Préface de la première édition
Les tendances actuelles, écrivait récemment un critique, sont hostiles à l’étude sérieuse des lettres. Quelque but qu’on se propose, il y a là un danger certain de matérialiser de jeunes intelligences, qu’on mettrait à la marque, à la seule marque des sciences exactes. Le rôle des colléges catholiques est donc maintenant plus beau qu’il n’a jamais été : lutter pour opérer une réaction salutaire et défendre la cause des belles-lettres. — Ces observations nous paraissent fort justes. Elles constatent, d’un côté, l’existence d’un mouvement qui ne pourrait se prolonger sans péril pour l’instruction littéraire de la jeunesse ; et, de l’autre, la nécessité de réagir puissamment contre cette direction, en accordant une place plus considérable à l’enseignement des belles-lettres. Quoi de plus utile▶, en effet, après l’étude de la religion et des langues anciennes, surtout de la langue latine qui devra toujours être parmi nous la base des hautes études, quoi de plus avantageux que la connaissance des règles littéraires, depuis les notions élémentaires concernant le style jusqu’aux lois qui régissent les compositions les plus élevées du poète et de l’orateur ? Les lettres ! mais, tandis que les autres plaisirs ne sont ni de tous les temps, ni de tous les âges, ni de tous les lieux, les lettres, dit Cicéron, servent d’aliment à l’adolescence, et à la vieillesse d’agréable passe-temps ; elles ajoutent aux douceurs de la prospérité, et offrent dans l’infortune un refuge et une consolation ; enfin, elles prêtent aux diverses situations de la vie de l’agrément et des charmes. Combien d’écrivains, combien de poètes surtout, ont aimé à s’inspirer de ces paroles de l’illustre orateur pour louer l’étude, et pour rendre hommage aux lettres et aux beaux-arts ! Écoutons-en quelques-uns :
L’étude, ◀utile à tous, est à tous agréable…Lebrun.
Beaux-Arts ! eh ! dans quel lieu n’avez-vous droit de plaire ?Est-il à votre joie une joie étrangère ?Non ; le sage vous doit ses moments les plus doux…Delille.
Ornement du bonheur, soutien de l’infortune,De l’enfant, du vieillard nourriture commune,……… L’étude……Rend à son nourrisson la nature asservie ;Au delà du trépas sait prolonger sa vie,Ennoblit ses travaux, embellit ses loisirs ;Pauvre, fait sa richesse, et riche, ses plaisirs.Saintine.
Puisque l’importance des belles-lettres est proclamée d’une voix unanime, quelle serait la position d’un jeune homme, dans la bonne société, s’il n’était pas initié à la connaissance des principes littéraires, s’il ignorait les règles relatives aux éléments, aux qualités, aux ornements du style, ainsi que les moyens de se former à l’art d’écrire, et s’il ne possédait pas des notions exactes sur la poésie et sur l’éloquence ? Ce sont ces principes et ces règles que nous nous sommes efforcé de réunir dans ce Cours classique de littérature. Réservant pour la Rhétorique les préceptes de l’art de bien dire, et pour la Poétique les règles du premier des arts agréables, nous exposerons, dans ce volume, les principes généraux de l’art d’écrire, principes qui sont communs à tous les genres de productions littéraires. Dans notre dessein, le Style est destiné à la troisième ; la Poétique, à la seconde ; la Rhétorique, à la classe de ce nom. Nous croyons même que l’on pourrait utilement commencer l’étude de la littérature vers la fin de la quatrième. Quelques notions sur les pensées et sur les mots, un aperçu des qualités générales du style, une connaissance assez exacte des règles épistolaires, en répandant de la variété sur les exercices ordinaires de cette classe, procureraient aux élèves autant d’agrément que de profit. Du reste, ce cours se prête tout aussi facilement à des combinaisons en sens contraire. Quelques établissements ne consacrent que deux années à la littérature, et ne peuvent par conséquent s’occuper de l’étude de la poésie. Comme notre Poétique, tout en complétant le cours, peut être facilement séparée des deux autres volumes, on aura dans le Style et dans la Rhétorique tous les principes de l’art d’écrire et toutes les règles de l’éloquence. On pourrait d’ailleurs, dans ce cas, mettre le Traité de la poésie entre les mains des élèves comme livre de lecture : ce qui serait d’autant plus facile à faire que cet ouvrage est, au dire de beaucoup de juges compétents, agréable à lire.
Dans le Style comme dans le reste du Cours, nous nous efforçons d’offrir un plan complet, de suivre une marche logique, de présenter des divisions claires et naturelles, des définitions exactes et nettes, et, cherchant à former le cœur en même temps que l’esprit, nous faisons ressortir avec soin le côté moral et religieux des belles-lettres, ainsi que les beautés littéraires renfermées dans les Écritures et dans les ouvrages inspirés par le christianisme.
Plusieurs questions qui, malgré leur importance, trouvent rarement place dans les traités élémentaires, ont été de notre part l’objet d’un soin particulier. C’est ainsi que sans vouloir entrer en matière par l’aride exposé des règles de la logique, comme on l’a fait quelquefois, nous nous arrêtons assez longtemps sur les éléments constitutifs du style. Là, nous étudions surtout les pensées, les mots, la phrase, comme étant les fondements indispensables de l’art d’écrire. Après avoir exposé avec le plus de clarté possible les qualités générales et particulières du style, ainsi que les différentes sortes de figures, nous avons essayé de mettre de l’ordre et de l’exactitude dans l’importante question de l’harmonie mécanique, principalement dans les règles de la période. Il en a été de même pour les transitions. Partout, dans cette première partie on trouvera des exemples nombreux et choisis avec soin. Mais nous avons surtout insisté sur les moyens de former le style. Nous avons examiné en détail, outre l’étude des chefs-d’œuvre et les sources de l’amplification, les règles de la composition en général et les lois qui régissent les compositions secondaires. La description, la narration et la lettre ont été l’objet d’études très approfondies. Nous n’avons négligé aucun moyen de répandre la lumière et l’intérêt sur ces compositions si importantes dans les classes comme exercices pratiques.
Mais, sous prétexte de rendre ce traité complet, ne lui avons-nous pas donné une étendue trop considérable ? L’écrivain cité plus haut se chargera de répondre. De nos jours, dit-il, on est inondé de classiques, qui ne sont à vrai dire que des nomenclatures : l’élève n’en a pas plutôt lu un paragraphe, que déjà il bâille, l’ennui le saisit, et il est dégoûté du livre et de la science. — D’ailleurs, toutes les questions n’ont pas une égale importance ; et nous avons nous-même pris soin d’en indiquer un certain nombre que l’on peut se contenter de faire lire attentivement.
Quant aux auteurs qui nous ont servi de guides, ils sont nombreux et d’un grand poids. Les noms d’Aristote, de Cicéron, d’Horace, de Quintilien, de Longin, chez les anciens ; de Vida, de Bouhours, de Jouvency, de Rollin, de Dumarsais, de Marmontel, de Le Batteux, de Blair, de La Harpe, de Domairon, de Tuet, de Girard, de Villiers, de MM. de Bonald, Le Clerc, Laurentie, Capot, chez les modernes, rappellent les autorités les plus hautes en fait de critique littéraire. De plus, les morceaux cités comme modèles sont presque toujours choisis parmi ce qu’il y a de plus parfait et de plus généralement admiré chez les écrivains que le témoignage des peuples a placés au premier rang.
Nous terminerons en reportant notre pensée vers le volume par lequel nous avons commencé la publication de ce cours, la Poétique, qui a paru il y a quelques mois. Ce livre nous a déjà valu des encouragements bien précieux. D’illustres princes de l’Église n’ont pas dédaigné d’applaudir à nos efforts ; de nous féliciter d’avoir publié ce travail consciencieux, qui non seulement ne contient rien de contraire aux principes de la saine doctrine en ce qui concerne la foi et les bonnes mœurs, mais encore est très propre à éclairer l’esprit des jeunes humanistes, à épurer leur goût et à orner leur cœur, et qui mérite une place distinguée parmi les livres classiques édités de nos jours ; de nous louer d’avoir mis de la netteté dans notre plan, de la clarté dans notre méthode, de la justesse dans nos définitions, et surtout d’avoir rattaché à notre enseignement les modèles si parfaits qu’offrent les poètes bibliques et liturgiques, trop indignement méconnus ; de nous permettre de compter sur leurs plus favorables dispositions à l’égard de nos travaux, et sur la reconnaissance de tous les amis des lettres, mais surtout des lettres chrétiennes ; d’apprécier toute l’importance de notre œuvre, et d’appeler sur elle les bénédictions les plus abondantes ; enfin, de nous exhorter à servir la cause des bonnes-lettres avec un zèle qui ne se ralentisse jamais. Puissent ces vénérables pontifes, ainsi que tous ceux qui ont bien voulu encourager nos efforts, daigner agréer l’expression de notre bien vive reconnaissance ! De telles marques de sympathie ne peuvent que nous obliger à redoubler d’ardeur pour achever notre œuvre, et pour la rendre de plus en plus digne de si éminents suffrages.