(1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — [Introduction] » pp. 18-20
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(1881) Cours complet de littérature. Style (3e éd.) « Cours complet de littérature — Style — [Introduction] » pp. 18-20

[Introduction]

24. Qu’entendait-on autrefois par le mot style ?

Le mot style (στύλος) était employé par les Grecs pour désigner une petite colonne. Plus tard, les Latins désignèrent par la même expression (stylus) un poinçon ou forte aiguille qui leur servait à tracer les lettres de l’alphabet sur l’écorce d’arbre appelée liber, ou sur des tablettes recouvertes de cire. L’autre bout du style était aplati, et servait à effacer l’écriture tracée avec la pointe, quand on voulait corriger ou supprimer ce qu’on avait écrit. De là, l’expression retourner le style, stylum vertere, pour effacer, corriger.

25. Qu’est-ce que le style en littérature ?

Le style est l’homme même, a dit Buffon ; c’est le caractère de la diction, suivant Marmontel ; le style, dit M. de Bonald, c’est l’expression de l’homme ; c’est, dit M. Ernest Hello, la parole humaine ayant pour loi, comme la vie et la pensée, la vérité, puisque l’homme doit vivre dans la vérité, penser comme il vit et parler comme il pense.

Le style est donc l’art ou la manière propre à chaque écrivain de formuler nettement et convenablement ses pensées et ses sentiments au moyen de la parole. C’est la forme extérieure et soignée des pensées ; c’est la parole vivante au service de l’idée vivante.

Le style se distingue du langage de la conversation en ce qu’il demande un ordre plus rigoureux, une observation plus stricte des lois du langage, ainsi que l’emploi de tous les ornements autorisés par le goût.

26. Quelle est l’importance du style ?

L’art d’écrire ou le style est d’une très grande importance pour l’écrivain. Sans doute, pour bien écrire, il est indispensable de bien penser : scribendi recte, sapere est et principium et fons  ; sans doute, une forme vide, tant gracieuse qu’elle soit, ne peut tenir lieu de l’idée absente ; et des mots harmonieusement disposés et des phrases bien faites ne peuvent suffire à captiver l’esprit de l’homme ; l’art étant l’expression de la beauté, il faut sans doute que la beauté se trouve tout d’abord dans la chose exprimée, et la forme ne doit être qu’une enveloppe transparente qui laisse passer les splendeurs de la réalité qu’elle met en rapport avec nous ; mais il faut que cette forme soit belle aussi, et qu’elle ne masque point par ses propres taches les beautés qu’elle recouvre. Car, ce qui plaît, ce qui attache, ce qui entraîne et séduit, c’est plus souvent la nouveauté de la forme ou du style que celle des choses elles-mêmes, tant il est difficile d’avoir des idées nouvelles sur les choses qui sont à la portée de tout le monde. Ce qui me distingue de Pradon, disait Racine, c’est que je sais écrire. Homère, Platon, Virgile, Horace, ne sont au-dessus des autre écrivains, dit la Bruyère, que par leurs expressions et leurs images. En effet, le style fortifie les pensées faibles, relève ce est commun, et donne de la distinction aux choses ordinaires.

27. N’y a-t-il pas un rapport intime entre les pensées et le style ?

Puisque le style est l’homme même, il devra toujours avoir du rapport avec la manière de penser et de sentir de l’écrivain. Chaque homme aura donc un style particulier qui sera surtout déterminé par l’ordre et le mouvement qu’il met dans ses pensées. Le style est un tableau des idées qui naissent dans l’esprit, et de la manière dont elles y naissent. Si l’écrivain a l’intelligence très vive, son style sera nécessairement rapide et concis ; si l’imagination prédomine, ses expressions seront toujours brillantes et figurées ; si le jugement fait défaut, les pensées ne se joindront qu’à la faveur des mots, et le style sera diffus et traînant.

28. Le style ne se modifie-t-il pas suivant les différents climats ?

Si le style est modifié par les qualités de l’esprit et de l’âme de l’écrivain, on a remarqué que les différents pays ont un genre de style particulier et analogue au caractère et au génie de leurs habitants. Les peuples de l’Orient ont de tout temps chargé leur style de figures fortes et hyperboliques. Les Athéniens, peuple poli et subtil, s’étaient fait un style clair, pur et correct. Les Asiatiques, amis du faste et licencieux dans leurs mœurs, avaient un style pompeux et diffus. On remarque les mêmes différences dans le style des Français, des Italiens, des Allemands, des Espagnols, des Anglais, etc.

29. Comment diviserez-vous ce qui concerne le style ?

Nous diviserons tout ce qui concerne le style en deux grandes parties, qui renfermeront elles-mêmes plusieurs divisions. La première comprendra les règles générales du style ; la seconde, les moyens de se former le style ou de s’initier à l’art d’écrire.