(1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre VIII. Petites pièces anciennes. »
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(1853) Petit traité de rhétorique et de littérature « Chapitre VIII. Petites pièces anciennes. »

Chapitre VIII. Petites pièces anciennes.

§ 39. Triolet, rondeau ; lai.

Nous avons en français un certain nombre de petits poèmes usités autrefois, qu’on ne fait plus aujourd’hui et qui cependant méritent d’être connus. Ils consistent presque toujours dans un certain arrangement des rimes, une certaine division des vers. Ce sont les suivants : le triolet, le rondeau, le rondeau redoublé, le lai, la ballade et le sonnet.

Le triolet, autrefois rondel, consiste à répéter le même vers trois fois dans un huitain. En voici un qui a de la grâce ; il est de Ranchin :

Le premier jour du mois de mai
Fut le plus heureux de ma vie.
Le beau dessein que je formai
Le premier jour du mois de mai !
Je vous vis et je vous aimai :
Si ce dessein vous plut, Silvie,
Le premier jour du mois de mai
Fut le plus heureux de ma vie.

Cet exemple montre qu’on répète à la fin le second vers avec le premier, tandis qu’on ne le répète pas au milieu.

Le rondeau, anciennement rondel, se confondait dans l’origine avec le triolet, qui portait le même nom. Il consistait comme lui à ramener le premier ou les deux premiers vers au milieu et à la fin de la pièce : seulement, au lieu de se borner à huit vers, on en mettait douze ou quatorze.

Depuis, le rondeau a changé de forme : on a fixé le nombre des vers à treize, avec un repos après le huitième. Le tout est sur deux rimes ; et le refrain se compose, non pas d’un vers entier, mais du premier ou des premiers mots du premier vers. Quelquefois aussi on veut que les mots qui forment le refrain se représentent avec des sens différents. Ces difficultés ont ôté au rondeau son premier caractère, qui était la naïveté, comme l’a dit Boileau, et y ont substitué la finesse ou la raillerie.

Voici un très joli rondeau d’Adam Billaut, menuisier de Nevers sous Louis XIV, qui, sans aucune littérature, devint poète dans sa boutique, et dont les poésies, qui roulent toutes sur le vin, sont pleines de verve et d’originalité :

Pour te guérir de cette sciatique
Qui te retient, comme un paralytique,
Entre deux draps sans aucun mouvement,
Prends-moi deux brocs d’un fin jus de sarment,
Puis lis comment on les met en pratique.
Prends-en deux doigts, et bien chauds les applique
Sur l’épiderme où la douleur te pique,
Et tu boiras le reste promptement
Pour te guérir.

Sur cet avis ne sois point hérétique ;
Car je te fais un serment authentique
Que si tu crains ce doux médicament,
Ton médecin, pour ton soulagement,
Fera l’essai de ce qu’il communique
Pour te guérir.

Le rondeau redoublé était une pièce bizarre plutôt qu’harmonieuse ou agréable, et d’ailleurs assez rare. Il était composé de cinq quatrains, tels que les quatre vers qui composaient le premier, terminaient à tour de rôle les suivants. À ces vingt vers on ajoutait, sous le nom d’envoi, un sixième quatrain qui ramenait à la fin et en dehors du dernier vers les premiers mots du rondeau. Je n’en donne pas d’exemple ici.

Le lai était une très ancienne chanson française. C’était même le chant consacré aux grands événements, aux nobles infortunes, aux tristes amours ; plus tard, nos vieux auteurs s’avisèrent de croiser des vers très petits avec d’autres plus grands, comme dans l’exemple suivant ; et ils donnèrent à cette combinaison le nom de lai.

La grandeur humaine
Est une ombre vaine
               Qui fuit :
Une âme mondaine
À perte d’haleine
               La suit ;
Et pour cette reine,
Trop souvent se gêne,
               Sans fruit.

§ 40. La ballade, le chant royal.

La ballade est une pièce de vers coupée en stances égales, et suivies d’un envoi d’un nombre de vers ordinairement moindre. Toutes les stances et l’envoi lui-même sont terminés par le même vers qui sert de refrain. Les ballades les plus sévères sont sur deux rimes. Mais le plus souvent on se contente de ramener dans les stances suivantes les rimes de la première. Quelquefois même on se dispense de cette règle pour ne faire rimer que le refrain.

Madame Deshoulières et La Fontaine ont, sous Louis XIV, fait bon nombre de ballades. En voici une de ce dernier qui est intéressante, parce qu’elle nous montre notre poète s’occupant des affaires de sa commune, et tâchant d’obtenir du surintendant Fouquet une subvention pour réparer le pont de Château-Thierry.

Dans cet écrit, notre pauvre cité,
Par moi, seigneur, humblement vous supplie,
Disant qu’après le pénultième été,
L’hiver survint avec grande furie
Monceaux de neige et grands randons de pluie :
Dont maint ruisseau, croissant subitement,
Traita nos ponts bien peu courtoisement.
Si vous voulez qu’on les puisse refaire,
De bons moyens, j’en sais certainement ;
L’argent surtout est chose nécessaire.

Or, d’en avoir, c’est la difficulté :
La ville en est de longtemps dégarnie.
Qu’y ferait-on ? Vice n’est pauvreté.
Mais cependant, si l’on n’y remédie,
Chaussée et pont s’en vont à la voirie.
Depuis dix ans, nous ne savons comment,
La Marne a fait des siennes tellement,
Que c’est pitié de la voir en colère.
Pour s’opposer à son débordement,
L’argent surtout est chose nécessaire.

Si demandez combien, en vérité,
L’œuvre en requiert tant que soit accomplie ;
Dix mille écus en argent bien compté,
C’est justement ce de quoi l’on vous prie.
Mais que le prince en donne une partie,
Le tout, s’il veut ; j’ai bon consentement
De l’accepter sans craindre aucunement.
S’il ne le veut, afin d’y satisfaire,
Aux échevins on dira franchement :
L’argent surtout est chose nécessaire.

ENVOI.

Pour ce vous plaise ordonner promptement
Nous être fait du fonds suffisamment ;
Car vous savez, seigneur, qu’en toute affaire,
Procès, négoce, hymen ou bâtiment,
L’argent surtout est chose nécessaire.

La ballade redoublée était une ballade à deux refrains ; l’un se plaçait au milieu, l’autre à la fin de chaque stance, et ils se retrouvaient encore dans l’envoi. Cette ballade était, du reste, soumise aux mêmes règles que la ballade ordinaire.

Le chant royal est une ballade de grande dimension et d’un caractère élevé. On a fixé d’avance le nombre des stances et celui des vers. Il faut cinq stances, chacune d’onze vers y compris le refrain. L’envoi, qui est ordinairement de cinq ou sept vers, doit commencer par un de ces mots : sire, roi, prince, princesse, etc. C’est même de là, dit-on, que lui est venu son nom.

§ 41. Sonnet.

Le sonnet n’est pas, comme les pièces précédentes, soumis à l’emploi des refrains. Mais sa forme artificielle et mécanique n’est pas moins réglée d’une manière invariable. Il est composé de quatorze vers. Les huit premiers sont partagés en deux quatrains de même mesure, et qui roulent sur deux rimes qu’il faut y placer dans le même ordre. Les six derniers vers n’ont pas les mêmes rimes que les premiers, et sont partagés en deux tercets. Les deux premiers vers du premier tercet riment ensemble ; et le troisième rime avec le second ou le dernier du second tercet. Le sens doit être complet ou fortement suspendu après chaque quatrain et chaque tercet ; cela est évident puisque ce sont des stances de quatre ou de trois vers qu’on appelle ainsi. Quand le sujet du sonnet est grave et sérieux, on y emploie les vers alexandrins ; quand il ne l’est pas, on peut y employer les vers de huit ou de dix syllabes70.

Voici un sonnet attribué à Desbarreaux, qui, malgré une faute de syntaxe dans l’avant-dernier vers, faute qui, du reste, était permise du temps de l’auteur, mérite d’être remarqué : c’est un pécheur repentant qui parle.

Grand Dieu ! tes jugements sont remplis d’équité.
Toujours tu prends plaisir à nous être propice ;
Mais j’ai tant fait de mal que jamais ta bonté
Ne me pardonnera sans blesser ta justice.

Oui, mon Dieu ! la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice.
Ton intérêt s’oppose à ma félicité ;
Et ta clémence même attend que je périsse.

Contente ton désir puisqu’il t’est glorieux ;
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux.
Tonne, frappe, il est temps : rends-moi guerre pour guerre.

J’adore en périssant la raison qui t’aigrit.
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

On attribuait autrefois beaucoup de valeur au sonnet ; tout le monde sait le jugement qu’en porte Boileau dans son Art poétique, et qui se termine par ce vers :

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème.

Cet éloge, qui nous paraît aujourd’hui fort exagéré, était si bien dans l’opinion commune au xviie  siècle, que Lancelot, à la fin de son Traité de versification française, n’hésite pas à dire : « Il n’y a guère d’ouvrages en vers qui soient plus beaux que le sonnet, ni aussi plus difficiles. Les Grecs et les Latins n’ont rien en ce genre de si parfait : car il comprend ensemble tout ce qu’il y a de beau dans l’ode pour la magnificence du style, et tout ce que l’épigramme a de grâce pour sa brièveté. »

Ce qui est dit ici de la magnificence de l’ode et de la brièveté de l’épigramme manque assurément d’exactitude ; mais il est vrai qu’on cherche à mettre à la fin du sonnet, et même dans ses différentes sections, quelque pensée vive et ingénieuse, comme dans les épigrammes et les madrigaux dont nous parlerons tout à l’heure.

De plus, on s’est imposé des règles tout à fait artificielles ou capricieuses, qui ont élevé la valeur du sonnet, à mesure qu’il plaisait au juge de se rendre plus difficile.

« Tout, dit Domairon, doit être exact, poli ; châtié dans ce petit ouvrage. On n’y souffre ni le moindre écart du sujet, ni un vers faible ou négligé, ni une expression impropre ou superflue, ni la répétition du même mot. La précision et la justesse des pensées, l’élégance des termes, l’harmonie des vers, la richesse des rimes n’y doivent rien laisser à désirer ; en un mot, tout doit y être d’une beauté achevée. Aussi n’y a-t-il aucun poète qui ait atteint à ce degré de perfection qu’on exige dans ce petit poème. Et nous pouvons répéter aujourd’hui ce qu’a dit Boileau, il y a plus d’un siècle et demi :

Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,
Et cet heureux phénix est encore à trouver. »

Sans nous arrêter à cette opinion bizarre qui ne veut pas qu’une petite pièce de poésie soit jamais parfaite qui a fait ses règles exprès pour qu’elle ne le fût pas, et qui, le fût-elle, trouverait encore facilement à y reprendre ; citons ici deux sonnets de caractère moyen, où l’on verra comment on a pu tirer parti de cette coupe difficile, et dire pourtant de très jolies choses.

Le premier sonnet est de d’Etelan, poète bien peu connu, qui a rassemblé plusieurs antithèses ingénieuses et vraies, sur le miroir.

Miroir, peintre et portrait, qui donnes et reçois,
Et portes en tous lieux avec toi mon image,
Qui peux tout exprimer, excepté le langage,
Et pour être animé n’as besoin que de voix :

Tu peux seul me montrer, quand chez toi je me vois,
Toutes mes passions peintes sur mon visage.
Tu suis d’un pas égal mon humeur et mon âge,
Et dans leurs changements jamais ne te déçois.

Les mains d’un artisan71, au labeur obstinées,
D’un pénible travail font en plusieurs années
Un portrait qui ne peut ressembler qu’un instant ;

Mais toi, peintre brillant, d’un art inimitable
Tu fais sans nul effort un ouvrage inconstant,
Qui ressemble toujours et n’est jamais semblable.

Nous emprunterons notre dernier exemple à Scarron : c’est une sorte d’épitaphe satirique fort bien tournée, et dont l’agrément consiste surtout dans la suspension rapide de la fin.

Ci-gît qui fut de belle taille,
Qui savait danser et chanter,
Faisait des vers vaille que vaille,
Et les savait bien réciter.

Sa race avait quelque antiquaille,
Et pouvait des héros compter :
Même il aurait donné bataille
S’il en avait voulu tâter.

Il parlait fort bien de la guerre,
Des cieux, du globe de la terre,
Du droit civil, du droit canon ;

Et connaissait assez les choses
Par leurs effets et par leurs causes.
— Était-il honnête homme ? — Oh ! non.