Préface.
Le plan d’études arrêté par le ministre de l’Instruction publique, le 30 août 1852, met au nombre des matières qui doivent entrer dans l’enseignement commun à la section des lettres et à la section des sciences, pour la classe de rhétorique, les Notions élémentaires de rhétorique et de littérature.
Cette seule ligne décide des questions bien importantes et sur lesquelles il y avait, non pas peut-être en principe, au moins dans la pratique, des jugements opposés.
Que doit comprendre l’enseignement de la rhétorique ? Selon les uns, et c’est l’opinion que l’institution du concours général a fait prévaloir à Paris, il ne se distingue en rien des classes précédentes que par la nature des devoirs à faire. On faisait des thèmes ou des narrations en seconde, on fera ici des discours latins et des discours français ; on développait un peu une matière de vers, on la développera davantage ; les versions grecques ou latines seront plus difficiles. C’est là, comme on le voit, la partie pratique du cours ; ce sont des exercices auxquels on s’attache exclusivement quand on a en perspective une lutte comme celle du concours général, où ces exercices seront seuls comptés pour quelque chose.
En province, où la même cause n’existe pas, l’opinion est généralement différente. On pense, avec raison selon nous, que, sans négliger des exercices extrêmement utiles, il est bon de les lier entre eux par une théorie générale ; en d’autres termes, que faire sa rhétorique, ce n’est pas seulement faire avec succès les devoirs donnés dans cette classe, c’est aussi apprendre la science qui porte ce nom, et qui fait connaître et distinguer les diverses sortes de discours, leurs parties, les lieux oratoires qu’on y emploie, etc. C’est donc un enseignement théorique que le professeur de rhétorique de province ajoute à l’enseignement tout pratique de Paris, et il n’est pas douteux que, toutes choses égales d’ailleurs, cette addition ne contribue à jeter un grand intérêt dans les leçons, à bien ordonner les idées des élèves et à former leur jugement.
Mais quoi ! cette addition est-elle suffisante ? Non, certes ; bien que les discours et oraisons aient, avec les autres genres de littérature, beaucoup de points de contact, il y a une multitude de vérités qui y sont absolument étrangères, et qu’il est, non pas seulement fâcheux, mais honteux d’ignorer.
Comment ! un élève quittera le collège connaissant l’exorde, la narration, la confirmation et la péroraison, ou sachant très bien que les anciens distinguaient trois genres de causes, et il ignorera ce que c’est qu’une histoire, ce que c’est qu’une élégie, un poème épique, une tragédie ! cela n’est pas admissible.
Aussi y a-t-il beaucoup de professeurs qui, à l’occasion, donnent ces notions dans leurs classes ; d’autres rédigent eux-mêmes des résumés spéciaux qu’ils dictent à leurs auditeurs ; à défaut enfin de ces enseignements, les bons élèves cherchent, autant qu’ils le peuvent, à classer dans leur mémoire ces distinctions d’ouvrages, ces règles▶ générales de composition qui font le sujet de la conversation des hommes instruits, et sur lesquelles on ne peut trop chercher à se faire des idées nettes.
Eh bien, ce sont là précisément ces Notions de littérature demandées par le règlement nouveau qu’il s’agit d’ajouter aux traités ordinaires de rhétorique, et pour lesquelles nous avons rédigé le présent ouvragé.
Voici le plan et le contenu du livre. Après un coup d’œil général sur les deux formes de langage (la prose et les vers), vient l’étude des ouvrages en prose, et d’abord celle des discours prononcés : c’est proprement le traité de rhétorique ; puis l’étude du genre épistolaire ; celle du genre didactique ; celle du genre historique et des fictions en prose, c’est-à-dire des contes et romans. Cela fait, on passe aux ouvrages en vers : d’abord, à quelques petits poèmes anciens, aujourd’hui inusités, qu’il faut pourtant connaître ; puis aux Poésies fugitives, puis aux petits poèmes modernes ; ensuite aux grands poèmes, didactique et épique ; enfin au poème dramatique. Il est inutile d’ajouter que ce sont là les grandes divisions, et que chacune d’elles se subdivise autant que l’usage commun le demande.
C’est ici le moment de dire comment l’ouvrage a été rédigé.
Nous ne manquons pas de travaux, ou au moins de morceaux de choix sur les différents genres de littérature répandus dans les livres de nos écrivains les plus élevés. Corneille, Boileau, La Motte, Voltaire, Marmontel, La Harpe, Chénier et bien d’autres offrent une mine inépuisable à ceux qui voudront l’exploiter.
L’infatigable abbé Delaporte a publié lui-même dans le siècle dernier, sous le titre d’École de littérature tirée de nos meilleurs écrivains, deux volumes très curieux, où il met, en effet, à contribution, malheureusement sans citer ses autorités, les hommes les plus compétents et les plus illustres. L’abbé Sabatier a fait aussi, avec les mêmes ressources, son Dictionnaire de littérature.
Mais les auteurs élevés et originaux ne sont pas le modèle que nous nous proposons ici. Ce n’est pas pour une étude première comme celle de nos collèges qu’il faut recourir aux hommes supérieurs ; on ne tirera d’eux, avec avantage, qu’un ouvrage philosophique analogue à notre Cours supérieur de grammaire, où l’on devra comparer et discuter les opinions différentes, et se prononcer, après examen, pour la meilleure. C’est là un ouvrage pour les maîtres, ce n’en est pas un pour les écoliers.
Ajoutons que l’homme qui écrit pour l’enseignement ne doit pas, en général, exposer ses propres idées, ni les idées contestées ; mais bien celles qui sont communément reçues, et dont l’ensemble constitue véritablement la science, selon l’opinion du monde ; qu’ainsi un ouvrage classique pour la littérature doit toujours s’appuyer ou d’autorités incontestables, ou d’ouvrages antérieurs reconnus bons et acceptés partout comme tels.
Fort heureusement pour nous, deux hommes d’un savoir exact et d’une érudition éprouvée, moins élevés assurément que les auteurs précédemment nommés, mais plus accessibles aux classes de nos collèges, pour lesquelles ils ont d’ailleurs précisément travaillé, l’abbé Batteux et Domairon, nous ont laissé des ouvrages où se trouve tout ce que les jeunes gens peuvent désirer de savoir sur l’objet qui nous occupe ici : l’un y a consacré trois volumes de ses Principes de littérature l’autre a écrit pour le même objet sa Rhétorique française et sa Poétique française en deux volumes.
En réduisant ces deux traités, en les débarrassant du fatras métaphysique auquel les deux écrivains se laissaient trop facilement entraîner ; en augmentant le nombre des exemples, diminuant l’étendue de quelques-uns d’eux et les appropriant davantage au sujet ; en ajoutant enfin quelques détails visiblement oubliés ou omis mal à propos, et redressant quelques jugements ou quelques faits historiques, il nous a semblé qu’on pouvait en tirer un petit volume où ne manquerait rien d’essentiel, et dont le nom des auteurs primitifs, cité à toutes les pages, garantirait d’ailleurs les excellents principes.
Nous savons qu’un travail de ce genre a été fait tout au commencement de ce siècle sur l’ouvrage de Batteux et n’a eu qu’un demi-succès ; mais, indépendamment de ce que Batteux demande à être complété, il ne suffit pas, quand on renouvelle pour l’usage présent un ancien ouvrage, d’y opérer quelques coupures : le nouvel éditeur doit y mettre son cachet et en faire un ouvrage vraiment neuf et qu’il puisse dire sien. Un esprit original se montre partout, et le vieil ouvrage qu’on retouche, en s’imposant même la loi de ne rien ajouter aux doctrines, devient, soit par les retranchements, soit par une disposition meilleure, soit par la forme et le caractère du langage, tout autre chose que ce qu’il était d’abord. C’est un petit mérite sans doute ; quel qu’il soit, nous osons croire qu’on n’hésitera pas à le reconnaître dans le nouveau volume que nous ajoutons à notre Cours de langue française.
Disons un mot de l’histoire littéraire. Cette science est, avec raison, exclue de l’enseignement des collèges. Ce n’est pas quand on est sur les bancs et qu’on apprend encore une langue qu’on doit en même temps étudier, comparer et classer tous les auteurs qui l’ont illustrée. Aux Facultés des lettres seules et aux écoles supérieures appartient l’étude systématique et complète de l’histoire littéraire.
Mais, sans l’étudier à fond et comme une science à part, n’y a-t-il pas des notions qu’il serait fâcheux de ne pas avoir, et qu’un professeur serait coupable de ne pas donner ? Peut-on parler avec intelligence de l’apologue sans dire un mot d’Ésope, de Phèdre, de La Fontaine ? Peut-on expliquer les ◀règles de la tragédie sans nommer Eschyle, Sophocle, Corneille, Racine ?
Personne ne le pensera. Ainsi, à propos de chaque genre, nous avons, comme Batteux et Domairon, cité ceux qui s’y sont le plus distingués ; seulement, nous avons pu inscrire quelques noms que nos deux auteurs, morts, l’un en 1780, l’autre en 1807, n’avaient pas connus, et ajouter quelques exemples qu’ils auraient été heureux de posséder.