Violeau, et les plaintes d’une mère sur le tombeau de son enfant, par Alexandre Soumet. Voici la fin de ce récit que distingue la délicatesse la plus gracieuse et la plus touchante :

Edgard mourut.… voilà sa pierre funéraire.
Ce cyprès est le sien, cet enfant est son frère.
Nous venons tous les soirs lui porter nos douleurs ;
Nous regardons le ciel, et nous versons des pleurs.
Toi, mon dernier enfant, souffre ma plainte amère ;
Le ciel n’enferme pas tout l’amour de ta mère :
A vivre loin d’Edgard je puis m’accoutumer.
Près du tombeau d’Edgard je puis encore aimer.
Elle se tait…, l’enfant la suit dans les ténèbres.
Mais on dit que bientôt sur les gazons funèbres,
Il revint pleurer seul, hélas ! et que ses pas
Vers le tombeau d’Edgard ne se dirigeaient pas.

148. Quelles sont les précautions à prendre dans l’emploi du style délicat ?

Sans doute, la délicatesse est bien reçue à la place de la finesse, parce que ce qui intéresse le cœur est toujours plus agréable que ce qui exerce l’esprit. Cependant, il ne faut pas affecter de prodiguer les sentiments tendres et les pensées délicates, afin de ne pas lasser la sensibilité, comme l’a fait Demoustier dans ses Lettres sur la mythologie, et pour ne pas tomber dans des fadeurs plus fines que délicates, comme cela est arrivé à Fontenelle dans ses Pastorales. Le mérite de La Fontaine vient en grande partie de l’emploi intelligent et du mélange convenable de la finesse et de la délicatesse.

IV. Concision.

149. Qu’est-ce que la concision ?

La concision emploie pour exprimer une idée le tour le plus bref et le moins de mots qu’il est possible. Elle rejette tout ce qui ressemble à l’ornement pour ne s’occuper que du fond.

Boileau, dans deux vers d’une extrême concision, a caractérisé Perse, le plus concis des poètes latins :

Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants,
Affecta d’enfermer moins de mots que de sens.

Voici d’autres exemples de style concis :

… Fugit hora : hoc quod loquor indè est.
Perse.
Le moment où je parle est déjà loin de moi.
Boileau.
… Ils font des vœux pour nous qui les persécutons,

dit Sévère en parlant de la vertu des chrétiens.

… Jeune, on conserve pour sa vieillesse ; vieux, on épargne pour la mort. L héritier prodigue paie de superbes funérailles et dévore le reste.

La Bruyère.

Pour dire que l’amour, le goût que nous avons pour une chose, nous la fait souvent trouver différente de ce qu’elle est en réalité, La Rochefoucauld, resserrant sa pensée, s’exprime en ces termes :

L’esprit est souvent la dupe du cœur.

150. Le style concis n’a-t-il pas des écueils à redouter ?

Le style concis, présentant un grand sens renfermé en peu de paroles, est agréable à l’esprit, pourvu qu’on s’en serve avec modération. Employé continuellement, il ne tarderait pas à fatiguer l’attention, surtout s’il était joint à la finesse, parce qu’il exigerait trop de contention d’esprit. Ce n’est que dans les recueils de sentences qu’il peut être admis sans interruption.

A la concision se rapporte le laconisme, qui est une manière de s’exprimer pleine de brièveté et d’énergie, et qui tire son nom des habitants de la Laconie ou Lacédémoniens. Le style laconique exclut nécessairement toutes les figures qui font l’ornement du langage. Peu propre à la narration, sur laquelle il répand du froid et de la sécheresse, il convient aux proverbes, aux sentences, aux devises armoriales. On l’emploie encore dans certains cas pour donner des ordres ou envoyer des réponses. Le laconisme, qui est assez souvent un défaut, a pour écueil l’obscurité. Perse et Tacite sont tombés dans l’obscurité par suite d’une brièveté mystérieuse et d’une concision excessive.

151. Quels sont les défauts voisins du style simple ?

Outre la grossièreté ou bassesse, la puérilité, l’affectation, l’obscurité, l’abus des sentiments délicats et l’excès de concision dont nous venons de parler, nous signalerons encore, comme défauts voisins du style simple, la négligence, la froideur et la sécheresse.

La négligence vient de l’inobversation des règles relatives à la pureté, à la propriété, à la convenance des mots, ainsi que de l’oubli des préceptes touchant la correction, la clarté, la précision, l’unité, la force et l’harmonie des phrases. Partout il faut du soin et de l’art, dit Cicéron, même sous une apparence de négligence : Est quædam diligentia negligens.

On entend par froideur dans les ouvrages d’esprit, l’absence de vie, de chaleur, d’énergie, en un mot, de tout ce qui pourrait émouvoir le cœur ou flatter l’imagination.

La sécheresse exclut la grâce, les images et les ornements du discours. Le style sec et froid ne doit être admis que dans les ouvrages purement didactiques ; et, pour y être supportable, il faut qu’il serve à exprimer d’une manière claire et nette des pensées solides.

§ II. — Du style tempéré.

152. Qu’est-ce que le style tempéré ou fleuri ?

Le style tempéré, plus ample et plus orné que le style simple, moins énergique et moins éclatant que le style sublime, tient le milieu entre les deux, et convient surtout aux sujets agréables. On l’appelle encore style fleuri, parce qu’il emploie toutes les fleurs et tous les ornements de l’élocution.

153. Qu’est-ce qui caractérise le style tempéré ?

Ce qui caractérise le style tempéré, c’est l’art de plaire. Aussi fait-il usage de tout ce qui peut embellir le discours, et se pare-t-il de tous les ornements et de toutes les fleurs du langage, sans prendre soin de les cacher. Il joint aux grâces du sentiment le coloris de l’imagination ; et en s’attachant à plaire par les charmes de l’élocution, il contribue merveilleusement à la persuasion. Il tire son principal mérite des richesses de l’art, c’est-à-dire que les pensées brillantes, les images pittoresques, les expressions choisies, les images gracieuses, les figures éclatantes, les digressions agréables, les tours nombreux et variés, la cadence soutenue des périodes, et l’harmonie du style forment son caractère. Cependant, dit Quintilien, il coule avec douceur, semblable à une belle rivière qui roule tranquillement une eau claire et pure, et que bordent des forêts verdoyantes et de délicieuses campagnes.

154. Citez des modèles en ce genre ?

Nous signalerons, comme remarquables dans le genre tempéré, les psaumes 11, Salvum me fac, Domine ; 18, Cœli enarrant gloriam Dei ; 41, Quemadmodum desiderat cervus ; 83, Quam dilecta tabernacula tua ; le portrait de la femme forte, Mulierem fortem… (Prov., xxxi, 10-31). A ces morceaux nous ajouterons des passages plus ou moins nombreux d’Homère, de Démosthènes, de Xénophon, de Sophocle, de Virgile, de Cicéron, de Tite-Live, d’Horace, de La Fontaine, de Jean Racine, de Fénelon, de Fléchier, de Fontenelle, de Neuville, de Massillon, de L. Racine, de Vertot, de Buffon, de Voltaire, de Bernardin de Saint-Pierre, de Delille, de Chateaubriand et de Lamartine.

155. A quels sujets convient le style tempéré ?

Le style tempéré convient aux poèmes descriptifs et didactiques pour les parties plus ornées, comme les épisodes, les descriptions ; aux discours académiques, aux poésies badines, aux panégyriques et aux oraisons funèbres, lorsque la personne qui en est l’objet n’offre pas des faits d’un intérêt extraordinaire, et à tous les discours d’apparat. On l’emploie encore quelquefois dans les fables, les pastorales, les sermons, l’histoire, les odes, les compliments, etc.

156. Quelles sont les qualités propres au style tempéré ?

Les qualités du style tempéré ou fleuri sont au nombre de trois, savoir : l’élégance, la grâce et la richesse.

I. Élégance.

157. En quoi consiste l’élégance ?

L’élégance consiste, dit l’auteur des Synonymes français, dans un tour de pensée noble, poli et harmonieux, rendu par des expressions choisies, coulantes et gracieuses à l’oreille. C’est la réunion de toutes les grâces du style, et principalement de la noblesse et de l’agrément. L’élégance est, d’après Voltaire, le premier mérite du style poétique.

158. Quels sont les principaux modèles en ce genre ? Exemples.

Ce sont Théocrite, Virgile, Racine, Quinault, Fénelon, Massillon, Buffon, etc. Nous indiquerons seulement l’Hymne à la Vierge, par Charles Nodier :

Tu parais !…… à la nef timide……

et le Printemps, par Michaud, dont voici quelques vers :

……………………………………………………………………
Le beau soleil de mai, levé sur nos climats,
Féconde les sillons, rajeunit les bocages.
Et de l’hiver oisif affranchit ces rivages.
La sève emprisonnée en ses étroits canaux,
S’élève, se déploie, et s’allonge en rameaux ;
La colline a repris sa robe de verdure ;
J’y cherche le ruisseau dont j’entends le murmure…

159. Quels sont les écueils voisins de l’élégance ?

La langueur et la mollesse du style sont les écueils voisins de l’élégance ; et, parmi ceux qui la recherchent, il en est peu qui les évitent. Pour donner de l’aisance à l’expression, ils la rendent lâche et diffuse ; leur style est poli, mais efféminé. La première cause de cette faiblesse est dans la manière de concevoir et de sentir. Tout ce qu’on peut exiger de l’élégance, c’est de ne pas énerver le sentiment ou la pensée ; mais on ne doit pas s’attendre qu’elle donne de la chaleur ou de la force à ce qui n’en a pas.

Les défauts entièrement opposés à l’élégance sont la bassesse et la platitude. Nous avons signalé comme contraires à la dignité du style (129) les expressions grossières, basses et communes ; nous allons maintenant donner une idée de la platitude ou de la trivialité en comparant quelques vers de Pradon et de Racine sur le même sujet, la mort d’Hippolyte :

………………… Sur son char il monte avec adresse ;
Ses superbes chevaux, dont il sait la vitesse.
De leurs hennissements font retentir les airs,
Et, partant de la main, devancent les éclairs.
Pradon.
A peine nous sortions des portes de Trézènes ;
Il était sur son char ; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés.
Il suivait, tout pensif, le chemin de Mycènes ;
Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes.
Ses superbes coursiers qu’on voyait autrefois,
Pleins d’une ardeur si noble, obéir à sa voix…
Racine.

Cette trivialité, qui vient souvent de ce qu’on veut paraître naturel, est un défaut très commun parmi les romantiques.

II. Grâce.

160. Qu’est-ce que la grâce du style ?

La grâce du style est le charme qui résulte du choix des mots, de la richesse et de l’élégance des expressions, de l’aisance et de l’harmonie des phrases, et plus encore de l’agrément, de la fraîcheur des pensées et de la délicatesse, de la douceur des sentiments. C’est la description riante des choses agréables ; c’est la réunion du molle atque facetum dont parle Horace ; c’est, pour ainsi dire, la perfection de l’art, comme l’a proclamé La Fontaine lorsqu’il a dit, en parlant de cette qualité du style :

Et la grâce plus belle encor que la beauté.

161. Quels sont les principaux modèles dans le genre gracieux ?

David, dans les psaumes 22, 83, 132, Homère, Anacréon, Théocrite, Bion, Moschus, Catulle, Properce, Tibulle, Virgile, Horace, Ovide, La Fontaine, Racine, Hamilton, Voltaire, Lamartine, présentent des modèles de style gracieux. Parmi les morceaux les plus remarquables en ce genre, nous signalerons l’Ange et l’Enfant, de Reboul, modèle de délicatesse et de grâce ; le Cocher, le Chat et le Souriceau ; le chœur de l’acte II d’Athalie : Quel astre à nos yeux vient de luire ? l’Hymne de l’Enfant à son réveil, de Lamartine, et les vers si gracieux que Voltaire, âgé de plus de quatre-vingts ans, écrivit à madame Lullin. Voici ce dernier morceau :

Hé quoi ! vous êtes étonnée
Qu’au bout de quatre-vingts hivers,
Ma muse faible et surannée
Puisse encor fredonner des vers !
Quelquefois un peu de verdure,
Vit sous les glaçons de nos champs ;
Elle console la nature,
Mais elle sèche en peu de temps.
Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours,
Mais sa voix n’a plus rien de tendre ;
Il ne chante plus ses amours.
Ainsi j’essaie encor ma lyre
Qui n’obéit plus à mes doigts ;
Ainsi j’essaie encor ma voix
Au moment même qu’elle expire.

162. Quels sont les défauts voisins du style gracieux ?

C’est d’abord l’affectation ou la recherche dans les sentiments, les pensées ou les expressions.

Un autre abus du genre gracieux, c’est une mollesse efféminée qui affaiblit le style. Ce défaut, dit Bernardin de Saint-Pierre, se rencontre assez souvent dans les peintures de Catulle, de Properce et de Tibulle.

Enfin, parmi les défauts directement opposés au style gracieux, nous signalerons la rudesse et la sécheresse, qui excluent les liaisons, l’harmonie et les autres ornements destinés à flatter la sensibilité et l’imagination.

III. Richesse.

163. En quoi consiste la richesse du style ?

La richesse du style consiste dans l’abondance des pensées, la variété et l’harmonie des tours, l’éclat des figures, la vivacité des images et la magnificence des expressions. Cette qualité vient principalement de la fécondité de l’imagination, et admet fréquemment les épithètes. — On doit éviter la sécheresse et l’excès d’ornements.

164. Citez quelques modèles.

On trouve des exemples de style riche chez Virgile, Racine, Buffon, Chateaubriand, Lamartine, V. Hugo, Alfred de Vigny. Voici un passage de ce dernier ; Moïse parle à Dieu sur le mont Nébo :

Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ?
J’ai conduit votre peuple où vous avez voulu.
Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux.
Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ;
Ma bouche par leur nom a compté les étoiles.
J’engloutis les cités sous les sables mouvants ;
Je renverse les monts sous les ailes des vents ;
Mon pied infatigable est plus fort que l’espace ;
Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe,
Et la voix de la mer se tait devant ma voix.
Lorsque mon peuple souffre ou qu’il lui faut des lois
J’élève mes regards, votre esprit me visite ;
La terre alors chancelle, et le soleil hésite.

165. Qu’appelle-t-on expression riche ?

On appelle expression riche celle qui réunit en peu de mots plusieurs qualités d’une même chose. Les vers suivants, le dernier surtout, en présentent un bel exemple :

Ici-bas la douleur à la douleur s’enchaîne,
Le jour succède au jour et la peine à la peine,
Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,
L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.

L’expression est encore plus riche lorsqu’elle fait tableau ou image :

……………………… Jéhovah s’élance
        Du sein de son éternité.
Le chaos endormi s’éveille en sa présence ;
Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance
        Repose sur l’immensité.
Lamartine.
L’astre-roi se couchait calme, à l’abri du vent ;
La mer réfléchissait ce globe d’or vivant,
        Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre, et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
        Venir au-devant l’un de l’autre.
V. Hugo.

Nota. — Nous avons vu que les principaux défauts du style tempéré sont la monotonie, la mollesse et l’excès d’ornements.

§ III. — Du style sublime.

166. Qu’est-ce que le style sublime ?

Le style sublime est celui qui, par la grandeur et l’énergie des pensées, la force et la noblesse des sentiments, la vivacité et l’éclat des images, la hardiesse des figures, la beauté frappante des comparaisons, l’impétuosité des mouvements, l’harmonie des tours, la majesté des périodes, la magnificence et la pompe des expressions, étonne et émeut les esprits, agite l’âme avec force, l’élève au-dessus d’elle-même, la ravit, la transporte d’admiration.

167. Faites connaître des modèles.

Dans la Bible, nous signalerons seulement les deux cantiques de Moïse ; la prophétie de Balaam ; les plaintes de Job, Pereat dies ; les psaumes 28, 52, 67, 75, 77, 78, 103, 109, 113 ; les cantiques Ego dixi, d’Ezéchias mourant ; Confitebor, d’Isaïe ; Benedicite, de Daniel ; Domine audivi, d’Habacuc ; les discours de Matathias et de Judas Machabée ; le Magnificat ; le commencement de l’Évangile de saint Jean, et l’Apocalypse.

En dehors de l’Écriture, nous citerons Homère, Sophocle, Pindare, Platon, Démosthènes, Cicéron, Virgile, Horace, saint Basile, saint Jean Chrysostome, Corneille, La Fontaine, Bossuet, Racine, Bourdaloue, Massillon, J.-B. Rousseau, etc.

Les morceaux suivants sont des modèles de style sublime : la description du Tartare, par Virgile : Respicit Æneas subitò… ; le portrait du juste : Justum et tenacem…, et le départ de Régulus : Fertur pudicæ conjugis…, par Horace ; le discours du paysan du Danube, par La Fontaine ; l’exorde de l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre, la péroraison de celle de Condé, et celle de Madame, duchesse d’Orléans : Mais en priant pour son âme… ; la première scène d’Athalie : Oui, je viens dans son temple…, et la prophétie de Joad : Cieux, écoutez ma voix… ; la description du jugement dernier : Déjà, je crois le voir…, par Louis Racine ; le sermon de Massillon sur le petit nombre des élus, et surtout ce passage : Je suppose que ce soit ici notre dernière heure… un seul  ; la peinture des enchantements de Circé : Sur un autel sanglant… ; l’éruption d’un volcan, par Lacépède ; la rentrée de Satan aux enfers : L’archange rebelle…, par Chateaubriand ; la démonstration de l’accord des sciences naturelles avec la révélation : Dans la houille d’abord les antiques terrains…, par Bignan, etc.

168. A quels sujets convient le style sublime ?

Le style sublime n’est fait que pour les grands sujets en prose et en vers. Il convient à l’ode sacrée, à l’ode héroïque, souvent à l’ode morale et philosophique, au dithyrambe, à la cantate, à la grande épopée, au poème héroïque, à la tragédie et à l’opéra. En prose, le style sublime est celui de l’histoire et de la philosophie, quand elles s’occupent de ce qu’il y a de plus élevé, c’est-à-dire de Dieu, de l’homme et de la nature, et souvent celui des oraisons funèbres, des sermons, des discours politiques, des plaidoyers, etc.

169. Faites connaître les qualités du style sublime.

Les qualités du style sublime se trouvent énumérées dans la définition. Nous donnerons seulement ici quelques détails sur l’énergie, la véhémence et la magnificence, qui caractérisent particulièrement ce genre de style. Nous dirons ensuite quelques mots du sublime proprement dit.

I. Énergie.

170. En quoi consiste l’énergie du style ?

L’énergie du style consiste dans la vigueur des pensées, dans la force des sentiments rendus avec une concision frappante. Cette accumulation d’une foule d’idées en un petit nombre de mots est de nature à saisir vivement l’esprit, et à produire sur l’âme une impression profonde.

171. Citez quelques exemples de style énergique.

L’énergie ne se rencontre pas seulement dans quelques phrases courtes et isolées, comme nous l’avons vu en parlant des pensées et des sentiments énergiques, on la trouve encore dans des morceaux assez étendus. L’énergie se développe alors dans une suite de périodes qui produisent une magnifique gradation.

Nous citerons comme modèles de style énergique la peinture de la puissance de Dieu dans le livre de Job : Ubi eras quando ponebam…, et dans Esther : L’Éternel est son nom… ; les stances de Malherbe sur la vanité des grandeurs de ce monde : N’espérons plus, mon âme… ; les beaux vers de Lamartine sur la résignation du juste accablé de maux : Je ressemble, Seigneur, au globe de la nuit…, et ce passage du sermon de Massillon sur le petit nombre des élus :

Tout change, tout s’use, tout s’éteint : Dieu seul demeure toujours le même. Le torrent des siècles, qui entraîne tous les hommes, coule devant ses yeux ; il y voit avec indignation de faibles mortels, emportés par ce cours rapide, l’insulter en passant, vouloir faire de ce seul instant tout leur bonheur, et tomber au sortir de là entre les mains éternelles de sa colère et de sa justice.

172. Quels sont les défauts opposés à l’énergie ?

Les défauts opposés à l’énergie du style sont la dureté et la faiblesse.

Si on manque de goût, on tombera facilement dans l’exagération, et on prendra pour un style énergique, un style dur et rocailleux, des tours bizarres, des expressions heurtées.

La faiblesse, qui vient assez souvent de ce qu’on n’a pas une idée assez nette de son sujet donne des phrases embarrassées, un style décousu, et présente des idées incohérentes, des expressions vagues et indéterminées.

II. Véhémence.

173. En quoi consiste la véhémence du style ?

La véhémence consiste dans l’impétuosité des idées, dans la succession rapide des impressions, dans la vivacité du style, animée par le sentiment. Elle emploie les figures propres à émouvoir, comme l’interrogation, l’apostrophe, l’exclamation, et suppose un esprit vif et ardent, une conviction profonde. C’est l’énergie, animée par le sentiment, et considérée dans celui qui parle. Le style véhément est essentiellement rapide, et peut ne pas s’élever au-dessus du style simple, comme dans ces paroles de Nisus, qui veut mourir pour sauver Euryale, son ami :

Me, me, adsum qui feci, in me convertite ferrum,
O Rutili, mea fraus omnis ; nihil iste nec ausus,
Nec potuit. Cœlum hoc et conscia sidera testor :
Tantum infelicem nimiùm dilexit amicum.

Pour être sublime, le style véhément doit unir la pompe et l’éclat à la célérité des pensées et des sentiments.

Le défaut opposé à la véhémence est la froideur, dont nous avons parlé plus haut.

174. Citez quelques modèles de style véhément.

Nous signalerons une partie du discours de Junon aux Dieux, dans l’ode Justum et tenacem ; le discours que le paysan du Danube adresse aux Romains, par La Fontaine, et ces paroles si véhémentes de Joad à l’apostat Mathan, dans Athalie :

Où suis-je ? de Baal ne vois-je pas le prêtre ?
Quoi ! fille de David, vous parlez à ce traître ?
Vous souffrez qu’il vous parle ! et vous ne craignez pas
Que du fond de l’abîme entr’ouvert sous ses pas
Il ne sorte à l’instant des feux qui vous embrasent,
Ou qu’en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ?
Que veut-il ? De quel front cet ennemi de Dieu
Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu.
……………………………………………………………………
Sors donc de devant moi, monstre d’impiété.
De toutes tes horreurs, va, comble la mesure.
Dieu s’apprête à te joindre à la race parjure,
Abiron et Dathan, Doëg, Achitophel.
Les chiens à qui son bras a livré Jézabel,
Attendant que sur toi sa fureur se déploie,
Déjà sont à ta porte et demandent leur proie.
III. Magnificence.

175. Qu’est-ce que la magnificence ?

La magnificence du style consiste dans la grandeur des pensées et dans la noblesse des sentiments unies à la vivacité des images, à la majesté des figures, à l’harmonie des périodes, et à toutes les beautés du style. C’est la richesse jointe à la grandeur.

L’écueil du style pompeux et magnifique, c’est l’enflure, dont nous avons parlé en traitant de la majesté des pensées.

176. Faites connaître des modèles.

Nous trouvons des modèles de style magnifique dans l’Écriture, et chez les écrivains qui ont puisé leurs inspirations dans le christianisme, comme Bossuet qui est souvent magnifique dans ses oraisons funèbres, Fénelon, Racine, Rousseau, Soumet, Lamartine. Nous mentionnerons le début de l’Oraison funèbre de la reine d’Angleterre : Celui qui règne dans les cieux… ; un passage du sermon de Fénelon pour l’Épiphanie, relatif à Mgr Pallu, évêque d’Héliopolis, missionnaire en Chine : Empire de la Chine… ; l’admirable prophétie de Joad : Cieux, écoutez ma voix…, et ces autres vers de Racine : Le jour annonce au jour… ; le discours de Norma aux Gaulois pour les exciter à prendre les armes contre les Romains : Oui, les Dieux à notre esclavage…, par Soumet ; un passage de la Prière, de Lamartine : L’univers est le temple…, et une strophe de la Méditation sur le génie, adressée à M. de Bonald : Assis sur la base immuable. Nous terminerons par le célèbre passage du psaume 17, si souvent imité par nos poètes :

Inclinavit cœlos et descendit, et caligo sub pedibus ejus. Et ascendit super Cherubim, et volavit : volavit super pennas ventorum.

Cieux, abaissez-vous.
Racine.
Abaisse la hauteur des cieux.
J.-B. Rousseau.
Viens, des cieux enflammés abaisse la hauteur.
Voltaire.
Dieu se lève, il s’élance, il abaisse la voûte
De ses cieux éternels ébranlés sous ses pas.
Lamartine.
IV. Sublime proprement dit.

177. Qu’est-ce que le sublime proprement dit ?

Le sublime est une pensée, un sentiment ou une image qui ravit, transporte et élève l’âme au-dessus d’elle-même. C’est un trait merveilleux, extraordinaire, énergique, qui produit le plus haut degré possible de surprise, d’admiration, de ravissement, et qui subjugue invinciblement tout ce qu’il frappe. Nous renvoyons, pour les détails et les exemples, aux pensées, aux sentiments et aux images sublimes.

178. Marquez la distinction du beau et du sublime.

Les objets sublimes sont toujours grands dans leurs dimensions, les objets beaux sont comparativement petits ; la beauté est unie et polie, elle aime la parure et les ornements ; le sublime est simple, souvent même rude et négligé ; la légèreté et la délicatesse s’unissent à la beauté, tandis que le sublime demande la solidité et les masses ; les limites sont inséparables du beau, le sublime peut être illimité, et le plaisir qu’il procure est accru par l’absence même des limites ; l’exacte proportion des parties entre souvent dans la composition du beau, mais dans le sublime on fait peu de cas de la symétrie ; enfin, le sentiment du sublime réveillant en nous ce qu’il y a de grand, de noble, de sérieux dans notre nature, nous élève au-dessus de nous-mêmes et nous dispose au mépris de ce qui est vil, aux généreux sacrifices et aux vertus austères, tandis que le sentiment du beau excite toutes les affections bienveillantes de notre nature et nous dispose à l’amitié, aux sentiments aimables, aux passions douces. Telle est, d’après Burke, Blair, Kant, Jouffroy et M. Cousin, la différence qui existe entre le beau et le sublime.

179. Quelles sont les sources du sublime ?

Partout où la nature présente un objet grand et majestueux, partout où le cœur humain laisse voir une affection noble et magnanime, si vous en saisissez fortement l’image, dit Blair, si vous la montrez dans toute sa chaleur et dans tout son éclat, vous rencontrerez le sublime. Ainsi, tout ce qui est vaste et imposant, comme la voûte des cieux, l’Océan, une haute montagne ; tout ce qui indique un grand pouvoir et une grande force, comme le trouble des éléments, le bruit du tonnerre ou celui du canon, les inondations, le retentissement d’une abondante chute d’eau, les volcans, les tremblements de terre ; tout ce qui imprime l’effroi, comme les ténèbres, la solitude, le silence ; tout ce qui présente le caractère de la magnanimité, de l’héroïsme, de la haute vertu ; en un mot, tout ce qui nous plonge dans l’immensité, et éveille en nous l’idée de l’infini, doit être regardé comme le fondement et la source du sublime.

180. Quelle différence y a-t-il entre le sublime et le style sublime ?

D’après tout ce que nous avons dit plus haut, il est évident qu’on ne doit pas confondre le sublime avec le style sublime. Le style sublime exprime noblement une suite de pensées nobles, de sentiments élevés, d’images majestueuses ; il ne se montre qu’avec le pompeux appareil des figures les plus brillantes, les plus magnifiques, et il peut et doit même se soutenir assez longtemps. Le sublime est un trait rapide comme l’éclair, qui étonne et transporte l’âme ; il est indépendant de la sublimité du style, car il est très simple, au moins pour les pensées et les sentiments, comme on peut le voir par les exemples que nous avons cités ; quant aux images sublimes, elles admettent plus facilement les magnificences de l’élocution. Quoi de plus simple que ces paroles de l’Écriture : Dixitque Deus : Fiat lux, et facta est lux. Aspexit et dissolvit gentes  ? Aussi ces paroles ne sont-elles pas du style sublime ; mais la pensée qu’elles renferment est sublime, parce qu’elle est la plus élevée qu’il soit possible de concevoir de la toute-puissance de Dieu.

181. Faites sentir cette différence par un exemple.

Racine nous fournit, dans Esther, un exemple bien propre à faire saisir la différence qui existe entre le style sublime et le sublime :

J’ai vu l’impie adoré sur la terre :
Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux
        Son front audacieux.
Il semblait à son gré gouverner le tonnerre ;
Foulait aux pieds ses ennemis vaincus ;
Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.

Les cinq premiers vers offrent des pensées vraiment grandes, mais qui ne sont pas sublimes, parce qu’elles n’ont point cet extraordinaire, ce merveilleux qui enlève et qui ravit. Elles sont rendues d’une manière sublime, et appartiennent par conséquent au style sublime sans être du sublime. Le dernier vers présente une pensée sublime par elle-même : c’est là que se trouve ce merveilleux, cet extraordinaire qui caractérise proprement le sublime. L’impie était le dieu de la terre ; le poète ne fait que passer, et ce dieu est anéanti, il n’est plus. Mais cette idée est rendue par les mots les plus simples. Ce dernier vers est par conséquent sublime, sans être du style sublime. Le sublime proprement dit peut donc se passer de la hardiesse et de la pompe des expressions. Il s’en passe en effet assez souvent, quoiqu’on doive convenir que l’éclat en est rehaussé par le sublime des paroles.

182. Les trois genres de style peuvent-ils se trouver dans le même ouvrage ?

Ces distinctions du genre simple, du genre tempéré et du genre sublime ne pouvaient être omises dans un traité sur le style ; cependant, il est bon de remarquer qu’aucun de ces genres ne se trouve ordinairement seul dans un ouvrage. Ces trois espèces de style se touchent, et les meilleures compositions sont celles où l’auteur les mêle le mieux. Bossuet, le plus sublime des orateurs et des écrivains, se garde bien de l’être toujours. Chaque ouvrage, comme chaque tableau, doit avoir un ton général ; mais les nuances intermédiaires peuvent être fort diversifiées. Le style est subordonné, comme les actions, à la loi des convenances. Il a plus ou moins de simplicité ou de grandeur, suivant la nature du sujet ; et dans les diverses parties du sujet même, il s’élève ou se tempère encore, il se varie avec chaque détail en conservant l’unité de l’ensemble. Le grand art d’écrire, en un mot, est de n’être ni au-dessus ni au-dessous de ce qu’on veut exprimer. Faire et dire ce qui convient, voilà ce qui constitue l’homme parfait et l’excellent écrivain.