Chapitre second. De la disposition.
La Disposition est la seconde partie de la composition littéraire. C’est l’arrangement des pensées fournies par le sujet.
Trois qualités générales sont requises dans la disposition : 1. L’ordre. — 2. La gradation. — 3. L’harmonie.
1. L’ordre consiste à séparer les accessoires de l’invention en autant de parts qu’il y a de natures de pensées. Nous avons parlé déjà des pensées intrinsèques et extrinsèques. C’est la division générale ; mais telle pensée peut être puisée dans l’ordre moral, telle autre dans l’ordre métaphysique, etc. Il faut les réunir ordinairement, pour les exposer, à moins que les circonstances ou le but de l’écrivain ne s’y opposent. Son talent sera de les arranger dans l’ordre le plus propre à obtenir l’effet qu’il désire.
2. Lorsque l’ordre des pensées est établi, on examine quelle marche on doit suivre dans leur exposition. Tantôt on commence par les plus faibles, tantôt au contraire on place en avant les plus fortes. Dans le premier cas, on suit une gradation ascendante, afin que l’intérêt augmente à mesure que l’action ou le discours avance. Telle est la marche ordinaire des compositions dramatiques. Dans le second cas, c’est-à-dire lorsque la disposition commence par le développement des pensées les plus saillantes, la gradation est descendante. C’est quelquefois la marche que suit l’orateur, lorsqu’il reconnaît la nécessité de frapper de grands coups dès l’abord, afin que ses auditeurs ou ses lecteurs, surpris à l’improviste, soient comme étonnés de la force de ses moyens, et qu’il n’ait plus ensuite qu’à achever son triomphe par le développement des idées accessoires qu’il a réservées pour les dernières.
Le mérite de la gradation consiste en ce que le discours ou l’action suit une marche toujours ascendante, ou toujours descendante. Ce serait donc une faute de choisir d’abord une pensée forte, de la faire suivre d’une pensée faible, en exposant immédiatement une pensée tenant le milieu entre ces deux extrêmes. La composition marcherait ainsi par bonds, et ressemblerait aux yeux du lecteur à ces routes inégales, qui sont tracées en montées et descentes, et dont l’aspect seul est une véritable fatigue pour le piéton. Pour suivre cette comparaison, qui est frappante pour les jeunes gens, il n’est pas un élève qui n’ait éprouvé, en s’en allant en vacances, combien il est pénible de suivre ces chemins en vaux et collines, qui laissent voir et dérobent aux yeux tour-à-tour, le clocher d’un village qu’on désespère ainsi de pouvoir atteindre. Ces chemins désagréables sont l’image d’une composition sans gradation, qui paraît traînante et pénible, fatigue l’attention et rebute l’esprit.
Combien il est plus agréable de gravir la pente douce d’une haute montagne ! À sa base, l’odeur des fleurs de la prairie, le plan incliné du gazon, le bruit du ruisseau qui fuit sous le feuillage, le chant du rossignol, etc., tout délasse et récrée. Plus haut, la chute d’une cascade, la forêt de sapins, un précipice, le vol de l’aigle, etc., présentent des beautés sévères et déjà grandioses. Mais, quand arrivé au sommet, vous pouvez contempler les neiges éternelles, l’avalanche menaçante, l’hospice protecteur, et surtout ce vaste horizon, où les villes et les bourgs vous apparaissent comme des points imperceptibles dans l’espace, votre imagination est au comble de l’étonnement et de la satisfaction. Voilà la gradation ascendante ; vous passez du doux au sévère, et du sévère au majestueux, vous êtes attendri et subjugué par les charmes de la composition.
En descendant vous retrouvez les mêmes beautés dans un ordre différent. Vous passez de l’enthousiasme à l’admiration et de l’admiration à cette quiétude de l’âme qui vous laisse les plus douces impressions. C’est le propre de la gradation descendante.
3. L’harmonie, la troisième qualité de la disposition, est cet accord exact des parties par lequel elles forment un tout parfait et concourent au même but. Cette qualité est si indispensable que je devrais m’abstenir de la commenter. Sans elle la composition devient défectueuse et désagréable, les parties détachées de l’ensemble s’isolent et annulent la majesté de l’effet général. Elle se lie tellement à l’unité d’action, qu’on dit généralement que l’unité c’est l’ harmonie, C’est elle qui constitue invariablement la beauté, la supériorité, la perfection ; c’est en un mot l’absence de tout élément qui ne semblerait point faire partie d’un bel ensemble.
Si dans une narration vous mêlez une seule réflexion contraire au but de votre récit, vous péchez contre l’harmonie.
Si dans une description riche, vous placez un détail trivial, vous choquez l’harmonie.
Si dans le portrait d’un homme bon par excellence vous parlez de la méfiance, variété de caractère qui modifie la bonté, vous détruisez l’harmonie. Ce trait seul défigurera votre portrait.
Si, dans un discours, vous vous faites une objection que vous ne puissiez pas radicalement détruire, vous introduisez dans votre œuvre un élément de destruction, vous violez la loi de l’harmonie.
L’art de disposer les moyens de l’invention est dépendant de la nature des causes, des circonstances locales, de l’à-propos des compositions, en un mot, du but de l’écrivain.
Les deux grands genres de composition, la narration et le discours, ont leurs préceptes spéciaux en fait de disposition. Nous allons les exposer.
§ 1. Disposition narrative.
La disposition d’une narration veut que le fait choisi ait une exposition, un nœud et un dénouement.
On nomme exposition cette partie de la narration qui a pour but de préparer l’esprit au fait qu’on va raconter. Elle détermine le lieu de la scène, fait connaître les personnages et explique tous les antécédents nécessaires à la clarté du récit.
L’exposition sera simple et claire. Simple : il faut promettre peu, et tâcher de tenir beaucoup. Claire : on ne la chargera pas de détails inutiles, et on la tirera du fond même des choses, car, dit Cicéron,
elle doit sortir du sujet comme une fleur de sa tige.
Le nœud est la partie intermédiaire de la narration où l’on voit les personnages à l’œuvre, où l’action se complique et rencontre des difficultés qui éloignent la prévision du dénouement. C’est là où l’intérêt commence, où il est nécessaire, pour le faire croître jusqu’à la fin, de bien rassembler en un seul faisceau les faits partiels qui concourent au but du récit.
Enfin, le dénouement est le point où se tranche le nœud, où l’action finit. Il exige deux précautions. 1° Il faut préparer l’esprit à l’accueillir ; car s’il est trop brusque, il surprend, déconcerte et laisse le lecteur peu satisfait ; mais le préparer n’est pas l’annoncer : en ce dernier cas, on détruirait l’intérêt ; 2° Il faut savoir s’arrêter à temps ; après un dénouement annoncé, il faut laisser l’esprit réfléchir sur les suites du fait, et se contenter, si l’on veut, d’une courte réflexion.
Le dénouement doit soutenir l’intérêt de l’exposition et du nœud, c’est-à-dire que, s’il s’agit d’un fait sérieux, ce serait une faute, après avoir fait quelque chose de grave, d’amener un dénouement puéril ; de même qu’en matière légère, on serait répréhensible, après avoir préparé le lecteur à rire, de lui présenter un dénouement tragique. Il faut pourtant excepter le cas où l’action se terminerait d’une manière plaisante et agréable. On dédommage alors par la gaîté une âme dont on a remué vivement la sensibilité. Pour cela, il faut avoir le don de bien narrer, et si l’on ne se sent pas assuré de son fait, il vaut mieux se conformer aux règles et finir du même ton que l’on a commencé.
La première des fables de Lafontaine va nous servir d’exemple de la disposition régulière d’une narration.
EXPOSITION.La cigale ayant chantétout l’été,Se trouva fort dépourvueQuand la bise fut venue,Pas un seul petit morceauDe mouche ou de vermisseau !Elle alla crier famineChez la fourmi, sa voisine,
La simplicité et la clarté de cette exposition sont remarquables. Un pauvre animal, ne trouvant rien pour se nourrir, va demander des secours à sa voisine. Comment rédigera-t-il sa supplique ? S’agira-t-il d’une aumône ou d’un prêt ? Le nœud commence.
Noeud.
La priant de lui prêterQuelque grain pour subsister,Jusqu’à la saison nouvelle.Je vous paierai, lui dit-elle,Avant l’Oût, foi d’animal,Intérêt et principal.La fourmi n’est pas prêteuse,C’est là son moindre défaut,Que faisiez-vous au temps chaud ?Dit-elle à cette emprunteuse.Nuit et jour, à tout venant,Je chantais, ne vous déplaise.Vous chantiez ! j’en suis fort aise ;
La cigale veut emprunter et s’engage à rembourser exactement et avec intérêt au terme dont on conviendra. Bon ! sa démarche sans doute aura du succès. Mais la fourmi n’est pas prêteuse
, et voici une difficulté à vaincre ; le nœud se complique. Le poète nous fait espérer que la fourmi s’attendrira : car, au lieu de congédier brusquement l’ emprunteuse, la voici qui la questionne. Avez-vous eu des malheurs ? Etiez-vous malade ? Les voleurs ont-ils pillé vos greniers ? s’il en était ainsi, on pourrait vous prêter. Voyons ; et d’abord :
Que faisiez-vous au temps chaud ?
On sent croître l’intérêt. — Je chantais, dit la cigale, un peu confuse et peu rassurée par cet aveu, car elle se dépêche d’ajouter un correctif, ne vous déplaise. Elle avait bien raison de craindre ; la fourmi est mécontente de cet emploi futile du temps. Elle devine de suite que jamais l’animal qui s’amuse à chanterai ! lieu d’amasser des provisions, ne sera en état de rembourser les avances qu’elle pourrait lui faire. Quoi ! s’écrie-t-elle, vous chantiez ! Ces deux mots, quoique sans interjection, ont un caractère admirable d’indignation et d’ironie. vous chantiez résume toute sa pensée, nous voilà préparés au dénouement qui ne se fait guères attendre.
Dénouement.
Eh bien ! dansez maintenant.
La fourmi envoie danser la cigale. Le fait est accompli ; nous pouvons ajouter sans le secours du poète que la fourmi ferme sa porte et que la cigale s’éloigne, accablée du cruel refus qu’elle a mérité par sa folle conduite. C’est ainsi que l’on doit s’arrêter à temps. Ce dénouement sévère est, comme on le voit, digne de l’exposition qui est grave elle-même.
Résumons en quelques lignes les règles de la disposition de la narration.
L’Exposition est claire et simple ; elle présente les personnages. Le Nœud les met en action ; il fait naître et accroît l’intérêt. Le Dénouement termine le fait, et doit être 1° préparé ; 2° coupé à temps ; 3° d’un ton conforme à celui de l’exposition.
Après avoir choisi son fait, après l’avoir disposé avec art suivant les règles qui précèdent, il faut l’orner. À cet effet, on peut recourir : 1° à de courts épisodes, qui, loin de partager l’intérêt, puissent le fortifier ; quand le sujet est fort intéressant par lui-même, il serait mieux de négliger l’épisode ; 2° à quelques réflexions vives que l’on jette, comme en passant, dans le récit. Telle est celle-ci : la fourmi n’est pas prêteuse ; 3° aux petites circonstances habilement mises en évidence, c’est-à-dire à ces incidents divers, qui viennent, plus ou moins nombreux, se ranger autour d’un fait, lui donner une physionomie particulière, et dont aucun cependant, à le prendre isolément, n’est nécessaire à l’existence du fait principal.
Dans ce moment Turenne expire
; voilà un fait réduit à sa plus grande simplicité. Recourez, comme Madame de Sévigné, aux petites circonstances et vous lui donnerez un vif éclat, une physionomie propre qui le distinguera de la mort de tel ou tel personnage.
Dans ce moment le cheval s’arrête, le héros tombe entre les bras de ses gens, il ouvre deux fois de grands yeux, et demeure tranquille pour jamais.
Vous voyez quelle différence il y a entre ce récit embelli de petites circonstances, et ces mots trop simples :
Turenne expire.
Il semble, grâce à l’image produite par les détails, qu’on voit mourir le héros.
Il faut prendre garde, en s’emparant des petites circonstances, de mettre la main sur des détails bas et communs, ceux par exemple que personne n’ignore. Nous en parlerons en traitant du style.
§ 2. Disposition oratoire.
La disposition oratoire a pour but l’arrangement des moyens fournis par l’invention, et embrasse tout le plan du discours.
Le plan élaboré par l’invention n’est autre chose que l’ordre, la gradation et l’harmonie sommairement exposées ; c’est le fond du discours réduit aux idées fondamentales : ses qualités sont la justesse, la netteté, la simplicité, la fécondité, l’unité et la proportion, comme on peut s’en convaincre en relisant les premiers préceptes de l’invention, extraits de Buffon.
L’orateur, après avoir conçu son plan à l’aide de ses moyens d’invention le coordonne d’après les règles de la disposition. Ces règles ont pour objets : L’exorde, la proposition, la narration, la confirmation, la réfutation, et la péroraison.
Exorde.
L’orateur doit d’abord s’assurer des dispositions de son auditoire, s’attirer la bienveillance générale, et repousser les préventions défavorables qui pourraient exister contre sa personne. C’est l’office de l’exorde. II fait usage des mœurs proprement dites et des bienséances oratoires. L’exorde a donc un double but : de se concilier la bienveillance des auditeurs et de captiver l’attention.
1° C’est surtout au début que l’orateur a besoin de paraître modeste, probe, confiant dans les lumières et dévoué aux intérêts de ceux qui l’écoutent : les premières impressions sont les plus vives, et s’il choque les esprits par des manières hautaines et présomptueuses, il amassera contre lui tout un orage de préventions difficiles à dissiper plus tard. 2° L’attention se commande par la haute idée que l’on donne de sa capacité et de son sujet. Il faut, pour cela, faire envisager ce dernier sous le point de vue le plus intéressant et ne point paraître embarrassé pour s’expliquer et rendre sa pensée.
L’exorde doit être tiré du fond même du sujet, à moins qu’une circonstance locale n’offre à l’orateur l’occasion d’entrer plus convenablement en matière.
Il y a quatre espèces d’exorde.
1. L’exorde est simple, quand l’orateur, n’ayant pas de préventions à détruire, parle à un auditoire favorablement disposé à recevoir ses avis. Tels sont les exordes de la plupart des discours politiques et sacrés.
2. L’exorde doit être insinuant quand de fortes préventions existent, quelqu’en soit l’objet. On s’aide des précautions oratoires. D’abord on ose à peine se défendre, on dissimule ses raisons ; mais peu à peu on présente des motifs adroits, et bientôt on se découvre et on attaque de iront. Cet exorde permet la finesse, mais non pas le mensonge. On peut citer comme modèles de genre l’exorde du plaidoyer de M. De Sèze pour Louis XVI6, et celui du discours de Cicéron pour Milon7.
3. L’exorde est véhément lorsqu’il s’agit d’un sujet qui préoccupe vivement les esprits. On se met dès l’abord au niveau des passions des auditeurs pour en accroître la force et le mouvement. Tel est l’exorde de la première Catilinaire8.
4. L’exorde pompeux doit être préféré par l’orateur, quand une circonstance solennelle rassemble autour de lui une foule d’hommes accourus pour entendre sa parole. Les oraisons funèbres, les conférences des grands prédicateurs, les solennités académiques prêtent à merveille à l’exorde pompeux. On peut admirer un modèle accompli du genre dans l’oraison funèbre de la Reine d’Angleterre, par Bossuet9.
On doit prendre garde dans l’exorde 1° de se servir de pensées peu saillantes et dépourvues de mœurs ; 2° de dire des choses inutiles qui font perdre le temps ; 3° de parler de choses étrangères au sujet ou à la situation. Tout cela empêche l’attention de l’auditeur de se fixer sur le sujet ou sur l’orateur.
Proposition.
Elle énonce clairement la vérité qu’on veut prouver, et se place immédiatement après l’exorde.
La proposition est simple, si l’on n’a qu’une seule vérité à prouver. Elle est composée, quand elle offre plusieurs points distincts qu’il faut traiter séparément ; en ce cas, il y a division, c’est-à-dire partage du discours en deux ou plusieurs parties. La division n’est pas absolument nécessaire ; elle est un peu froide ; il est bon cependant de l’établir, afin de soulager la mémoire de l’auditeur. Il en est de même de la subdivision, c’est-à-dire du partage en plusieurs points d’une partie de la division générale.
Narration.
La narration oratoire est l’exposé des faits nécessaires à l’intelligence de la cause ; elle se place après la proposition.
La narration oratoire aura en général toutes les qualités du genre narratif10. En particulier l’orateur ne devra jamais perdre de vue les intérêts de sa cause. Tout en restant vrai, il lui sera permis de ne point être impartial ; il racontera les faits de la manière la plus avantageuse à son but. Il appuiera sur les circonstances favorables beaucoup plus que sur celles qui pourraient lui nuire, si même il ne passe pas sous silence entièrement ces dernières. La narration oratoire veut de la passion et de l’entraînement ; il faut que l’auditeur soit captivé et échauffé par la simple exposition du fait, qu’il croie voir les choses au lieu de les entendre. Ce genre de narration par ses mouvements d’éloquence, mérite plutôt d’être défini : une action en récit, que récit d’une action.
La narration oratoire n’est d’usage que dans le plaidoyer, l’oraison funèbre et le panégyrique.
Confirmation.
Lorsque l’exposition du fait est terminée, l’orateur présente ses preuves. C’est l’objet de la confirmation, partie la plus essentielle du discours ; car les mœurs et les passions ne sont souvent que des accessoires.
Il faut choisir ses preuves avec discernement, les arranger dans l’ordre qu’on jugera le meilleur, suivant les principes de gradation précédemment exposés, et en un leur donner le développement nécessaire.
Rejeter les preuves faibles est un travail préliminaire auquel il faut se soumettre. Il ne faut pas toutefois, en le faisant, confondre les preuves faibles avec les probabilités. Celles-ci servent beaucoup aux causes criminelles ; elles inspirent les questions du juge, de sorte que l’accusé, s’en trouvant accablé, est forcé de faire des aveux. On peut s’emparer de ces probabilités comme moyen d’arriver à la connaissance de la vérité. Quintilien les compare à la grêle qui ne renverse pas comme la foudre, mais qui frappe vivement et à coups redoublés.
Les preuves faibles sont la plupart étrangères au sujet ; s’en servir, ce serait faire soupçonner que l’on manque de preuves fortes et conciliantes.
C’est dans le développement de ces dernières, comme dans la manière de corroborer les preuves médiocres, que se montre le talent de l’orateur habile dans la confirmation. Il les présente de façon à produire une vive impression, il entre dans des détails intéressants, il sait joindre à chaque idée générale toutes les idées accessoires qu’elle fait naître, il rend par ce moyen une preuve palpable, sans recourir aux mots inutiles. D’un autre côté chaque preuve est traitée séparément, afin que l’esprit saisisse distinctement toutes les faces du sujet, et c’est ainsi que l’orateur produit la conviction. Cette adresse à manier la preuve est un art à part que les rhéteurs nomment amplification oratoire.
Comme défauts dans la confirmation on peut recommander d’éviter : 1° le soin de prouver ce qui est évident ; 2° le souci d’épuiser une preuve suffisamment saisie par l’auditeur ; 3° la précaution de relever des détails futiles ou surabondants.
Réfutation.
Après avoir solidement appuyé sa cause, l’orateur doit s’occuper de détruire les preuves de ses adversaires. Il y parvient par la Réfutation.
En général cette partie se confond avec la confirmation. Lorsqu’on a établi une preuve, on cherche à détruire les objections qu’on peut y faire, ou les preuves contraires que l’adversaire a exposées. La réfutation est plus facile alors, parce qu’on suit pas à pas son compétiteur et qu’on se place sur le même terrain.
Si la réfutation est isolée, elle demande toute la pénétration de l’orateur. Tantôt il devra faire usage de la logique, en montrant, s’il y a lieu, ou que les principes sont faux et qu’ on ne peut en tirer des conséquences vraies, ou que les principes étant vrais, on en a tiré de fausses conséquences. Il aura soin à cet effet de réduire à quelques syllogismes toute l’argumentation qu’on lui a opposée, tantôt il devra employer l’analyse, pour découvrir, en jetant à bas toute la pompe des ornements, si les pensées sont vraies, si on n’a point donné pour certain ce qui était douteux, ou pour avouer ce qui était contesté. L’artifice du discours n’étant plus alors caché par l’élocution, il lui sera facile d’en voir l’arrangement, ou de le renverser, s’il n’est pas solide.
Mais s’il a eu affaire à un adversaire qui a logiquement raisonné, que devra faire l’orateur ? II n’ira pas sans doute avouer ses torts, quoiqu’il soit coupable de s’être chargé d’une mauvaise cause ? Non, sans doute. Il cherchera à affaiblir les preuves, il les séparera pour détruire la force de leur réunion ; il affectera peut-être de ne pas répondre, ou il répondra ironiquement, mais décemment. Malgré toutes ces précautions, sa cause est bien près d’être perdue si son adversaire a le même talent que lui.
Il ne faut réfuter que ce qui est digne de réfutation. Abandonnez les minuties à la justice de l’auditeur.
L’on doit encore répéter dans toute sa force l’objection qu’on va réfuter, et y répondre complètement. Sans cela l’auditeur renforce dans son esprit le raisonnement attaqué, qui lui paraît dès lors invincible.
Péroraison.
Après la réfutation, il n’y a plus qu’à conclure, Or, la fin d’un discours est un moment critique, et l’orateur doit ici achever son triomphe, soit en résumant ses moyens pour convaincre l’esprit, soit en recourant au pathétique pour toucher le cœur. De là deux espèces de péroraison.
1° La péroraison n’est qu’une récapitulation, lorsque l’orateur assuré d’avoir convaincu ses auditeurs de la vérité qu’il a développée, se contente, pour soulager leur mémoire, de leur rappeler sommairement ses moyens. Il le fait en peu de mots et sans se répéter, et la conclusion est le triomphe de la proposition de son discours.
2° La péroraison proprement dite doit toujours être pathétique. L’esprit peut être convaincu ; mais les passions contrarient son élan, il s’agit de les vaincre. L’orateur s’adresse à elles, il les émeut, il parvient à leur communiquer ce feu qui le dévore lui-même. Son imagination leur présente les côtés touchants des objets ; sa sensibilité provoque l’expression des plus doux sentiments. Les larmes coulent, et tous les cœurs approuvent l’opinion de l’orateur quand il descend de la tribune.
Ces courtes notions sur la disposition oratoire font voir clairement qu’un discours n’est qu’un syllogisme développé, dont la confirmation contient les prémisses et dont la proposition est la conséquence.
Ce n’est point dans l’adolescence, lorsqu’on étudie la rhétorique, qu’il faut songer à bien inventer et à bien disposer. Il faut que l’âge ait mûri le jugement, que les bonnes lectures aient développé le goût, et que l’analyse littéraire ait révélé une partie du secret des grands maîtres.
Nous laisserons faire l’âge ; c’est un précepteur habile. Les professeurs choisiront eux-mêmes les livres le plus convenables à mettre entre les mains des jeunes gens. Quintilien pense qu’un élève doit toujours commencer par lire les meilleurs auteurs, continuer par eux et finir par eux ; ce n’est que lorsque son goût sera formé qu’il pourra lire les auteurs moins parfaits. Ainsi, pour m’expliquer par un exemple, le jeune poète qui aura de l’attrait pour la tragédie devra lire et relire Racine, qui est à peu près parfait ; et ce n’est que plus tard qu’il pourra lire Pierre Corneille, qui a mêlé à d’admirables beautés des défauts tels, qu’ils sont inconcevables dans ce grand homme.
Quant à l’analyse, les rhéteurs l’ayant totalement négligée, nous devons l’enseigner à l’élève. Elle fera partie de nos canevas ; et si c’est le côté le plus ingrat du travail, ce sera le plus utile.
Pour achever de faire voir aux élèves ce que c’est que l’ensemble d’une composition, je vais, à l’exemple de Quintilien, comparer un auteur à un architecte qui veut construire un palais. Que fait cet architecte ?
1° Il choisit un vaste emplacement sur nue colline entourée de bois, de prairies, d’eaux vives, etc., d’où la vue puisse s’étendre sur un vaste horizon. — C’est l’invention d’un sujet fécond, heureux.
2° Il fait un dessin général de son œuvre. — C’est le plan de la composition.
3° Il se procure des matériaux de toutes sortes, pierres, marbres, fers, bois, bronzes, etc, — Ce sont les accessoires de l’invention, les pensées premières.
4° Parmi ces matériaux, il choisit les plus beaux qu’il fait travailler avec soin, et rejette ceux qui sont calcinés ou de mauvaise qualité. — C’est le choix des pensées et le travail préliminaire qui doit décider de leur admission dans la composition.
5° Il pose ses fondements, élève ses murs, distribue ses appartements avec intelligence, et pour que les habitants du palais soient commodément logés. — C’est la disposition.
6° Il met chacun à sa place les matériaux qui doivent servir à chaque partie du palais. — C’est l’ordre de la disposition.
7° II arrange ses vestibules, ses salles d’attente et ses salons, soit en augmentant graduellement la majesté des proportions de ces trois pièces, soit en la diminuant et toutefois en compensant cette diminution par la richesse et l’agrément des détails, mais toujours de manière à ce que le visiteur soit dans l’admiration. — C’est la gradation de la disposition tantôt ascendante, tantôt descendante.
8° II veille à ce qu’il n’y ait rien de disparate dans tous ses arrangements à ce que tout concoure à la beauté, à la perfection de son palais — C’est l’harmonie de la disposition,
9° Enfin, il pose ses ornements, taille avec élégance ses colonnes, sculpte ses statues et ses vases, il couvre les murs intérieurs de riches tentures, de peintures agréables ; l’œil s’y repose satisfait sur des tableaux magnifiques et sur des couleurs séduisantes. — C’est le style, ce sont les figures, c’est, en un mot l’élocution dont nous allons parler avec étendue, parce que c’est, à proprement parler, toute la rhétorique de la jeunesse.