Définition et division.
La Rhétorique est la science de bien dire. Par le mot dire, j’entends parler et écrire : par le mot bien, j’entends non-seulement la perfection du style, mais encore la moralité du sujet.
Si tel auteur profite d’un talent incontestable pour faire l’éloge du vice et tâcher de décrier la vertu, je suis en droit de dire que cet homme ne sera jamais orateur. Il se peut que je ne puisse, avec le peu d’art que je possède, découvrir la fausseté de ses principes et démontrer ce qu’ils ont d’odieux ; mais je n’en serai pas moins certain qu’il choque, en parlant, la nature, la vraisemblance et la raison, qui sont les fondements de toutes les règles, et ma définition seule l’exclura du rang des bons rhéteurs.
La rhétorique en elle-même, dit M. Gerusez, est comme toutes les sciences, utile aux bons esprits, nuisible aux esprits faux ; c’est la liqueur que le vase améliore ou corrompt selon sa nature.
Ainsi, l’orateur qui me parlera des douceurs du crime et des fadeurs de la vertu corrompra son art, au lieu de l’améliorer ; il sera indigne du titre qu’il prend, du beau nom d’orateur.
Ce n’est pas qu’on ne puisse être en même temps vicieux et bon orateur ; nous en avons plus d’un exemple dans l’histoire de notre littérature. Mais l’homme ainsi organisé ne sera orateur que quand il parlera bien de choses morales ; il ne le sera plus quand il obéira, en écrivant, à la corruption de son cœur. Pour bien dire, il sera obligé de se contrefaire, et cette hypocrisie lui méritera un mépris général.
Si le créateur nous a distingués du reste des animaux, c’est surtout par le don de la parole. Ils nous surpassent en force, en patience, en grandeur de corps, en durée, en vitesse, en mille autres avantages, et surtout en celui de se passer mieux que nous de tous secours étrangers. Guidés seulement par la nature, ils apprennent bientôt et d’eux-mêmes à marcher, à se nourrir, à nager. Ils portent avec eux de quoi se défendre contre le froid ; ils ont des armes qui leur sont naturelles ; ils trouvent leur nourriture sous leurs pas ; et pour toutes ces choses, que n’en coûte-t-il pas aux hommes ? La raison est notre partage et semble nous associer aux immortels ; mais combien elle serait faible, sans la faculté d’exprimer▶ nos pensées par la parole, qui en est l’interprète fidèle ! C’est là ce qui manque aux animaux, bien plus que l’intelligence, dont on ne saurait dire qu’ils soient absolument dépourvus. Donc, si nous n’avons rien reçu de meilleur que l’usage de la parole, qu’y a-t-il que nous devions perfectionner davantage ? Et quel objet plus digne d’ambition, que de s’élever au-dessus des autres hommes par cette faculté unique, qui les élève eux-mêmes au-dessus des bêtes ?
Voila le langage de Quintilien, qui envisageait surtout la rhétorique comme art de bien parler. Ce passage seul peut faire comprendre combien la science de bien dire est importante, noble, sublime, et combien l’on doit craindre de la dégrader, en l’éloignant de la vérité et de la vertu qui sont les sources du beau, pour la faire servir au triomphe du vice et du mensonge, qui avilissent l’homme, et des passions immorales qui le rapprochent de la brute, dont la parole doit par sa nature le distinguer plus que toute autre chose.
La Rhétorique, il faut l’avouer, n’est que le vernis brillant habilement étendu sur une matière travaillée pour le recevoir ; c’est la taille donnée au diamant. Or, ce diamant, c’est la pensée. Donc, pour bien dire, il faut d’abord avoir bien pensé. Malheureusement l’art de bien penser n’est point encore fait. Si votre pensée est vraie, si elle est sage, on la recevra avec respect, comme tout ce qui est beau et bon, même lorsque vous l’◀exprimerez sans art ; c’est déjà quelque chose ; mais elle instruira, elle plaira, elle touchera, si vous avez suivi, en l’exposant, les préceptes de la Rhétorique, et votre triomphe sera plus complet.
En l’absence d’une méthode qui apprenne à bien penser et dont il serait probablement impossible de se servir dans l’âge où l’on enseigne la Rhétorique aux jeunes gens, quel est le devoir du rhéteur ? C’est de fournir des pensées à ses élèves, et de leur apprendre à les revêtir de tout l’éclat qu’elles peuvent recevoir. Cette phrase contient tout le plan de cet ouvrage, que je devise en deux parties, renfermant une les préceptes généraux, l’autre les préceptes particuliers.
Les préceptes généraux s’appliquent à tous les genres de composition qu’on peut essayer dans la jeunesse ; les préceptes particuliers sont adaptés à chaque espèce, et sont accompagnés de canevas2 et de modèles3.
Et comme il ne me sied nullement de rejeter de ma propre autorité les divisions de l’école adoptées par de bons rhéteurs, je les placerai en note au bas des pages4.